mercredi 31 août 2011

La Shoah n'existe plus ! une bonne chose de faite…


Voilà une nouvelle qui devrait faire bien plaisir à certains gauchistes égrotants que je connais, ainsi qu'à tous les imams prêcheurs de notre beau pays de France : un bulletin officiel de l'Éduc' nat' prescrit que le mot Shoah soit désormais banni du vocabulaire, tout au moins au sein de la pétaudière en question. Pour l'instant, certes, cette forfaiture n'est encore qu'en projet. Mais, comme le souligne Claude Lanzmann dans un vigoureux article, que je vous invite instamment à lire, les manuels scolaires d'histoire pour élèves de première de cette rentrée 2011 ont tous anticipé l'avilissement en vue et ont en effet rayé le mot de leurs opuscules. L'un d'eux (celui d'Hachette) a même poussé plus loin la complaisance. Pensant, on suppose, que supprimer un mot lui donnait le droit d'en introduire un autre, c'est ce qu'il a fait. Et il a choisi celui de Nakhba, qui sert aux pseudo-Palestiniens à désigner leur propre “catastrophe”, à savoir la création de l'État d'Israël. Quant à cette infortunée Shoah, elle est désormais remplacée par “l'anéantissement des juifs et des tziganes” : mélangeons tout dans le grand chaudron de Modernœud, touillons énergiquement et, pour finir, noyons le poisson dans le bouillon obtenu. Une fois que l'on se sera bien déshabitué du mot, on pourra songer tranquillement à ne plus du tout parler de la chose. Ça laissera plus de temps pour le Monomotapa, c'est pas plus mal.

mardi 30 août 2011

Mensonges politiques et vérité romanesque

Ayant dépassé la moitié de Libra, le roman de Don DeLillo que je suis occupé à lire, il me devient possible d'en dire d'ores et déjà quelques mots. (« Possible, peut-être, mais souhaitable ? », s'interroge le passant sarcastique.) La première chose est que, pour l'instant, c'est celui qui me convainc le moins des trois que je connais – les deux autres étant Bruit de fond et Outremonde, lus dans cet ordre. Peut-être simplement parce que je suis presque toujours rétif à l'irruption de personnages réels dans la trame romanesque, en raison de leur pouvoir d'empêcher d'advenir ce qui n'a pas effectivement eu lieu dans la réalité dont l'auteur les a tirés. Par exemple ici : rien ne peut faire, ni le talent de DeLillo ni rien d'autre, ni personne, rien ne peut faire qu'à la fin Lee Harvey Oswald ne devienne pas l'assassin de John Fitzgerald Kennedy.

Cela posé, Libra demeure une mécanique savante et précise – d'une précision diabolique : pour une fois c'est bien le cas de le dire –, basée sur deux forces qui se renforcent l'une l'autre, ou plutôt tendent à entrer en fusion pour provoquer la déflagration que l'on sait. D'une part la cristallisation, de l'autre la trajectoire, chacune de ces deux forces occupant le même nombre de chapitres, répartis selon une alternance rigoureuse.

La cristallisation s'opère à l'intérieur du marigot des services secrets et des agitateurs de toutes sortes (castristes, anticastristes, CIA, FBI, KGB, mercenaires, etc.) : tous ces gens apparaissent dès le début du roman comme des sortes de molécules isolées, perdues dans la soupe primordiale, et qui cherchent à s'organiser en une structure solide et cohérente, une structure absolument vitale pour chacun de ses éléments. Et la seule manière de forger cette structure est de lui donner un but, quel qu'il soit : ce sera l'attentat contre John Kennedy, mais le lecteur comprend bien que cela aurait pu être à peu près n'importe quoi d'autre – l'assassinat de Fidel Castro par exemple.

La trajectoire est celle de Lee Oswald. Ce n'est d'ailleurs pas assez dire : Oswald est cette trajectoire et il n'est rien d'autre :

Vitesse en route vers une cible
Si lointaine, elle-même invisible…



Le tour de force du romancier est peut-être de réussir à susciter une sorte de sentiment tragique chez le lecteur, d'inévitable, de lui faire sentir, si je puis dire, la force du destin, alors même que tous ses personnages, à commencer par Oswald lui-même, semblent courir en tous sens avec un épais bandeau sur les yeux, et à chaque moment susceptibles de faire tout autre chose que ce qu'ils font finalement. L'exemple le plus frappant de ces errances multiples, de ces incertitudes additionnées, est que l'attentat contre Kennedy est au départ prévu à Miami, et que le Président doit être soigneusement manqué par le tireur. Si bien que le résultat final, le résultat historique semble être lui aussi la résultante d'une somme d'erreurs – mais il me reste deux cents pages à lire et je ne veux pas préjuger de la suite. Disons, pour en terminer momentanément, que le processus de cristallisation a pour effet de dessiner une cible, celle que la trajectoire – trajectoire d'une boule de billard électrique plus que d'une flèche lancée – va venir frapper au bout du compte.

Monsieur Cui-Cui découvre le journal et piaille un petit coup


Dans mon journal de juillet, publié hier, j'ai reproduit un échange de commentaires sur le blog intitulé Cui cui fit l'oiseau.  Le tenancier de ce dernier – que l'on appellera désormais “Monsieur Cui-Cui”, pour lui apprendre –, sans doute alerté par un ami-qui-me-veut-du-bien, a aussitôt débarqué pour lire le passage le concernant.  À la suite de quoi il laisse un commentaire que l'on pourra lire in extenso au cul du billet d'hier, ici même. On passera rapidement sur ce pont aux ânes de mes détracteurs qui consiste à feindre de croire que je ne suis entouré que d'une cour de vils flagorneurs, tout confits en dévotion devant mon auguste personne, alors qu'une lecture même rapide et très distraite suffit pour s'apercevoir que nul n'est plus malmené que moi dans son propre blog. Non, ce qui m'a le plus amusé c'est ceci (c'est moi qui souligne) :

« Mais comme seul, tout ce qui se rapporte à vous et votre petit monde étriqué est essentiel, on en revient systématiquement à votre petit ego, vos œuvres, vos lectures.
Alors que le sujet portait sur des évènements autrement plus douloureux que nos petites personnes, mon cher Monsieur Goux !

« Je maintiens mon opinion : votre "univers" (le terme est un peu fort) se révèle infiniment étroit, centré sur vous, fermé. Cela se lit, cela se ressent. »

Ce n'est pas la première fois que j'ai la surprise de lire ce reproche étrange, relatif à l'ego supposé envahissant, boursouflé, de l'auteur. Que l'on n'aime pas le journal, le genre journal, la forme journal, je le conçois fort bien, connaissant moi-même plusieurs personnes, grands lecteurs par ailleurs, qui sont dans ce cas. Que l'on trouve sans intérêt ce journal-ci, le mien, je le conçois encore mieux, ne lui trouvant pas moi-même de qualités particulièrement saillantes.

J'admets aussi très bien la critique finale : il est fort possible en effet que mon “univers”, comme dit Monsieur Cui-Cui, soit étroit, fermé, étriqué – c'est même assez probable. Il est tout aussi exact que je m'intéresse davantage à la tourterelle qui niche au-dessus de mon volet qu'aux famines qui peuvent survenir en Afrique (puisque c'était le sujet du billet de Monsieur Cui-Cui) ou ailleurs : je ne m'en vante pas, n'en ai pas honte non plus. De toute façon, la question n'est pas là : quel que soit mon univers, le but que se propose le journal est de tenter d'en rendre compte, c'est tout. Mais enfin, j'accepte que mon “petit monde” puisse paraître mesquin à un valeureux baroudeur humanitaire tel que Monsieur Cui-Cui.

