mardi 31 juillet 2012

Ras l'occiput, des léons !


Le vrai, les faux, les bios, les industriels, les élevés sous la mère, les finis au pipi, les durs de la comprenette ou les mous du glands : j'en ai marre des léons. Par conséquent, je leur demande de se retirer, de se soumettre ou de se démettre, de s'esbigner en loucedé – bref : de ne plus encombrer ma boitamel de leurs incessants et souvent pénibles commentaires. Lesquels, s'ils persistent à apparaître, seront systématiquement supprimés.

Quant à Jean Reno, ce n'est pas la peine qu'il se pointe non plus.

Manuel Valls et l'impossibilité du non

Le début de la chronique hebdomadaire de Gilles William Goldnadel : 

« Beaucoup d’explications ont été données au projet de Manuel Valls d’assouplir les conditions, pourtant déjà fort souples, de naturalisation des étrangers qui en font la demande.

« On a dit que c’était pour se démarquer à nouveau des positions de Claude Guéant, et on a eu raison. D’autres ont dit que, le PS n’ayant pas d’autres moyens de se distinguer – compte tenu de l’étroitesse de ses capacités de manœuvre dans le domaine social et économique –, seules les questions sociétales lui permettent de le faire. Et ils ont raison.

« Certains, enfin, ont fait observer que le ministre de l’Intérieur se situe là dans la continuité stratégique dessinée par Terra Nova, qui considère que, les immigrés constituant désormais la clientèle privilégiée de la gauche, les satisfaire, voire les multiplier, est nécessaire. Malheureusement, ils n’ont pas tort.

« Mais il existe une autre explication, complémentaire à toutes les autres, et dont le ministre, ici décevant, n’a peut-être même pas conscience.

« L’impossibilité psychologique de dire non à l’Autre. Ce que j’appelle depuis longtemps la dilection pour l’altérité ; l’impossibilité de lui dire : « Non, tu n’entreras pas chez moi ; non, ceci est ma maison ; non, ceci est ma nation. » On retrouve cette crise de tétanie métaphysique dans la difficulté post-soixante-huitarde de savoir dire non à nos enfants. L’étranger infantilisé, l’européen tétanisé : tels semblent aujourd’hui nos dirigeants suicidaires dans une Europe crépusculaire. »

La suite est là-bas.

Malheureusement, la foufoune aura un peu de retard…


En une du magazine Elle de cette semaine, ce titre, classé sous la rubrique “phénomène” :

Le grand retour des fesses

Faut-il être distrait, nom d'un joufflu : je ne m'étais même pas avisé de leur départ.

lundi 30 juillet 2012

Ton soleil, ardente lyre…


Le journal de juin.

dimanche 29 juillet 2012

La photo-qui-tue qui tue


On s'est couché à quatre heures et demie du matin : faut-il vraiment que je développe ?

samedi 28 juillet 2012

Prenez donc ce fauteuil, Monsieur le ministre…


Dans quelques heures, nous serons honorés de la visite officielle du ministre plénipotentiaire du lointain royaume de Guyane, accompagné, et même véhiculé, par son éminence (souvent) grise. Déjà la cuisine retentit du joyeux tintinnabulis des gamelles et s'emplit du parfum capiteux des venaisons qui mijotent ; le frigo, à qui nous avons confié quelques bouteilles, fait son travail de frigo ; quant à moi, hôte zélé mais tremblant de déplaire, il me reste à passer l'aspirateur pour faire disparaître les poils semés un peu partout par les chiens – lesquels, eux aussi, se tiennent à carreau comme jamais. Notre plus grande crainte est bien entendu que, pour cause de ramadan, nos prestigieux commensaux ne refusent toute boisson avant la tombée de la nuit, laquelle arrive en général fort tard en cette saison. Je dispose heureusement d'arguties secrètes, qui devraient suffire à leur faire rompre le jeûne prématurément, et même à leur faire accroire que les dites boissons que nous leur servirons ne contiennent pas le plus petit soupçon d'illusion de molécule d'alcool.


vendredi 27 juillet 2012

Comment j'ai replongé dans la France de 1970 (attention : billet islamofuge)


Catherine me l'avait dit : « Tu vas voir, c'est étonnant… » Le but, je l'avais bien compris, était de m'entraîner au Carrefour d'Évreux, et de m'esclavagiser sous couvert d'amusement. L'esclavagisme consistait à pousser le chariot et, surtout, surtout, à attendre des quarts d'heure entiers que Catherine choisisse telle barquette de fraises plutôt que telle autre, parle à l'oreille de cette épaule d'agneau, vérifie que ce paquet de café ait bien été élevé sous la mère, etc. : cruelle épreuve – longue, en tout cas.

Mais l'attraction, par laquelle elle m'avait attiré, n'était pas là. Ce qu'elle voulait me montrer, c'est à quoi ressemblait le Carrefour d'Évreux lorsqu'on on est en période de ram de jeûne d'une certaine religion, apparue il y a peu. Et, en effet, c'était très étonnant. Dans ce Carrefour de 2012, après trois ou quatre allées, j'ai eu l'impression de déambuler dans un hypermarché de 1970 : pas un Arabe, pas une Arabe, pas un “jeune” traînant entre les parkings et le magasin avec un air agressif et stupide, comme c'est toujours le cas d'habitude.

Bref, dans les allées de ce truc… que des Français. 1970, vraiment. Des Français auxquels on n'a pas envie de parler, bien entendu, tellement ils semblent stupides, tellement ils s'habillent comme des vacanciers, tellement leur graisse bloblotte sous leur short, tellement on a honte de ce que ces cons achètent, dès qu'on jette un œil dans leur caddie. Mais enfin, ils sont là, ces abrutis de Français pauvres. En espèce de shorts qui me les fait détester. N'empêche qu'ils sont tous, dans ces allées, français. Tous, par rapport à d'habitude. On comprenait bien, à ce moment, que les musulmans, les vrais habitants de ce quartier de merde, étaient en train de récupérer de leur “jeûne”, qui n'est qu'une inversion des heures de bouffe, et qu'on n'était pas près de les voir se relever. Il y avait d'ailleurs une pauvre femme, voilée, dont on comprenait assez bien qu'après avoir gorgé ses hommes la nuit précédente, elle devait venir au ravitaillement pour la nuit suivante de ses mâles inutiles.

C'était ce que que Catherine avait vu l'année dernière et qu'elle voulait me montrer : ces abrutis absents, qui font réveillon durant un mois chaque nuit, en appelant cela “jeûne”, et qui, évidemment, du coup, disparaissent des écrans radars dans la journée. C'est vrai pour ceux qui travaillent (tout le monde le sait très bien), mais grâce au ciel c'est vrai aussi pour les “jeunes” qui ne branlent jamais rien mais qui, durant le ram jeûne, cessent d'encombrer les allées du Carrefour d'Évreux parce qu'ils tentent de digérer leur “jeûne”.

Tout à l'heure, Catherine me disait : « Ça serait intéressant de savoir si les Carrefour et autres notent les vols qu'ils ont en moins au moment du ram jeûne. Je lui ai répondu qu'évidemment ils le savaient, le notaient, mais bien évidemment le gardaient pour eux : on vit quand même en régime soviétique, et il est hors de question de pouvoir dire qui fait quoi. Même en période de “jeûne”.

jeudi 26 juillet 2012

Mon nom est Légion, mais légion en bâtiment

Je suis, nul n'en ignore, l'inventeur de la formule : Écrivain en bâtiment. Néanmoins, je n'ai jamais pris la peine de définir ce que j'entendais par là. Et c'est normal : un écrivain en bâtiment ne se définit pas, il pond ; comme un gallinacé femelle.

Pourtant, si l'on prend la peine d'y réfléchir, la catégorie des écrivains en bâtiment possède, tout comme la Légion d'honneur, ses chevaliers de la dernière heure, ses officiers glorieux, ses commandeurs retentissants, et même ses Grand-Croix inaccessibles : nous sommes d'un ordre mineur mais assez rigide.

