vendredi 31 août 2012

Dans le labyrinthe


Il est amusant de constater que, lorsqu'un couple de mots très voisins dans leurs orthographes et prononciations – variations souvent dues à des particularismes régionaux – servent à désigner une même chose, et que l' un des membres de cette thébaïde finit par l'emporter sur l'autre, il est amusant de constater, donc, que le second, le vaincu, se réfugie volontiers dans ce monde souterrain du vocabulaire qu'est l'argot. Il en va ainsi, par exemple, mais il y en a beaucoup d'autres, du couple châtaigne/castagne. Déjà, on peut noter que ces mots sont moins différents que ce qu'une oreille contemporaine peut entendre, puisqu'en toute logique on devrait parler d'une châtagne, tout comme il conviendrait d'évoquer les écrits de Michel de Montagne ou les tableaux de Philippe de Champagne ; mais on ne va pas rembobiner tout le film non plus. De la même façon, je ne suis pas certain que l's de castagne se soit toujours prononcé – je suis même enclin à penser le contraire.

L'affaire, évidemment, se complique un peu du fait de cloisons mal étanches au sein de notre doublet, qui font que l'on peut très bien (ou plutôt très mal, si elle est bien assénée) se prendre une châtaigne au cours d'une castagne – c'est même plus ou moins le but du jeu. Et elle se complique encore si la châtaigne, flanquée ou morflée, se transforme en marron, alors même que ce que les marchands de marrons grillés vendent dans leurs cornets ne sont en réalité que des châtaignes, les authentiques marrons étant pour leur part incomestibles. Les adversaires du cheveu coupé en quatre auront beau jeu de nous rétorquer qu'il n'y a qu'à, en matière de grignotage, se contenter de noix et de noisettes. Le problème est que, toujours en langue verte, ces deux mots servent également à désigner les couilles, ce qui ne risque pas d'éclaircir notre horizon. D'autant moins que, s'il arrive que l'on consomme effectivement des couilles, de mouton par exemple, on les désigne alors par d'autres mots ou expressions tels qu'amourettes, frivolités, animelles ou rognons blancs. Quant aux rognons, ils ne sont rien d'autre que des reins ; lesquels, lorsqu'ils nous font souffrir, servent alors à désigner notre colonne vertébrale ou nos articulations de bas du dos. 

Tout cela a l'air un peu compliqué, je l'accorde ; mais c'est qu'en matière de langue, tout fait ventre.

jeudi 30 août 2012

mercredi 29 août 2012

De l'importance gastronomique et cannibale de la virgule


Depuis hier, une affichette a fait son apparition sur l'un des murs de la salle du rewriting. Elle ne comporte que deux phrases, qui sont les suivantes :

Et si on mangeait les enfants ?

Et si on mangeait, les enfants ?

Chacun aura compris que la première a été éructée par un socialiste tenté par le Front de Gauche, cependant que la seconde a été tendrement murmurée par une irréprochable mère de famille catholique aux lèvres purpurines…

mardi 28 août 2012

Méfiez-vous, nos autoroutes ne sont plus sûres !


Ce matin, tous les panneaux lumineux des autoroutes A 13 et A 14, qui d'ordinaire renseignent les automobilistes sur l'état de la circulation et sur la nature de la sauce à laquelle on s'apprête à les accommoder, tous ces panneaux n'affichaient plus qu'un unique et même message, sybillin jusqu'à générer un début d'angoisse. Je vous le livre :

ALERTE ENLÈVEMENTS :
ÉCOUTEZ LA RADIO

J'ai d'abord et immédiatement pensé – vous auriez eu le même réflexe, je n'en doute pas – qu'un ou deux bataillons de gentils gens du voyage avaient soudainement envahi mes autoroutes afin de s'y livrer à leurs habituels kidnappings de petits enfants souchiens activités d'artisanat. Puis je me suis dit que la nauséabonderie n'autorisait tout de même pas de s'abandonner à n'importe quelle paranoïa échevelée, et j'ai tenté de trouver d'autres significations plus plausibles à cette étrange injonction.

Le problème est que je n'en ai trouvé aucune.

lundi 27 août 2012

Les gens du voyage : heureusement Pierrot 13 était là


Nous autres, les va-de-la-gueule nauséabonds, on se fait facilement des idées fausses à propos des gens du voyage. Moi, par exemple, j'ai longtemps cru que “gens du voyage” était synonyme de “touristes” : on m'a fait comprendre que non, que ça voulait dire “romanos”. Bon.

Ensuite, j'étais bourré de préjugés à leur endroit. Con et crédule comme je suis, je croyais dur comme fer ce que disent les gendarmes – quand ils osent l'ouvrir, qu'ils se sentent en confiance, qu'ils ont vérifié l'absence de micros dans les plinthes… –, à savoir que l'arrivée d'une troupe d'encaravanés implique systématiquement une recrudescence des vols et des cambriolages dans la région où ils nous font l'honneur de bivouaquer pour nous faire profiter de leur culture différente. Comme j'étais naïf ! Heureusement, Pierrot 13 est arrivé pour m'expliquer que c'était juste un “effet d'aubaine”.

Qu'est-ce qu'un effet d'aubaine ? C'est le résultat direct de ce racisme viscéral qui nous anime, vous et moi, depuis Clovis et sans doute même au-delà. Que se dit le bouseux souchien lorsqu'il voit débarquer chez lui ce merveilleux peuple venu d'ailleurs ? Que c'est le moment d'aller cambrioler la ferme du Fernand, puisque de toute façon ces salopards de flics vont aussitôt accuser le merveilleux peuple venu d'ailleurs. De plus, il peut y aller en toute tranquillité, puisque, dans le même temps, le Fernand sera en train de voler le Range Rover tout neuf du Mathurin, lequel… etc. C'est ça, l'effet d'aubaine, et c'est franchement dégueulasse de notre part, je trouve.

D'autant plus que, pendant ce temps, le merveilleux peuple venu d'ailleurs, et toujours d'après le merveilleux Pierrot 13 malheureusement d'ici, sue sang et eau pour garder son bivouac “propre, clair et rangé”, comme n'importe quel employé municipal vous confirmera qu'ils sont toujours, et à se livrer à l'activité artisanale qui est sa seule raison de vivre et le fait vivre bien : dix paniers tressés vendus, une mercedes achetée.

