lundi 30 avril 2012

Mars, le mois où le moi en prend un coup


Seule et unique fois où mon âge – 56 – correspond à l'année de ma naissance ! 
Mais j'ai oublié de le noter dans le journal

vendredi 27 avril 2012

Samuel ! Samuel ! Comment fais-tu pour être aussi suffisant ?

Gloire ! C'est la première “biographie” de notre seul oscarisé masculin à paraître. On me l'a refilée hier matin, non pour mon plaisir mais parce qu'il faut bien que je fasse tomber quelques écus dans mon escarcelle à multi-trous. Apparemment, mes patrons me font confiance, de ce point de vue : si on peu tirer un sujet d'un livre, Didier Goux le trouvera. Bref.

J'ai lu le truc, hier après-midi. En “diagonale pentue”, comme je le fais pour n'importe quel genre de guignolade que j'aurais moi-même torchée en une semaine.

L'auteur de ce papier hygiénique broché s'appelle… On s'en fout, on ne va pas contribuer à le sortir de son anonymat. On va dire qu'il s'agit de Samuel Mayrde, pas métonymie basique consistant à remplacer le contenu par son contenant.

Ce Samuel Mayrde que nous venons de créer se présente comme un “critique de cinéma”, en quatrième de couverture de la bouse qu'il essaie de vendre. Même si on connaît son vrai nom et qu'on cherche du côté de Goux Gueule, on ne trouve rien : ce type n'existe pas. C'est la moindre des choses : les “critiques de cinéma” n'existent pas, même quand on connaît leur nom. Les critiques de cinéma sont de pâles reflets d'intelligence, et le pire est qu'ils le savent très bien.

Samuel Mayrde, lui, est un pauvre inutile qui a eu une fausse bonne idée : publier une biographie de Jean Dujardin. Dans sa préface, il avoue qu'elle est “non autorisée”. Comprenez ceci, en langage courant : il n'a jamais rencontré Dujardin, il s'est contenté de compiler des articles de presse et de sites internet – il a tenté un coup de fric, en gros.  Je vous assure d'une chose : il va se ramasser, notre ami Mayrde ; j'espère pour lui qu'il a soutiré le maximum d'à-valoir à Balland (c'est l'éditeur), parce que son opuscule ne dépassera pas les mille exemplaires – et je me sens l'âme généreuse.

Si Samuel Mayrde avait passé une semaine – deux, à la rigueur – à boutiquer cette méchante compilation, je ne pourrais décemment pas le lui reprocher : j'ai déjà fait la même chose. La différence est que, moi, quand je me lance (ou plutôt me lançais) dans ce genre de projets, je le faisais en bon français, alors que Samuel, quand il cesse d'écrire plat c'est pour tomber dans de ridicules boursouflures de manque de style qui, finalement, produisent un résultat assez drôle.

Mais il n'y a pas que cela. Samuel Mayrde est avant tout un progressiste, un type qui a bien pigé  à quels lambeaux d'idées il fallait se raccrocher pour se vendre, et qui tient à le faire savoir. Et il y va. Pas à chaque page, mais pas loin. Il est de gauche, il est moderne, il veut passer chez Ruquier, il le dit à claire et haute voix (sans le dire, évidemment). Si demain, pour passer à la télé, il convenait d'être de droite, d'extrême-chose, martien ou je ne sais quoi, il rajouterait les paragraphes idoines à son méchant petit bouquin.

Et, du coup, Samuel Mayrde (dont on comprend au bout de vingt pages que son sujet – Jean Dujardin – ne l'intéresse absolument pas) ne perd aucune occasion de dévier et de raconter n'importe quoi, du moment qu'il s'agit de prouver que lui, Samuel, est dans le sens du courant. J'aurais mille exemples de la sottise pontifiante de notre ami ; je vous propose ce paragraphe, pris à la page 128 de “l'ouvrage” (j'en ai coché dix autres, aussi ridicules, mais il faut bien choisir, n'est-ce pas ?) :

« Jean Dujardin, sous les traits de OSS 117, nous paraît être un butor. L'est-il plus que ces citoyens helvètes qui font interdire par référendum  la construction de minarets ? Jean Dujardin a le mérite de nous interpeller. »

Voilà. Jean Dujardin est un type dont, personnellement, je n'ai rien à faire, ni dans un sens ni dans l'autre. Une chose dont je suis sûr est qu'il n'a jamais fait chier personne avec ses opinions politiques personnelles, contrairement aux guignols abonnés aux émissions de Ruquier sus-évoquées.

Mais c'est sans importance, puisque, redisons-le, ce sous-produit de 250 pages ne parle pas de Jean Dujardin, dont il ne nous apprend rigoureusement rien. En revanche, il est très bavard à propos de son auteur.

mercredi 25 avril 2012

La France qu'on aime, la France qu'on veut, la France qui fait rêver…


Le changement c'est (blurp ! pardon…)… c'est maintenant, je le crains.

Devoirs de vacances obligatoires pour électeurs frontistes


Hier, j'ironisais à propos de nos petits résistants d'avril-mai qui se demandent s'il faut parler aux électeurs du Front national, si oui, dans quelle langue, et doit-on se munir de verroteries pour amadouer ces sauvages. Eh bien, il y en a, parmi les séides du stalinien à dents jaunes, qui ne se les posent déjà plus, ces questions, et qui ont d'ores et déjà une idée bien précise de ce qu'il conviendra de faire avec nous autres, les citoyens parias, les votants nauséabonds. En commentaire sous ce billet, un certain Lellouche (ou une certaine, on ne sait pas : dans les camps du futur dont rêvent ces blogolchéviques, hommes et femmes auront les mêmes droits – parité parfaite dans les miradors), un certain Lellouche, disais-je, déclare ceci (c'est moi qui souligne) :

« Peut-on penser un instant que les français ayant voté MLP ne sont pas des citoyens français ? Je ne le crois pas, il est donc nécessaire pour FH de rassurer TOUS les français et de les orienter en toute intelligence vers les valeurs les plus nobles de notre république. Un citoyen, ça s’éduque, et à n’importe quel âge. »

Mieux encore, ça se rééduque : les néo-maos ont même perdu le vocabulaire traditionnel, celui qui, pourtant, s'adapterait le mieux à leurs désirs sous-jacents, à leurs tentations pas tout à fait avouées. Pas encore.

mardi 24 avril 2012

Marine les rend mabouls


De même qu'il était assez facile de prévoir que Marine Le Pen ferait un score nettement supérieur à celui que lui prédisaient les Vertueurs de bête immonde, de même était-il assuré que, dès l'annonce des résultats, les petits Jeannot Moulinette de la blogosphère résistante allaient se mettre à se tortiller tels des lombrics coupés en trois parts égales, en piaulant de désespoir indigné, ou au contraire se mettre à s'interroger gravement. Les interrogateurs graves sont évidemment les plus rigolos, comme tous les gens qui feignent de chercher partout l'objet qui se trouve juste sous leur nez. 