Notre saint patron, s'il nous en faut un, est évidemment Alexandre Dumas. Il est celui qui fonde l'ordre. Partant de là, nous nous séparons en deux écoles, comme de vulgaires marxistes : il y a les Mousquetaires et les Monte-Cristo – je fais pour ma part, et depuis un demi-siècle, obédience à la seconde école.

Puis viennent les commandeurs. Jean Lartéguy en est un, par exemple. Incapable d'être écrivain-tout-court, mais qui vous repose de Joyce ou de Claude Simon ou de Mme Sarraute – et c'est déjà bien. Michel Tournier, si on est un professeur de gauche, est très bien aussi : les épais romans de sa jeunesse vous font sentir intelligents.

Ensuite, on tombe chez les officiers de l'ordre. J'y mettrais Gérard de Villiers. Difficile de faire mieux que lui, dans son coin de bâtiment : je vous défie de faire un premier chapitre de SAS meilleur que les siens.

En queue de peloton, il y a les chevaliers nouvellement promus, la valetaille dont je fais partie ; ceux qui se sont rendu compte, il y a déjà longtemps, que non seulement ils n'étaient pas écrivains, mais qu'en plus ils ne franchiraient pas le premier grade. Et qui ont compris que l'ordre des écrivains en bâtiment était à l'ordre des écrivains ce que le Mérite agricole est à la Légion d'honneur – en gros.

Mais quelle jolie tête de crétin satisfait !


« Peugeot est dans un bateau, qui coule à cause d’un trou dans la coque. Arnaud le voit et immédiatement, outillé de sa chignole magique, perce un second trou en espérant que l’eau repartira par là.

« Pouf pouf. Reprenons. (…) »


mardi 24 juillet 2012

Désolé, chère Rosa, vraiment désolé…

Précisons que ce tract date de 1940…

Je comptais, ce matin, revenir sur la crise de veldhivite aiguë, mâtinée chez certains d'une pointe de négationnisme chronique, qui a brusquement saisi nos amis blogueurs de gauche, suite au pitoyable discours de leur président – qui, hélas, est également le nôtre –, et vous gratifier d'un petit billet nauséabond sur le sujet. Et voici que, juste avant de me mettre à l'écrire, une forte odeur de putréfaction (on devrait s'auto-baptiser comme cela, nous autres : les putréfactieux ; je lance l'idée…) m'attire chez le camarade Koltchak. J'y trouve, tout fait, le billet que je méditais plus ou moins. Donc, pourquoi me fatiguer ? Autant vous inviter à l'aller lire, non sans vous en donner la première partie, afin de vous mettre en bouche. Voici :

« 12 des 17 ministres SFIO de la fin de la III° République furent exclus de ce parti après guerre pour leur comportement collaborateur durant le conflit.
- Si Brasillach était maurrassien, Drieu-La Rochelle était-il d’extrême droite avant guerre ? Non. Il était de gauche et philosémite.
- Jean Luchaire, Pierre de Brinon, Alphonse de Chateaubriand : idem, de gauche.
- Doriot, Déat ? de gauche
- Cocteau, Aymé, Giono ? de gauche
- Bergery ? radical de gauche
- Bertrand de Jouvenel ? de gauche
- Simon Sabiani, Maurice-Ivan Sicard, Paul Perrin, André Grisoni, Paul Rives, Maurice Levillain, Barthélémy Montagnon, René Chateau, Claude Jamet : de gauche itou
- Robert Jospin (le père de Lionel) pacifiste intégral, munichois, proche de Marcel Déat : SFIO
- Camille Chautemps, Georges Bonnet, Maurice Papon, René Bousquet : de la gauche radicale !
- Robert Hersant : idem
- Charles Spinasse, Georges Monnet : encore
- Georges Suarez qui fut l’ami de Jopseph Kessel dans les années 20, biographe de Clémenceau et de Briand, dont le souci de réconciliation franco-allemande le conduisit sous Vichy au pronazisme le plus effréné, fut le premier journaliste à être jugé pour collaboration : proche de la gauche briandiste.
- Alfred Baudrillart, Marc Augier, Jean Balestre : etc.
- Camille Planche, Léon Emery, René Gérin, déatistes, provenant de la gauche.
- Saint-Loup (alias Marc Augier qui, avant guerre, chantait “Au devant de la vie” avec ses camarades juifs des Auberges), Saint-Paulien (alias Maurice-Ivan Sicard, qui avant guerre vomissait dans son “Huron” le fascisme et les fascistes), Roland Gaucher (ex- Roland Goguillot qui militait aux Etudiants révolutionnaires), François Brigneau (Emmanuel Allot, pacifiste de gauche): ex-antifascistes, anciens de la gauche et de l’extrême gauche, collabos, militants d’extrême droite après la guerre.
- René Bousquet, secrétaire général de la police de Vichy, responsable de la déportation de 54.000 juifs français, l’ami de toujours de François Mitterrand : centre gauche républicain. (…) »


Ce qui m'épate, chez ces blogueurs rosoïdes, ou rosoïdaux, c'est qu'ils ne se rendent pas compte de ce que leur acharnement négationniste peut avoir de puéril et, au final finalement, de contre-productif. Car enfin, qui songerait à leur reprocher, à eux, le comportement douteux de leurs grands-pères en idéologie ? Personne, s'ils ne tenaient à toute force, et de manière un peu suspecte, à s'exonérer de tout péché, s'ils ne passaient leur temps à se distribuer à eux-mêmes des certificats de pureté et des diplômes de grandeur d'âme. Et surtout, s'ils ne nous accusaient pas de faire ce qu'ils pratiquent eux-mêmes à tour de bras et en parfaite bonne conscience : la falsification systématique de l'histoire. Bien entendu, de même que le conseilleur n'est pas le payeur, le blogueur n'est pas le véritable falsificateur ; il est une simple caisse de résonance (de raisonnance ?) qui, sottise ou ignorance ou panachage des deux, répète à l'envi les mensonges et perpétue les dissimulations concoctés par d'autres, plus avisés que lui.  Son problème est qu'il est extrêmement facile de montrer et de prouver qu'il s'agit bel et bien de mensonges et de dissimulations. Mais comme le blogueur pense en vase-clos, il est rare que la simple vérité puisse pénétrer à l'intérieur de son bocal. Car même si, à l'instar du poisson rouge, le blogueur est tout ouïes, il est bien rare que ses oreilles perçoivent le bruit réel du monde.

dimanche 22 juillet 2012

De Dien-Bien-Phu à Évian ? C'est tout droit…


La scène prend place au début des Centurions (à la page 46 exactement) ; les officiers français, héros du roman, viennent de débarquer au camp de prisonniers viet-minh n°1 après plusieurs nuits d'une marche épuisante, qui a laissé de nombreux morts sur le bord de la piste.


     « Un autre lieutenant vint se joindre à eux ; il était Algérien et se nommait Mahmoudi. discret, silencieux, il faisait deux fois par jour ses prières tourné vers La Mecque. Boisfeuras remarqua qu'il commettait des erreurs et qu'il se courbait sur le sol à contre-temps. Il lui posa cette question :
     – Vous avez toujours fait vos prières ?
     Mahmoudi le regarda étonné :
     – Non ; seulement quand j'étais enfant. J'ai recommencé depuis que je suis prisonnier.
     Boisfeuras le fixait de ses yeux presque blancs.
     – J'aimerais savoir les raisons de votre toute nouvelle ferveur, à titre personnel, croyez-le.
     – Si je vous disais, mon capitaine, que je ne les connais pas, ou du moins que je les connais mal, et que ce que j'entrevois pourrait vous déplaire…
     – Rien ne me déplaît…
     – J'ai l'impression que cette défaite de Dien-Bien-Phu, où vous (il appuya sur le “vous”) avez été vaincu par une de vos anciennes colonies, aura de très grandes répercussions en Algérie, qu'elle sera le coup d'épée qui tranchera les derniers liens entre nos deux peuples. Or, l'Algérie n'a pas d'existence en dehors de la France ; elle est sans passé, sans histoire, sans grands hommes ; elle n'a rien, que sa foi différente de la vôtre. C'est autour de notre foi que nous pouvons commencer à donner à l'Algérie une histoire et une personnalité.
     – Et pour pouvoir nous dire : « Vous, Français », deux fois par jour vous faites des prières vides de tout sens ?
     – C'est un peu cela, mon capitaine. Mais j'aurais aimé, même dans cette défaite, pouvoir dire : « Nous, Français. » Vous ne l'avez pas voulu.
     – Et maintenant ?
     – C'est trop tard. (…) Non, ce n'est peut-être pas trop tard, mais il faudrait faire tellement vite, ou qu'il se produise un miracle.
     – Vous ne croyez pas aux miracles ?
     – Dans vos écoles, on s'est appliqué à détruire en moi le sens du merveilleux et de l'espoir impossible. »

samedi 21 juillet 2012

Le communisme est un alcoolisme ; si tu en reprends une goutte, t'es foutu…

La scène se passe au camp de prisonniers n°1, où sont enfermés cent vingt officiers de l'armée française capturés par le Viet-Minh, et soumis régulièrement à des séances d'endoctrinement :

