Petit texte déjà ancien, que je vous remets car j'ai la faiblesse de l'aimer bien…
C'est tout à fait machinalement que
je me suis approché de l'une des cinq fenêtres qui, de ce bureau,
donnent sur la rue Anatole-France et la petite place du Maréchal-Juin.
C'est rouge pour les piétons et, nonobstant, j'avise une dame très
vieille et très branlante, affligée d'un panier à roulettes qu'elle
semble traîner en laisse derrière elle comme un cador rétif, faisant
mine de s'engager sur le passage dit protégé, tout luisant de la pluie
qui vient de choir. « Madame, halte donc ! Vous allez vous faire mettre en
pièces ! » fut mon cri intérieur. Peut-être l'entendit-elle car elle
s'arrêta aussitôt. Puis le petit bonhomme piéton se mit au vert. Un
groupe de quatre ou cinq jeunes cadres probablement idiots s'engagea résolument sur
le passage sans s'occuper de rien ni de personne, ridiculement alertes,
pompeusement assurés de leur droit à l'existence. Ma grand-mère d'un
moment les suivit à petits pas, bien lentement et avec un fort tangage
latéral. C'était si mal engagé, sa traversée d'Anatole, que l'autre
trottoir semblait s'éloigner. Finalement, ce fut un jeune noir, fringues
de racaille et téléphone vissé à l'oreille, qui, après s'être penché
sur la sienne, d'oreille, prit le bras de l'aïeule afin de la faire
traverser.
Quand
ils eurent tous deux disparus de ma vue, j'eus l'impression que le clin
d'œil du géant vert Cételem, sur l'immeuble en face, était nettement
plus ironique que d'habitude et qu'il s'adressait à moi seul.
Vous êtes en cure d'antinausébonderie ?
RépondreSupprimerOu alors vous pensez que le téléphone a été volé à un cadavre ?
Je ne pense plus : il fait trop chaud. Heureusement, comme je suis journaliste, ça ne nuit nullement à mon travail…
SupprimerComme une belle version levalloisienne de la parabole du Bon Samaritain (d'ailleurs au menu de ce 15e dimanche du temps ordinaire (mais est-ce un hasard ?)).
RépondreSupprimerLe Bon Samaritain n'a plus de parabole, mais le câble.
SupprimerBen alors, le bon saint Maritain, le blond Saint Marie teint ou quoi ? Je ne m'y retrouve plus, Didier.
SupprimerAlors on a le droit de refaire la même (mauvaise) blague : qui vous dit que le Noir serviable ne lui a pas soutiré discretos son porte-monnaie, à la petite vieille, hein ?
RépondreSupprimerDans la mesure où je ressers cyniquement de vieilles tambouilles réchauffées, vous auriez tort de vous gêner !
SupprimerQui vous dit que la vieille n'en a pas profité pour piquer au Noir son téléphone portable?
RépondreSupprimerCette fois, c'est moi le prem's.
SupprimerCela ressemble beaucoup à ces expériences scientifiques du comportement :
RépondreSupprimerLes individus en groupe ignorent les autres, ou sont surtout attentifs à eux mêmes (propos, écoute...).
Tentez l'expérience avec qq amis : je vous garanti que vous serez incapable de dire le nombre de jeunes noirs isolés que vous aurez croisé ...
Amike
C'est une idée ou vous avez changé la photo ?
RépondreSupprimerGeneviève
Tiens,il me semble que l'image illustrant ce billet moral a changé depuis hier.
RépondreSupprimerRéponse groupée : apparemment, il pouvait y avoir des problèmes de droits, avec la précédente…
SupprimerSinon, ce n'est pas un billet moral, mais une "Chose vue"…
J'aime bien ces photographies en mots. J'en voudrais tous les jours.
RépondreSupprimerHélas, depuis que j'ai un petit bureau individuel, mes fenêtres donnent sur un jardin privé : pour le calme, c'est parfait, mais pour les scènes pittoresques…
Supprimerla vieille attrapa le noir, le flanqua parterre , lui tordit le cou. Madame la vieille , qu'avez vous fait là, vous avez commis un crime, un assassinat.
RépondreSupprimerJe suppose qu'une des motivations qui vous a fait écrire ce billet est la surprise que vous avez eue de constater que ce jeune noir, à priori rebelle, non-éduqué et irrespectueux a pris en charge cette personne âgée, alors que les cinq jeunes cadres de votre récit, qui selon vos critères étaient supposés avoir reçu une éducation, un enseignement de valeurs telles que l'entraide, n'ont pas porté la moindre attention à l'aïeule en difficulté.