En revanche reprocher à un journal de se préoccuper beaucoup de l'ego de son auteur, d'être centré sur lui, de le prendre comme principal éclairage du reste, voilà qui me laisse sans voix (enfin, non, la preuve…). C'est comme si j'entendais qu'on se plaigne de ce que les romans ne mettent en scène que des personnages fictifs, ou que les psaumes sont excessivement occupés de Dieu. Ça n'a pas de sens ; c'est faire du bruit avec sa bouche – ou plutôt avec le bout de ses doigts, ce qui est le lot commun des blogueurs. C'est faire cui-cui, en somme.

lundi 29 août 2011

Le journal de juillet est un peu en avance…


Ce qui ne le rend ni meilleur ni moins bon – enfin je crois.

samedi 27 août 2011

À quand les tracteurs de savoir-vivre ?


Ce matin, parce que Roselyne est restée chez lui, en hauteur et à demi désossée, le garagiste de Saint-Aquilin m'a prêté une petite voiture jusqu'à lundi. Sur les deux vitres latérales arrière sont peints ces mots, en rouge :

VÉHICULE DE COURTOISIE

À quand les tracteurs de savoir-vivre ? Les semi-remorques de tact ? Les caterpillars de distinction ?

(Je suis le sombre hidalgo qu'atterre Pilar, me souffle Don Ricardo Pastaga qui, depuis quelques jours, ne s'exprime plus qu'en alexandrins – sans césure à l'hémistiche parce qu'il trouve cela terriblement peuple.)


vendredi 26 août 2011

Le procureur Pinard et les petites robes de Marie-Paule

Je me posais la question, hier, sirotant mon café trop léger dans son gobelet de plastique, au bas de l'immeuble, et voyant surgir du métro deux adolescentes d'environ seize ans, dont l'une en micro-short et tee-shirt plus remarquable par ses échancrures que par son tissu proprement dit : à quel moment, et par quel processus mental, les parents ont-ils décidé qu'il était désormais normal que leurs filles sortent déguisées comme des putes ghanéennes de la rue Blondel ? Comment cet effondrement moral s'articule-t-il avec le fait que, parallèlement, on en revienne à des rigueurs – qui me semblent n'être que des postures – dignes du procureur Pinard, qui font que, lisant d'abord un billet du camarade CSP à propos de Dominique Strauss-Kahn, puis un autre de l'ami Blueberry d'ILYS, sur le même sujet, j'ai eu l'impression troublante de m'entendre dire à peu près la même chose ? Dans quelle croisade passablement schizophrène sont-ils embarqués, ces jeunes gens ? Et sont-ils aussi semblables que je les découvre, avec leurs voix métalliques et péremptoires de tribunaux ?

Peu de temps après, dans le silence calfeutré de mon bureau, j'ai repensé à Marie-Paule, désormais vieille dame respectable, supposé-je, et j'ai revu ses petites robes à ras-le-bonbon, de couleurs claires, moulantes comme il n'est guère permis, déambulant dans les rues d'Aïn-el-Turck vers 1970, nimbées d'un soleil omniprésent et de l'innocence sans doute factice que je leur prête aujourd'hui. Et tout s'est plus ou moins brouillé.

jeudi 25 août 2011

American Psycho, roman de sale gosse (billet fragmenté)

Ça a débuté comme ça. Terminant vers deux heures et demie de l'après-midi hier le roman le plus connu de Bret Easton Ellis, commencé un peu à reculons je dois avouer, j'ai eu envie de dire à quel point je le trouvais artificiel, ratissant un peu trop large pour être honnête, tout en surface, malin, clin-d'œilesque, assez bête pour résumer, destiné à se dissoudre rapidement. Seul dans le bureau du rewriting, j'ai commencé à écrire ceci :

Cinq cents pages pour ça ? American Psycho est le type même du “roman à synopsis”. C'est un collier de fausses perles dans lequel le lecteur pressé ou amoindri de la pensarde est heureux et fier de bien voir le fil, sans s'apercevoir qu'on le lui a choisi vert fluo justement pour qu'il ait la satisfaction intellectuelle de le repérer du premier coup d'œil. Ensuite, évidemment, sur ce fil si voyant, l'auteur est obligé d'enfiler de très grosses perles, et vivement colorées elles aussi, s'il veut que l'ensemble ait à peu près l'allure d'un collier. Il en résulte une œuvre clinquante et infiniment paresseuse, qui à mieux y regarder, ressemble moins à un collier de perles qu'à ces lignes de démarcation flottantes que l'on tend au large de certaines plages afin de délimiter la zone de baignade sécurisée. Le roman de Bret Easton Ellis est une zone de baignade sécurisée…

Là-dessus, mon chef bien-aimé est arrivé de son déjeuner, avec une envie pressante et sonore de parler d'autre chose, à quoi j'ai consenti, remettant ce billet à plus tard, et par exemple au soir même. Lorsque je suis revenu devant cet ordinateur – le mien, cette fois, mon ordinateur d'après dîner – je me suis avisé qu'il n'y avait aucune raison de dérouler des phrases pour dire à quel point ce livre ne méritait pas que l'on déroule des phrases pour lui, ni même contre lui. Je ne retire pas un mot des quelques lignes écrites en bleu : “roman à synopsis” est parfaitement vu, par exemple. Et j'avais de quoi le montrer. “Roman pour cadres”, aurais-je pu dire, avec tout autant de justesse. Ou encore : “roman à sonnettes”, comme il y a des serpents paraît-il. L'affiche des Misérables : sonnette ! Les clochards et leurs suppliques écrites : sonnette ! Les deux émissions de télévision citées du début à la fin : sonnette ! Et ce panneau “sans issue” qui clôt le roman : sonnette au carré ! Au cube ! Que dis-je ? Sirène d'alarme !

Et puis, surtout, pour le lecteur vraiment distrait, ce procédé monotone (on sent que tout cela a été décidé au moment du synopsis et que l'auteur n'en a plus bougé ensuite) et finalement assez gamin : chaque personnage, à chacun de ses passages à l'avant-scène, est scrupuleusement habillé, mais reste non identifiable, toujours confondu avec un autre. Là, le lecteur idiot se sent intelligent et comprend le message qu'on essaie de lui faire passer – car on est finalement dans cette horreur risible : le roman à message : « Attention, lecteur imbécile et distrait, tu vois bien que ces jeunes gens n'existent que par leur enveloppe, non ? Mais si, voyons, regarde : personne n'est capable de les appeler par leur véritable nom ! » Et le lecteur, tout fiérot d'avoir repérer ça dès la page cinquante, se sent vraiment lecteur de continuer à pointer la même chose durant les quatre cent cinquante qui lui reste à lire : il se prend pour Beigbeder, rien de moins.

Tout le reste est à l'avenant et ne mérite finalement pas qu'on en parle. American Psycho est entièrement bâti pour que le (futur) lecteur se sente intelligent, se reconnaisse comme lecteur, une fois dans sa vie. C'est un roman passé au Stabilo Boss : il n'y a pas à se fatiguer, tout les trucs importants sont surlignés, on peut le lire en écoutant de la musique de merde et même en suivant la conversation de ses potes de bistrot : pratique.