     « Mais Potin qui avait été communiste, qui n'était plus tenu à faire bloc avec ses camarades pour résister aux Vietminh, fut repris par l'ambiance du Parti dont les formules et le vocabulaire lui étaient déjà familiers.
     Il était comme ces chrétiens qui pendant longtemps avaient négligé leurs devoirs religieux et qu'un hasard ramène soudain dans une église quand se déroule un office. Ce petit homme brun qui portait des lunettes à monture d'acier était parfaitement honnête. Un jour il vint trouver ses camarades et leur dit :
     – Voilà : j'ai été communiste ; je ne croyais plus l'être et je le suis redevenu complètement, sans réticences. Je suis donc dès maintenant du côté du Viet-Minh. Je veux que vous le sachiez et que vous agissiez avec moi en conséquence. Je m'efforcerai de ne pas savoir ce que vous faites, les évasions que vous préparez, mais je vous en prie, ne m'en parlez pas. Cessez de me faire confiance.
     Il s'était dès lors porté volontaire pour les corvées les plus désagréables, les plus pénibles ; il avait refusé tout ce qui pouvait améliorer son sort. »

Jean Lartéguy, Les Centurions, Presses de la Cité, p. 120.


Rajout de trois heures et demie :  Et puisqu'on parle d'armée et de soldats, cette réjouissante information trouvée sur Atlantico : Les soldats américains pourront désormais défiler en uniforme à la gay pride.

vendredi 20 juillet 2012

Les Centurions, lecture pour hommes


Passer de James Joyce ou Nathalie Sarraute à Jean Lartéguy est une manière comme une autre de réaliser le grand écart. Les Centurions sont ces officiers de l'armée française parachutés sur Dien-Bien-Phu, passés par les camps de “rééducation” communistes, avant de revenir en France métropolitaine, totalement et définitivement changés, méconnaissables y compris par leurs proches. Puis, ce sera l'Algérie, avec cette guerre qu'on leur a ordonné de faire mais en les sommant de la perdre, et leur honneur avec. On songe évidemment aux Réprouvés d'Ernst von Salomon, même si le Français ne parvient pas à se hisser, littérairement, au niveau de l'Allemand. Petit extrait :

     « Le nha-quê est tête nue ; aux extrémités de la lèvre supérieure, deux touffes symétriques de trois ou quatre longs poils. Il porte une tenue kaki sans insignes et, contrairement aux autres Viets, il n'a pas d'espadrilles de toile et ses doigts de pieds s'étalent voluptueusement dans la boue tiède de l'abri.
     Entre deux bouffées, il a prononcé quelques mots et un bô-doi à l'échine souple et ondulante de boy s'est penché sur Glatigny :
     – Le chef de bataillong demande à vous où est commandang français qui commandait poing d'appui.
     Glatigny a un réflexe d'officier de tradition : il ne peut croire que ce nha-quê accroupi qui fume du tabac puant commandait comme lui un bataillon, avait le même rang et les mêmes responsabilités. (…) Glatigny trouve à son “homologue” une tête de paysan de la Haute Corrèze dont une aïeule aurait été violée par un cavalier d'Attila. Il n'a pas un visage cruel, ni intelligent, mais un air madré, patient, attentif. (…) C'était donc l'un des responsables de la division 308, la meilleure, la mieux encadrée de toute l'Armée Populaire ; c'était ce paysan sorti de sa rizière, qui l'avait battu, lui, Glatigny, le descendant d'une des grandes dynasties militaires d'Occident, dont la guerre était le métier et la raison de vivre.
     (…) Il regarda le nha-quê dont les yeux s'ouvraient et se fermaient doucement mais qui conservait son visage impassible. Ils s'étaient battus l'un contre l'autre avec des armes égales : leurs mortiers lourds valaient bien notre artillerie et sur Marianne II l'aviation n'avait jamais pu intervenir.
     De ces durs combats corps à corps, de cette position vingt fois prise et reprise, de cet acharnement, de tous les actes de courage, de cette dernière attaque des Français qui, à quarante, avaient rejeté le bataillon vietminh du sommet, l'avaient sorti des trous qu'il avait conquis, il ne restait rien sur ce visage impassible, qui ne témoignait ni estime, ni intérêt, même pas de la haine.
     Le temps où le vainqueur présentait les armes à la garnison vaincue qui s'était bien battue était révolu. Il n'y avait plus de place pour la chevalerie des hommes de guerre et ses dernières survivances. Dans l'univers glacé du communisme, le vaincu était un coupable et se trouvait ravalé au rang de condamné de droit commun. »

Lorsque nous nous rendrons à Sedan, au début d'août, j'emporterai ce livre pour mon père, à qui il rappellera l'année qu'il a passée en Indochine, vers 1951 ou 52, ce pays disparu auquel il n'a finalement jamais cessé de repenser durant le demi-siècle suivant, et dont il a toujours rêvé qu'il y retournerait un jour. Mais il ne l'a pas fait, et c'est sans doute préférable.

jeudi 19 juillet 2012

Michèle D. ou la gueule de lamproie

Donc, voilà, d'après la grande modernœuse bordelaise nommée Michèle Delaunay, devenue ministre des vieux kroumirs et des cacochymes réunis – sans doute après avoir fait première dans un concours de circonstances –, comme c'est vachement triste de vieillir, il devient absolument nécessaire d'arrêter de le faire : la sénescence, c'est plus maintenant. Désormais, nous avancerons en âge. Il est vrai que c'est beaucoup mieux. Rien que ce verbe, avancer, ça vous a un petit côté progressiste bien dans son époque qui devrait plaire. Et puis, quand on avance en âge au lieu de vieillir, les artères se bouchent moins vite, j'ai remarqué. 

Il reste que l'inconséquente baderne des bords de Gironde ne va pas au bout de son raisonnement (?) ni de son propos. Car enfin, à quoi sert-il d'avancer en âge si c'est pour continuer de mourir quand on a fini d'avancer ? Mourir est indigne de notre temps ! Pas à la hauteur de l'immense espoir soulevé par le président Hollande ! Il devient donc urgent de trouver une expression douce, moelleuse, tintinnabulante, pour remplacer l'horrible verbe des temps glaciaires et ténébreux.

Je propose pour ma part : s'endormir en CDI.

mercredi 18 juillet 2012

« Repentance, mon cul ! », s'écria alors le bon Jacques Étienne


Son billet est lisible par là-bas. Je n'ai rien à y redire, mais j'y ai tout de même laissé le commentaire suivant, qui prouverait bien mon mauvais fond, si mon mauvais fond était encore à prouver :

« On notera aussi que, parmi les noirs qui vivent grassement de notre “repentance”, par le biais de leurs associations subventionnées, bon nombre viennent d'Afrique. Ce qui signifie que leurs ancêtres non seulement n'ont pas été réduits en esclavage, mais que, s'il se trouve, ils se sont peut-être enrichis en vendant leurs frères de brousse aux méchants marchands blancs qui venaient régulièrement chez eux faire leurs courses. »

Le cas le plus réjouissant de cela est bien évidemment le camarade Dieudonné. Son père étant camerounais, ses ancêtres n'ont donc jamais été réduits en esclavage, en tout cas nullement transportés aux Amériques les chaînes aux chevilles. Mais comme sa mère est bretonne, il n'est pas interdit d'imaginer que ses aïeux à elle auraient très bien pu s'enrichir dans le trafic de matériel humain, celui qui a fait la fortune des braves gens de Nantes et autres ports, à la grande époque.