RépondreSupprimerEn réalité, il n'y rien de très surprenant dans cette histoire si ce jeune noir a été élevé dans une famille africaine aux valeurs traditionnelles.
En effet le respect des anciens y est primordial, et pas seulement des siens, mais de ceux de la communauté tout entière.
En Occident il y a de nombreux vieux qui attendent de mourir dans des maisons de retraite, sans recevoir beaucoup d'attention. En Afrique, c'est beaucoup plus rare, ou alors faut-il que ces anciens aient perdu toute famille.
Ceux de la communauté noire, bien entendu.
SupprimerLa suite.... (ça ne passe pas d'un seul coup)
Supprimer*
Certains répondront : le féminisme ! Il est vrai que nous devons à cette avancée de la conscience universelle quelques désagréments mineurs, comme la disparition de la galanterie et l’accession des femmes au statut « d’homme comme les autres », buvant, fumant, portant des jeans et disant des gros mots. Mais s’agissant de notre affaire, c’est une fausse piste. L’objet de notre stupeur n’est pas tant la muflerie spécifique à l’égard d’une femme que l’inhumanité à l’égard d’une personne faible en difficulté. Mais alors, de quoi s’agit-il ? Je ne vois qu’une réponse : les populations immigrées ne viennent pas seulement d’ailleurs. Elles viennent du passé. A ce titre, elles ont encore une religion, c'est-à-dire une morale collective qui enseigne l’obligation de s’intéresser personnellement au sort d’autrui. C’est dire, identiquement, qu’elles arrivent de contrées où n’existent ni le consumérisme, ni l’Etat social. Autrement dit de contrées où l’individu a autre chose en tête que les injonctions narcissiques formulées jour et nuit par le marketing, et n’a pas définitivement renvoyé le souci d’autrui (ni le devoir de s’en protéger quand il est nuisible) à des entités anonymes et lointaines qui l’exonèrent de toute sollicitude concrète comme de tout effort personnel. On pourrait ramasser l’ensemble de ces constats en disant que les populations immigrées sont issues de sociétés traditionnelles. L’expérience du métro permet de créer un effet de contraste saisissant entre ces dernières et la société moderne parvenue à son stade ultime de développement. Tout se passe comme si les bornes les plus élémentaires de la moralité avaient été arrachées par le double mouvement d’émancipation de l’individu et d’étatisation de la solidarité. Derrière les proclamations dégoulinantes de l’humanitarisme, et sous le couvercle d’un appareil social tentaculaire qui dispense les bienheureux contribuables de prêter la moindre attention à l’existence d’autrui, tous les ressorts de la décence humaine ont été détruits, laissant une société d’atomes veules et sans morale. Tant que les systèmes sociaux subsisteront, cette société continuera de se targuer à la face du Monde de sa prétendue supériorité. Mais lorsque l’impasse financière aura conduit à la ruine ces divers dispositifs de bonté par procuration, alors la société libérale se donnera pour ce qu’elle est : un monde de chacals.
La vie des hommes y sera, comme dans l'état de nature de Hobbes, et pour reprendre les propres mots du grand Anglais : « solitary, poor, nasty, brutish and short. »
Mad Max, nous voilà !