Parmi les questions qu'ils se posent, l'une me plaît particulièrement. Elle consiste à se demander pourquoi le vote FN est si important, dans certaines zones rurales où, pourtant, “il n'y a pas tant d'étrangers que ça”. Dieu qu'elle est bavarde, cette simple petite question ! Et comme elle semble pressée de dire quantité de choses sur le questionneur dont elle vient de franchir les babines !

D'abord, tout à fait explicitement, elle reconnaît que le vote FN est fortement lié à la présence massive d'étrangers – considérés à tort ou à raison comme indésirables et indésirés – sur un territoire donné. Et non à je ne sais quel rejet bouffon de Nicolas Sarkozy.

Ensuite, de manière plus implicite, sous-jacente, elle avoue qu'il est normal de voter pour le Front national lorsque l'on vit chaque jour dans un environnement de plus en plus exotique.

Enfin, et c'est le plus savoureux, nos amis progressistes, qui n'ont que les mots solidarité, bien commun, conscience citoyenne, fraternité, etc. à la bouche, sont soudain tout étonnés que d'autres qu'eux puissent réagir contre un danger dont ils ne sont pas encore directement menacés, simplement parce qu'ils jugent que c'est mauvais pour l'ensemble de la collectivité à laquelle ils se sentent appartenir.  Je vous avais présenté, ici même, voilà quelques semaines, un guignol socialisant – mais à hauts revenus et fort patrimoine – qui se vantait, en sanglotant d'auto-admiration, de continuer à voter à gauche alors même que son intérêt bien compris serait de faire le contraire. Tous ses amis blogueurs avaient aussitôt instruit son procès en béatification laïque. Mais que d'autres qu'eux puissent faire passer l'intérêt commun avant leurs préoccupations personnelles, voilà qui les classe irrémédiablement  parmi les demi-mongoliens n'ayant rien compris à rien, se “trompant de combat”, se laissant gouverner par leurs peurs instinctives, etc.

Finalement, tout ce petit monde se rejoint sur une ultime question : comment doit-on parler aux électeurs du Front national pour qu'ils comprennent enfin leur erreur ? Bien entendu, il ne viendrait à l'esprit d'aucun de penser que les électeurs du FN sont précisément des gens qui ont compris ce qu'eux-mêmes s'acharnent à nier encore et encore. Faudrait pas déconner, non plus.

lundi 23 avril 2012

La révolution au ramasse-miettes


Évidemment, on est toujours un peu fiérot, lorsque l'on voit ses prédictions s'accomplir, même si c'est dû davantage à la chance qu'à un génie particulier dans l'analyse politique : c'est sans doute assez puéril, mais pourquoi s'en priver ? Voilà déjà plusieurs semaines que je prends des paris ici ou là, dans la blogosphère, en affirmant que Mélenchon terminera sa course à 10 % : je ne suis pas tombé loin.

Il y a un peu plus de temps que je propose le slogan suivant : sénateur socialiste un jour, sénateur socialiste toujours. Sans aller jusqu'à envisager un accord secret préalable entre l'endive batave et le stalinien à dents jaunes, il m'a semblé très vite que le véritable rôle de M. le sénateur était de jouer les voitures-balais à destination des brebis extrême-gauchistes en déshérence, ou encore de ramasse-miettes pour parti communiste en état de mort clinique. 

En appelant, dès hier soir, et avec une certaine précipitation, ses partisans à se disposer bien en ordre derrière le général Hollande, et surtout sans rien exiger de celui-ci qui pourrait lui faire faire les gros yeux, le révolutionnaire en CDD a prouvé, me semble-t-il, que tel était bien son rôle véritable. Place Stalingrad (Azincourt ou Canossa eussent mieux convenu en l'occurrence), il a adressé un message très clair aux cocus à bannières qui l'acclamaient : on s'est bien amusé à mimer la révolution, à reprendre la Bastille et tout ça, mais maintenant il s'agit de rentrer dans le rang – et surtout en silence, pour ne pas risquer de réveiller les socialistes qui dorment (et qui ont peut-être quelques circonscriptions à nous refiler).

L'avantage de cette capitulation en rase bitume est que, ce matin, les éboueurs de la ville de Paris n'ont sans doute pas eu trop de mal à nettoyer la place Stalingrad : le ramasse-miettes était passé avant eux et avait fait le gros du travail.

dimanche 22 avril 2012

A voté !


Ceux qui disent qu'accomplir son devoir de citoyen ne sert à rien ont tort, et je peux le prouver. Ce matin, ayant refermé la porte qui sépare notre chambre du petit salon de télévision, je me suis trouvé dans l'impossibilité de la rouvrir : serrure niquée. Catherine y est finalement parvenue, au tournevis et au marteau ; mais, du fait de son intervention musclée, la dite serrure est passée illico du stade de l'agonie à celui de mort clinique.

Or, sortant un peu plus tard des deux isoloirs conjoints, sur qui tombons-nous, notre petite enveloppe nauséabonde à la main ? Sur notre menuisier attitré, à qui nous avons aussitôt narré notre mésaventure portière ; et qui a promis de passer chez nous dans les plus brefs délais.

Second effet bénéfique du devoir citoyen : les Hauts-Normands qui sont, d'ordinaire, peu enclins au salutations de courtoisie en vigueur dans d'autres régions de France, se mettent à tous dire bonjour les matins d'élection. D'élection en général, ou seulement de présidentielle ? C'est ce que je me suis promis de vérifier lors des prochaines législatives.