Bref, emboîtant le pas à Maître Étienne, je clamerai à mon tour : « Repentance, mon cul ! »

mardi 17 juillet 2012

L'observatoire de Najat et le promontoire de Jonah

Une photo historique : pour la première fois, la petite Najat prend le train avec son papa. Que de souvenirs !


Depuis que cet émouvant cliché a été pris, Najat Trucmuche-Belkacem (je ne sais pourquoi, dans son nom, j'oublie toujours le wagon du milieu) a bien grandi ; elle est même devenue ministre. Et, comme elle s'ennuyait un peu, dans ces grandes pièces qui, à l'inverse d'elle-même, sont souvent très hautes de plafond, elle a commencé par interdire la prostitution en faisant les gros yeux. On dit qu'elle réfléchirait actuellement à comment c'est que je vais faire pour abolir l'accouchement qui fait mal, et aussi le sang qui coule sur les cuisses alors qu'on s'est même pas cognée. Mais comme ce sont des sujets si difficiles qu'ils en deviennent complexes, pour s'occuper en attendant, elle va certainement créer un observatoire des violences faites aux femmes. C'est-à-dire que, dès qu'il sera construit, son observatoire, à Najat, ceux qui n'osent pas tabasser leurs mousmées à eux, qu'ils ont légalement à la maison, eh bien ils pourront acheter un billet pour aller observer les autres qui le font – c'est une bonne idée.

En dehors de cette excellente nouvelle, on nous signale que Jonah Falcon, l'homme au plus long zizi de toute la vie du monde – 34 cm au garrot –, s'est fait serrer par les services de sécurité de l'aéroport de San Francisco, parce que ces petites bites galonnées pensaient que le Jonah, là, avec son promontoire pour faire des violences aux femmes, il transportait de la drogue dans son panty. Mais, ça, on ne pouvait pas le voir de l'observatoire à Najat.

lundi 16 juillet 2012

Les jeunes sensibles et le redressement productif


J'apprends ici que, dans la nuit du 13 au 14 juillet, à Paris et en Île-de-France, 152 voitures et une dizaine de scooters ont été festivement incendiés, suite à des excès d'allégresse républicaine. Dans un premier temps, comme tout le monde, je m'en suis réjoui : seulement cent soixante véhicules détruits pour une population de douze millions d'habitants – même si certains étaient déjà partis en vacances –, cela montre à l'évidence que la conscience citoyenne progresse davantage chaque jour. M'a fait plaisir aussi l'information selon laquelle la première voiture incendiée l'a été dès avant sept heures du soir, et en Seine-Saint-Denis : il est tout de même réconfortant de voir que la France qui se lève tôt on la rencontre avant tout au sein de notre belle jeunesse bigarrée.

Après ce premier moment d'allégresse furtive, c'est la tristesse et le dégoût qui se sont emparés de moi. Tristesse de constater que la terrible exclusion dont sont victimes ces jeunes sans repères avait une fois de plus produit ses sinistres effets pervers (je le fais bien, hein ? Attendez, y en a encore) ; que la ghettoïsation implacable à quoi on les condamne pousse encore trop d'entre eux à ces actes de désespoir ; que décidément la France n'en a pas fini avec ces relents de colonialisme rance qui infecte obstinément son haleine. Et dégoût de devoir admettre que c'est bel et bien notre racisme décomplexé par cinq dix ans de sarkozysme (mais enfin, par les roubignoles du Prophète, que fait donc Rosaelle ?) qui contraint ces ferments de notre avenir à se réfugier dans une violence sans issue mais tellement compréhensible.

Au final Finalement, mon optimisme naturel a réussi à reprendre le dessus, malgré l'abattement où je me trouvais, lorsque je me suis dit qu'après tout cent cinquante voitures partant en fumée, ce pouvait être une chance inespérée pour les camarades en lutte de chez Peugeot, dont les chaînes de montage allaient à coup sûr repartir comme en quarante cinquante. Une larme de reconnaissance émue a lourdement roulé sur ma joue ravinée jusqu'à l'aile de mon pif bulbeux, lorsque j'ai compris quelle formidable mobilisation en faveur du redressement productif était désormais à l'œuvre dans nos douars quartiers.

Et c'est ainsi que Montebourg est grand.

C'est Mozart qui fait le ménage

« Comment faire en sorte que des bandes de jeunes ne passent plus leurs journées dans un parc municipal ? La municipalité de Courtrai, en Belgique, pense avoir trouvé la solution. Dès la semaine prochaine, un parc du centre-ville, connu pour être malfamé, va être équipé de hauts-parleurs qui diffuseront de la musique classique toute la journée. Les élus espèrent ainsi faire fuir les bandes et faire disparaître du même coup les détritus, les graffitis et les trafics de drogue. »

Et si le quintette avec clarinette ne suffit pas à chasser les malfaisants, on leur enverra les suites pour violoncelle en rafale : redoutables, les suites pour violoncelle, quand on est un “jeune”, de surcroit “sensible”. Pour finir, s'il reste quelques survivants, on confiera leur rapatriement définitif au tour operator Franz Schubert et à son très efficace Voyage divers

(Source.)

samedi 14 juillet 2012

Le petit mousse est l'avenir du monde (enfin, j'espère)

Le bébé à lunettes qui sert d'illustration à ce billet n'est pas le petit mousse Woland, même si ce dernier porte effectivement des lunettes bleues – mais enfin, bon, c'est un truc approchant. Contrairement au rejeton de gauchistes progressistes de base (et nous en avons connu certains…), le petit mousse réactionnaire lambda est un jeune garçon bien élevé, même en son très jeune âge, curieux des jouets étrangers que l'on met à sa disposition, capable de s'acclimater avec des chiens de soixante kilos, avec des grands-parents adoptifs ivrognes et bruyants, et susceptible de passer une journée à la campagne sans presque sortir de la maison.

Le petit mousse de base est généralement affligé d'un père hirsute et vaguement néo-nazi, d'une mère toute mince et très jolie, lesquels se liguent contre lui pour lui interdire de grimper sur les fauteuils avec ses chaussures, alors même que les deux cacochymes propriétaires des lieux se sont ligués – par suite sans doute de leur ramollissement cérébral – pour le laisser faire ce qu'il voulait, ce pauvre gamin.

Habitué à avoir des parents parfaitement odieux, ne lui passant rien, le petit mousse de base se résigne assez rapidement à se tenir tranquille, même si on ne le sent pas entièrement dupe, et attend son heure, celle de sa vengeance ; il remâche. Car le petit mousse de base ne semble pas comprendre pourquoi ses géniteurs lui ont imposé – un jour de Fête nationale, en plus – cette journée pénible chez deux vieux qui sentent le vieux, et nantis de trois bestiaux qui sentent encore pire. Parfois, lorsque son père pérore et que sa mère mérore, on lui devine une ébauche de sourire sarcastique, et l'on se dit que cet enfant paraît plutôt bien armé pour affronter le monde de merde dans lequel ses parents ont eu l'inconscience reproductrice de le faire naître.  On l'imaginerait presque déjà la kalachnikov à la main, mais c'est sans doute un effet collatéral du Pouilly fumé.

vendredi 13 juillet 2012

Les buveurs d'eau sont des barbares et le resteront


À Nicolas, qui sait se tenir à l'abri du danger.

« Des hommes qui boivent de la bière et des femmes qui mettent des enfants au monde : Joyce a raison d'avoir réuni sous le même toit ces deux phases de la vie. Chaque sexe accomplit là sa fonction la plus spécifique. L'un produit des êtres, l'autre élabore des sociétés. Être attablé à boire de la bière ou du vin (ou tout autre breuvage disponible dans la contrée) a toujours été l'une des activités masculines les plus sérieuses et les plus fécondes. Ce n'est certes pas uniquement grâce à l'hydromel que les sociétés furent élaborées, mais les boissons fermentées figurent parmi les agents civilisateurs les plus notables, comme en témoignent toutes les religions et toutes les légendes. »

Frank Budgen, James Joyce et la création d'Ulysse, Denoël, pp. 238 et 239.