Roman de sale gosse, disais-je en titre. Bien sage, le sale gosse, bien bien sage. Son Patrick Bateman peut bien faire subir tout ce qu'il veut à ses victimes, le lecteur ne bouge pas une oreille. La moindre Philosophie dans le boudoir est plus remuante que cet étalage de tortures mornes et puériles. Et j'ai bien compris (je ne suis pas plus con qu'un cadre moyen) qu'on voulait me faire comprendre que ce Bateman ne ressentait rien lorsqu'il torturait et que, de ce fait, il plongeait dans la folie, laquelle n'était pas très différente de la folie de tous les autres personnages du roman. Le problème est qu'il ne plonge dans rien : il obéit au synopsis, comme un sale gamin qu'il est. Son auteur étant ce qu'il est, même la folie lui est interdite : il lui faut filer droit, et c'est ce qu'il fait.

Au bout du compte, on prend cinq cents pages pour nous faire croire que Patrick Bateman n'existe pas. Mais il ne parvient même pas à ne pas exister. Peut-être que pour créer un homme qui n'existe pas, il faut être pleinement romancier, ce que Bret Easton Ellis ne me semble pas être.

Je vais retourner à Don DeLillo, tiens.

mercredi 24 août 2011

Les gentils soutiens du peuple libyen


La formidable libération du peuple libyen par lui-même et son irrésistible marche vers une démocratie lumineuse et dékadhafisée n'ont pas tardé à être saluées avec toute la ferveur qu'elle méritent. Notamment par le Hezbollah et par le régime iranien, toujours prompts à s'enthousiasmer dès que tombe une dictature.

À l'heure où nous écrivons ces quelques lignes subtilement teintées d'ironie (Pas la Couleur, rien que la nuance !), le président Hugo Chavez n'a pas encore trouvé le temps d'exprimer son propre enthousiasme devant la chute du caudillo des dunes : une distraction passagère, probablement.

lundi 22 août 2011

À la Poste, l'anthropomorphisme et l'anglolâtrie font rage


Il y a quelques jours ou semaines, l'Irremplaçable a jugé bon de s'ouvrir une nouvelle boitamel, ou un compte supplémentaire, enfin quelque chose comme cela, à quoi je n'entends rien. Pour ce faire, il lui fallait une identité qui fût différente de celle qu'elle utilise d'ordinaire, à savoir Catherine Goux, voire Goux Catherine lorsqu'elle est particulièrement en vrac. Elle a opté pour le premier nom qui lui traversait l'esprit à ce moment-là. Et c'est pour cette raison que, ce matin, Dame Factoresse a déposé dans notre boîte à courrier une enveloppe de format commercial adressée à :

Mr Elstir Goux

À l'intérieur se trouvait une lettre fort courtoise, par laquelle La Poste remerciait Elstir de la confiance qu'il avait bien voulu mettre dans cette vénérable maison – remerciements que nous lui avons scrupuleusement transmis, ainsi qu'on l'imagine. L"animal a a eu l'air très satisfait de ce témoignage de considération, mais aussi un peu surpris que l'on s'adressât à lui comme s'il était sujet canin de Sa Gracieuse Majesté. Alors que tout le monde sait bien que le bouvier bernois est suisse et fier de ses racines.

dimanche 21 août 2011

La Comète expatriée a refermé ses volets


Soirée fort agréable, hier, en la compagnie de Nicolas et Tonnégrande. Il fut beaucoup bu et excellemment dîné. Vers la fin de la soirée, il devait être une heure du matin, quelque chose comme cela, Tonnégrande et moi nous sommes embarqués dans une grande polémique à propos de l'immigration et de ses bienfaits, dont il n'est évidemment rien sorti, comme c'est la règle dans ce type de discussion. Néanmoins, nous ne nous sommes nullement engueulés, ce qui n'est déjà pas si mal.

Ce matin, au petit déjeuner, et tandis que Nicolas pianotait comme un furieux sur le clavier de cet ordinateur, le même Tonnégrande nous a brossé un tableau de la situation de sa Guyane natale qui était rien moins que réjouissant – même s'il y avait dans sa description des aspects comiques indéniables. Ce département (est-ce bien un département ? Un territoire ?) vit sous complète perfusion financière, il ne s'y produit strictement rien (même les œufs arrivent de métropole, nous a-t-il appris), presque tout le monde est fonctionnaire et la grande affaire de chacun c'est le carnaval, lequel peut s'étendre sur des mois. « Chez nous, c'est l'Afrique… » a-t-il conclu avec une certaine tristesse, ce qui n'est pas difficile à comprendre. M'a tout de même amusé le fait qu'il souligne, à propos de la délinquance préoccupante qui règne à Cayenne, qu'elle était directement liée à l'immigration. Ce qu'il avait énergiquement nié, la veille au soir, à propos de la France – je veux dire : de la métropole.

Nicolas, qui n'a pas in vivo la volubilité qui est la sienne sur les blogs, est comme souvent resté en retrait, mais c'est un homme à qui rien n'échappe de ce qui se dit. À un moment, il a tout de même filé un commencement de couplet antisarkozyste, mais comme tout le monde était d'accord avec ce qu'il pouvait dire de notre cher président, on est vite passé à autre chose. On s'est même offert un petit plaisir défoulatoire à front renversé, lui daubant certains blogueurs extrême-gauchistes (mais je ne dirai pas lesquels pour ne pas attirer la foudre révolutionnaire sur sa bouille de social-traître), et moi brocardant certains extrême-droitards que je ne nommerai pas davantage.

Compte tenu de toutes les bouteilles qui furent proprement vidées, je me sens un peu “en dessous” ce matin. Tout devrait être rentré dans l'ordre demain, d'autant qu'il ne reste plus une goutte d'alcool dans la maison. Avec cela que nous re-arrêtons de fumer demain. En principe.



samedi 20 août 2011

Les Palestiniens, ou le peuple inexistant


Je ne suis pas toujours d'accord avec les prises de position de Guy Millière, qui de plus m'énerve un peu par la très haute opinion qu'il semble avoir de Guy Millière. Mais il se trouve qu'il vient de publier un assez long article consacré à Israël, aux Arabes et aux pseudo-Palestiniens qui me semble particulièrement remarquable. Il est ici, mais en voici le (presque) début :

Il y a, répète-t-on sans cesse, un « peuple palestinien » opprimé par Israël qui demanderait à être libéré de l’oppression et à avoir un État. Il y a des « territoires palestiniens occupés » par Israël, des « colonies » israéliennes dans ces territoires, des « réfugiés » condamnés à l’exil depuis plus de soixante ans, condamnés à vivre dans des camps et exigeant le droit de retourner sur leurs terres dont Israël les aurait chassés. Les membres armés du Hamas ou du Fatah sont définis comme des « combattants ». L’Autorité palestinienne est définie comme « modérée » et laïque. Mahmoud Abbas est qualifié de «Président ». Gaza est présenté comme une « prison à ciel ouvert »où l’on manquerait de tout. Le recours à la violence meurtrière contre des civils israéliens est dès lors présenté comme une fatalité due au fait qu’il n’y a pas encore la paix, essentiellement par la faute d’Israël.
Pas un seul des points que je viens d’énumérer ne contient le plus petit milligramme d’exactitude, et il suffit de se donner les moyens de connaître pour le voir.
Pas un seul des points que je viens d’énumérer ne contient autre chose que de la falsification digne de celle dont Joseph Goebbels, en d’autres temps, s’était fait une spécialité.
Mettons quelques points sur quelques i pour les ignorants de bonne foi (supposons qu’il en existe). (…)