En attendant, j'ai déjà oublié pour qui j'ai voté il y a à peine une demi-heure. Et j'espère sincèrement, mais sans en être tout à fait certain hélas, que le fait de lire en ce moment l'essai de Pierre Boutang sur Charles Maurras n'aura pas fâcheusement influé sur mon choix…

vendredi 20 avril 2012

Quand rewriter rime avec dictateur

Steve Tesich est un romancier, scénariste et dramaturge serbo-américain ; c'est-à-dire qu'il était tout cela, parce qu'il est mort d'une crise cardiaque, deux ou trois jours après avoir terminé le roman dont il est question ici, en 1996. Je ne sais plus trop par quel biais j'ai pris connaissance de l'existence de ce livre ; peut-être dans le dernier numéro du Magazine littéraire, dont le dossier est consacré à Virginia Woolf, mais ce n'est pas certain.  Plutôt que de tenter d'expliquer pourquoi j'ai eu aussitôt envie de le lire, mieux vaut je crois se contenter de recopier deux courts passages du début, pris parmi les pages où le personnage éponyme se présente lui-même – je pense que tout le monde comprendra. Voici le premier :

« Je suis un rouage modeste mais assez opérationnel de l'industrie du cinéma. Je reprends des scénarios écrits par d'autres. Je réécris. Je coupe et je polis. Je coupe ce qui est en trop. Je polis ce qui reste. Je suis un écrivaillon doté d'une plume qui a fini par être considéré comme un talent. (…) Je n'ai jamais rien écrit moi-même. Il y a très, très longtemps, j'ai essayé, mais j'ai abandonné après plusieurs tentatives. Je ne suis peut-être qu'un écrivaillon, mais je sais ce qu'est le talent, et j'ai compris assez vite que je n'en avais pas. Ce ne fut pas une prise de conscience dévastatrice. Plutôt quelque chose de l'ordre d'une confirmation de ce que je soupçonnais depuis le début.  (…) Grâce à quelques contacts, je me suis glissé sans douleur dans ce qui était ma véritable vocation qui est de réécrire des scénarios essentiellement écrits par des hommes et des femmes qui n'ont pas davantage de talent que moi. »

Ce premier passage se situe à la page 55. Le second arrive deux pages plus loin :

« Cela dit, la plupart du temps, je travaille sur des scénarios qui sont si mauvais que j'aurais pu les avoir écrits moi-même. De manière générale, mon travail consiste à dégraisser et à ajouter des blagues. Je sais faire. Je me débarrasse des personnages secondaires, des rêves et des flashbacks. Je coupe les scènes dans lesquelles le héros ou l'héroïne va rendre visite à sa mère ou à son prof de lycée préféré. Je me débarrasse des tantes, des oncles, des frères et des sœurs. Je supprime des séquences entières sur l'enfance des personnages et je les laisse à l'écran sans mère, sans père et sans passé d'aucune sorte. Je garde l'œil sur l'histoire, sur l'intrigue, et j'élimine tout et tous ceux qui n'y contribuent pas. Je simplifie la condition humaine des personnages et complexifie le monde dans lequel ils vivent. Il m'arrive de me dire que cette approche a été mise en pratique dans la vraie vie, que des hommes comme Adolf Hitler, Joseph Staline, Pol Pot, Nicolae Ceaucescu et d'autres ont intégré à leurs projets certaines des techniques que j'utilise pour plier les scénarios. Je pense parfois que tous les tyrans sont des écrivaillons glorifiés, des hommes qui réécrivent, comme moi. »

J'ajouterai à cela que, au tout début du roman, Doc Karoo est très angoissé par la nouvelle maladie qui le frappe depuis quelques semaines : il a beau boire autant d'alcool qu'il le veut, il ne parvient plus à ressentir le moindre début d'ébriété. Ce qui le conduit, dans les soirées mondaines où il se rend, à mimer la démarche et les propos de l'ivrogne qu'il était, à seule fin de rassurer ses amis et connaissances, qui trouveraient très bizarre qu'il ne fût pas totalement saoul au bout d'une heure. 

Le roman fait six cents pages, ce qui, après lecture des soixante premières, constitue une excellente nouvelle.

jeudi 19 avril 2012

Et Le Plessis-Hébert était toujours là…


Nous sommes rentrés sans encombres, lestés de victuailles diverses, riches en graisses saturées, ainsi que d'un carton contenant douze bouteilles d'un Gewurztraminer sublime. Autant dire que ce n'est pas ce soir que je vais combler mon retard de lectures bloguiennes. Ni perdre le kilo et demi que j'ai bien dû prendre durant ces deux journées sedanaises.

(La photo est bien sûr de Catherine : elle montre ce que je vois, à droite, lorsque je sors de la Case.)

mardi 17 avril 2012

On se rapproche de Hollande (mais Belgique fait tampon)


Retour jeudi soir, à peu près pour l'heure de l'apéro…

lundi 16 avril 2012

Jegoun, Cloclo et la guérison des écrouelles


C'était dans ma jeunesse, et même dans mon enfance : les filles avaient ce genre de moiteurs qui les poussaient à parcourir six cents kilomètres pour aller hurler d'enthousiasme sur Alexandrie, Alexandra, voire Le téléphone pleure lors d'un concert en plein air. Les garçons se moquaient volontiers, même si les plus roublards (ou les mieux bandants) faisaient semblant d'adorer Claude François pour tenter d'aborder manuellement une touffe ou l'autre – beaucoup y parvenaient, il faut le dire. Certaines de ces filles, bien qu'ayant largement dépassé l'âge de la ménopause et des dessèchements vaginaux, sont encore tout émues aujourd'hui d'avoir posé leurs lèvres sur cette joue dégoulinant d'un mélange de fard et de sueur, à la descente de scène (comme d'autres ont des descentes d'organes). Il en est même des chanceuses, des étoilées, pour avoir arraché un morceau de fausse dentelle de manche à l'idole et en avoir ensuite, quarante ans ayant passé, fait l'usage qui leur semblait le plus approprié, ou en tout cas le plus directement agréable.

Nous avons passé des années à nous moquer des fans de ce malheureux Cloclo : rien que ces deux mots nous faisaient ricaner, avouons-le. Du reste, encore aujourd'hui, je ne parviens pas à comprendre comment on a pu s'intéresser à cette enflure méprisante, à cette sous-merde à voix de canard piaulant des âneries dont j'ai honte pour l'ensemble de l'espèce humaine, incapable de danser correctement, laid comme un cul de singe, accro au pognon et à la seule gloire que lui procuraient ses gesticulations pénibles dans les émissions de Guy Lux. Mais bon.

Y avait-il, parmi les caillettes décervelées de la photo ci-dessus (dont on croit entendre les petites lèvres faire bravo ! bravo !) une seule pour croire que Cloclo allait leur guérir leurs vaginites (versions modernes des écrouelles) ? Sans doute pas : le mal n'était qu'à ses débuts, il faut croire.