Le chapitre dont il est question ici, le quatorzième, se déroule en effet à la maternité de Holles Street : tandis que les parturientes poussent des cris stridents de douleur à l'étage, les hommes – tous célibataires à l'exception de Leopold Bloom – se murgent consciencieusement au rez-de-chaussée.

Par ailleurs, Budgen – qui fréquenta assidûment Joyce durant sa période zurichoise – note que l'écrivain ne rechignait jamais devant un flacon de vin blanc, mais qu'il n'en buvait du rouge qu'avec la plus extrême répugnance (si vraiment il n'y avait rien d'autre, en fait…), trouvant que celui-ci avait le goût et l'apparence d'un steak liquéfié.

mercredi 11 juillet 2012

Et les matelots me déposèrent endormi…


Lorsqu'il fut de retour enfin
Dans sa patrie le sage Ulysse
Son vieux chien de lui se souvint
Près d'un tapis de haute lice
Sa femme attendait qu'il revînt

Or, en effet, quand au terme d'une longue traversée de sept cents trois pages, j'abordai aux rivages du Plessis-Ithaque, Swann, Elstir et Bergotte, mes tri-Argos, me firent fête ; pour le tapis de haute lice, ma Pénélope avait dû le vendre à quelque colporteur de triste naissance afin de s'offrir de quoi boire, car je n'en trouvai trace en mes palais. Mais je ne lui garde nulle colère, sachant bien que l'attente est morose et le nectar tentateur.

lundi 9 juillet 2012

Comment domestiquer le personnel ?


Je me demande parfois si nous avons raison (nous : les “réacs” plus ou moins puristes, et plus ou moins influencés par Renaud Camus…) de monter sur nos grands chevaux, chaque fois que ce qui sonne à nos oreilles comme une monstruosité de langage apparaît – et Dieu sait si l'époque en est féconde. C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'avoir raison ou tort, bien entendu, mais de savoir s'il est bien utile de charger lance au clair contre ce genre de moulins. Actuellement, l'un des tics de langue qui m'horripilent le plus est l'emploi du mot “personnel” comme équivalant à “employé”, c'est-à-dire désignant un individu et non l'ensemble du personnel, ainsi qu'il était pourtant de règle jusqu'à hier matin. Il ne se passe plus de jour sans qu'on entende, à la radio ou à la télévision, journalistes et “experts” parler des personnels de France-Télévision ou de Véolia. Mon premier réflexe, lorsque cette aberration arriva jusqu'à moi pour la première fois, et encore maintenant, fut de trouver cela profondément stupide.

Mais voici que, dans Les Confessions, je tombe sur ce paragraphe où Rousseau, évoquant Mme de Warens (au passage, je me demande depuis quelques jours comment il convient de prononcer son nom, à celle-là ; j'aurais tendance à dire Waran, comme on prononce Doullens Doullan, mais bon), Rousseau donc parle de son domestique, pour désigner l'ensemble des serviteurs à son service. Le mot “domestique” se comportait donc au XVIIIe siècle exactement comme notre “personnel” moderne, et il semble que, bien avant lui, il a effectué la même glissade sémantique, sans doute suivant le même mode, le domestique collectif s'individualisant et, du coup, éliminant le mot “serviteur”, peut-être jugé infamant ou “stigmatisant”. Il est du reste amusant de constater que ce pauvre “domestique” a été victime du même opprobre pudibond et bientôt remplacé par  des périphrases de plus en plus chantournées.

Voilà ce que je me disais. Or, je me trompais. Vérifiant dans le dictionnaire, je me suis aperçu que le mot “domestique” pour parler d'un employé de maison était utilisé dès le XVIe siècle, et que ce n'est que par extension qu'il a, un temps, servi à en désigner l'ensemble pour une maison donnée : trois petits tours et puis s'en va. Si bien que, échevelé et livide au milieu de cette tempête, je ne sais plus, à cette heure, ce qu'il faut penser de ce satané personnel en sa nouvelle livrée, s'il faut pleurer ou en rire, s'il convient de le vouer aux gémonies ou au prochain dictionnaire de l'Académie.

La moustache, Jean-Luc, la moustache !



dimanche 8 juillet 2012

Ulysse : trouver le bon angle d'Ithaque


À Ygor Yanka, qui m'a poussé à l'eau…

Ayant depuis peu doublé le cap de la page quatre centième, après être comme chacun tombé de Charybde en Scylla, puis ressac vers le premier, ballotté-ci, ballotté-là, avoir frôlé des basses sans doute meurtrières, franchi des détroits glougloutants, deviné des abîmes proches, affronté des commencements de mutineries, mis fin autoritairement à des beuveries intempestives de second pont, et m'étant aperçu avec presque de l'inquiétude que j'étais toujours en vie, bien que fatigué et la peau craquelée de sel dans ses moindres replis, il m'est apparu que la lecture d'Ulysse ne consistait pas simplement à suivre sur une carte une seconde Odyssée à proportions dublinesques, mais qu'il fallait bel et bien refaire soi-même le périple primordial, avec ce que cela suppose et entraîne de découvertes dangereuses ou belles ou les deux, d'ennui profond, de découragements lacrymaux et de puériles exaltations, entre le buveur cyclopéen dans son antre et les horripilantes sirènes de la grève. Dans ces conditions, revoir Ithaque n'est plus du tout un but, c'est un impératif catégorique ou quelque chose comme ça, d'aussi encombrant et malcommode à manier – surtout en voyage. On se dit que Pénélope ne perd rien pour attendre ; et on rame.

Des culs, des queues, des bites, comme à Gravelotte !

Chacun sera d'accord qu'il existe des mots vulgaires et d'autres qui ne le sont pas ; ou moins ; ou pas toujours. Les dissonances commencent dès lors qu'on se met en tête de les séparer, de les classifier : à gauche les vulgaires, à droite les pas, et une barre verticale entre les deux. Là, plus personne n'est d'accord et on tomberait facilement dans des querelles d'Allemands, ce qui pour le coup le serait, vulgaire.

Ainsi, par exemple, pour prendre mon cas personnel, et simplement parce que je suis là, j'ai toujours trouvé qu'une femme parlant de son derrière basculait immédiatement dans la vulgarité ; alors que le mot cul me semble tout à fait recevable, même assez guilleret et piquant, à l'image de la petite queue ornant la lettre qu'il rappelle. Et puisqu'on en est aux vocables sous-ventriers et sub-dorsaux, quoi de plus vulgaire, de plus anatomiquement, médicalement vulgaire qu'une verge ? Tandis que sa sœur la bite vous a quelque chose de vif, de rapide, de bondissant, de primesautier, qui ferme toutes les portes à la vulgarité. Quant à la queue, rien à en dire de particulier, sinon qu'elle nous ramène au Q, ce qui après tout est sa fonction première sauf peut-être pour une poignée d'incontinents.

Dans un ordre voisin, parler de la maman d'un individu me paraît nettement plus dégoûtant que de lâcher, au milieu d'une conversation, un sonore putain de sa mère !, surtout si l'exclamation se veut admirative. De même qu'un invalide cloué à son fauteuil roulant devrait à mon sens avoir envie de cracher à la gueule de tout triste sire le définissant comme une personne en situation de handicap, ce qui est non seulement vulgaire mais de plus faux, méprisant et bouffon. Encore que, dans ces deux derniers cas, on pourrait m'objecter que l'on s'éloigne du champ de la vulgarité pour se rapprocher de celui de l'obscène.

Reste évidemment à régler le statut délicat d'obèse, de jaculatoire et de concupiscent. Ce sera l'objet d'une prochaine conférence.

samedi 7 juillet 2012

Connaissez-vous Ivy Compton-Burnett ?