Il y a bien, dans l'idyllique tableau brossé par notre Pierrot lunaire, la question de cet “investisseur de la Famille” qui pourrait faire froncer le sourcil à quelque Franchouillard soupçonneux et de mauvaise foi. Mais quoi : on ne va pas se fâcher pour si peu, si ?

dimanche 26 août 2012

Louis-Benoît en est un beau

 Ç'a commencé au téléphone, cet après-midi. J'ai d'abord cru à l'une de ces habituelles publicités d'un “partenaire EDF”. Mais non : c'était Louis-Benoît dans ses œuvres. Il était très colère, Louis-Benoît, et, pour que je le sente bien, il prenait une grosse voix fâchée, le ton martial d'un commissaire politique en uniforme. Il s'est présenté comme suit : « Bonjour, je m'appelle Louis-Benoît Greffe, vous ne me connaissez pas ! » Non, en effet… Puis : « Je suis journaliste ! » Tiens donc…

J'étais moi-même occupé à me dépêtrer des douze mille signes que j'avais à écrire, et peu enclin à babiller. Je l'en avertis : « Faites bref, j'ai peu de temps à vous consacrer, je travaille. » Lui : « Pour France Dimanche ? » Moi : « Ça ne vous regarde pas. » Le décor était donc posé.

Là-dessus, Louis-Benoît m'explique d'entrée de jeu…

(Il vient à l'instant de rappeler deux fois : ce type est fou.)

… d'entrée de jeu, disais-je, qu'il va alerter la HALDE car je me suis moqué des prénoms celtes dans ce billet. À ce stade, je commence à penser à  une blague de socialistes bourrés, en goguette à La Rochelle. Je ne prends pas la peine de lui rappeler que la Halde n'existe plus, j'ai du boulot, mon humeur est moyennement festive.

Quelques minutes plus tard, je puis constater que Louis-Benoît n'est pas une plaisanterie mais un humanoïde raté comme il en existe un certain nombre dans le monde réel et encore plus dans la blogosphère. Il possède un site et il m'a consacré un billet. Citation tronquée, comprenette en berne, délire sur les roues arrière : on sent le type qui a oublié de prendre ses cachets ce matin. L'envie me vient de le présenter à Rosaelle, histoire de les anihiler tous les deux une bonne fois. Je résiste.

Arrivé à l'heure de l'apéritif (car dans l'intervalle j'étais venu à bout de mes douze mille signes et j'estimais que cela valait récompense), reparlant de ce triste guignol, j'ai expliqué à Catherine  qu'il ne faudrait pas me pousser trop pour que je me mette à avoir pitié de Louis-Benoît. J'avais déjà commencé à le voir, pauvre Celte folklorique, allant couper du gui en ample robe blanche au solstice de juin, se cassant la gueule du grand chêne multiséculaire, se coupant avec sa faucille d'or, se plantant avec Falbala et se terminant à la main, celle qu'il ne s'était pas blessée dans le grand chêne. Comme si j'y étais. Et sincèrement désolé pour lui, je prie qu'on me croie.

Évidemment, Louis-Benoît, comme tous les inadaptés, a sa face d'ombre, ses acides gastriques qui lui remontent à la gorge et lui niquent les cordes vocales. Il connaît les mots-qui-tuent : raciste, fasciste, loi, etc. Il s'indigne que personne n'ait encore songé à m'enfermer. Il supplie qu'on lui confie un mirador, et il a raison : tant de bonne volonté inemployée, c'est un vrai gaspillage. Il aurait fière allure, notre Louis-Benoît, en haut de son échelle, sur sa petite plateforme, sa petite mitraillette au flanc droit, à guetter les déviants qui rampent. Même les filles finiraient sans doute par le regarder.

Hélas, vraiment hélas, l'époque n'est pas encore tout à fait mûre pour les Louis-Benoît. il est né trop vieux dans un monde trop tôt. Les miradors ne sont qu'en construction et on n'y a pas encore installé les petits radiateurs électriques qui lui rendraient le séjour en altitude si confortable. Mais ça viendra, mon Louis-Benoît, ça viendra. Prends patience. Les gens comme toi finissent toujours par trouver la place qui leur convient, celle pour laquelle ils étaient faits.

Kenavo, ma poule.

samedi 25 août 2012

« Procrastiner ! », songea-t-il.


Cela faisait bien une heure et demie que je m'expédiais à intervalle régulier des coups de pied au cul, afin de m'inciter à quitter le fauteuil du salon pour venir ici accomplir le travail dûment promis à mes instances supérieures. Mais je ne bougeais pas plus que cela et continuais à lire – mal, car il est assez difficile de se concentrer sur un livre lorsqu'on se prend une pointe de botte dans le fondement toutes les trois minutes. C'est alors que je suis tombé sur ce passage :

« Nous sommes des paresseux… Toujours des ruses pour éviter l'effort terrible, l'affrontement… – Oui, pour différer l'instant où il faudra faire le bond… sauter dans le vide… Je me dis chaque fois : ce coup-ci, c'est fini. Je vais me briser les reins. Et pourtant on a été, n'est-il pas vrai ? instruit par tant d'expériences… On devrait savoir qu'on retombera sur ses pieds… On sait qu'on s'en sort toujours… Mais comme c'est étrange, chaque fois on l'oublie, on repart chaque fois à zéro, en éternels débutants… – Et dire qu'il se trouve des gens pour nous envier… »

Nathalie Sarraute, Entre la vie et la mort, La Pléiade, p. 676.

J'étais fait comme un rat.

vendredi 24 août 2012

Modernœud en ses langes


L'effondrement d'une culture, d'une société, d'un pays, d'un monde, ne se mesure pas au fracas qu'il entraîne. Pour la raison que, généralement, il ne provoque aucun fracas : nous crevons à bas bruit. Qui veut ne rien voir ni entendre le peut fort bien ; mais qui s'inquiète trouve partout des motifs de tristesse. Ainsi, dans le plus récent bulletin paroissial de Pacy-sur-Eure, je tombe sur le carnet des baptêmes, pour la période allant d'avril à juin. Ils sont au nombre de 36. J'y relève les prénoms suivants :

– Charline
– Elyne
– Maelys
– Ambre
– Hayden
– Océane
– Jao
– Kloé
– Noa
– Théro
– Dusan
– Maëlis
– Noah
– Ambre
– Léna
– Louka
– Jade
– Louka
– Alyssa

Je comprends mieux, après ce déferlement de monstruosités modernœuses et télévisuelles, tous ces parents hâtivement grimés en Français qui persistent à nommer leurs enfants Mohammed ou Jamila : au moins, eux, savent-ils ce qu'ils font et qui ils sont. Quant à mes amis réactionnaires et catholiques qui pensent qu'il suffirait, pour tout arranger, de rétablir le christianisme dans sa splendeur et ses droits, ils se fourrent, je le crains, gravement le doigt dans l'œil.

jeudi 23 août 2012

Non, non, non, Saint-Aubin n'est pas mooort ! (Air connu.)