Ce soir, on fait Comète…


Enfin, non, pas exactement : c'est trop loin et on est trop vieux. C'est donc la Comète qui va se transporter jusqu'à nous en les personnes de ses deux plus dignes fleurons, savoir : Nicolas Nem Beurre Wan et Monsieur Tonnégrande, lequel, comme nul n'en ignore, à l'honneur et l'avantage d'être guyanais de souche. Par conséquent, je prie instamment mes valeureux camarades nazis de bien vouloir aller, ce soir, pour une fois, ratonner ailleurs qu'au Plessis-Hébert : bien que raciste haineux, je tiens beaucoup à ce que mes hôtes repartent dans l'excellent état où ils étaient à leur arrivée. En outre, ils me feraient des saletés sur la terrasse et ça exciterait inutilement les chiens.

vendredi 19 août 2011

Mr Goux se rebelle, puisqu'il n'existe pas


Il est ce qu'il est, M. Goux. Par exemple, là, juste au-dessus, il lisait dans son fauteuil. Ortega y Gasset, s'il se souvient. Et l'Irremplaçable, venant de recevoir son nouvel appareil photo, a immortalisé cette trogne invraisemblable. Bon. C'est fait, c'est fait, n'est-ce pas ? M. Goux n'est pas entièrement satisfait de la gueule qui est la sienne, mais par contre il tient à rester MONSIEUR Goux. Et non MISTER Goux, puisqu'il n'est ni anglais, ni américain, ni rien de semblable.

Par conséquent – notez-le, soyez aimables –, à partir de maintenant, tout commentaire s'adressant à moi en tant que Mr Goux (soit Mister) sera impitoyablement supprimé, quel que soit l'intérêt du commentaire en question. Ce qui revient à dire ceci : à compter de demain (parce que, là, j'envisage d'aller me coucher), toute personne ne sachant pas manier la langue française, laissant des commentaires imbitables, écrits dans une langue n'ayant que de lointains rapports avec le français, sera irrémédiablement censurée. J'ai bien dit : censurée.

Je sais bien ce que vous pensez : on peut avoir des choses très intelligentes à dire et les exprimer à tort et à travers. Eh bien non, plus ici. Désormais, tout intervenant (au moins) qui m'appellera “Mister” plutôt que “Monsieur” disparaîtra dans les limbes – Tenez-vous-le pour dit.

Louis-Ferdinand Céline et les ombres du passage Choiseul

Hier, la chaîne Histoire proposait une “soirée Céline”, que nous avons regardée faute de films possibles sur les canaux concurrents, et nous nous en sommes bien trouvés. En lever de rideau, une émission de Claude-Jean Philippe, datant de 1976 mais composée en partie d'extraits d'une autre plus ancienne, signée Pierre Dumayet. Ensuite, une réalisation due en grande partie à Michel Polac et remontant, elle, à 1969. D'abord, il y a ce sentiment étrange d'irréalité qui s'installe lorsque l'on vous envoie l'interview d'une personne – une femme, mercière passage Choiseul – qui a très bien connu Céline, ou plutôt Destouches en l'occurrence, enfant. Puis, un deuxième fait vient vous frapper : tous ces gens à qui Philippe, Dumayet ou Polac tendent un micro s'expriment dans un français non seulement fort correct mais en outre, souvent, d'une admirable élégance. On mesure d'autant mieux notre triste dégringolade que ce ne sont pas seulement les intellectuels qui usent de cette langue ondoyante, construite, toute pleine de détours et de voies adjacentes, mais absolument toutes les personnes interrogées, y compris cette vieille mercière dont je parlais, qui semble n'avoir jamais quitté son passage Choiseul, n'a jamais lu une ligne de Céline et n'a pas dû, à l'école, aller au-delà du certificat d'études. On mettra à part, cependant, le peintre Gen Paul (à gauche sur la photo que j'ai choisie), vieil ami de Céline (qu'il nomme Ferdine), portraituré en cul-de-jatte dans Féérie pour une autre fois, qui, lui, parle avec un naturel et une aisance parfaits exactement comme un roman de Boudard ou de Simonin. Et l'on se prend à penser que si, en ces époques noir et blanc, la France était moisie comme on nous le serine, sa langue, elle, était encore fleurie et vivace. Nous en terminerons avec la voix de Gen Paul et ses fleurs de rhétorique populaire – populaire au sens ancien du mot.



jeudi 18 août 2011

Double chassé-croisé amoureux

Film délicieux et virevoltant à souhait que cette Fine mouche, vue hier soir à la télévision. Le mimétisme cher à René Girard – mais aussi au William Shakespeare du Songe d'une nuit d'été et au Mozart de Cosi fan tutte – y est une force constamment agissante ; il est même le principal ressort de l'intrigue, celui qui fait se mouvoir les personnages à leur insu.

L'intrigue est gentiment retorse et plaisamment absurde. (Pour simplifier, je vais donner aux personnages le nom des comédiens qui les incarnent.) Au début du film, dès la première scène, Spencer Tracy, rédacteur en chef d'un magazine people, ainsi que l'on ne disait pas en 1936, s'apprête à épouser Jean Harlow – on sent que, bien qu'amoureux, il y va à reculons. Du reste il n'y va pas du tout, car c'est le branle-bas de combat à son journal, lequel vient de publier un article accusant à tort Myrna Loy – fille d'un multi-milliardaire ennemi intime du propriétaire de la dite gazette – d'être une briseuse de ménage. Du coup, la fausse briseuse mais vraie calomniée porte plainte et réclame cinq millions de dollars de dommages & intérêts : si elle gagne, le journal est mort, il y a donc le feu à la maison. C'est alors que Tracy imagine un stratagème destiné à rendre vraie l'information fausse, de manière à ce que la plainte devienne irrecevable par le tribunal : il réquisitionne William Powell, un ancien journaliste qu'il a lui-même viré avec pertes et fracas, playboy notoire, lui fait contracter un mariage blanc avec sa propre fiancée, Jean Harlow, avant de l'envoyer séduire Myrna Loy qui, du coup, si elle tombe dans le piège, deviendra en effet une “briseuse de ménage”. À partir de là, les péripéties obéissent allègrement aux lois du vaudeville, selon les règles ainsi posées. Ce qui est amusant c'est justement l'irruption du désir mimétique dans ce scénario, au moment précis où chacun se met à jouer un rôle qu'il croit de tout repos.

William Powell entame un jeu classique de séduction auprès de Myrna Loy. Se plantant sévèrement, il en tombe illico amoureux et se met à lui dire ses quatre vérités, ce qui a pour effet de transformer le dédain non feint de la petite fille riche en intérêt grandissant.

De son côté, après avoir détesté le mari que son fiancé lui impose, Jean Harlow se met à s'attacher à lui à partir du moment où elle s'aperçoit que, possédant la clé de sa chambre, William Powell aurait pu l'y rejoindre pour tenter sa chance (après tout, n'est-elle pas son épouse ? Pas de “viol conjugal”, en cette époque bon enfant…) mais qu'il ne l'a pas fait. Et elle s'attache encore bien davantage à ce mari factice lorsqu'elle comprend que Myrna Loy est bel et bien en train de le lui ravir.

Quant à Spencer Tracy, voyant grandir la complicité de sa fiancée (Jean Harlow : faites un petit effort…) avec le mari qu'il lui a donné d'autorité, il se met à considérer un mariage avec elle comme une chose éminemment désirable…

Tout s'arrange bien entendu à la fin, même si cette fin est assez étrange dans la mesure où, lorsqu'elle intervient, William Powell est encore en situation de bigamie avérée et que le réalisateur ne prend absolument pas la peine de nous dire, même pas de nous suggérer, comment ce petit problème va se régler, une fois les projecteurs éteints.