Rassurez-vous, je n'avais jamais entendu prononcer ni lu son nom nulle part il y a encore deux semaines ; juste avant de la découvrir couverte d'éloges dans L'Ère du soupçon de Mme Sarraute. Je suis occupé à terminer l'un de ses livres : Une famille et son chef (A house and its head). Ivy Compton-Burnett a écrit de nombreux romans, lesquels ont cette particularité d'être composés à plus de 90 % de dialogues : les interventions de l'auteur y sont à peine plus nombreuses que les didascalies dans une pièce de théâtre.

Les dialogues en question constituent une sorte de glu dans laquelle les personnages ne cessent de se débattre sans jamais parvenir à en sortir, malgré leurs efforts évidemment dérisoires. Dans Une famille et son chef, on découvre Duncan Edgeworth, une sorte de despote domestique de 66 ans, sa femme Ellen, leurs deux filles, Nance et Sibyl, le neveu Grant, recueilli après la mort de ses parents, ainsi que Cassandre, dite Cassie, la fille du pasteur qui, depuis vingt ans, sert de gouvernante aux deux filles. C'est le jour de Noël. Tout se passe comme tout doit se passer, mais dès cette scène d'ouverture, le lecteur sent que les mots lui cachent quelque chose, que chaque morceau de dialogue, la plus banale des répliques sont autant de chausse-trapes dans lesquelles les protagonistes parviennent de justesse à ne pas tomber, simplement parce qu'ils semblent les enjamber sans même les voir.

Très vite, Ellen Edgeworth meurt, sans que l'on sache exactement de quoi. À partir de là, les événements les plus saugrenus, les malheurs les plus lourds et même les monstruosités les plus noires vont s'enchaîner à un rythme parfaitement improbable. Mais dès qu'elles pénètrent, ces péripéties, dans le petit monde clos des Edgeworth, elles se racornissent, s'amenuisent, se décolorent et rapetissent si bien qu'elles peuvent sans trop de mal être évacuées comme n'existant pas, ou à peine, par les dialogues qui tournent en boucle sur eux-mêmes, comme des jouets mécaniques devenus fous.

Et puis, à chaque nouvelle catastrophe feutrée, dans l'heure les amis débarquent en foule, tout émerveillés de ce qu'ils pensent sincèrement être leur dévouement, leur solidarité, leur compassion, et qui n'est bien entendu que leur gourmandise de malheur, leur appétence pour le scandale qui se devine. Mais de scandale il n'y a jamais, et leurs petites pointes de méchanceté obtuse viennent se briser contre l'indifférence et l'égoïsme en métal d'armure du clan Edgeworth, que le vieux Duncan, pitoyable dictateur, croit mener à la baguette mais qui, en vérité, lui échappe presque totalement. 

Les dialogues de Mrs Compton-Burnett sont irrésistibles de drôlerie, d'incongruité, d'une ironie dont le cinglant est compensé par la véritable tendresse indulgente qu'on la sent éprouver pour son petit monde de marionnettes saisies par la danse de Saint-Guy. On rit parfois, on sourit très souvent, et c'est ce qui fait passer la cruauté qui, finalement, s'impose au souvenir une fois le livre reposé. Une cruauté solidement établie sur un amoralisme sans faille bien que badin. Ivy Compton-Burnett est une Jane Austen qu'on aurait fait passer préalablement dans un bain d'acide.

Un petit échantillon ? Bon, d'accord. J'ai choisi un extrait de dialogue presque au hasard, j'aurais pu en élire trente autres. Dans ce passage, les filles Edgeworth viennent d'apprendre que Duncan, leur père, va se remarier pour la seconde fois avec Cassandre, leur gouvernante (son précédent remariage ne date que de quelques mois, et la mort de leur mère est à peine plus ancienne). C'est moi qui souligne le passage qui l'est :

« Cassie va le changer d'Alison.
– Cassie ne constitue pas un changement ; c'est peut-être ce qui l'a attiré.
– C'est pour toi que ce sera le plus dur, dit Grant.
– Pas du tout. Je m'entendrai toujours avec Cassie et je commence à avoir l'habitude de céder ma place de maîtresse de maison.
– Je ne pense pas que ce soit le grand amour ni d'un côté ni de l'autre, dit Sibyl.
– Alors pourquoi se marient-ils ? dit Nance.
– Père a horreur d'être seul et Cassie a besoin d'assurer son avenir. Tu parles comme une enfant, ma pauvre. »
Cassie entra en s'efforçant visiblement d'avoir l'air pafaitement à l'aise.
« Nous sommes très heureux, Cassie chérie, dit Sibyl.
– Elle sait que nous sommes toujours enchantés quand Père se marie, mais cette fois c'est sincère, dit Nance. »

Une dernière chose, pour ceux d'entre vous qui décideraient d'acquérir ce roman, et dans cette collection de L'Imaginaire : surtout, résistez à la tentation d'aller lire en premier le texte de quatrième de couverture, un malfaisant Gallimardien ayant cru bon, en vingt lignes, de déflorer tous les rebondissements de l'histoire. Certes, il ne s'agit pas d'un roman policier, mais tout de même : c'est d'une impolitesse…

vendredi 6 juillet 2012

L'odeur de la pizza et le souvenir de Balbec


Tentative de billet, faite hier soir, à la fraîche…

Sachant que je venais de passer une journée de merde (en dehors du déjeuner qui en a constitué le centre et qui fut, lui, fort agréable et réussi), Catherine a compris qu'elle ne pourrait pas lutter contre mon envie d'apéro – du reste elle ne cherchait pas à le faire – et qu'elle allait dîner seule. Elle a choisi de manger une pizza, mais pas un truc congelé dont les salauds de pauvres (et surtout les salopes de pauvresses) se servent pour creuser leurs déficits budgétaires et arrondir leurs bourrelets graisseux : une vraie pizza ; italienne ; faite main ; la pâte et la garniture bidouillées soi-même, les olives élevées sous la mère et tout le toutim.

Je n'aime pas les pizzas, sauf quand elles sont vraiment italiennes, ce qui est rare. Il y a onze ou douze ans, durant quelques mois, revenant travailler à France Dimanche après une interruption de presque trois ans, je dormais la moitié de la semaine dans un studio de Levallois, situé à l'autre bout du Levallois où je travaille. Sur ce chemin se trouvait un bar sans intérêt particulier, un repère de semi-pochtrons pauvres venant dépenser leur RMI en début de mois et, ensuite, creusant leur découvert vis-à-vis de la patronne, qui s'appelait Martine, que j'appelais Dame Tartine. J'y ai payé des tournanches bien plus souvent qu'à mon tour, on s'en doute.

Bref, ce bar (où, un soir, un photographe de Paris Match a attiré au comptoir Virginie Ledoyen, Arsène Wenger, Bernard Loiseau, et un ou deux autres pour une photo qui est paru dans l'insigne magazine sus-mentionné : ce fut l'acmé des crétins du quartier, dont je faisais partie, ils doivent en parler encore), évidemment, Catherine a fini par y venir, un soir, et même plusieurs soirs.

À l'époque, nous n'avions qu'un chien. Un bouvier du nom de Balbec (voir photo) dont je crois avoir déjà parlé ici. C'était notre premier chien, et donc on ne le laissait jamais seul.

Ce soir-là, Catherine était venue me rejoindre à Levallois ; avec le cador, donc. D'abord, Balbec est devenu une sorte de héros chez Dame Tartine. Ce chien mort depuis longtemps devrait se souvenir que le fromager voisin (boutique à côté du bar : je ne plaisante pas) est sorti, a relevé le rideau de fer de sa boutique, s'est enfoncé dans ses profondeurs puis en est revenu avec un gros paquet de croûtes de gruyère ; ou d'emmental. Balbec, ce soir-là, a connu son gavage le plus jouissif – mais il n'en savait rien, et nous non plus.

Ensuite, nous sommes allés dîner dans ce restaurant d'Italie du sud (je n'arrive pas à me souvenir de la région ; j'ai demandé à Catherine, elle ne sait plus non plus) qui existe peut-être encore, mais je m'en fous. Nous y sommes allés avec Balbec, en nous demandant si on allait nous laisser entrer avec ce gros tas de poils de cinquante kilos. Oui, on nous laissa. Et on nous servit des pizzas, des vraies, italiennes, pas des saloperies américaines.