Aujourd'hui, par contre, oui. À notre époque, on rencontre parfois des hommes d'âge relativement avancé qui se pâment d'avoir tenu dans la leur cette chose ayant déjà beaucoup servi (à divers usages et en vain) qu'on désignera sous le vocable suivant : la main de sainte Ségolène. Ne riez pas : le phénomène peut toucher n'importe qui, y compris des gens que vous aimez bien, que vous pensiez solides, vivant à peu près dans le même monde que vous. Soudain, ils dérapent – pour reprendre un verbe qu'ils adorent –, ils ont touché le manteau de la vierge, et rien ne sera plus comme avant. Du coup, le Ciel s'entrouvre, saint Joseph leur apparaît, là, sur l'estrade, où il s'avachit à la manière de saint François (le vrai, celui de 1981) et d'où il dispense la Parole.

Si jamais Batave 1er avait la bonne idée de bricoler l'ampoule de sa salle de bain, les deux pieds dans sa baignoire, je pense que Son Illumination Jegoun 1er (et sans doute dernier) deviendrait grand-prêtre à vie de ce culte nouveau.

On n'a pas fini de se marrer.

dimanche 15 avril 2012

Sa Majesté des frelons (billet pratique)


Que les lecteurs citadins de ce blog retournent à leurs saines occupations s'ils en ont encore : ce billet ne les intéresse pas, seuls les camarades glaiseux sont concernés. À partir de maintenant, il va vous falloir, campagnards et semi-campagnards, commencer à guetter l'apparition des frelons autour de vos maisons. Dès que vous en apercevrez un, je vous conseille de tout mettre en œuvre pour le faire passer de vie à trépas, quitte à installer une chaise au sommet de votre escabeau et à vous péter la margoulette. 

En effet, nous sommes à peu près à l'époque où les reines de l'année dernière se réveillent. Elle sont les seules représentantes de l'espèce à passer l'hiver (pas toutes, par chance). À peine éveillées, elles vont commencer par se nourrir, puis à se retrousser les manches pour bâtir leur nid. Ensuite, elles vont se mettre à pondre et ne s'arrêteront plus jusqu'à ce que leurs dernières filles indignes, vers la mi-octobre, les mettent en pièces et les bouffent. Si bien que, d'ici la fin du mois de mai, à chaque fois que vous tuerez l'une de ces vrombissantes bestioles, vous supprimerez du même coup les quelque six ou sept cents ouvrières qu'elle compte bien mettre au monde d'ici la fin de la saison ; et aussi, accessoirement les deux ou trois cents reines qu'elle enfantera vers la fin de septembre et le début d'octobre, en prévision de l'année prochaine.

Si vous habitez le quart sud-ouest de notre beau pays, il vous faudra en plus vous coltiner les frelons asiatiques, qui se livrent à de véritables carnages nazis dans les ruches de nos gentilles abeilles de souche.

Sus à l'ennemi, bon sang de bois !

samedi 14 avril 2012

Bon, alors ? On vote pour qui finalement ?


Pas si facile. Depuis plusieurs semaines, je lis tout et tout le monde. Et il me semble que la ligne de fracture ne passe pas tellement par la gauche et la droite, mais plutôt entre les gens qui ont un minimum de sens politique et les sales gosses pour qui une élection est l'occasion de brailler dans la cour de récré.

La politique, je n'invente évidemment rien, est l'art du compromis. Ce n'est rien d'autre. Tenter de faire advenir ce qui s'approche au plus près de ce que l'on souhaite. Dans un régime démocratique comme le nôtre, cela signifie, in fine, essayer de faire élire celui qui est le moins éloigné de ses propres positions, le candidat sur qui on pense que l'on pourra peser dans le bon sens le moment venu, si le moment vient un jour. En ce sens, les esprits politiques savent déjà, je pense, pour qui ils voteront au second tour – ou ils devraient le savoir. Ainsi, un partisan de Mélenchon ne devrait pas hésiter une seconde à reporter sa voix sur Hollande (j'ai presque honte d'énoncer une telle évidence).  De même – autre exemple –, un électeur en surpoids et porteur de lunettes vert fluo ainsi que d'une moustache ridicule, s'il a finalement décidé de voter Marine Le Pen au premier tour, ne peut que donner son suffrage à Nicolas Sarkozy au second, même s'il a passé cinq ans à dire tout le mépris que ce personnage lui inspirait. Du reste, le mélenchoniste peut fort bien émettre de sérieuses réserves sur son candidat du premier tour, de même que le lepéniste. À plus forte raison pour ce qui concerne son second choix, mais le sens politique bien compris lui impose de faire ce choix.

À côté de cela, il y a les guignols du “tout ou rien”. À gauche, ça donne l'âne couronné Gauche de combat, qui appelle à l'abstention au second tour, parce que François Hollande est trop rose, pas assez rouge, trop méchant, pas assez… Bref : parce que François Hollande n'est pas Jean-Luc Mélenchon. Il se pense forte tête, résistant, jean-moulinesque en diable, alors qu'il ne fait que se conformer à ce qui a toujours été la ligne des communistes : le véritable ennemi ce n'est pas la droite mais la gauche non communiste. Moyennant quoi, il est toujours préférable de faire perdre son véritable ennemi – tactique de cocus qui a conduit le PCF où il est aujourd'hui, mais tant pis : rien retenu, rien appris ; ma petite pureté personnelle avant tout ; miroir, mon beau miroir, suis-je toujours le plus irrésistible des révolutionnaires ?

En face, pareil. Au fond, il n'y a qu'une seule vraie raison de voter Le Pen, c'est de signifier qu'on n'accepte pas la submersion de notre civilisation par des centaines de milliers d'exogènes inutiles et parfois haineux. On sait très bien que, serait-elle élue, Marine Le Pen n'aurait aucun moyen de s'opposer à cette catastrophe, pas plus que Mélenchon ne pourrait restaurer le stalinisme de ses rêves. Mais il s'agit de dire quelque chose. 

Et j'entends des voix clamer qu'en aucun cas, au second tour, ils ne donneront la leur à d'autre que leur candidate. Soit ils s'abstiendront, soit même ils voteront pour Hollande, parce que Sarkozy les a déçus. Bien sûr, il les a déçus. Moi aussi d'ailleurs. Et alors ? À quel moment de votre existence avez-vous été pleinement satisfaits par un candidat élu, sauf si vous aviez régressé intellectuellement au point de vous transformer en militant ? 

Dans trois semaines, il ne s'agira même pas de voter utile : juste de voter moins pire.