Voilà pour le film, tel qu'en lui-même, mais le jeu de miroirs ne s'arrête pas là. Durant le tournage, Jean Harlow file le parfait amour avec William Powell, son mari factice du film. Seule la mort brutale et stupide de Jean, l'année suivante, à 26 ans, les empêchera de se marier. De son côté, Myrna Loy, réputée fort sage (à juste titre : elle a déjà repoussé les assauts & manœuvres de Clark Gable, John Barrymore et Leslie Howard, entre autres), vit une liaison torride avec le très marié Spencer Tracy. Pour la garder secrète et ne pas faire passer Myrna pour une briseuse de ménage, comme il tient tant à le faire dans le film, Tracy, en dehors des prises de vues, ne manque pas une occasion de critiquer sa partenaire et de tenir à son sujet les propos les plus acides.

De ces amours il ne reste rien, qu'un film encore capable de charmer une soirée lorsqu'il passe à la télévision – ce qui n'est pas négligeable –, et un parfum si diffus qu'il ne tient même pas à être exprimé trop clairement.


Durant de nombreuses années, à partir de 1937, chaque semaine William Powell fit fleurir la tombe de Jean Harlow.

Les Sages de Sion prennent un petit coup de jeune


Si mes amis gauchistes s'imaginent qu'à force de brailler antisionisme ! antisionisme ! sur tous les tons, en sautant sur leurs chaises comme des cabris hallals – ou hallaux, je ne sais pas –, ils vont réussir à nous faire oublier qu'en français estampillé le mot ne signifie rien de moins qu'antisémite, mais avec un nez rouge au mitan de la face, ils se fourrent le doigt de Dieu dans l'œil triangulaire : ils peuvent compter sur moi, au moins sur moi, pour leur infliger régulièrement une petite piqûre de rappel et leur tendre l'impassible miroir qui leur fait si fort grincer les dents. En voici une petite, de piqûre, signée Jean-Patrick Grumberg. Relisant son article, je m'avise que j'aurais pu intituler ce billet : Des crapules et des Justes. Trop tard…


« Les journalistes, joyeux complices ou lâches, refusent de dénoncer la nouvelle haine des juifs, à l’extrême-gauche et chez les verts, rhabillée en anti-sionisme. Les médias sont pareillement aveugles à celle des jeunes musulmans des banlieues qui hurlent « mort aux juifs » dans les manifs, et relancent le vieux démon antisémite ancré à l’extrême-droite.
« Jean-Michel Larqué, John Galliano, Lars Von Tries rejoignent les Jean Marie le Pen, Mbala Mbala Dieudonné, François Cluzet et Mikis Theodorakis dans la liste des personnalités qui n’hésitent pas à franchir publiquement le cap des propos antisémites : soixante dix ans après l’extermination de six millions de juifs d’Europe, un nouveau verrou a sauté.
« Et le nombre d’actes antisémites explose un peu partout.
« Aussi est-il essentiel de rappeler que la judéophobie n’est pas née et morte avec la Shoah. Et qu’elle n’a jamais été extirpée des âmes de ces familles qui ont transmis leur détestation du juif à leurs rejetons de mai 68, qui aujourd’hui gouvernent la France. »


L'article entier est là-bas.

mardi 16 août 2011

Ortega y Gasset, pour une politique aristocratique

Dans son ouvrage majeur, La Révolte des masses, José Ortega y Gasset livre une interprétation que l'on qualifiera d'aristocratique de la vie politique et sociale. Ce qui suffit à expliquer pourquoi sa réflexion déplut profondément – et notamment en France – lorsqu'elle fut publiée : prendre à contre-pied toutes les idéologies en vogue (non seulement le fascisme et le communisme, bien entendu, mais aussi le régionalisme si vivace en Espagne) vous condamnait alors à la confidentialité – et vous y condamne encore.

Pourquoi aristocratique ? Parce qu'Ortega assigne un rôle prépondérant à des minorités d'individus dans le processus de structuration du corps social. Lorsque ces minorités, ces élites, cessent de tenir leur rôle, le corps social se défait et c'est la voie royale pour toutes sortes de régressions, dont la plus dangereuse semble bien être l'étatisation de tout le champ social et, en parallèle, la montée de la violence, le recours systématique à la force, ce que le philosophe appelle l'action directe, et qui n'est autre, les élites ayant renoncé leur rôle de médiateurs, que l'intervention directe des masses dans la vie publique : « L'étatisme est la forme supérieure que prennent la violence et l'action directe constituées en normes. À travers et par le moyen de l'État, machine anonyme, les masses agissent par elles-mêmes. » C'est cette observation qui conduit Ortega y Gasset à réaffirmer la supériorité indépassable du libéralisme politique, ou si l'on préfère de la démocratie libérale, et, donc, à renvoyer dos à dos les deux totalitarismes de son siècle.

Comment une telle pensée aurait-elle pu se frayer un chemin dans les esprits oblitérés des années trente, quand, en ces mêmes années, la plupart des intellectuels occidentaux s'obstinaient à croire que, du fascisme et du communisme, le second constituait un rempart contre le premier, en était en quelque sorte l'antidote ? Alors qu'il ne signaient tous deux que l'irruption de l'homme-masse sur le devant de la scène politique. Homme-masse qui ressemble d'assez près à l'homme sans qualités de Musil, et dont Ortega dit ceci :

« La perfection avec laquelle le XIXe siècle a donné une organisation à certains ordres de la vie est la cause même qui fait que les masses qui en bénéficient ne la considèrent pas comme une organisation mais comme la nature. Ainsi se définit et s'explique l'état d'esprit absurde que révèlent ces masses : rien ne les préoccupe que leur bien-être et, en même temps, elles ne se sentent pas solidaires des causes de ce bien-être. Comme elles ne voient pas, dans les avantages de la civilisation, une invention et une construction prodigieuses qui peuvent se soutenir seulement avec de la prudence et de grands efforts, elles croient que leur rôle se réduit à les exiger de façon péremptoire, comme s'ils étaient des droits de naissance. »

lundi 15 août 2011

L'information “pouet-pouet” du jour

Je l'ai trouvée ici. Je ne vous livre que le “chapeau”, mais il n'est pas interdit d'aller lire la suite de l'article, qui contient d'assez jolies perles :

Des dizaines d’étudiants iraniens extrémistes se sont rassemblés devant l'ambassade britannique à Téhéran aujourd'hui pour condamner la répression «sauvage» d’un «soulèvement populaire» contre «le régime royal dictatorial d’Angleterre».

Quel dommage, se prend-on à songer in petto, que nos gauchistes petits-bourgeois n'aient pas su cela à l'avance : ils auraient pu affréter un charter pour aller soutenir la juste indignation de leurs camarades iraniens. Pour une fois qu'ils parviennent à trouver des cerveaux capables de penser comme les leurs…


dimanche 14 août 2011

Les météorologues sont-ils des communistes old style ?

La question peut paraître surprenante, mais en fait non. Voilà au moins six semaines que ces gens, par le truchement de leurs épouvantails à sourire de la télévision, nous promettent la main sur le cœur que le soleil va réapparaître et les températures se hisser avec leurs petits bras jusqu'aux “normales saisonnières” dès le milieu de la semaine (si on est dimanche) ou encore à partir du prochain week-end (si on est au milieu de la semaine). Et bien que chacun puisse constater qu'il ne se produit rien de tel, les mêmes reviennent avec aplomb, quelques jours après, nous faire la même prédiction pour la semaine suivante, sans une parole de contrition pour leur monumentale gourance.