Pendant ce temps, Balbec restait couché à peu près sous nos pieds, fort sage, dans ce restaurant qui me rajeunit de dix ou douze ans. Bon, je sens que je perds le fil, là ; je n'aurais pas dû parler de Balbec. Je ne vais pas publier ce billet stupide.


Rajout du lendemain matin, dix heures et quart : eh bien, finalement, si. Quand on raconte n'importe quoi sans savoir où l'on va, il faut assumer, bon sang de bois !

mardi 3 juillet 2012

Ayrault en majesté : les enfants de chœur font tinter leurs clochettes


C'est trop beau, trop jouissif, trop drôle pour être vrai. Et pourtant ce l'est. Les pourfendeurs d'iniquités d'hier ont déposé leurs sabres de plastique aux pieds de leur Ayrault en majesté, leur Johannus Marcus pantocrator, ont revêtu leur aube virginale, se sont agenouillés, cierge en main droite gauche, et ont rendu grâce au messie-en-second qui venait de laisser tomber sur eux la parole des cieux élyséens. Partez donc faire un tour dans la blogosphère de gauche institutionnelle : vous la trouverez toute éternuante d'eau bénite généreusement aspergée, sanglotant de gratitude à gorge unique. Vous pouvez utiliser, pour ce voyage humide, la blogroll de Nicolas, il ne vous en voudra pas, si vous venez de ma part. “Discours juste”, “panache” (oui, oui, vous avez bien lu : chez le vieux Yann, il est question du panache de Jean-Marc Ayrault ; limite fout-la-trouille, non ?), aucune hyperbole ne vous sera épargnée. Et même un gauchiste psychotique comme Captainhaka hoquète de joie en constatant que son icône a “lessivé à grande eau les souillures d'un quinquennat de Sarkozy.” (Il y a aussi, bien entendu, Dame Rosaelle, qui embouche ses trom-pouets, mais là, ce serait trop facile de se moquer.)

En tout cas, tous les enfants de chœur sont d'accord pour dire qu'ils ont versé une larme à l'unisson de tout le pays rassemblé, lors de la minute de silence à la mémoire du camarade Olivier Ferrand, dont on nous assure qu'il vient de décéder alors qu'il est simplement mort, comme vous et moi. Comment ça, vous ne voyez pas ? Mais si, allons : ce petit apparatchik guignoléen qui recommandait, il y a peu, au parti socialiste, son parti, de tirer une bonne fois pour toute un trait sur les prolos-qui-nauséabondent et de concentrer leurs pouvoirs de séduction sur les biobios de Montreuil et autres lieux d'outre-histoire, car ils sont l'avenir de la gauche-qui-sent-bon et notre rédemption à tous.

Je suis bien certain qu'à l'heure où nous parlons, il doit s'en trouver quelques-uns, de ces fidèles éperdus, pour regretter que leur sauveur à la parole si pure soit encore vivant : ça retarde d'autant son procès en canonisation.

Journalie, terre de fainéantise et d'ignorance

Maurice Chevit est mort. Bon. Pas de quoi réveiller un blog, sans doute ; sauf si un rédacteur en chef demande au tenancier du blog en question de lui écrire une petite nécrologie en trois mille signes du comédien disparu. Du coup, ajustant sa casquette de journaliste, l'impétrant creuse un peu son sujet. Rapidement, grâce à l'intercession de saint Google, il trouve un article consacré au bonhomme ; puis un autre ; et cinq, et dix… Tout le monde se presse et frétille de l'hommage : Libération, AlloCiné, La Croix, Le Progrès, France Info, et encore d'autres. La moisson à première vue semble riche ? Pur trompe-l'œil.

Première constatation, qui n'étonne point le reporter sur le retour : tous ces petits articles sont exactement semblables, à la virgule. Ce qui signifie que l'un de mes co-tâcherons s'est dévoué et que tous les autres l'ont recopié, sans même prendre la peine de tourner les choses un peu autrement – pas de quoi faire sonner les trompettes de l'indignation, c'est toujours comme cela. Mais autre chose attire l'œil du gros bonhomme de presse et dissipe tant soit peu les brumes qui environnaient son esprit : dans tous ces articles, il est noté que Maurice Chavit était un acteur et dramaturge français. Diable ! se dit aussitôt le plumitif, il aurait donc, ce brave homme, écrit des pièces de théâtre en plus d'en jouer ? Voilà qui pourrait être intéressant, d'autant qu'aucun de mes chers chosefrères n'a pris la peine de le signaler. Voyons donc si l'on peut trouver ce qui est tombé de la plume du mort…

Or il n'est rien tombé de la plume du mort, en tout cas dans le domaine de la scène. Il se trouve simplement que la personne qui a rédigé sa fiche Wikipédia l'a défini comme acteur et dramaturge français, confondant visiblement ce dernier mot avec “comédien de théâtre”, ce qu'il fut en effet. Et tout le monde, troupeau de moutons ou d'ânes, a retranscrit sans sourciller.

Moutons ou ânes ? Eh bien oui, forcément. Car soit les folliculaires dont nous parlons se sont contentés de suivre la tête du troupeau sans chercher à savoir quelles pièces avait bien pu écrire ce Chevit qu'on leur donnait à brouter, soit ils ignoraient le sens du mot “dramaturge” : moutons d'un côté, ânes de l'autre.

« À chacun, l'âge venu, la découverte ou l'ignorance. », écrivait Morvan Lebesque, en conclusion de son Essai sur la démocratie française. Apparemment, beaucoup de mes confrères ont choisi leur camp. Et quand je dis “choisi”…

lundi 2 juillet 2012

Traversée au long cours avec voie d'eau dans la cale


     « Cessant de sourire il avançait, et un nuage lourd envahissait le soleil avec lenteur, assombrissant encore la façade morose de Trinity College. Les trams se croisaient, montaient, descendaient, sonnaient. Inutiles, les mots. Les choses vont de même, jour après jour : escouades d'agents qui sortent et rentrent ; trams aller et retour. Ces deux braques qui se baguenaudent. Dignam expédié. Mina Purefoy ventre qui geint sur un lit pour qu'on lui arrache le fruit de ses entrailles. Quelqu'un naît quelque part à chaque seconde. Quelqu'un meurt à chaque seconde. Cinq minutes depuis que j'ai donné à manger aux oiseaux. Trois cents ont cassé leur pipe. Trois cents autres sont nés dont on lave le sang, tous lavés dans le sang de l'agneau, bêlant méééééé.
     « Toute la population d'une ville disparaît, une autre la remplace, qui passe aussi ; une autre viendra qui passera. Maisons, files de maisons, rues, kilomètres de trottoirs, piles de briques, pierres. Ça change de mains. Ce propriétaire-ci, celui-là. On dit que le mort saisit le vif. Un autre se glisse dans ses souliers quand il reçoit sa feuille de route. Ils achètent ça à prix d'or, et après ils ont encore tout l'or. De la filouterie quelque part là-dedans. Amoncelé dans les villes, miné par les siècles. Pyramides dans le sable. Bâties avec le pain et les oignons. Esclaves de la muraille de Chine. Babylone. Les grosses pierres restent. Tours rondes. Le reste, débris, banlieues envahissantes, bâclées en série, maisons poussées comme des champignons, bâties de vent. Asiles de nuit.
     « Personne n'est quelque chose. »

James Joyce, Ulysse, Gallimard, p. 161.

dimanche 1 juillet 2012

Vie, mort et résurrection possible d'un roman inexistant

Et voilà que, désormais, je ne sais plus du tout ce qui a pu me tenir éloigné, ces quatre dernières décennies, de Nathalie Sarraute. La prévention c'est très bien quand elle est routière ; en matière de littérature elle vous fait perdre un temps fou. Deux livres coup sur coup : Hier L'Ère du soupçon, qui regroupe cinq essais dont celui éponyme, parus durant les années cinquante dans Les Temps modernes ; aujourd'hui Les Fruits d'Or. Du premier je ne dirai rien, sinon que ce que note Sarraute à propos des personnages de Dostoïevski s'approche très près, mais vraiment à le frôler, de ce qu'en dira René Girard, une dizaine d'années plus tard, dans son Mensonge romantique et vérité romanesque.