J'ai observé la même chose, pendant plusieurs semaines, dans le métro parisien. J'en ai tiré la petite réflexion suivante :
RépondreSupprimer*
L’ « état de nature », comme chacun sait, n’était pas une hypothèse historique. C’était la description de ce que l’homme doit devenir dans le monde libéral. Ce n’est pas une origine, mais un terme. Or, nous y sommes. Après trois siècles de déroulement du programme moderne, l’homme commence à ressembler au solitaire égoïste des théories libérales. « L’orphelin célibataire » dont parlait Taine. Pour vous en rendre compte, faites une expérience très simple : promenez-vous dans le métro d’une grande ville occidentale –-par exemple à Paris- avec une femme enceinte de huit mois, à une heure d’affluence. Observez. Voici ce que j’ai relevé : parmi les dizaines de passagers présents à chaque fois dans le wagon, seules les personnes immigrées -en l’occurrence maghrébines ou noires- se lèvent pour lui laisser leur place, voire demandent à une personne assise de le faire (geste d’altruisme encore plus grand, à mon avis). Pas un seul blanc, –fille ou garçon, jeune ou vieux, cadre dynamique de la Défense ou étudiant à Nanterre- ne fait le moindre geste –sinon celui de détourner le regard ou de se plonger dans la consultation compulsive de ses diverses prothèses électroniques. Au-dessous de quarante ans, au demeurant, la plupart ont les yeux perdus dans le vague, les oreilles couvertes par de gros écouteurs qui fournissent à leur paisible ignorance d’autrui l’alibi d’une cause matérielle –et à leur encéphale les bénéfices d’une progressive liquéfaction. Peut-on concevoir démonstration plus éclatante de notre effondrement moral ? Cette petite expérience met en évidence l’existence, au sein de ce qu’on hésite à nommer encore notre « société », d’un égoïsme absolument monstrueux. Ce n’est pas là une interprétation biaisée des faits : comment nommer autrement le fait pour un être humain adulte et conscient de rester indifférent au sort d’une femme visiblement fatiguée, portant sur son ventre le poids d’un enfant à naître ? En dehors d’une subite cécité, je ne vois qu’un égoïsme radical, un égoïsme tranquille, total, sans remords ni conscience, un égoïsme comme l’humanité n’en a sans doute jamais connu dans toute son histoire. Un égoïsme qui nous ramène en deçà même des instincts altruistes que l’évolution darwinienne, se vrillant sur elle-même, avait réussi à sélectionner comme favorables à l’existence de notre espèce. Jusqu’à présent, seul quelques délires idéologiques passagers ont pu conduire des êtres humains à ne pas porter assistance à une femme enceinte. Mais cela n’a jamais été, sous aucune latitude, le comportement normal, régulier, quotidien. Mais alors, dira-t-on, pourquoi les immigrés font-ils exception ? Et que nous est-il arrivé de spécifique qui n’a pas eu lieu chez eux ?
Demander à quelqu'un d'autre de se lever pour laisser sa place, c'est une manifestation d'altruisme ? Vous plaisantez, j'espère ?
SupprimerC'est l'altruisme à la française, un peu comme le socialisme à la française, qui consiste à être généreux et solidaire avec l'argent... des autres.
Quant à votre témoignage, d'autres personnes ont des expériences diamétralement opposées, à savoir que l'occupation des places dans les transports en commun (et ailleurs, évidemment) fait l'objet, comme tout le reste, d'une guerre ethnique.
Je ne crois donc pas une minute à votre tableautin idyllique d'une Afrique d'où viendrait notre régénérescence morale.
Quant à la prétendue révérence des Africains et des musulmans envers les vieux et les faibles, c'est possible : mais il s'agit de leurs vieux et de leurs faibles.
Il y a d'innombrables témoignages pour montrer qu'au contraire, les immigrés africains et musulmans en Occident s'attaquent, de la façon la plus sauvage et la plus lâche qui soit, de préférence aux vieux, aux femmes, aux handicapés et même aux bébés.
Je veux dire les nôtres. Préserver ses femmes, ses vieux, ses bébés, ses faibles, et s'attaquer à ceux des autres, c'est la définition du génocide. Et c'est bien ce qui est en train de se passer.
Le fait que vous ayez eu la chance que certains immigrés se soient levés pour laisser la place à votre femme pèse de peu de poids dans la situation d'ensemble.
D'ailleurs, cette guerre ethnique est officielle. Dans les pays le plus "antiraciste" du monde, du moins officiellement, j'ai nommé les Etats-Unis, le ministre de la Justice noir du président noir Obama (qui devait apporter la concorde "post-raciale" à l'Amérique) a déclaré qu'en tant que ministre de la Justice noir, il avait un lien de solidarité avec les criminels noirs.
Qu'il est censé combattre et punir. La preuve ici :
http://pjmedia.com/jchristianadams/2013/07/12/whats-in-holders-wallet-his-real-race-card/
Au fait, j'espère que vous êtes blanc et européen, ainsi que votre femme. Sinon, votre témoignage n'aurait aucune signification, voire voudrait dire l'inverse de ce qu'il paraît.
Eh oui, nous en sommes rendus là. Il va désormais falloir préciser son origine ethnique avant d'intervenir dans un débat politique. Voilà les conséquences du multiculturalisme.
Je ne comprends vraiment pas par quelle aberration vos deux commentaires apparaissent en ordre inversé !
RépondreSupprimer(Cela étant, la prochaine fois, faites l'effort de les signer…)
Navré de ce désordre.
SupprimerA vrai dire, moi non plus, je ne comprends pas. Apparemment, il eût fallu que je les postasse dans l'ordre inverse, chose contre-intuitive.
Mon nom est Frédéric Becquérieux.
