« Mon sort est-il donc de passer ma vie entre des légitimistes fous, égoïstes et polis, adorant le passé, et des républicains fous, généreux et ennuyeux, adorant l'avenir ? Maintenant, je comprends mon père, quand il s'écrie : « Que ne suis-je né en 1710, avec cinquante mille livres de rente ! »
Stendhal, Lucien Leuwen, Folio, p. 171.
Moi-même, à l'instar de M. Leuwen père, je n'aurais rien eu contre le fait de naître en 1710 avec cinquante mille livres de rente ; à la condition non négociable de mourir au plus tard en 1788, afin de ne pas voir la démence s'abattre sur cette France que j'aurais probablement beaucoup aimée, sans cesser de la fustiger jamais, néanmoins.
Rouvrir n'importe lequel des romans de Balzac, c'est revenir chez soi après une absence plus ou moins longue : l'œil reconnaît instantanément les meubles et les objets qu'il a laissés en partant, l'oreille se réjouit d'entendre fidèlement gémir la quatrième marche de l'escalier menant aux chambres, la narine s'épanouit de l'odeur d'encaustique et de poussière humide, etc. Faire la même chose avec un livre de Stendhal s'apparente chaque fois à une découverte, à une surprise aussi forte et intacte que si l'on n'était jamais venu. Cette écriture rapide, vive, ces embardées de la syntaxe, ces haussements d'épaules du style, on jurerait qu'ils ont le brillant de l'inédit ; et c'est tout juste si l'on ne sent pas monter des pages comme un ténu parfum d'encre fraîche. – Il va de soi que je n'édicte pas une règle et que ce phénomène ne vaut que pour moi ; mais pour moi il ne manque jamais de se produire, dans un cas comme dans l'autre. Cela tient peut-être à ce que Balzac aime les maisons dont il est le bâtisseur, au point de s'y contenir tout entier, de devenir elles ; cependant que Stendhal semble toujours prêt à s'en extraire avec une certaine impatience rageuse, à leur tourner le dos pour aller ruer plus loin, à l'air libre : pour celui-là les murs abritent et recèlent, pour l'autre ils enferment et contraignent. Et on ne verrait pas, je crois, un personnage de Balzac soupirer après l'année 1710 et la rente qu'il rêve de voir aller avec : les deux pieds campés dans la boue XIXe siècle, il y plongerait aussi les bras pour tâcher d'en faire sortir de l'or ; il y parviendrait ou non, selon l'intensité de son désir et la somme des forces qu'il ferait tendre vers ce but.
Vivre de 1650 à 1725 ( avec même seulement dix mille écus de rente --payés de préférence) me semble préférable.
RépondreSupprimerPar ailleurs, je cherche une référence. Dans l'un de ses "journaux", (égotisme, brulard etc. ) Stendhal raconte avoir vu , étendu sur le pavé, le cadavre d'une victime d'un accident de fiacre, et commente :
"C'est ce que M. Hugo appelle "baigner dans son sang.".
Où cela peut-il être ?
Enfin, cette suite des Paysans avance-t-elle ? Ou n'est ce, hélas, qu'un rêve ?
Pour l'anecdote, je ne sais plus, même si en effet, elle m'est vaguement familière.
SupprimerEn ce qui concerne les Paysans, ils sont plus ou moins en jachère…
C'est dans son Journal, daté du 6 avril 1834.
Supprimer"Jeune fille assassinée à côté de moi. J'y cours, elle est au milieu de la rue ; à un pied de sa tête un petit lac de sang d'un pied de diamètre. C'est ce que M. V[ict]or Hugo appelle être baigné dans son sang." (Pléiade, OEuvres intimes II, p. 191)
Merci !
SupprimerAh ! ce n'est pas sur les blogs de gauche qu'on trouverait des commentateurs aussi cultivés et toujours aussi prêts à rendre service !
SupprimerIl se trouve que je m'intéresse à Stendhal. Et puis j'aime bien les devinettes. Voilà un écrivain difficile à classer : à droite ou à gauche ? Ni l'un, ni l'autre, je pense. Ce genre d'étiquetage l'ennuyait. Il n'aimait pas son époque et aurait aimé vivre ailleurs et en des temps meilleurs. En Italie, pendant la Renaissance, peut-être. Quand les passions humaines étaient plus intenses.
SupprimerComme il disait : "Le grand inconvénient de la civilisation, c'est l'absence de danger."
Compte tenu de l'insécurité qui règne en France à l'heure actuelle, ce genre d'inconvénient devrait disparaître d'ici peu.
Sébastien : si je peux me permettre de vous donner un conseil, laissez tomber ce bon vieux Stendhal qui n'a plus besoin de fans sadiques tel que vous. Parce que, sic :" Voilà un écrivain difficile à classer : à droite ou à gauche ?"...