À chacun son moins pire, et que gagne le plus chanceux.

vendredi 13 avril 2012

Reste dans mon épaule, ô tourterelle…


Elles sont revenues. Le couple de tourterelles qui, l'an dernier, nous a gratifiés de deux portées successives (évidemment “successives”, andouille !) est depuis hier occupé à rebâtir le nid qu'il avait édifié au sommet du volet gauche de la Case – gauche quand on se place face au baraquement en question), et que j'avais impitoyablement jeté à bas une fois l'automne arrivé. Cela étant, en ces quelques mois d'absence, ni le mâle ni la femelle n'a profité des froidures pour suivre des cours de perfectionnement dans l'art si délicat de la nidification : la construction reste très rapide et le résultat très approximatif. Mais bon : ce sont des tourterelles turques

Pourquoi affirmer qu'il s'agit du même couple que précédemment ? Parce que, l'année dernière, il leur avait bien fallu une semaine pour ne plus s'envoler à chaque fois que je passais la porte, dans un sens ou l'autre, juste sous leur bec. Or, là, dès le premier contact, ce matin, les deux ont continué à s'affairer dans leur gourbi sans m'accorder plus d'attention que si j'avais été une grosse bouse glissant sur un terrain en forte pente. Et durant quelques secondes je me suis trouvé stupidement ému de ce qu'elles semblaient se souvenir de moi.

J'espère sincèrement que tout va bien se passer dans les mois qui viennent, et qu'un Stéphane Courtois quelconque ne va pas venir plomber l'ambiance en me révélant du haut de son incontestable autorité que mes tourterelles sont en réalité des agents castristes, ou pis : des taupes islamistes.

jeudi 12 avril 2012

Raymond Aubrac était-il un agent soviétique ? (Et Lucie… ôssi !)


C'est ce qu'affirme l'historien Stéphane Courtois, maître d'œuvre du très fameux Livre noir du communisme, sur le blog Secret Défense. À la question : « Qui était vraiment Raymond Aubrac ? », il répond :

« Un agent soviétique, mais pas au sens où il aurait travaillé pour les services d'espionnage de l'Union soviétique. Il était plutôt un membre important du réseau communiste international, un sous-marin communiste si l'on veut ; en tout cas, beaucoup plus qu'un agent d'influence. Un homme comme lui avait évidemment un correspondant à Moscou. »

D'après Courtois, le résistant faisait partie de ce que l'on appelait les “hors-cadres” du PCF, ce qui lui aurait permis d'affirmer tout au long des années d'après-guerre qu'il n'avait jamais été membre du parti, sans avoir à mentir stricto sensu. Courtois souligne d'autre part qu'avant la guerre, Lucie Aubrac, son épouse, était elle-même communiste, très proche d'André Marty, le représentant du PCF au Komintern. Enfin, on apprend que la société qu'a longtemps dirigée Aubrac, le Berim, était l'une des nombreuses pompes à finances du PCF et qu'elle servait à “blanchir” les financements en provenances de l'Est par l'intermédiaire de contrats souvent bidons. 

On a beau n'avoir que peu d'illusions sur les grandes figures institutionnelles de la gauche vertueuse et même héroïque, cela fait tout de même un choc d'apprendre que cet Aubrac-là était à ce point proche de l'Oural.

(Merci à R. Marchenoir pour avoir fait passer l'information sur le blog de l'ami Fromage…)

Coluche… Coluchon… Colenchon… Kélenchon… Mélenchon



« Depuis que ses actions sont à la hausse, on a beaucoup comparé Jean-Luc Mélenchon à Georges Marchais, pour son franc-parler et son ton railleur avec les journalistes ; au Général de Gaulle pour sa gestuelle qu’il aurait passé des heures à observer ; à François Mitterrand aussi. Sans doute parce que Jean-Luc Mélenchon lui-même ne cesse de lui déclarer sa flamme.

« Je ne sais pas si le candidat du Front de Gauche ressemble à l’un ou l’autre de ces personnages qui ont marqué, chacun à leur manière, la Ve République, mais ce dont je suis sûr, c’est que dans le phénomène Jean-Luc Mélenchon, il y a quelque chose qui rappelle l’inexorable progression de Coluche dans les sondages en 1981. A l’instar du candidat du Front de Gauche d’ailleurs, l’humoriste avait franchi la barre symbolique des 15% d’intentions de vote quelques semaines avant le premier tour. (…) »

Veuillez passer au salon pour la suite

mardi 10 avril 2012

La sémantique des banlieues (Ça va, Nicole ?)


François Hollande vient donc de remettre les banlieues au centre de la campagne (je sais que c'est puéril, mais j'adore cette phrase…). Voulant, à cette occasion, apporter ma pierre constructive à l'édifice qui s'élève sous nos yeux, j'ai décidé de me placer sur le terrain de la sémantique. En effet, aucun terme ou locution ne me paraît pleinement satisfaisant pour désigner les seules banlieues qui ont réellement de l'intérêt et de l'importance, à savoir celles où les habitations sont en ruines mais la jeunesse porteuse d'avenir, de notre avenir (voir photo).

Quartiers ne va pas, à l'évidence. Parce qu'il y en a ailleurs, un peu partout, et même dans des coins où la jeunesse n'est nullement porteuse d'avenir, mais au contraire frileuse, repliée sur elle-même et prompte à la haine de l'autre : le quartier Saint-James de Neuilly en est un bon exemple.

Quartiers sensibles est déjà mieux, car le terme met en lumière une réalité indéniable : les gens qui peuplent ces zones sont en effet d'une sensibilité d'écorchés vifs ; au point, si un braqueur de banque essayant d'exprimer son mal-être à la kalachnikov se fait d'aventure dessouder d'une balle policière malencontreuse, de manifester bruyamment leur chagrin durant cinq jours et six nuits d'affilée. Mais enfin, on se rend bien compte que ce terme de “sensible” risque aussi de les faire indûment passer pour des gonzesses ou des fiotes – et ça, c'est pas bon pour le moral des porteurs (d'avenir, rappelons-le).

Banlieues défavorisées est presque pis. D'abord parce que, de ces terrains de chasse électorale, il y en a aussi de fort peuplés dans les XVIIIe et XIXe arrondissements de Paris et qu'une banlieue ne peut pas se trouver dans Paris – en tout cas pas dans l'immédiat. Quant au qualificatif “défavorisé”, il serait très bien si, malheureusement, le cynisme de certains ventres féconds ne se privait de ricaner qu'en effet, vu les populations qui s'y agglutinent, ces banlieues sont à coup sûr hautement défavorisées, et leurs primo-habitants du même coup. Donc, en attendant que ces panses soient définitivement stérilisées, mieux vaut contourner l'épithète.