C'est Nicolas qui m'a remis sur sa piste. Évidemment, il a fallu qu'il tombe sur le roman qui comportait “la comète” dans son titre, alors qu'il avait le choix entre dix, même si le site sur lequel je suis arrivé en tapant “Didier Saint-Aubin” dans le moteur de recherches n'en propose que six à la convoitise des foules.

C'était notre fameuse rubrique : L'Année où, sous un faux nom, Didier Goux a failli devenir immensément riche ; mais en fait non.

La voix de la France


J'ai tout à fait conscience, ayant choisi un tel titre, de me livrer à un odieux détournement de texte, bien digne du nauséabond indécrottable que je suis. Mais tant pire, comme disent les enfants. Voici donc :

« Ils entrent sans vergogne, s'installent partout, se vautrent, jettent leurs détritus, déballent leurs provisions ; il n'y a rien à respecter, pas de pelouses interdites, on peut aller et venir partout, amener ses enfants, ses chiens, l'entrée est libre, je suis un jardin public livré à la foule le dimanche, le bois un jour férié. Pas de pancartes. Aucun gardien. Rien avec quoi on doive compter. »

Nathalie Sarraute, Martereau, Bibliothèque de La Pléiade, p. 191.

mercredi 22 août 2012

Longtemps j'ai pris le nom de mes villages


Quand, çà ou là, reparaît dans la blogosphère la pénible discussion récurrente à propos de l'opportunité des pseudonymes, je m'abstiens généralement d'y participer, pour la simple raison que j'ai n'ai pas d'avis sur cette affaire ; pas d'avis tranché en tout cas. J'ai déjà dit que, lorsque j'ai décidé, en février 2007, à l'incitation de Catherine, d'ouvrir mon archéoblog, la question ne m'a même pas effleuré : Didier Goux j'étais, Didier Goux je resterais, aussi bien chez moi que chez les autres, si jamais j'y intervenais (et Dieu sait…).

Il n'en va pas de même dans la presse. Si j'ai signé une poignée d'articles de mon nom, au temps de ma sotte jeunesse, voilà environ trente ans que cela ne m'est plus arrivé. En revanche, j'ai usé sous moi un certain nombre de pseudonymes dont, à l'instar des volcans, certains sont éteints et d'autres en activité.

Sur la barque des morts, on trouve d'abord Marie-Laure Assay. Ce premier-né est apparu vers 1992, lorsque Catherine et moi avons acquis une maison à Beaulieu-sur-Loire, près de Châtillon (également sur-Loire), dans un hameau qui s'appelait Assay. Pourquoi Marie-Laure ? Allez savoir. Je devais trouver amusant le côté transgenre de l'opération, probablement. À la même époque, et suivant un procédé similaire, je devins aussi Didier Châtillon, lorsque, écrivant trop d'articles pour FD, il me fut demandé de varier un peu mes signatures afin que notre brave lectrice étalon ne crût pas que Marie-Laure bricolait son journal à elle seule. Toujours suivant cette alchimie topologique, après que nous eûmes résidé durant trois ans en Basse-Normandie, à Sainte-Scolasse-sur-Sarthe, dans un hameau appelé Le Grais, je devins Didier Le Grais (j'ai reculé au dernier moment devant Édouard de Sainte-Scolasse, qui de toute façon n'aurait pas tenu dans la largeur d'une colonne de journal). On notera  qu'après une brève période de flottement, je me montrai désormais beaucoup mieux assuré de mon sexe – mais attendez la rechute.

(Cette habitude d'enraciner mon pseudonyme du moment dans mes différents terroirs remonte en fait à 1988, lorsque je me suis trouvé à écrire trois romans bassement pornographiques pour GdV. Passant encore, à l'époque, tous mes week-ends de célibataire chez mes parents, à la Ferté, j'avais choisi de m'appeler Didier Saint-Aubin.)

Passons donc aux pseudonymes en activité, tout en sachant que j'ai certainement dû en oublier un ou deux, dans la rubrique précédente, simplement parce qu'ils ont été trop fugitifs pour marquer la mémoire. Par exemple, je suis presque certain de m'être au moins une fois appelé Didier Beaulieu. Mais quand ? Et où ? Impossible de faire remonter ce souvenir-là.

Longtemps j'ai pris le nom de mes villages ; désormais j'emprunte ceux de nos chiens. Comme eux-mêmes sont baptisés à partir des personnages d'À la recherche du temps perdu, on pourrait croire que mes pseudonymes actuels sont proustiens alors qu'en réalité ils ne sont que canins. Lorsque j'écris pour FD, je suis alternativement Didier Balbec et Pierre-Marie Elstir. Dans les faits, MM. Balbec et Elstir n'écrivent pas exactement le même type d'articles, je les distribue donc en conséquence – mais il est inutile d'entrer dans ces détails “de cuisine”.

Quand je travaille pour d'autres publications que celle qui me salarie, je deviens soit Paul-Albert Swann, soit Catherine Bergotte. Là aussi, peut-être plus nettement encore que pour FD, les deux avatars sont parfaitement différenciés. 

Les derniers pseudonymes cités sont également les plus récemment créés. Et l'on voudra bien noter la réapparition, après 20 ans de mise sous le boisseau, de ma part secrète de féminité.


Rajout de deux heures moins le quart : en épluchant le dossier “Lady Di” de FD, je viens de tomber sur un article du 23 août 2002 signé Sergine Duplessis-Hébert. Je l'avais complètement oubliée, cette greluche !

mardi 21 août 2012

Un peu de vanité ne messied pas à l'homme


Connaissez-vous Patrick Mandon ? Non ? Vous avez tort. Si j'en juge à l'aune du bien qu'il dit de moi, ce doit être un garçon délicieux, d'une finesse et d'une pénétration rares. La fausse modestie du blogueur de base aurait dû me conduire à passer sous silence son dithyrambe, mais il m'a semblé qu'un peu de vanité ne messeyait pas forcément à l'homme, pourvu qu'il n'en abuse point (un peu comme le Ricard, en fait). On est donc prié de bien vouloir aller s'extasier une minute ou deux devant ma toute neuve couronne de lauriers.