SupprimerIl est déjà mort, foutez-lui la paix, bordel !
Je n'y peux rien si la politique est omniprésente dans les romans de Stendhal. Et aussi dans son oeuvre non-romanesque.
Supprimer"Chez nul autre romancier, à part Balzac et Hugo qui partageaient sa conception du roman total, on ne trouve autant de personnages politiques, chefs d'Etat, ministres, chefs de cabinet, diplomates, conspirateurs, carbonari, prélats, le pape lui-même. Dans ses notes et récits de voyage, Stendhal compare fréquemment les divers régimes politiques en Europe, français, anglais, italien." (Dominique Fernandez, Dictionnaire amoureux de Stendhal)
Par conséquent, on a le droit de s'interroger sur ses opinions politiques. C'est vous, Martin-Lothar, qui feriez mieux de lui foutre la paix avec vos remarques à côté de la plaque.
Sébastien : C'est vous qui êtes périplaquiste. Je voulais souligner le grand ridicule des expressions à jamais insupportables "écrivain de droite" ou "écrivain de gauche". Pourquoi pas Balzac, écrivain en bâtiment pendant que vous y êtes ? Ecrivain du centre-gauche ? Ecrivain de l'extrême centre ? Bien sûr qu'ils avaient des opinions politiques, mais bon, Stendhal et Balzac (et d'autres) sont surtout connus pour la finesse de la description des caractères et des actions de leurs personnages et ils sont encore des maîtres dans l'approche de l'ambiguïté et de la contradiction de leurs créatures.
SupprimerEt puis, ni Honoré, ni Henri ne savaient ce qu'étaient ces notions (contemporaines, floues et in fine débiles) de droite ou de gauche. Ils étaient confrontés (en tant que "citoyens") à des problèmes qui soit n'en sont plus aujourd'hui, soit n'ont pas encore été résolus (surtout en France, du reste).
Oui, il y a des écrivains politiques : Lénine, par exemple, mais je n'aime pas du tout son dernier roman.
Cette manie bien française de tout vouloir mettre dans des petites boites à la con...
Bien à vous
"une certaine impatience rageuse" - c'est ce qui m'a toujours charmé chez Stendhal et c'est sûrement pour cela que Balzac le trouvait un peu trop sec, trop avare de déscription, etc.
RépondreSupprimerLa brève correspondance entre les deux hommes (au sujet de "La Chartreuse de Parme") est passionnante et témoigne bien de leur respect mutuel ainsi que de leur divergence en matière de style.
Wölfli
Tout à fait d'accord, à propos de leur échange. Il est fort beau que, aussi dissemblables qu'ils sont, ils aient pu néanmoins se reconnaître mutuellement.
SupprimerMourir au plus tard en 1788... Allez, disons au plus tard avant l'été 1789.
RépondreSupprimerEncore que, pour un esprit lucide, voir la noblesse, au moment des États généraux, se précipiter avec enthousiasme vers la perte, a dû être une épreuve bien pénible.
SupprimerMais, évidemment, qui dit que nous aurions été des esprits lucides ?
Après tout, les aristocrates abhorrés sont profondément fascinants, on les envie jusqu'à en perdre la tête. Stendhal s'en fait le témoin.
RépondreSupprimerPas seulement le témoin, je crois : il y a un Lucien Leuwen profondément ancré en lui.
SupprimerL'aristocratie (spécialement française) fut catastrophique pour le pays et notre civilisation au XVIIIe siècle. Même le vicomte de Tocqueville le reconnaissait, expliquant le déchaînement de haine à son égard, lors de la Révolution, par la morgue dont elle faisait preuve envers le bas peuple et même la bourgeoisie (surtout la bourgeoisie). C'est que ces aristocrates, disait-il, étaient souvent peu fortunés, et qu'ils devaient en rajouter dans le mépris pour tenir leur rang.
RépondreSupprimerIl faut lire le malheureux Chamfort pour comprendre toute l'imbécillité d'un système où la naissance primait le talent (le génie, dans le cas de Chamfort). Et c'est une faute historique de notre "droite réactionnaire" que d'avoir vanté les mérites de ce dix-huitième siècle en dentelles.
La démence s'était abattue sur la France bien avant 1789.
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RépondreSupprimerQue peut-il bien exister de plus méprisable que de se faire passer pour qui on n'est pas ? Que le connard qui me poursuit de sa haine depuis déjà longtemps ne trouve rien de mieux que cette minable trouvaille en dit long sur le pauvre type qu'il est.
RépondreSupprimerCette lâcheté rappelle les méthodes des groupes de combat gauchistes, financés par le socialisme.
SupprimerDe la petite vermine.