De fait, ils me rappellent assez bien ces derniers reliquats du stalinisme à la française que j'entendais à la télévision dans les années soixante-dix, et jusqu'assez avant dans la décennie suivante ; lesquels consentaient parfois, du bout du bout de la lippe, à reconnaître que, bon, c'est vrai, tout n'était pas encore parfaitement parfait dans les dictatures chères à leurs belles âmes, mais que l'anticyclone idéologique centré sur la Kolyma n'allait pas tarder à produire ses bienheureux effets, chasser enfin cette grosse dépression bourgeoise stationnaire, que l'avenir radieux était attendu pour le milieu de l'année prochaine et que les libertés individuelles rejoindraient alors tout naturellement les normales saisonnières.

Pendant ces soliloques, cependant, par une sorte de surimpression mentale, on pouvait deviner que les camarades de l'Est, avec cette résignation goguenarde qui les a longtemps caractérisés, s'obstinaient à garder bottes aux pieds et parapluies ouverts. Et je me demande si aujourd'hui Ossis, Polonais, Tchèques et autres Roumains ou Bulgares parviennent tout comme nous à s'intéresser au temps qu'il fera peut-être, eux qui ont vécu durant plus de quarante ans dans un interminable et gigantesque bulletin météo.

Pensée profonde, garantie sans sucre ni féculents


En période de ramadan l'allogène mute en allojeûne.

samedi 13 août 2011

Le goulag ? Première à gauche ! Une fois à Bruxelles, vous demanderez, hein ?



Écoutons Vladimir Boukovski pendant qu'il est encore temps – s'il est encore temps.

Ç'a quand même du bon, le ramadan !


Ce matin, en entrant au Carrefour d'Évreux, l'Irremplaçable a cru pendant un instant qu'elle venait de franchir une porte dis-trans, ou encore de s'engouffrer dans une déchirure du fameux continuum spatio-temporel : non seulement le hangarabouffe était quasiment désert, mais de plus, dans les allées, aux caisses, partout, on ne pouvait croiser autre chose que des Français de souche (parmi lesquels se glissaient peut-être quelques Espagnols ou Italiens : on sait comme ces gens-là sont sournois) ! Sa stupéfaction fut à son comble lorsqu'elle put constater que même les vigiles étaient blancs.

Voilà un métier comme on les aime, vigile blanc : tu travailles pendant le mois du ramadan – et encore, pas trop, puisque les cailleras digèrent et roupillent pendant les heures d'ouverture –, et après tu fais assisté social le reste de l'année durant. Et, pour l'embauche, même pas besoin d'avoir lu La Princesse de Clèves, dis donc.

On en fait quoi, de ces voyous de merde ?

Matthieu Bock-Côté a beau être gros et québécois, il lui arrive de dire des choses intéressantes – et même souvent. Par exemple, ceci, à propos des voyoucraties anglaises de ces derniers jours, qui, bien évidemment, pour nos crétins institutionnels à nous, sont entièrement la faute de cet Occident qui, que, dont… Enfin, c'est notre faute, quoi… Donc, voilà. C'est à toi, Matthieu :

« Les émeutes de Londres excitent ceux qui fantasment sur un printemps arabe à l’occidental. Ils y voient une condamnation en acte des politiques « néolibérales » appliquées depuis les années Thatcher et une révolte contre l’exclusion générée par la société. Cette dernière tarderait à donner une place aux jeunes générations, parmi lesquelles des populations immigrées exclues des avantages de la société occidentale.

Notons que cette interprétation est régulièrement avancée dès qu’on assiste à des émeutes urbaines dans les grandes sociétés occidentales. En France, on a ainsi expliqué les émeutes de 2005 en pointant du doigt la responsabilité d’un système prétendument exclusionnaire, discriminatoire et raciste. A en croire ce discours fort répandu, l’universalisme républicain entretiendrait de nombreuses couches de la population dans l’assistanat et pousserait à la révolte ceux à qui il ferait la promesse de l’égalité sociale sans jamais la tenir. Au Québec, pendant les émeutes de Montréal-Nord en 2008, la plupart des analystes ont reproduit le même verdict : la société est coupable. (…) »

La suite est là.


vendredi 12 août 2011

Il y a parfois des p'tits regrets qui viennent vous pincer le cœur

Le billet de Georges que j'ai mis en lien hier n'a pas éteint mon envie de dire deux ou trois choses à propos de Charles Trenet ; au contraire, il l'aurait plutôt avivée. Mais je ne sais pas trop par quel bout le prendre, si je puis dire : tout se présente en vrac et refuse de s'ordonner de soi-même, ce qui est agaçant.

Tout d'abord je voudrais marquer mon désaccord avec ceux des amoureux de Trenet – et ils sont très nombreux, je crois – qui considèrent que le sommet de son œuvre se situe au début de sa carrière, c'est-à-dire en gros durant les cinq années séparant ses débuts en solo de la guerre. Ensuite, à les entendre, il n'aurait fait que se prolonger avec plus ou moins de bonheur, un peu comme un paquebot continuant, moteurs silencieux, à courir sur son erre. Il me semble au contraire que les chansons les plus belles, les plus profondes-sans-en-avoir-l'air datent plutôt de la fin des années quarante et des années cinquante. Parce que la fantaisie débridée des premières œuvres s'y stabilise tout en restant bien présente, et que viennent s'y ajouter une expression de la nostalgie, un sens du temps qui passe, qui me paraissent sans égal, dans ce petit univers de la chanson bien sûr. La mélancolie aussi fait son apparition, mais elle sait rester élégante, ne pas se pousser du col et même, suprême raffinement, rester camouflée aux oreilles de qui ne souhaiterait pas l'entendre. Où un Brel nous balance au visage de pleins baquets de larmes et nous troue les tympans de ses sanglots, Trenet nous dit : « Il y a parfois des p'tits regrets qui viennent vous pincer le cœur. » – Et Brel disparaît instantanément, sauf si l'on est resté coincé dans sa propre adolescence.

La conséquence de cette légèreté des doigts, sur le clavier qui lui est propre, c'est que Trenet me semble être le seul capable de susciter chez celui qui l'écoute une véritable tristesse, diffuse et prenante, très difficile à combattre (et pourquoi la combattre ?). C'est le cas d'une chanson en apparence très anecdotique : Kangourou. Pourquoi ? Parce que. Nous touchons là à l'inexplicable. Du reste, quand on se mêle de parler de Trenet, ou même simplement d'y penser, on débouche toujours très vite sur l'inexplicable – et c'est tant mieux.

Pour ce qui est de la nostalgie, je ne crois pas que l'on puisse faire plus réussi que cette chanson presque inconnue : Qu'est devenue la Madelon ?, qui, de mémoire, doit dater de la fin des années cinquante, ou encore Le Piano de la plage, qui lui est contemporain. L'extraordinaire, dans la première citée, est qu'elle présente, quand on l'écoute aujourd'hui, une nostalgie “à double fond”, si l'on veut bien : la première strate est celle qui est exprimée dans le texte, qui en est le sujet – un homme, 40 ans ans après la fin de la Première Guerre, se demande ce qu'a bien pu devenir la Madelon – ; et il vient s'y superposer la seconde, la nôtre ; nous qui pensons à ce temps lointain où l'on pouvait encore se poser cette question : qu'est devenue la Madelon ? Cette époque un peu sépia aux yeux du souvenir, où les poilus de 14 se croisaient encore au bar-tabac tous les matins, ou en grande tenue devant le Monument aux morts – des morts que ceux qui tenaient les drapeaux avaient connus personnellement.