Oui mais alors ?

Alors, je propose d'adopter deux locutions entièrement nouvelles, bricolées à la main mais que je garantis d'une solidité de bon aloi ; deux expressions qui, par leur fraîcheur et leur charge poétique intacte, ne pourront que séduire tout le monde et réconcilier la caravane France avec ses jeunes porteurs (d'avenir).

Ma première proposition est de remplacer toutes les formules défectueuses actuelles par une seule : désormais, si les politiques m'emboitent le pas, toutes les banlieues (ces banlieues-là…) se nommeront des  

Brousses délocalisées 

le second terme ayant en outre l'avantage de pousser notre belle jeunesse à réfléchir aux méfaits d'un libéralisme ravageur et anthropophage.

Pour les esprits modernes, qui préfèrent à la rêverie topologique la rigueur sereine des sigles et des acronymes, nous proposons également de rebaptiser les quartiers de porteurs (d'avenir) des

R.A.P.S.

c'est-à-dire des Régions Allouées aux Populations Savanicoles. On pourra aussi remplacer le mot “populations” par celui de “porteurs”, la question devant alors être débattue par les Comités de brousses qui ne tarderont pas à s'établir au sein des nouvelles structures et se réuniront aussi régulièrement que possible sous l'arbre à palabres, qui sera planté devant chaque commissariat.

Et aux mauvais esprits, oiseaux de tristes augures et autres langues sales qui viendront me dire que tout cela ne changera rien à rien, je répondrai que non, peut-être, mais au moins on saura de quoi on parle.

La nuit enracinée

Les cordes de l'orchestre philharmonique de Strasbourg interprètent La Nuit transfigurée.

Persuadé d'avoir ouvert, par son esthétique de douze notes, des perspectives lointaines à l'histoire de la musique, Arnold Shönberg déclarait en 1921 que, grâce à lui, la domination (il n'a pas dit “gloire”, il a dit “Vorherrschaft”, “domination”) de la musique allemande (lui, Viennois, il n'a pas dit musique “autrichienne”, il a dit “allemande”) serait assurée pour les cent prochaines années (je le cite exactement, il a parlé de “cent années”). Douze ans après cette prophétie, en 1933, il a été banni, en tant que Juif, de l'Allemagne (celle-là même à laquelle il voulait assurer sa “Vorherrschaft”), et, avec lui, toute la musique fondée sur son esthétique de douze notes (condamnée comme incompréhensible, élitiste, cosmopolite et hostile à l'esprit allemand).

Le pronostic de Schönberg, si trompeur soit-il, reste pourtant indispensable pour qui veut comprendre le sens de son œuvre, laquelle se croyait non pas destructrice, hermétique, cosmopolite, individualiste, difficile, abstraite, mais profondément enracinée dans le “sol allemand” (oui, il parlait du “sol allemand”) ; Schönberg croyait qu'il était en train d'écrire non pas un fascinant épilogue de l'histoire de la grande musique européenne (c'est ainsi que je suis enclin à comprendre son œuvre) mais le prologue d'un glorieux avenir qui s'étendait à perte de vue.

Milan Kundera, L'Ignorance, Folio, p. 19-20.)

lundi 9 avril 2012

Pourquoi les “grands frères” finissent vigiles de supermarché


Au prix de quelques légères transpositions et d'un soupçon de mauvaise foi malicieuse, la réponse se trouve peut-être chez Arnold J. Toynbee :

« La politique qui consiste à recourir aux services d'un voleur pour en arrêter un autre semble avoir pour elle des arguments de poids. Dans l'art de la guerre des frontières, le guerrier barbare l'emporte sur le soldat-citoyen, car il combat sur un terrain qui lui est familier. (…) Ce personnel militaire de meilleure qualité, on peut l'acquérir à un tarif bien plus bas pour le contribuable-citoyen. (…) En même temps la tentation de piller ses voisins civilisés se trouvera réduite de façon appréciable, à la fois parce que sa solde de mercenaire apaisera ses besoins d'autres sources de revenus, et parce que les barbares qui seraient encore tentés de se livrer à la guerre de frontière trouveront désormais en face d'eux des adversaires qui les égalent sur le plan militaire. » (L'Histoire, Payot, p. 525-526.)

Naturellement, l'expédient ne fonctionne qu'un temps, et un temps assez court. Non content de devenir rapidement inopérant, il ne fait en réalité que précipiter la chute de la civilisation exsangue qui y a recours, dans la mesure où, prenant les barbares à son service, le pouvoir qui tente de se maintenir les fait par là-même entrer dans ses secrets :

« Tout se passe comme s'il les soumettait à un cours intensif de savoir-faire militaire et politique. Par la suite, s'ils le désirent, les barbares peuvent en tirer profit aux dépens de leurs professeurs. »

C'est naturellement ce qui s'est produit dans l'armée romaine, entraînant une désorganisation de celle-ci et, par suite logique, son affaiblissement ; affaiblissement que les mercenaires exogènes ne pouvaient ignorer puisque, désormais, ils proliféraient au sein même de cette armée :

« Et la conclusion des barbares fut que le système politique romain s'en allait tellement à vau-l'eau que c'était une invite à l'attaque. » (p. 527.)

La question qui vient alors à l'esprit est : pourquoi les mercenaires se retournent-ils contre l'empire, alors que celui-ci leur offre des avantages, un bien-être et une opulence dont ils n'auraient jamais pu rêver de leur côté du limes ? Parce que ces enrôlés de la dernière heure ont très bien vu que le roi était nu, alors que la cour s'obstine à ne rien savoir de sa décrépitude avancée. Retournons chez Toynbee :

« Dès que la civilisation s'est écroulée (…), les barbares ont facilement tendance à trahir, parce que leur contrat ne stipule aucun désir de leur part de s'intégrer à la civilisation qu'ils ont entrepris de défendre en échange de compensations matérielles. (…) La civilisation conserve bien peu de prestige aux yeux des barbares, alors que les barbares eux-mêmes font l'objet de la craintive admiration d'une minorité dominante en proie au désespoir. » (p. 528.)

