Passer l'aspirateur est une activité vaine et assez sotte ; d'aucuns diront que c'est pour cette raison qu'on l'abandonne généralement aux femmes : qu'on ne compte pas sur moi pour tomber dans de tels excès. Je veux dire qu'elle est vaine si on la compare à la geste antique du balayeur de maison. Manier le balai était une activité concrète, visible, palpable. La poussière, les miettes de pain, les grains de terre rapportés du jardin, les poils du chien et les mouches mortes : tout cela était disséminé au long des pièces et au hasard des allées et venues ; il s'agissait alors de discipliner ce chaos, de rassembler, de canaliser et enfin d'acculer en un petit monticule à proximité de la poubelle de cuisine. Le résultat de votre action était là, tangible, attestant de votre effort ; d'autant qu'il restait encore à entasser tout cela dans la petite pelle en plastique dont c'est l'office ; puis, matériel rangé, à constater que les plus aériennes de vos immondices avaient, durant l'opération, malignement volé de çà et de là, pour venir se reposer sur vos tommettes à peine aviez-vous le dos tourné. Bref, le balai vous conduisait à vous colleter réellement avec l'adversité, à éprouver concrètement l'imperfection fondamentale de l'existence sublunaire – le tout dans un silence feutré.
Rien de tel avec l'aspirateur, ce bruyant symbole de la modernité déprimante. Lorsque vous avez terminé de promener cet engin de la chambre au salon, sans trop bien savoir pourquoi vous accomplissez ces gestes mécaniques, puisqu'ils n'ont aucun lien direct, identifiable, avec le résultat que vous vous êtes promis d'obtenir, il est inutile de vouloir contempler le résultat de votre travail : poussière, miettes, grains, poils et mouches ont radicalement disparu ; c'est comme s'ils n'avaient jamais existé que dans votre imagination de maniaque, comme si vous n'aviez rien fait. Et vous vous retrouvez, un peu stupide, les oreilles bourdonnantes encore du vacarme que vous venez de produire, au milieu d'une propreté qui a tout l'air de se foutre de vous, sous ses airs d'éternité tranquille ; avec, en sus, à la main un long tuyau rétif, qui prendra – vous l'aurez noté sans moi – un malin plaisir à se répandre bruyamment sur le sol dès lors que vous essaierez de l'accoter au dossier d'une chaise ou à un bord de table. Sans même parler de la déprime chronique saisissant la petite pelle en plastique, désormais au chômage de longue durée.
La petite pelle est toujours utile. Si vous cassez un verre, vous n'allez quand même pas passer l'aspirateur!
RépondreSupprimerIci, Madame, on ne casse pas les verres : on se contente de les vider !
SupprimerC'est quoi cette histoire de long tuyau à la main ?
RépondreSupprimerJ'aurais dû préciser : long tuyau rigide, pour que vous compreniez tout de suite que je n'étais nullement concerné.
SupprimerBeau texte de fond auquel j'adhère totalement. Bien que ma mère n'ait jamais, à ma connaissance, été sorcière, je continue d'être un farouche partisan du balai. Je ne passe l'aspirateur qu'à l'étage et ne supporte pas le bruit produit par cet instrument diabolique (je pense qu'aujourd'hui les sorcières se rendent au sabbat en en chevauchant un) quand quiconque d'autre l'utilise.
RépondreSupprimerJe dois confesser que j'utilise de préférence l'aspirateur : mon côté "taupe modernœuse", sans doute…
Supprimer" il est inutile de vouloir contempler le résultat de votre travail : poussière, miettes, grains, poils et mouches ont radicalement disparu ; c'est comme s'ils n'avaient jamais existé'
RépondreSupprimerPas tout à fait exact : avec les aspirateurs sans sac, il faut vider le "bac à poussière" et je vous assure que l'on voit bien une bonne partie de ce que vous mentionnez ci-dessus (du moins c'est le cas avec mon aspirateur...).
Geneviève
Vous avez raison. Mais il se trouve que, chez nous, la coutume veut que l'on range l'aspirateur plein et qu'on ne le vide qu'au moment de s'en servir de nouveau ; donc, la "déconnexion" dont je parle opère parfaitement.
SupprimerJ'ai expérimenté, qu'en effet, passer l'aspirateur n'est pas une activité d'homme. Pour ne vexer personne, je dirais plutôt, que cette activité-là ne faisait pas partie de celles de mon homme à moi.
RépondreSupprimerAyant décidé un jour, de passer le haut d'une armoire à l'aspirateur, et m'étant rendu compte que le tuyau n'était pas assez long pour me permettre d'effectuer ce délicat travail, j'enjoins à mon homme de saisir l'appareil dans ses bras, et grimpée sur un escabeau, le moment de l'aspiration venu, je dis : "Appuie sur le bouton !" Et lui de me répondre : "Il est où le bouton ?"
« Il est où, le bouton ? » est une question typiquement masculine ; et dans les domaines les plus divers.