Oui, c'est possible, encore que cela m'étonne. Enfin, cela reste lisible malgré tout. Et puis, il n'est pas mauvais que mes lecteurs soient de temps en temps tirés de leur somnolence par ce genre de petits exercice d'agilité intellectuelle…
SupprimerPas mal votre commentaire, Fred. Bien écrit (un peu alambiqué peut-être) ; assez proche de la pensée de Michéa. J'adhère jusqu'à un certain point : vous parlez des immigrés en général, qui seraient les seuls à avoir conservé des réflexes humains, mais il faudrait préciser deux choses :
RépondreSupprimer- moi qui vis à la campagne, je peux assurer que ces réflexes y sont le fait de 95 % de la population française de souche. Ce que vous dites ne vaut donc que pour la grande ville (il est vrai que l'exemple du métro l'impliquait).
- j'imagine d'autre part qu'un certain nombre d'immigrés, au lieu de laisser leur place à la dame enceinte, seraient tout à fait capables de lui donner des coups de poing. Il ne faut pas idéaliser toute une population immigrée qui n'existe pas comme catégorie sociale pure (les Noirs ne sont pas les Jaunes ni les Arabes, etc.). Dans ma campagne c'est différent, il y a une vraie homogénéité, et même les différences de classes sont peu marquées dès qu'il s'agit de rendre service.
Vos populations immigrées sont quand même issues, pour certaines, de pays où la violence atteint des records, comme en Guinée tout récemment. On y égorge et brûle vif pour le plaisir, ou presque. On me dira que l'Européen a su se montrer fort cruel lui aussi, et je n'en disconviens pas, mais je préfère passer mes vacances en Creuse plutôt qu'en Afrique profonde, allez savoir pourquoi. De gros préjugés ?
Autrement dit, votre description du Blanc urbain et rendu inhumain (par les causes que vous citez) me convainc tout à fait, mais celle du gentil immigré toujours prêt à laisser sa place, beaucoup moins. On n'a pas dû fréquenter les mêmes métros. Mettre cette civilité sur le compte de la religion, pourquoi pas, sauf que dans ma campagne elle joue un rôle très modeste, tandis que dans les banlieues bigarrées elle n'est pas toujours, loin s'en faut, symbole de paix, d'amour et de tolérance.
Puisqu'il convient de décliner son identité raciale, je le fais bien volontiers : non seulement je suis un Français tout ce qu'il y a de plus leucoderme, mais ma femme est asiatique, c'est à dire de l'ethnie la plus spontanément détestée de nos envahisseurs -le jaune étant un hyper-blanc. Et un hyper-blanc qui se défend, gros défaut au pays des droadlômes !
RépondreSupprimerCela dit, je suis d'accord avec Marco Polo : le réalité est complexe; mes quelques remarques valent à l'intérieur d'une grande ville, où les blancs sont largement dégénérés et où les étrangers, arrivés depuis peu (je parle grosso modo des gens qui nettoient les cabinets des premiers), sont encore un peu tradi (ce qui n'implique d'ailleurs pas qu'ils soient nos "amis"). Je me suis tenu à relever un fait qui m'a frappé dans les récentes semaines, et qui montre que nous sommes pris sur deux fronts.
FB
Un dernier mot, cette fois-ci pour répondre à M.Marchenoir sur un point précis : je maintiens que le fait, pour quelqu'un qui se trouve debout, de demander à un mufle qui ne l'a pas fait spontanément de se lever pour céder sa place à une dame constitue un acte d'altruisme peut-être encore plus grand (sous l'aspect du courage qu'il suppose) que le fait de laisser sa place quand on est assis. Ce genre de geste est extrêmement rare, car il suppose de prendre sur soi la difficulté d'autrui et de risquer, à sa place, d'essuyer la mauvaise humeur et la rebuffade du malotru. Pour moi, cela ressemble, mutatis mutandis, au fait d'intervenir pour empêcher une personne d'en importuner une autre. C'est une sortie de l'indifférence plus difficile que le fait de se montrer simplement poli. Et je ne dis pas cela pour donner des leçons. Je dis que c'est difficile, parce que j'ai du mal à le faire. Par manque de courage. Quand je vois une mémée, je lui laisse ma place si je suis assis; c'est facile. C'est une autre paire de manches, quand on est debout, de prendre en charge la mémée et d'aller déloger un gros con pour la faire asseoir.
RépondreSupprimerMais je me rends compte que mon texte n'était pas assez explicite. On pouvait sans doute comprendre que je préconisais de demander à quelqu'un de se lever, alors qu'on est soi-même assis. Ce qui est évidemment absurde.
Frédéric Becquérieux