Sinon, pour illustrer cette annonce furieusement autocentrée, j'ai tapé dans Goux gueule “homme bouffi d'orgueil”. Et il m'est sorti ça. On n'échappe pas à ses malédictions.

lundi 20 août 2012

Rester jeune ou se faire vieux ?


« Oh, lui, il a su rester jeune… Quant à moi, je me fais vieux… » Les deux expressions ont partie liée, chacun le sent, elles parlent de la même chose. Elles parlent de la même chose mais elle ne disent pas la même chose ; elles expriment au contraire deux possibilités radicalement incompatibles, qui s'excluent l'une l'autre. La première formulation induit que la tendance naturelle des gens, leur destin, est de vieillir, que la sénescence est le lot commun auquel se trouve soumise toute personne qui s'y laisse aller ou même qui ne prend pas la peine de s'en aviser ; mais que, par un effort particulier de la volonté, ou une stricte discipline d'existence, certains parviennent à s'extraire du flot général et obtiennent comme récompense – ou punition, après tout – de rester jeunes. La seconde formulation exprime radicalement, et assez étrangement, l'inverse : elle semble dire que la jeunesse ou la maturité sont une sorte de point d'équilibre et que, une fois qu'il est atteint, il suffirait de ne plus faire un geste, de n'avoir plus la moindre initiative nouvelle, de retenir son souffle, pour n'en plus bouger ; mais que, là encore, certains élus, ou damnés, choisiraient de rompre avec cet état et de se faire vieux, un peu comme un acteur se fait la tête du personnage qu'il doit incarner. Dans le premier cas, la vie est perçue comme un courant auquel il serait possible, on ne sait trop comment, ce n'est jamais dit, de résister ; dans le second, elle serait plutôt une sorte de port que certains, à un moment, choisiraient de quitter pour filer vers l'inconnu du grand large. Mais tout cela est peut-être en train de changer, et l'on peut imaginer que, d'ici quelque temps, les ravages de la chirurgie esthétique se généralisant, nos descendants seront confrontés au choix inverse, se faire jeune ou rester vieux.

dimanche 19 août 2012

Sangsues, limaces, et autres bestioles blogosphéreuses


Hier après-midi, commençant de lire le Tropisme XI de Sarraute, je me suis pris à sourire : j'avais l'impression de voir s'esquisser devant moi, en direct pour ainsi dire, une ébauche de portrait de Dame R. ; c'était aussi frappant que réjouissant. Parvenu à l'avant-dernier paragraphe, mon sourire a pris la couleur et l'aspect qui sont ceux de l'herbe du jardin depuis quelques jours : en fait, c'était peut-être bien de moi que Nathalie parlait. Voici ce tropisme :


   Elle avait compris le secret. Elle avait flairé où se cachait ce qui devait être pour tous le trésor véritable. Elle connaissait “l'échelle des valeurs”.
   Pour elle, pas de conversations sur la forme des chapeaux et les tissus de chez Rémond. Elle méprisait profondément les chaussures à bouts carrés.
   Comme un cloporte, elle avait rampé insidieusement vers eux et découvert malicieusement “le vrai de vrai”, comme une chatte qui se pourlèche et ferme les yeux devant le pot de crème déniché.
   Maintenant elle le savait. Elle s'y tiendrait. On ne l'en délogerait plus. Elle écoutait, elle absorbait, gloutonne, jouisseuse et âpre. Rien ne devait lui échapper de ce qui leur appartenait : les galeries de tableaux, tous les livres qui paraissaient… Elle connaissait tout cela. Elle avait commencé par “Les Annales”, maintenant elle se glissait vers Gide, bientôt elle irait prendre des notes, l'œil intense et cupide, à “L'Union pour la Vérité”.
   Sur tout cela elle se promenait, flairait partout, soulevait tout de ses doigts aux ongles carrés : dès qu'on parlait vaguement quelque part de cela, son regard s'allumait, elle tendait le cou avidemment.
   Ils en éprouvaient une répulsion indicible. Lui cacher cela – vite – avant qu'elle ne le flaire, l'emporter, le soustraire à son contact avilissant… Mais elle les déjouait, car elle connaissait tout. On ne pouvait lui cacher la cathédrale de Chartres. Elle savait tout sur elle. Elle avait lu ce qu'en pensait Péguy.
   Dans les recoins les plus secrets, dans les trésors les mieux dissimulés, elle fouillait de ses doigts avides. Toute “l'intellectualité“. Il la lui fallait. Pour elle. Pour elle, car elle savait maintenant le véritable prix des choses. Il lui fallait l'intellectualité.
   Ils étaient ainsi un grand nombre comme elle, parasites assoiffés et sans merci, sangsues fixées sur les articles qui paraissaient, limaces collées partout et répandant leur suc sur des coins de Rimbaud, suçant du Mallarmé, se passant les uns aux autres et engluant de leur ignoble compréhension Ulysse ou les Cahiers de Malte Laurids Brigge.
   « C'est si beau », disait-elle, en ouvrant d'un air pur et inspiré ses yeux où elle allumait une “étincelle de divinité”.

samedi 18 août 2012

Le langage, ce domestique que l'on sonne

Dans une conférence faite au Japon en 1969 et intitulée Le Langage dans l'art du roman, Nathalie Sarraute écrit ceci (pp. 1680-1681 de l'édition de La Pléiade) :

« Contrairement à ce qui se passe pour les autres arts, dont les gens ne s'approchent d'ordinaire qu'avec modestie, avec beaucoup de précautions, dont ils disent : “ Oh moi, vous savez, je ne suis pas connaisseur en peinture… ”, “ Moi, je ne suis pas musicien, je me trompe peut-être… ”, quand il s'agit du roman, qui a-t-on jamais entendu s'exprimer ainsi ? Qui dit jamais : “ Oh moi, je ne connais rien au roman ” ? »

Ce paragraphe porte son âge, si l'on peut dire, car, depuis, la situation s'est aggravée, au moins en ce qui concerne la musique : cette “modestie” dont parle Sarraute a cessé d'avoir cours, il a suffi pour que chacun se sente à l'aise, décomplexé, d'abolir la frontière entre ce qui ressortit à la musique et ce qui n'a que peu à voir avec elle, en dehors des sept notes de la gamme. Il me semble qu'il en va un peu de même avec la poésie, puisque ont été sacrés poètes des Brassens, des Ferré, des Dylan, quand ce ne sont pas Jean Ferrat ou Jim Morrison. On a touillé dans le grand chaudron les musiciens et les musiciens en bâtiment, dans la gamelle voisine les poètes et les versificateurs mirlitonniens. Mais, évidemment, le mal est plus ancien et plus profond dans le cas du roman. Sarraute, comme de juste, en pointe aussitôt la raison principale, et qui est que le romancier se sert du même matériau de base – le langage, la phrase, les mots – que les M. Jourdain que nous sommes, favorisant ainsi la confusion. Elle dit :