Cela ne nous éloigne pas de Trenet, malgré les apparences. Aucun chanteur ne sait faire passer le temps comme lui, l'accélérer brusquement, le stopper pour une image, le faire repartir, l'enrouler sur lui-même – et tout cela en moins de trois minutes. Il faut écouter cette chanson miraculeuse – années cinquante encore une fois – au titre volontairement plat, Histoire d'un monsieur : toute une vie s'y déploie, pleines de joies, de douleurs, d'espérances et de désillusions. Et, à la fin, c'est le temps lui-même qui referme la porte. Lorsque Georges parle de “contour”, de “silhouette” et mieux encore de “parfum”, c'est tout de suite à cette chanson-là que sa remarque m'a fait penser – et à dix autres juste après, bien entendu.

Me frappe aussi chez Trenet un sens particulier de la rime. Très souvent, elle arrive au bout de son vers dans une totale insouciance du sens qu'elle va produire ; elle se donne à voir ostensiblement pour ce qu'elle est : une rime et rien d'autre, de préférence légèrement incongrue – la boule de billard qui désordonnance le triangle. Trenet a inventé la rime-clin d'œil. Et le plus étonnant est que, malgré cela, elle parvient encore à épouser avec beaucoup de naturel la place qui lui est faite. Évidemment, il faudrait là deux ou trois exemples, lesquels me reviendront en foule dès que je ne serai plus devant ce clavier, mais qui pour le moment me font totalement défaut.

Tout cela est tristement fragmentaire et incomplet, évidemment. Mais Trenet est inépuisable et farceur, c'est donc un tour qu'il joue à l'apprenti exégète. Une chose encore : alors que les textes de ses chansons peuvent paraître un peu “simplets” à un esprit inattentif, ce sont en fait les plus difficiles à retenir par cœur que je connaisse – mais il se peut que ça vienne de moi.

jeudi 11 août 2011

Je me souviens d'un coin de rue…

On a parlé de Trenet ici, il y a quelques jours, et l'envie de lui consacrer un billet ne m'a plus guère quitté depuis. Ce matin, j'ai pu constater que Georges m'avait devancé. Et qu'en plus, il en parlait bien mieux que je n'aurais probablement su le faire. Donc, je m'efface et vous donne ceci :

« Pourquoi Trenet ? Pourquoi est-ce le seul ? Pour répondre à cette question, il faut avoir eu la chance de l'entendre accompagné par Albert Lasry, ce merveilleux pianiste qui est sans aucun doute l'accompagnateur idéal pour la chanson de Trenet. Ce n'est pas l'orchestre qu'il faut à Trenet, c'est le piano, l'instrument le plus abstrait qui soit, celui de tous les instruments qui peut les évoquer tous sans en faire entendre un seul, et il faut à ce piano un musicien qui, comme Trenet, ne fait qu'effleurer les choses, les désigner d'un doigt désinvolte et léger, sans jamais les incarner, sans jamais les faire vivre (comme on dit avec la laideur prétentieuse qui caractérise si bien notre époque), mais en leur donnant seulement un contour, une silhouette, et l'amorce d'un parfum. Lasry est idéal. (…) »

La suite est là-bas…

mercredi 10 août 2011

Angleterre : des émeutes non raciales ?


Un article remarquable, me semble-t-il, chez mes jeunes camarades d'ILYS. Il commence comme suit :

« Il est évidemment tentant de transposer notre petite expérience de 2005 dans l’Angleterre d’aujourd’hui. D’autant que le point de départ semble similaire : un criminel coloré flingué avec raison, ce dont on ne peut que féliciter la police de Sa Majesté.

Mais à l’évidence ces émeutes ne sont pas raciales. Autant celles de 2005 en France étaient clairement des émeutes du Ramadan et avaient non une composante raciale mais un caractère racial essentiel, réunissant surtout des noirs et des musulmans, autant les émeutes de Londres n’ont qu’une — ou plutôt ont des composantes raciales indéniables, mais pas plus.

D’abord les émeutiers ne sont pas tous noirs ou « asiatiques » — ce qui en anglais poli veut dire pakistanais, indien, musulman et tout ce qui s’y ramène. Même en supposant que certains medias anglais trient les photos, il y a des pillards blanc, bien anglais, et qui ne se font pas bolosser pour leur butin par leurs compagnons d’émeute.

Ensuite, il y a des victimes qui ne sont pas blanches, en nombre important. Ainsi des Turcs se sont-ils mis à taper sur des noirs qui voulaient mettre à sac leur quartier plutôt que de se joindre aux émeutiers pour se diriger vers un quartier blanc, ce qui aurait été concevable dans une émeute raciale. (…) »

La suite est quelque part par là ----->

mardi 9 août 2011

Mais puisqu'on vous dit que l'antisionisme n'a rien à voir avec l'antisémitisme, bordel !

« D'ailleurs, autant les Palestiniens sont ouverts et accueillants, autant les Israéliens "officiels" (donc juifs) ne peuvent s'empêcher d'être arrogants, brutaux, attachés à l'argent. Le fait saute aux yeux tout de suite, même si l'on arrive avec un esprit neutre et sans aucun parti pris. Ce n'est certainement pas leur faute, ils sont conditionnés ainsi. »


J'ai trouvé ça en allant, comme chaque matin, m'agenouiller devant la Sainte-Étable… C'est extrait d'un commentaire de Lou Ravi, jamais décevant, mais je vous recommande chaleureusement le long billet de la Vieille Crapule qui l'a suscité. Tout cela vous a un petit parfum “presse française des années trente” qui ne pouvait que charmer un passéiste dans mon genre, on s'en doute bien.

lundi 8 août 2011

Au Mont Saint-Michel, la galette ne se partage pas


Faute de films possibles ailleurs – les mois d'août sont durs… –, nous nous sommes hier soir résignés à Capital, sur M6, chaîne dont nous nous tenons d'ordinaire aussi éloignés que faire se peut. Quatre reportages “estivaux” (l'été, les Français sont tous des esti d'veaux), dont un sur le Mont Saint-Michel – magnifiquement mis en valeur ci-dessus par le talent de l'Irremplaçable –, vu bien entendu sous ses aspects économiques. On y a appris notamment que le Mont, ou plutôt ses à-côtés commerciaux, rapportait environ 80 millions d'euros par an, lesquels se partageaient entre une dizaine de familles qui mettaient un soin particulier à ne jamais laisser la moindre boutique tomber entre des mains non montoises.

Les étrangers en question, avons-nous appris de l'un des restaurateurs solidement implantés dans la rue aux œufs d'or, se répartissent en deux groupes : les trois millions de touristes annuels, qui sont les bienvenus ; et les quelques investisseurs qui aimeraient bien profiter du pactole mais qui sont repoussés à coups de fourche ou peu s'en faut.

Ceux-là, les Montois les appellent des hors-venus. Et font alors tout ce qu'ils peuvent, toujours avec succès, pour les transformer immédiatement en hors-va-t-en, si je puis me permettre.