Restent Les Fruits d'Or, court roman de 150 pages paru en 1963. Si je voulais jouer au critique appointé qui se la pète un chouïa, je dirais qu'il s'agit avant tout d'une mise en abyme, puisque, dans Les Fruits d'Or, il n'est question de rien d'autre que d'un roman intitulé Les Fruits d'Or. Or, ce serait partiellement faux, car il ne s'agit en fait que de la réception de ce roman, dont on ne saura par ailleurs rien – réception par des hommes et des femmes sans nom (sauf, de temps en temps, un simple prénom, mais dont il n'est pas certain qu'il désigne toujours le même personnage), sans visage, sans corps, sans statut social défini ; même leur sexe est incertain, flottant : un homme parle… puis sans transition une femme… de nouveau un homme.

Bien entendu, ils ne parlent pas réellement ; en tout cas pas des Fruits d'Or. Ils expriment ce que leur dictent le moment, l'entourage, l'image qu'ils ont dans leur auditoire, celle qu'ils pensent avoir, qu'ils aimeraient susciter ou entretenir.  Et c'est un florilège de tout ce qui peut être dit de sottises pontifiantes à propos d'un livre donné – mais qui ne sont pas toujours des sottises, ce qui est l'une des forces du livre, l'autre étant l'ironie grinçante, l'humour jubilant de Sarraute elle-même. Le ciment de ses personnages à peine personnes, ce qui les retient ensemble même lorsqu'il voudraient s'extraire du groupe, c'est la peur – c'est du reste moins un ciment qu'une glu – ; peur de ne pas penser et dire ce qu'il convient, et surtout au moment où il convient.

Car Les Fruits d'Or est une manière de triptyque, présentant la vie, la mort, puis en toute fin du livre la résurrection possible des Fruits d'Or. On pourrait aussi lui donner d'autres noms, à ce triptyque, en pensant aux rois des temps obscurs (et revoici René Girard avec ses meurtres rituels !) : Adoration – Sacrifice – Sacralisation ; tout cela bien entendu par les mêmes personnages, qui endossent tour à tour, mais avec un bel ensemble, les différents rôles que leur impose leur non-existence individuelle, leur caractère de foule, mus par la peur et animés du goût féroce de mettre en pièce celui qui aurait le malheur de n'être pas en phase – ce qui se produit parfois, et tout le monde alors est frappé d'une sorte de stupeur vaguement scandalisée et craintive ; les dissonances sont brutales, criardes, mais, toujours sous l'effet puissant de la peur, elles se dissolvent encore plus vite qu'elles ne sont apparues. Je voudrais donner un exemple de ce phénomène, mais il est très difficile d'extraire un passage ou un autre de ce livre sans l'endommager voire le détruire. Essayons tout de même – le passage reproduit se situe au moment de la “mise à mort” des Fruits d'Or (pp. 103 à 105 de l'édition Folio) :


     (…)
     Collés l'un à l'autre, ne faisant qu'un seul corps comme le cheval de course et son jockey, ils s'élèvent, ils planent… « Le petit Pithuit, oui, elle n'était pas mal, celle-là… “L'Étrave”, c'était cela… C'est comme ça qu'il s'appelait, hein, son bouquin ? » Ensemble, sans effort franchissant l'obstacle, ils retombent… « Un véritable pastiche, n'est-ce pas ? Vraiment très mauvais… » Maintenant, mon bon coursier, encore juste ceci pour finir, encore juste cette dernière haie, nous allons la franchir, à nous deux, nous sommes sûrs de vaincre, rien ne peut briser notre élan, allons, encore une fois, pour cette dernière épreuve, en avant : « Et “Les Masques”, de Boully ? Dites-moi, qu'en avez-vous pensé ? » – Boully ? Mais la même chose que vous, sûrement. Il y a là des dons certains. Ce n'est peut-être pas aussi important qu'on le dit, mais… mais… – Oui, je suis entièrement d'accord… J'ai pensé exactement comme vous. Ce n'est pas nul, loin de là. Ce n'est pas quelque chose d'indifférent…
     Maintenant, redressés, tous leurs muscles relâchés, se balançant nonchalamment, de-ci de-là ils se promènent, ils flânent… « Ah c'est bien étrange, ces engouements… ces partis pris, tout à coup, pour n'importe quoi… Cette passion, cet acharnement des gens… Et puis ça se défait, on ne sait trop comment… – Oh, ça se défait… Il faut parfois des années, il faut parfois une ou deux générations… C'est tenace, certaines réputations… Tenez, Varenger, par exemple… Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais sa poésie… »
     Qu'est-ce que c'est ? Que se passe-t-il ? il n'y avait rien pourtant, pas le moindre obstacle à franchir, ni fossé, ni haie, on se promenait au pas en terrain parfaitement plat, et il a buté, voilà qu'il se cabre… « Ah non, là je vous arrête. Halte-là. Non, pour ce qui est de Varenger, ça non. Ses “Méandres” sont un vrai chef-d'œuvre. Alors là, pas de blague, hein ? C'est une merveille. » Le pauvre cavalier, désarçonné, tombe, il est traîné sur le sol boueux, piétiné… « C'est aussi grand que Mallarmé. il n'y a personne aujourd'hui… personne ne lui vient à la cheville… C'est bien plus fort que Valéry… »
     Encore étourdi, flageolant, tout meurtri, il se relève, il court… Arrêtez, ne m'abandonnez pas, voilà, j'arrive, attendez-moi… « Je ne rejette pas tout en bloc, naturellement, je reconnais que Varenger dans ses premiers poèmes… Il a écrit dans sa jeunesse des vers excellents… »
     – Non, pas du tout. Mais absolument pas. Les poèmes de sa jeunesse étaient charmants, mais ceux de sa maturité sont de loin les plus beaux. Toute sa force, toute sa science, c'est plus tard qu'elles lui sont venues. Tenez, je n'ai pas de mémoire… mais ça, par exemple – c'est dans le recueil de Sources – ça, qu'en dites-vous, ça, tenez : Silex furtifs du jour survivant scellant les amphores du ciel. Hein, qu'est-ce que vous en pensez ? Ne me dites pas que cela n'est pas beau. Et cela : Et le feu et l'azur… mm… mm… ma nuit… dépouillent… non… ce n'est pas ça… Non… Voilà… C'est étonnant : Et le feu et l'azur décharnent ma nuit. Tout dans ce recueil admirable est à l'avenant.
     Attendez, je vous suis… On ne peut pas se quitter ainsi, quand on a, dans une fusion si parfaite franchi tant d'obstacles, parcouru ensemble un monde conquis. On ne lâche pas si brutalement son fidèle compagnon… Je ne peux pas supporter de me retrouver seul comme avant, de recommencer à errer sans soutien, titubant, ballotté de tous côtés… Je ne veux pas vous quitter… Vers vous je tâtonne… Voilà, je crois que j'y arrive, j'ai saisi quelque chose, vous êtes là, je vous touche… Et le feu et l'azur décharnent (pourquoi décharnent, mais non, peu importe, ce n'est rien, décharnent – c'est très bien), Et le feu et l'azur décharnent ma nuit.
     Faisant place nette en lui-même, il laisse cela pénétrer : Silex furtifs. Azur. amphores. Feu et ciel. Il suffit de s'abandonner, de ne pas résister, de ne pas se crisper, ce ne sera rien… comme on vous dit quand on vous fait un sondage d'estomac en vous introduisant dans la gorge le gros tuyau de caoutchouc à l'odeur écœurante… ça passera comme une lettre à la poste, vous verrez, ça passe… voilà… Nuit. Azur. Amphore et ciel
     (…)


Le moyen après un tel livre d'oser encore exprimer un avis sur un livre ? Ce serait l'assurance de se retrouver coincé entre les pages de ces Fruits d'Or et d'y discourir pour l'éternité, ou à peine moins. Et c'est pourtant ce que tu viens de faire, pauvre fou.