« Cette prose, que chacun perfectionne à sa manière, elle ne paraît pas être autre chose qu'un véhicule. Elle ne paraît pas avoir d'existence propre, pas de valeur en elle-même. Sa raison d'être, sa fonction, consiste à transmettre… À transmettre le mieux possible quelque chose qui se trouve en dehors d'elle. Et c'est ce qu'elle transmet qui seul compte. Le langage, lui, s'efface devant ce qu'il est chargé de communiquer. Il se fait le plus invisible qu'il peut – comme un domestique bien stylé. Il est uniquement destiné à rendre service et il ne s'arrête jamais de servir. Et il sert à quoi ? Et à qui ? Eh bien, on le sait, il sert à tout et à chacun. »

Cette idée d'un langage outil dont chacun serait apte à se servir est celle qui a rendu les blogs envisageables, sinon réellement possibles. Entretemps le “domestique stylé” de Sarraute est devenu une sorte de barman débraillé et crasseux. Et l'on voit ainsi des gens, incapables même de savoir par quel bout s'en saisir, de cet outil,  passer outre leur ignorance, simplement parce que ce qu'ils ont à dire, croient-ils, est bien plus important que la manière dont ils s'y prennent pour le faire. En un sens ils ont raison : le plus souvent, en effet, la langue exténuée et informe qui est la leur est bien suffisante pour exprimer leur pensée. On en voit même qui poussent la fatuité jusqu'à faire imprimer le résultat de leurs triturations et en proposer le résultat en “une” de leur petit espace personnel…

Le blogueur n'est même pas un écrivain en bâtiment. C'est un simple imposteur. Nous sommes des imposteurs.

vendredi 17 août 2012

Il ne manque plus qu'un fauteuil à oreilles…


… pour remplacer ce vieux machin exténué, qui a supporté mon quintal durant plus de vingt ans.

jeudi 16 août 2012

La littérature en cornet et en barquette


En dehors de Verhaeren et Simenon, ma connaissance de la littérature belge ferait honte à un marchand de frites à la sauvette. Or, maintenant que je fréquente des Wallons de haute lignée, il ne m'est plus possible de demeurer dans cette ignorance, sous peine de passer à mes propres yeux pour ce que je suis effectivement ; j'ai donc décidé d'y remédier, ou au moins d'essayer. Comme il faut bien commencer par quelque chose, j'ai opté pour deux livres dont les titres ont le mérite d'être déjà connus de moi : Bruges-la-Morte, de Georges Rodenbach, et Le Chagrin des Belges d'Hugo Claus. Toute suggestion autre sera évidemment la bienvenue.

mercredi 15 août 2012

Fraterniser avec des Japonais : assomption personnelle


Qui n'est jamais venu une matinée de 15 août dans la partie “neuve” (on veut dire par là : composée d'immeubles en ruines mais récents) de Levallois-Perret ne peut avoir qu'une idée approximative, tronquée, de ce que sont la misère et le dénuement humains. Même les chauffeurs de bus semblent mendier le chaland, et les moineaux sur les trottoirs ont des langueurs de mouettes. Soudain, dans cette vacuité verticale et immobile, surgissent trois touristes japonais ; ils traversent lentement le tableau minéral, avec une lenteur précautionneuse qui incite à penser qu'ils arrivent directement d'époques très anciennes. Et, tandis qu'ils s'apprêtent à disparaître dans la bouche vide du métro, on décèle au fond de soi une vague envie de les embrasser, un fantasme flou de fraternisation.

mardi 14 août 2012

Un de ces jours, nous irons pisser sur vos droits de l'homme


Quant aux habituels refourgueurs de couches-culottes, 
le goudron et les plumes sont déjà prêts dans nos souillardes.

Divorcer d'avec l'islam : qui va garder les enfants ?


Le parti de l’In-nocence — tandis qu’à Tombouctou le groupe Ansar Dine, maître de la ville, détruit l'un après l’autre, sous les yeux horrifiés de la dite “communauté internationale”, les précieux mausolées censément protégés par l‘Unesco et par leur appartenance officielle au “patrimoine de l’humanité” ; tandis qu’en Tunisie et en Égypte, après les espérances nées des “printemps arabes", s'installent au pouvoir des forces et des personnalités hautement inquiétantes pour les libertés et pour l’État de droit ; tandis qu'en Syrie on en est à douter s'il faut souhaiter le renversement d’un tyran tortionnaire tant l’habitude semble se prendre en ces contrées de remplacer l’exécrable par le pire encore, et tant le sort des malheureux vestiges de la communauté chrétienne inspire d’alarme ; tandis qu'en France une interminable série de pseudo-“faits divers" paraît n’avoir d’autre fin que d’assurer à la ridiculement nommée “diversité” le quasi-monopole de la nocence, de la violence et de l’hyperviolence — estime que de toute évidence l’heure est venue pour tous d’ouvrir les yeux et, les ayant ouverts, d’accepter de voir et même de dire ce qu’ils montrent, à savoir qu’il est urgent pour l’Occident, pour l’Europe et d’abord pour la France, de procéder à un divorce d’avec l’islam en tant que religion, civilisation et communauté. L’heure n’est plus à couvrir le pays de mosquées, ni à faire toujours plus de place, au nom de la “diversité", à ceux qui les fréquentent et diffusent leur vision du monde, mais à prendre ses distances au contraire, par tous les moyens disponibles. Plus que de divorce il doit s'agir d’annulation des liens, d’ailleurs, de séparation si possible à l’amiable, les consentements n’ayant jamais été, et pour cause, clairement exprimés.

lundi 13 août 2012

Die Sommerreise – Conduite accompagnée

De même que mes trajets de printemps furent entièrement accompagnés par Charles Trenet, ceux de cet été le sont presque exclusivement par Franz Schubert, et surtout par ses lieder.