On se doute que l'expression m'a ravi et qu'un élan de sympathie solidaire m'a spontanément poussé vers ces braves cousus d'or ; et nul ne s'étonnera si je prétends avoir tout de suite vu quelle acception très élargie on pourrait attribuer à leur si heureuse formule.

dimanche 7 août 2011

Les blogauches s'ennuient le dimanche…


Je me suis souvent demandé comment un blogueur de gauche faisait pour occuper sa journée du dimanche. Non, non, ne riez pas : c'est une vraie question. Déjà, on sait qu'il ne lit pas de livres – puisque de gauche. Il n'a pas non plus la possibilité d'éplucher la presse de son bled, dans la mesure où il n'y a pas, ou presque pas, de quotidiens le dimanche. Si le temps s'y prête, il peut toujours faire quelques pas avec Mamour en direction de cet avenir radieux qu'il a toujours en ligne de mire, et en profiter pour passer chez Ikéa acheter de nouveaux tapis de salle de bain, puisque ces salauds de capitalistes libéraux sont ouverts le jour du Seigneur ; mais bon : le temps ne s'y prête pas, pour l'heure. Il ne peut pas non plus aller au putes, puisque la prostitution est une honteuse exploitation du corps de la femme. Alors ? Évidemment, il y a toujours le bistrot d'en bas, et j'en connais qui y sacrifient volontiers. Mais enfin on ne peut pas y passer sa vie non plus, de peur de se bloquer une cirrhose qui viendra enrichir les ignobles laboratoires pharmaceutiques, lesquels testent leurs nouveaux médicaments sur de petits nègres crevant la dalle en situation de malnutrition en voie de rassasiement. Pas davantage question de travailler plus pour gagner plus : il est au chômage longue durée. Ou prof.

[À propos de ce mot, prof, je me demandais l'autre jour si les camarades enseignants – obsédés par les nains jusqu'à en deviner au plus haut sommet de l'État – ne le revendiquaient pas avec autant d'empressement que dans l'espoir que l'on ne les prît point pour Simplet.]

Bref, à l'instar des enfants de Charles Trenet (un petit bonjour à Marie-George au passage), les blogauches s'ennuient le dimanche. Sauf quelques-uns qui, aujourd'hui même, se sont trouvé une nouvelle activité, ô combien passionnante et utile.

Ils envoient un signal fort aux marchés.

Si vous ne me croyez pas, allez voir ici ou ou ailleurs. Et la liste est loin d'être limitative, Blogauche aimant se rendre au marché en troupeau, sous la houlette de son bon berger.

« Dis donc, Mamour, et si on envoyait les gosses porter un signal fort aux marchés ? Ça nous laisserait le temps de tirer un petit coup avant que ta mère n'arrive pour déjeuner… »

samedi 6 août 2011

vendredi 5 août 2011

Béni sois-tu, carillonneur

Ce n'est pas loin d'être le premier son dont je me souvienne, hors la voix de ma mère et de mon père, j'imagine. La première musique, en tout cas, c'est sûr. Le carillon. Nul besoin de préciser, dans la famille de ma mère, l'ardennaise, de quoi on parle : de ce caisson de bois sculpté qui, de mémoire de génération, a toujours trôné à gauche du buffet (vu de la porte), dans cette cuisine à quoi, finalement, pourrait bien se résumer mon enfance – en tout cas l'envie que j'en ai encore.

J'ai écrit “génération” au singulier, car il s'agit de la mienne, celle des petits-enfants, celle dont je suis l'aîné absolu (fils aîné de la fille aînée). Il est très mystérieux de savoir pourquoi et comment un couple est plutôt un fondateur de lignée qu'un continuateur, alors même que la chose ne souffre aucune contestation. René et Suzanne, mes grands-parents, étaient des fondateurs. Mes parents (et mes oncles et mes tantes…) sont des continuateurs ; et nous-mêmes, les petits-fils, les cousins, des liquidateurs de ce qui fut. À partir de nous, tout repart à zéro (et personne ne trouve ça drôle). C'est ainsi de tout temps, je pense – sorte de cycle, qui doit bien dépendre de quelque chose, mais de quoi ?

Néanmoins, éparpillement ou non, nous avons ceci, les cousins et cousines, en commun : le carillon ; que les plus vieux (dont moi) ont connu dans cet univers entier et doux qu'était la cuisine du boulevard Fabert, et les autres ailleurs, dans une autre maison – mais il doit leur être aussi cher, je suppose.

J'ai posé le premier mes griffes sur cet objet imposant, immobile, sonore, argentin et incongru. Incongru parce que mes grands-parents, sauf vers la fin de leur vie (phrase scabreuse, puisque Suzanne est encore vivante, à l'heure où je…), n'ont jamais eu plus d'argent qu'il n'en faut pour nourrir leur nombreuse marmaille, et que le carillon n'a pas été acquis à l'économie : je voudrais, aujourd'hui encore, que vous le voyiez et l'entendiez. À quoi, en 1950, qui est à peu près sa date de naissance, ou au moins d'achat, a-t-il correspondu ? Tout le monde en ignore, ma mère y compris. Devait-il présider à la naissance de cette défilongée de petits-enfants dont je fus le premier ? J'ai du mal à le croire : je connais bien René et Suzanne – pas trop le sens des symboles.

Il n'empêche que ce carillon fut, et moi aussi. Un jour, ou un soir, et je ne sais plus quand, et ma mère non plus je le crains, la conversation virant sur des bords alors sans danger, j'ai dit ceci : « Quand vous serez morts, moi, j'aimerais bien avoir le carillon ! » C'était presque une plaisanterie, alors, tellement nous étions tous loin de la mort. Et René a dit : « Tu l'auras, mon gamin, tu l'auras ! »

Personne d'autre ne m'a jamais appelé “mon gamin”, évidemment. René appelait tous ses petits-fils “mon gamin” (et je me rends compte que j'ignore tout à fait comme il appelait ses petites-filles, mais bon) – mais j'étais le premier. J'étais aussi, je crois, le seul qui lui réclamait dix fois fois par jour de lui chanter cette chanson, que l'on doit je suppose retrouver facilement : « Le bon vin m'endort, l'amour me réveille… »

Donc, ce jour très ancien, il a été admis que le carillon devait me revenir. Lorsque René est mort, en 1993 si je me souviens, il ne s'est rien passé, puisque Suzanne était toujours vivante. Ensuite, longtemps après, on est entré dans cette période où les vieux deviennent très vieux, puis excessivement vieux, puis… plus tellement là.

Le 4 juillet dernier, à Sedan, c'était la première fois depuis longtemps que je voyais mes parents seul – Catherine étant restée à la maison. Et le hasard a voulu que ce soit ce jour-là (avec un empressement et un enthousiasme auquel je m'en veux un peu de n'avoir pas répondu tout de suite) qu'ils m'aient, mes parents, entraîné dans leur sous-sol pour me montrer ce qu'ils avaient de précieux à me donner : le carillon.

Il est désormais au mur, comme il se doit. On l'a accroché au-dessus de mon fauteuil. Il sonne tous les quarts d'heure. Entre deux sonneries, il fait “tic-tac” ou plutôt “cling-clong”, à la réflexion : ce sont les stupides réveils qui font “tic-tac”. Deux fois par semaine, depuis sa conception, il faut le remonter : je le fais – chaque mercredi et chaque samedi. Il ne faut pas le remonter trop fort, ce carillon, ne pas bloquer les délicats mécanismes. Il avance un peu : quelques minutes par semaine, je n'ai pas encore compté…

Je commence, c'est plus étonnant, à ne plus l'entendre, sauf lorsque je suis assis juste en dessous. Je me souviens, lorsque j'allais dormir chez mes grands-parents et que René me demandait : « Tu veux que j'arrête le carillon pour la nuit ? », je lui répondais toujours : « non ! » Et j'écoutais avec un bonheur indicible – vraiment indicible – ce son qui a plus ou moins présidé à ma naissance. Si j'ai la chance de mourir à domicile, il devrait aussi hériter de cette présidence-là.

Notre manie de baptiser d'un prénom humain un certain nombre d'objets familiers étant toujours aussi active, nous avons décidé très logiquement que le carillon s'appellerait désormais René. Pour le moment, nous n'avons pas encore osé le présenter à Roselyne, mais on y songe sérieusement.