Cette “craintive admiration” engendrée par le désespoir (lequel peut fort bien, on le voit chaque jour, prendre les couleurs plus riantes d'une inébranlable foi en l'avenir, assénée et répétée comme un mantra) fait que, bientôt, aucune assimilation harmonieuse n'est plus possible, y compris au sein d'organismes a priori aussi homogènes et incorporatifs que l'armée :

« Dans un tel climat psychologique, un corps de foederati barbares ne deviendra jamais une unité de l'armée régulière impériale ; il restera une horde inassimilée conservant ses propres armes et sa propre tactique, prenant ses ordres de ses propres chefs de guerre, sécrétant son propre esprit de corps et nourrissant ses propres ambitions. De même, un établissement de laeti barbares ne deviendra jamais une communauté de citoyens de l'empire ; il restera un imperium in imperio inassimilé qui, à moins qu'il ne soit anéanti, trouvera sa destinée politique tôt ou tard en devenant le noyau d'un État-successeur dissident. En bref, la politique qui consiste à recourir aux services des barbares pour tenir leurs compatriotes à distance est condamné d'avance à l'échec (…). »

Finalement, on commencerait à mieux comprendre pourquoi Marine Le Pen a eu cette idée en apparence saugrenue de vouloir supprimer les hypermarchés…

Le changement c'est maintenant,

un autre monde est possible,

et toutes ces sortes de calamités presque naturelles.

samedi 7 avril 2012

Les physiciens sont gens de haute patience

En 1927, le physicien Thomas Parnell – britannique mais ayant fait toute sa carrière en Australie –  pense avoir trouvé le but de sa vie : il va prouver à l'humanité ébahie que malgré son apparence de solide la poix, ce bitume qui ne veut pas dire son nom, est en fait un fluide. Et, en effet, il va y passer sa vie, même au-delà.

Pour lancer son expérience, Thomas Parnell fait couler de la poix fondue dans un entonnoir. Après cela, heureux de la tâche accomplie, il va se coucher et laisse son installation reposer trois ans, afin de laisser à la poix tout le temps de se resolidifier. Au bout de ce laps, il découpe le fond de  son récipient et retourne au lit. Il va y rester huit ans (c'est une image…). À l'issue de cette période, joie, pleurs de joie, une première goutte tombe enfin de l'entonnoir : la poix est bel et bien un fluide. On se sent soulagé, non ?

Depuis ces temps héroïques, huit autres gouttes ont suivi la première, certaines du vivant de Parnell, d'autres après sa mort. Car l'expérience continue. Installée à l'université de Brisbane, elle est même, depuis l'an 2000, filmée jour et nuit par une webcam et observée par une communauté planétaire de compagnons de la perle bitumineuse, restreinte mais de poix. Ces joyeux contemplatifs s'apprêtent d'ailleurs à célébrer, en mai, le cinquantième anniversaire de la quatrième goutte.  

Mais l'important est ailleurs : d'après les plus éminents des parnelliens, la prochaine devrait choir en 2013 ou à la rigueur 2014. Le monde retient son souffle.

jeudi 5 avril 2012

En présence d'un clown


Depuis hier soir, j'ai envie d'écrire ici sur le téléfilm tourné par Bergman en 1997, dont le titre est celui que j'ai choisi pour ce billet. (Je sais qu'accoler le mot “téléfilm” au nom de Bergman a quelque chose d'incongru, mais qu'y faire ?) Écrire aussi, un peu, à pas de loup, sur la sonate D 960 de Schubert, parce qu'on en entend quelques fragments dans le film et que Schubert lui-même, après avoir été évoqué, devient finalement un personnage à part entière de l'œuvre. Durant mon heure de trajet coutumier, je n'ai cessé d'y penser, d'essayer de “carcasser” l'affaire, d'en articuler les parties : sans grand succès, je dois le dire – mais il est vrai que je devais conduire en même temps. Je savais qu'il me faudrait parler du découpage en trois actes ; des “couleurs grises” qui sont la dominante du premier, situé dans une grande chambre de l'asile d'Upsala, en 1925 ; de celles chatoyantes, lumineuses et ardentes du second ; et de la clarté bleue et froide qui conclut l'ensemble. 

Il aurait fallu aussi établir des correspondances avec Fanny et Alexandre ; essayer de montrer les ressemblances – le théâtre comme refuge et évasion tout à la fois, le personnage de l'oncle Carl qui passe de l'un à l'autre film, des acteurs qui sont pour partie les mêmes – et les écarts. Je comptais aussi, bien sûr, évoquer le clown du titre, celui qui apparaît à Carl, une première fois lorsqu'il est enfermé dans son asile, puis à quelques reprises ensuite, plus fugitivement, comme un rappel ; un clown blanc femelle, aux dents et aux gencives noires – bouche d'ombre – qui est certes la mort, mais encore bien plus sa représentation, le masque qu'elle se donne, le personnage qu'elle a décidé de jouer ; la mort qui demande à être enculée (le mot est bel et bien prononcé) et qui l'est effectivement, physiquement, brutalement, par ce même Carl.

Bien sûr, on n'aurait pas échappé au théâtre ni au cinéma, puisqu'ils sont au cœur du film, ils en sont l'objet sinon le sujet. Ces personnages, qui pour certains sortent de l'asile afin de créer le premier film parlant de l'histoire du cinéma, il aurait été nécessaire de montrer que, l'incendie ravageant la modeste salle où ils projettent leur œuvre – dont le personnage principal est Schubert –, ils sont obligés de revenir au théâtre, afin de raconter aux quelques spectateurs ce qu'ils auraient dû voir sur l'écran. Il aurait fallu bien mettre en lumière que l'on se retrouve finalement devant un film découpé comme une pièce, qui raconte une pièce de théâtre, qui elle-même raconte un film.

Et puis, donc, je voulais essayer de parler de Schubert. D'abord parce que celle de ses œuvres que Bergman utilise je n'en finis pas de la récouter ; cette sonate ultime, dont les deux premiers mouvements me semblent être ce que l'on peu entendre de plus intensément mélancolique, déchirant, douloureux, tandis que les deux derniers sont d'abord un tourbillonnement d'allégresse, une allégresse d'après la douleur, ou plutôt d'au-dessus de la douleur, et ensuite une superbe affirmation par le créateur de sa propre puissance, au bord même du précipice. 

Ensuite, il y a que Schubert est le “véhicule” d'une question que pose au début du film l'oncle Carl à son médecin aliéniste : il veut savoir ce que, d'après lui, le musicien a dû ressentir lorsqu'il a découvert sa syphillis en 1823. Le docteur finit par lui répondre qu'il a dû se sentir couler. À la toute fin du film, Carl, devenu Schubert, grimé en Schubert et agonisant, donne lui-même la réponse : « Non, je ne coule pas… je m'élève… » – et c'est bien ce que semble dire le compositeur, par le troisième et surtout le quatrième mouvement de la sonate D 960.