Il m'aura fallu plus de trente ans pour pénétrer dans l'univers des lieder, quels qu'en puissent être les compositeurs. Pour une raison que je ne parviens plus à m'expliquer, ce type de musique, de chant, faisait naître chez moi un irrépressible et tenace ennui. Par bonheur Mahler vint, avec ses Kindertotenlieder portés par Kirsten Flagstad ; je rendis les armes du jour au lendemain. De là, prenant mon temps, calculant soigneusement mon élan, je finis par sauter de Gustav à Franz. Et voilà comment Schubert m'accompagne chaque matin et chaque soir, m'aidant à ne plus voir la profonde laideur des banlieues que l'autoroute effleure.

Juste avant de décoller du Plessis, moteur déjà tournant, au moment du choix, quatre fois sur cinq le mien se porte sur Gundula Janowitz. Voilà près de quarante ans que je suis amoureux de la voix de cette soprano. Je dis “amoureux” dans la mesure où le simple fait de l'entendre suffit à me faire perdre instantanément le peu de sens critique que je puis avoir dans le domaine de la musique. Elle aurait aussi bien pu enregistrer des reprises de Tino Rossi ou de Michael Jackson que j'aurais encore trouvé cela sublime : c'est assez dire à quelle profondeur est enraciné le mal.

J'ai découvert Gundula vers 16 ou 17 ans, dans une œuvre qu'il est de bon ton, je crois, de regarder d'un peu haut et en faisant une petite moue : les Carmina burana de Herr Orff. Dans cet enregistrement, dirigé par Eugen Jochum, il y avait aussi cet étonnant ténor : Gerhardt Stolze, et Dietrich Fischer-Dieskau – ce qui nous ramène aux lieder de Schubert.

Car il m'arrive, pour changer, parce que souvent homme varie, de faire des infidélités à Gundula, notamment avec Mme Schwarzkopf. Mais c'est le plus souvent une expérience en demi-teinte. Car à la culpabilité que je ressens vis-à-vis de Gundula vient s'ajouter l'obligation où je suis de reconnaître que Schwarzkopf est certainement une plus grande cantatrice qu'elle : le syndrome du miroir de Blanche-Neige. Alors, très vite, je reviens vers Gundula.

Parfois aussi, je m'offre un véritable coming out avec Fischer-Dieskau, dont nous parlions à l'instant, quand ce n'est pas avec Hans Hotter, ce magnifique Wotan égaré.

Pendant ce temps, Gundula reste silencieuse, mais pas du tout inquiète : elle sait très bien que je vais lui revenir avant même la fin du voyage. Pour se venger tout de même un peu, elle me regarde de biais, avec une ébauche de sourire, puis elle m'assène : Die Männer sind mechant !

dimanche 12 août 2012

La XC 70 est l'avenir de l'homme (billet de beauf)


Les voies du Seigneur sont bel et bien impénétrables : je l'ai vérifié aujourd'hui. Peu après midi, Catherine est en effet rentrée de la messe la tête toute prise de pensées curieusement profanes et matérialistes, contrairement à ce que l'entraînement liturgique aurait voulu. Elle attaque comme suit :

« Ah, toi qui as toujours adoré les Volvo, j'ai vu un des nouveaux modèles à Pacy : superbe ! Ab-so-lu-ment su-perbe ! »

Je marque un intérêt tout juste poli : s'il est vrai que j'ai toujours adoré les Volvo, il se trouve que mon intérêt pour les voitures est considérablement retombé ces dernières années et que, pour peu que la berline soit confortable et en parfait état, nantie de quelques petits gadgets électroniques pour réjouir le ravi de la crèche qu'il m'arrive encore d'être, je me contente d'à peu près n'importe quoi en la matière.

J'ai d'autant moins frétillé, sur le moment, qu'il y a seulement quelques semaines, alors que nous évoquions le prochain remplacement de notre Mégane, la même Catherine avait été très nette, limite catégorique : « Il n'est pas question que la prochaine voiture nous coûte, par mois, un euro de plus que l'actuelle ! » Et voilà qu'elle me faisait miroiter une XC 70 qui, à l'achat, vaut très exactement deux Méganes. 

Voyant mon peu d'intérêt, et s'en étonnant, elle est alors passée à la vitesse supérieure, ce qui était bien le moins, en m'assénant tout un tas d'arguments destinés à me persuader que cette Volvo, si nous l'achetions, allait être le plus beau jour de notre vie – pour faire mon petit Prudhomme –, et dont le moins fallacieux n'était pas que, les Volvo étant réputées presque immortelles, celle-ci pourrait fort bien, pour peu que nous ayons la sagesse de ne pas mourir trop vieux, être notre ultime voiture.

À ce stade, j'étais déjà moins ferme sur ses principes. Elle n'a plus eu qu'à porter l'estocade en me traînant sur le site officiel de la marque, afin de faire tournoyer le véhicule devant mes yeux, extérieur et intérieur. Actuellement, numéro de téléphone du concessionnaire d'Évreux en poche, j'ai commencé à réfléchir à la meilleure manière de financer un achat qui, je le crains, a déjà pris des allures de certitude.

samedi 11 août 2012

La coïncidence qui jette un froid

Ce matin, cependant que je suais sang et eau sur un long écrit à but lucratif, le congélateur du sous-sol profitait lâchement de ce que Catherine avait mal refermé sa porte pour passer de vie à trépas. Dans un premier temps, une cellule de soutien frigorifique fut diligemment constituée pour les aliments qui s'y trouvaient rangés, lesquels furent transportés jusqu'à la cuisine et entassés comme de vulgaires Roms dans le petit compartiment de congélation du réfrigérateur. Là-dessus, décidant de faire travailler le petit commerce de proximité au détriment des grands monopoles capitalistiques, Catherine descendit chez le quincaillier de Pacy pour y acquérir une nouvelle armoire surgélifère. Elle en revint vers cinq heures, et peu s'en fallut que le livreur ne fût là avant elle, porteur de l'appareil d'un blanc immaculé et tout enrobé de cellophane ou autre matériau approchant. Il ne reste plus qu'à offrir le voyage du retour à nos Roms congelés et ensachés. Lorsque, par pure curiosité, je demandai à Catherine combien nous avait coûté cette plaisanterie, elle me le dit ; et ce ne fut pas sans une certaine mélancolie que je dus me rendre à l'évidence des nombres (la semaine prochaine nous examinerons l'évidence du deutéronome) : le prix de notre nouveau congélateur était exactement équivalent à la pige qui me sera versée fin septembre pour l'article fleuve qui m'a occupé aujourd'hui et que je dois terminer demain. Quelque chose me dit que, lorsque ce sera fait, en fin d'après-midi, une vague envie d'apéritif me surviendra. Et que j'y céderai.