SupprimerHeureusement, il y a maintenant des robots qui aspirent tout seul. Ainsi l'homme (et la femme) a plus de temps pour se désaltérer.
RépondreSupprimerC'est tentant…
SupprimerVous êtes "has been" Monsieur Goux avec votre aspirateur qui fait du bruit.
RépondreSupprimerIl existe maintenant des aspirateur qui peuvent travailler quand vous n'êtes pas la, ils ont l'avantage d'aller dans des endroits de la pièce auxquels vous n'auriez pas penser.
Mais que ferait Madame Goux dans ce cas ?
Elle repiquerait des poireaux, comme elle se trouve présentement en train de le faire.
SupprimerDes immondices aériens ?
RépondreSupprimerPour le reste : on s'y croirait.
Vous n'avez jamais vu d'immondices aériens ?
SupprimerNon, c'est le masculin qui m'étonne.
SupprimerFoutredieu ! vous avez raison ! Je file ventre à terre (puisque c'est propre…) afin de corriger cette grotesque bévue.
SupprimerUne maison ne se mesure pas en mètres carrés mais en coups de balai, me disait ma grand-mère.
RépondreSupprimerEncore faut-il ne pas avoir de domestiques !
SupprimerUne chose que le collectivisme socialiste a détruit : les domestiques...
SupprimerCela créerait tellement d'emplois...
Bonjour Monsieur Goux
RépondreSupprimerDans un de vos billets vous nous aviez promis un "compte rendu" sur un film serbe très marrant. Aujourd'hui vous nous parlez aspirateur. C'est bien.
Mais à quand le billet sur le film serve très marrant ?
Signé : la lectrice impatiente, surtout après la corvée d' aspirateur (avant de se mettre à la lecture), parce que "business before pleasure", et un mari forcément allergique aux corvées de ménage.
Fichtre ! Je crains de l'avoir tout à fait oublié, celui-là !
SupprimerUn film serbe, dites-vous…
Sinon il y a ça qui est sorti en DVD : http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=218617.html
SupprimerCa devrait vous plaire.
Monsieur Goux a écrit (en commentaire du billet "les saisons")
Supprimer"Didier Goux9 juillet 2014 21:36
J'irais personnellement jusqu'à tarlouze. Parce que, franchement, un mec qui vient pleurnicher parce qu'il ne fait pas beau dans son jardin (et, franchement, c'est vrai qu'il ne fait pas beau), ce type n,e mérite pas de sabrer des grognasses.
(Tiens, ça me fait penser qu'il faut que je fasse un billet à propos du film serbe que j'ai vu hier soir : c'était une histoire de pédés, très drôle…)"
Et au lieu de ce billet très attendu il y a une description de la corvée d'aspirateur...
Ah, oui, ça me revient maintenant ! Malheureusement, mes souvenirs sont désormais beaucoup trop vagues pour que je puisse espérer en tirer quoi que ce soit.
Supprimer(Et puis, bon, ce n'était pas un chef-d'œuvre non plus…)
Mettez un tapis au sol. Le balai est inutile contre cette surface, mais l'aspirateur est magique. Jamais plus vous n'éprouverez ce sentiment de vol de votre effort : le tapis neuf redevenu sera la preuve !
RépondreSupprimerSans compter qu'il peut remplir à lui seul un sac d'aspirateur ; si l'objectif de votre nettoyage se limite à cette seule mesure, c'est une chose à savoir...
Amike
Les tapis et autres moquettes font assez mauvais ménage avec les poils de chiens…
SupprimerPour monsieur D. Goux : j'ai pensé à vous en visionnant cette vidéo...
RépondreSupprimerhttp://www.lepoint.fr/invites-du-point/philippe-labro/philippe-labro-et-sa-correspondance-avec-simon-leys-13-08-2014-1853566_1444.php#xtor=CS1-32
A. K.
Faites les carreaux : c'est silencieux, sans tuyau rétif, et je suis certain que Catherine vous en sera reconnaissante. Mais là encore, vous n'échapperez qu'au prix du manque de savoir-faire, à la contemplation du résultat de votre travail, ce qui est le côté le plus frustrant de la tâche : quand ils sont faits, on ne les voit plus !
RépondreSupprimerMonsieur Goux, offrez à votre femme un robot de sol, c'est une invention fabuleuse !
RépondreSupprimerIl faut bien sûr prendre du haut de gamme, mais votre épouse pourra dire adieu à son aspirateur ! Le robot que nous avons acheté est silencieux, très efficace, fait bien les coins et les tapis, et retourne tout seul se recharger à sa base!
Nous n'avons à intervenir que lorsqu'une douce voix féminine nous signale que son bac à poussière est plein..
Génial, ou plutôt géniale, car nous l'avons baptisée Carmen.
T.Fellman.
Monsieur Fellman, j'ai dit adieu à mon aspirateur puisque c'est Didier qui le passe !
SupprimerBien plus économique que le robot de sol : le mari correctement dressé…
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