Voilà, j'aurais voulu tenter de mettre tout cela en forme, de donner envie à quelques-uns de regarder ce presque dernier film de Bergman, jamais sorti en salle et rarement programmé à la télévision. Je comptais faire tous mes efforts pour y parvenir plus ou moins. Alors, arrivé devant ce clavier, j'ai commencé par taper le titre : En présence d'un clown.

À ce moment précis, en relisant mentalement ces cinq mots, c'est le visage de François Hollande qui m'est apparu. Et plus rien n'a été possible.

mercredi 4 avril 2012

L'agenda c'est maintenant !

Depuis ce matin, la gauchosphère rose pâle ne se sent plus de joie : ça y est, ils le tiennent, leur grand homme d'État, celui qu'il vont propulser d'un coup de catapulte à deux tours jusque sur le paillasson de l'Élysée ! Désormais, ils en sont sûrs, nos batavolâtres : leur candidat est obligé de gagner la course.  Pourquoi ? Parce qu'il est désormais nanti d'un agenda. Ah, reconnaissez que, vous aussi, là, dans le fond, les irrécupérables réacs, vous êtes impressionnés. Un agenda, voilà qui vous pose un président, non ? Et tout est bien noté dessus : le 19 juin on fera ci, le 14 août on lancera ça, etc. J'ai fait tout de même remarquer à ce cher Nicolas – qui bave d'excitation devant le fameux agenda, tel un puceau apercevant sa première foufoune – que l'agenda de son idole était tout de même fort imprécis : les heures des nombreuses réformes dont on nous menace ne sont pas indiquées. Du boulot d'Arabe, comme d'habitude.

J'ai l'air de me moquer, mais je suis sincèrement admiratif devant l'anonyme du staff flambien qui a eu cette idée de génie : baptiser agenda ce qui, jusqu'alors, était simplement qualifié de promesses électorales. Tout de suite, on sent qu'on va œuvrer dans le sérieux, le réfléchi, le solide-comme-le-roc. L'agenda, pour un président, c'est un peu ce qu'est la liste des commissions pour la ménagère de moins de 50 ans qui pousse le caddie en collant fluo : le précieux gadget qui fait que vous ne risquez plus, en fin de mandat, de rentrer chez vous en ayant bêtement oublié un truc. « Ah, merde ! Chérie, j'ai zappé le mariage homo, faut qu'j'y r'tourne ! – Eh ben, pendant que tu y seras, pense donc à nous remettre la retraite à soixante ans, parce que ça aussi, t'as oublié (connard)… »

Avec l'agenda, pas de risques de ce genre : le changement, non seulement c'est maintenant, mais c'est soigneusement étalonné. On est peinard, on vote sur du velours. Sauf si, évidemment, ce garnement de Nico vient te le piquer, ton agenda, et griffonne toutes les pages avec son gros feutre noir pour que tu ne t'y retrouves plus.  Mais non, quand même, je ne pense pas qu'il oserait aller jusque-là.

mardi 3 avril 2012

La désagrégation des civilisations

L'œuvre majeure de l'historien britannique comprend douze volumes et constitue une synthèse à la fois fourmillante et très claire sur l'essor, la vie, le déclin et la disparition des civilisations. Pour les lecteurs peu endurants, au rang desquels on me trouvera, il en existe un résumé d'environ 700 pages (corps 7, simple interligne…), publié en France chez Payot sous le simple titre L'Histoire. Chaque grand chapitre de l'ouvrage est précédé d'un court texte qui sert à la fois d'introduction et de résumé à ce qui va ensuite être dit. À l'entrée du chapitre 5, intitulé La Désagrégation des civilisations, on trouve celui-ci :

« Les déclins ne sont ni inévitables ni irréparables, mais si le processus de désintégration est à même de se poursuivre, je découvre qu'il suit apparemment un modèle commun dans la plupart des cas. Les masses se détachent de leurs leaders, qui tentent alors de s'accrocher à leur position en usant de la force comme d'un substitut du pouvoir d'attraction qu'ils ont perdu. Je relève les traces de la division de la société en une minorité dominante, un prolétariat intérieur, et un prolétariat extérieur constitué des barbares des frontières. J'esquisse les réactions sociales de ces divers groupes devant l'épreuve de la désintégration. Je découvre aussi un schisme psychologique correspondant dans les âmes de ceux qui sont nés à cette époque malheureuse. Des tendances psychiques discordantes, qui existent presque toujours à l'état latent dans la nature humaine, trouvent à présent libre cours. Les hommes perdent le nord, se jettent dans des voies sans issue dans l'espoir de fuir. Les plus grandes âmes se détachent de la vie ; des âmes plus grandes encore s'efforcent de transformer la vie en quelque chose de plus élevé que la simple vie que nous connaissons ici-bas et sèment les grains d'un nouveau progrès spirituel. »

lundi 2 avril 2012

Avenir radieux et autres bouffonneries


Comme l'excellent Jacques Étienne semblait, ce matin, avoir un petit coup de mou dans la voilure, c'est à lui que je dédie cette phrase, trouvée tout à l'heure en exergue du chapitre 5 du Mythe climatique, livre écrit par le mathématicien Benoît Rittaud en réaction contre le dogme sacré du “réchauffisme” (que lui appelle carbocentrisme) – phrase tombée de la plume d'un certain René de Lacharrière, qui semble être un juriste si j'en crois de très superficielles et rapides recherches sur internet :

Tout est prévu, sauf, naturellement, ce qui va se passer.

Sursum corda

dimanche 1 avril 2012

Les grands-parents chicoufs (c'est nous)


Jeudi en début de soirée, alors que je venais d'ouvrir une brèche décisive dans les défenses de la bouteille de pastis ennemie, arrive notre voisin menuisier, venu prendre les mesures des deux fenêtres que nous lui avons demandé de changer. Selon son habitude, Catherine engage la conversation et évoque la survenue très prochaine de ses petits-enfants, sur le mode “apocalypse light”. Alors, l'arpenteur de fenêtres : 

« Ah, vous aussi, vous êtes des grands-parents chicoufs ? »

Devant notre mine incompréhensive, il explique : 

« Chic ! mes petits-enfants arrivent !… Ouf ! ils repartent… »

En attendant, hier soir, empoignées par la joie de se retrouver, la mère et la tante des petits-enfants en question se sont technicoloré la gueule, comme chantait Ferré, au champagne et au sancerre, à un point que même moi j'avais honte pour elles. C'est-à-dire que j'aurais certainement eu honte si je n'avais été dans mon lit depuis déjà deux heures au moment des faits. Et bien technicoloré itou.