vendredi 10 août 2012

Lire, disent-ils


Ces gens qui affirment profiter de leurs vacances pour lire et qui, tout de suite après, déroulant pour vous la liste des ouvrages qu'ils ont mis dans leurs bagages, vous prouvent qu'ils comptent occuper ces deux ou trois semaines à ne surtout pas lire.

jeudi 9 août 2012

Les angoisses de Gulliver quand s'approche le scalpel


Arrive toujours un moment particulier d'angoisse, dans les romans de Nathalie Sarraute – dans ceux que j'ai lus jusqu'à présent –, où le monde alentour se vide brusquement, où vous vous retrouvez tout seul : personne n'a jamais pris connaissance de ce livre avant vous, c'est pour vous à l'exclusion de tout autre qu'il a été écrit ; vous en êtes non seulement le seul lecteur, mais aussi l'unique objet, le premier et dernier cobaye. Et sans que vous parveniez à comprendre comment s'est opérée la téléportation, vous vous avisez au même instant que vous avez quitté le fauteuil où vous étiez tranquillement assis, pour vous retrouver étendu dos en terre, empêché de remuer par mille câbles et filins minuscules tel Gulliver à Lilliput. L'écrivain est penché sur vous ; c'est une assez vieille dame, déjà. Elle vous regarde avec un sourire compréhensif et même bienveillant, et ce sont précisément cette empathie et cette gentillesse qui le rendent effrayant. Elle vous dit de sa voix égale, presque absente : « Il va falloir creuser encore un peu la plaie… tenter de cautériser, ensuite… mais d'abord fouiller votre blessure… il faut continuer le livre… »

mercredi 8 août 2012

L'homme passé par profil et perte


Depuis hier, lorsque je suis devant mon écran levalloisien, je semble être devenu brusquement étranger à moi-même. C'est-à-dire à ce blog. Si je puis encore créer de nouveaux billets – la preuve –, je ne parviens plus à écrire de commentaires sous eux, pour cause de perte de profil. Quelqu'un a-t-il déjà songé à ce que peut avoir de dramatique et de dérisoire le fait de perdre son profil ? On a glosé à l'envi sur les hommes qui se retrouvent privés de leur ombre, on a bien dû, même, en faire des livres ; mais un profil ? En dehors du côté désagréable, dépossédant, du phénomène, on sent vaguement qu'il y a là quelque chose qui ne va pas : si j'ai effectivement perdu un profil (soit ! je pense être capable de m'accoutumer à cela), il devrait bien me rester le second. Et il me vient des envies de saisir cet ordinateur par ses côtés verticaux, de le secouer un peu, tout en lui présentant ma joue gauche et ma joue droite alternativement :

« Enfin, regarde-moi, Robert (cet ordinateur amnésique se prénomme Robert : je viens de le baptiser à l'instant pour tenter de l'attendrir, de l'humaniser un peu) : je suis toujours le même, quoique amputé d'un profil ! C'est bien moi, ton seigneur et ton servant ! Fais un effort, bon sang de bois ! »

Mais non, rien ; impavide, l'œil borgne et stupide, il n'a même pas un éclair de curiosité pour ma face changée, pour le demi-moi que je lui présente, avec pourtant beaucoup d'humilité et de bon vouloir.

Je ferais peut-être mieux de rentrer à la maison : mon second profil, celui qui est encore opérant, doit bien y traîner quelque part…

mardi 7 août 2012

Les gamineries de Piggy Rosaelle


Dimanche dernier, la doyenne du cabanon nous a pondu un petit billet fort amusant, par lequel elle se lançait dans un parallèle hasardeux entre Marylin Monroe et l'abbé Pierre. Elle faisait tellement mal semblant de connaître quelque chose à propos de l'actrice que j'ai eu pitié d'elle et lui ai fait remarquer que Marylin s'appelait en fait Marilyn. Il s'agissait de lui éviter au moins les plus grosses ornières du ridicule, n'est-ce pas. Naturellement, comme je suis un “fascisant voire presque nazi”, cette brave gardienne de troupeaux progressistes s'est empressée de jeter mon commentaire d'une ligne à la poubelle : que, surtout, ses chéris lecteurs ne soient pas contraints de lire de telles abominations.

Mais, quand même, en douce, peut-être en priant pour que personne d'autre que moi n'ait eu le temps de remarquer son inculture, elle est vite allée corriger ses Marylin en Marilyn.

C'est bien… ça…

Un excellent moyen pour découvrir l'univers de Nathalie Sarraute, si comme moi on a lambiné jusqu'aujourd'hui pour ce faire, c'est de regarder sa pièce, Pour un oui ou pour un non, filmée par Jacques Doillon et mettant en scène ces deux comédiens remarquables (et ici vraiment remarquables) que sont Trintignant et Dussollier. L'argument en est simple : deux amis de longue date et très proches l'un de l'autre – ceux qui les connaissent les voient souvent “comme deux frères” – se retrouvent chez l'un d'eux. Le second est venu voir son ami pour essayer de comprendre pourquoi, depuis quelque temps, il semble s'être éloigné de lui. Au début, celui chez qui l'on se trouve refuse de dire ses raisons, ou plutôt sa raison, car il pense n'en avoir qu'une. Finalement, il passe aux aveux : les coupables, ce sont les mots ; quatre petits mots, un jour prononcés par son ami suivant une certaine intonation : « C'est bien… ça… ». C'est la première lézarde que nous voyons apparaître entre eux. Ensuite, tout va se déliter implacablement, une violence sous-jacente va s'installer, croître, tout envahir. Et ces deux amis, ces deux “comme des frères”, une heure après le début de leur réunion, vont se découvrir ennemis jurés, pantelants, vides, désarticulés. L'écriture de Sarraute, ici, agit comme un scalpel, mais presque au sens littéral du terme : on croit voir se multiplier les lacérations sur les deux visages de Trintignant et Dussollier ; lesquels sont, je le redis, prodigieux. Et, la pièce achevée, on se prend à songer au massacre de ce texte auquel pourraient se livrer deux acteurs qui seraient simplement honnêtes.

samedi 4 août 2012

Nous prendrons le chemin, nous prendrons notre enfance

Mes parents en juin dernier, lors du dîner de mariage de ma sœur Isabelle, qui se trouve être aussi leur fille.
Après une soirée passée hier avec deux Alsaciens précieux, nous nous métamorphosons aujourd'hui en Ardennais jusqu'à lundi. Comme le veut désormais la coutume, nous ferons une rapide escale à Rethel pour y faire emplette de boudin blanc ; et, comme le reveut la même coutume, nous irons très probablement nous faire offrir une tasse de café en Belgique, chez Messire Yanka, discret seigneur de la province de Luxembourg. D'ici notre retour en terres pacéennes, la boutique restera ouverte, mais j'ai trouvé plus sage de mettre les alcools sous clé.

vendredi 3 août 2012

François-René à l'œil-de-bœuf

Au livre cinquième de ses Confessions, qui correspond à sa vingtième année et aux quelques suivantes, Jean-Jacques Rousseau parle des petits concerts qu'il organisait chez Mme de Warens (qu'il appelle Maman : du bon gibier de psys, ce Jean-Jacques…). À cette occasion, il évoque la figure d'un moine cordelier, le père Caton, très faufilé avec la bonne société de Chambéry. Il dit ceci :

« Ces soupers étaient très gais, très agréables ; on y disait le mot et la chose ; on y chantait des duos ; j'étais à mon aise, j'avais de l'esprit, des saillies ; le P. Caton était charmant. Maman était adorable, l'abbé Palais, avec sa voix de bœuf, était le plastron. Moments si doux de la folâtre jeunesse, qu'il y a de temps que vous êtes partis ! »

Est-ce qu'on ne croirait pas, à cette dernière phrase du paragraphe, entendre déjà Chateaubriand s'agiter dans ses limbes, et même passer timidement la tête par le vasistas pour tenter de s'inviter au concert ?

jeudi 2 août 2012

PACA, yfaukon


Donc, le gouvernement désire que l'on construise davantage de logements “sociaux” (inépuisables délices de l'euphémisme modernoïde…), que l'on en construise partout, principalement chez les petits chanceux qui n'en étaient point encore affligés ; et, bien entendu, que l'on punisse lourdement ceux qui auraient l'inconscience de se rebeller face à cet impératif de vivre-ensemble, à cette joie du mélange-pour-tous. On dirait d'un médecin qui conseillerait de disséminer dans l'ensemble de la population les porteurs de virus, de manière à ce que tout le monde soit atteint mais d'une façon en quelque sorte diluée : maladie générale, mais maladie light.

Bien entendu, j'ai parfaitement conscience que l'existence d'un parchemin vieux de deux siècles, intitulé Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, nous fait obligation de loger correctement toute personne qui, partant d'un point ou un autre du globe, fait l'effort de venir jusqu'à nous, de pousser la porte (qui reste de toute façon ouverte jour et nuit : on n'est pas des sauvages) et d'entrer, avant de poser les questions fondamentales, constitutives de tout être humain : Quand est-ce qu'on mange ? Où est ma chambre ? À quelle heure passe le toubib, rapport à mon arrêt-maladie ? Oui, je sais tout cela et suis prêt à m'y plier de bonne grâce, vu que j'ai été, comme tout un chacun, considérablement droit-de-l'hommisé quand j'étais petit.

Mais c'est cet éparpillement forcé et obligatoire que j'ai du mal à comprendre, dans la mesure où il ne semble souhaité par à peu près personne du côté des déjà-là, et sans doute encore moins chez les coucou-j'arrive. Ce qu'il faudrait, au contraire et à mon sens, c'est regrouper tous nos frères exotiques en une seule province, que l'on découperait exprès pour eux, comme nous le fîmes avec la Normandie pour les grands crétins blonds fraîchement débarqués de Copenhague, il y a un bon paquet de lurettes.

Ouiméou ? allez-vous objecter. La réponse va presque de soi : la région dite “PACA” me paraît tout indiquée pour devenir notre future province sociale, notre précipité de diversité, notre belle et inédite expérience de vivre-à-part. D'abord parce qu'elle a un nom à chier. Ensuite parce que le travail est déjà presque accompli, l'achever se fera donc à moindre frais : on n'aura qu'à rapatrier à la hâte les vingt-cinq ou trente pour cent de lepénistes qui s'accrochent encore à leurs canebières et à leur croisettes, on leur appliquera le traitement qui fut celui administré en leur temps aux pieds noirs, et tout sera dit. Quant à ceux des autochtones qui auraient le front de s'accrocher à leurs fronts de mer, on laissera les nouveaux maîtres s'occuper de leur avenir : nul doute qu'ils n'auront bientôt plus le choix qu'entre le TGV et le cercueil.

On laissera tout cela mijoter quinze ou vingt ans. Puis, lorsque la nouvelle province sera totalement ruinée et en proie à de graves dissensions ethniques qui la rendront aussi faible et exposée qu'un bébé vagissant, on jouira du spectacle de la voir conquise et colonisée par Monaco.

Mais je sais bien qu'une fois de plus personne ne va m'écouter.

mercredi 1 août 2012

Tout à l'heure, j'ai foutu Sartre à la poubelle


Et la Beauvoir avec, tiens ! Jusqu'à maintenant, et c'était bien normal, ils étaient ensemble, bien serrés, sur l'une des étagères qui fait face à la porte de la Case. À première et rapide estimation visuelle, ce couple de guignols devait bien en occuper soixante-dix à quatre-vingts centimètres : trop, beaucoup trop, en une période où les nouveaux arrivants commencent à s'entasser tant bien que mal, dans des conditions ignobles. Je devrais financer des sortes d'étagères sociales, pour les loger dans la dignité, mais je n'ai plus la place de les installer. Donc, Sartre et Beauvoir : poubelle ! Pour faire de l'air aux petits nouveaux – lesquels sont parfois aussi de grands anciens, arrangez-vous avec ça.

En réalité, ils n'ont pas vraiment été jetés à la poubelle, mais simplement descendus dans les profonds placards du sous-sol, où plus personne n'ira jamais les rechercher : pis que la mort violente de la poubelle, peut-être. C'est là aussi que vont très prochainement finir mes œuvres complètes d'écrivain en bâtiment, puisque je suis désormais retraité (sans solde…) de cette noble profession. Là, ce seront bien deux mètres “de linéaire” qui seront gagnés sur l'asphyxie par surpopulation.

Mais, en réalité de réalité, Sartre ni Beauvoir n'ont pour l'instant bougé de leur bibliothèque, car j'ai simplement prévu de les descendre à la poubelle au placard. Un de ces jours. Là, je n'ai vraiment pas le courage.