À Michel Desgranges
L'amour du titre pourrait bien protester de son a minuscule, puisqu'il s'agit de Cupidon en personne, ou du moins de sa statue, qu'un jour, sortant tout juste de sa lune de miel, la jeune Marquise Ninon de Charamante fait sculpter et installer dans le parc de son château, dont la haute et ancienne tour permet d'admirer le ruban d'argent de la Loire et les toits de Saumur. Un beau matin du chapitre troisième, l'artiste, un certain François Gillet, de Paris, dévoile donc son travail terminé. Il s'agit, très classiquement de prime abord, d'un adolescent aussi beau et svelte que le David de Donatello, occupé à bander son arc ; ce qui surprend la compagnie, et ces dames principalement, c'est que l'arc n'est pas le seul à être bandé. De là toute l'histoire.
On peut s'ennuyer beaucoup, lorsqu'on se met en tête de secouer la poussière qui recouvre les “petits maîtres” du passé puis d'ouvrir leurs livres ; cela m'est arrivé il y a peu, avec Paul Bourget. On peut aussi passer un moment délicieux, dont on sait bien qu'on l'oubliera vite : c'est le cas avec ce roman de René Boylesve. Contemporain et ami de Proust, Boylesve semble avoir cent ans de plus, tant sa phrase charmante semble surannée, un peu désuets ses procédés, et ses personnages hors du temps ; par instant, on dirait presque d'une comtesse de Ségur portant moustache et canotier ; mais c'est aussi, ce parfum de violette, ces images sépia, tout ce qui fait l'attrait de ce court roman de 1902, dans lequel on ne peut s'empêcher de voir les promeneurs du parc marcher de ce pas trop rapide et saccadé qu'ils ont dans les films d'époque. Il y a aussi que l'auteur installe une distance nonchalante entre lui (et donc nous) et l'histoire qu'il raconte, en négligeant l'effort d'y croire lui-même : il se divertit, passe le temps – celui-là même que Proust, bientôt, s'efforcera de retrouver –, se distrait de son distingué ennui fin de siècle. On s'étonne presque, au fil de la lecture, que ne tombent pas d'entre les pages quelques feuilles ou brins séchés.
Enfin, chez le lecteur d'aujourd'hui, apparaît bientôt un sentiment étrange, et pas désagréable du tout : celui qu'il est peut-être le seul, dans toute l'étendue du monde, en cette heure précise, à lire ce livre, à garder un peu vivant ce mort.
Délicieuse lecture.
RépondreSupprimerVous l'avez lu ? Je ne serais donc pas le seul ?
SupprimerJ'ai même lu, "Mon oncle et mon curé" et d'autres ouvrages charmants de même farine. Dois-je ajouter, à ma grande honte, que j'ai passé de bons moments?
SupprimerAh, mais yapadonte, yapadonte ! Moi-même, ça m'a bien plu. Et, depuis deux heures, je m'amuse de nouveau avec Le Mariage de Chiffon, de Gyp.
SupprimerEn revanche, je vous déconseille Élémir Bourges, lu cet après-midi (Sous la hache) : on dirait d'une rédaction de classe de troisième, écrite par un élève doué et très appliqué.
Allez, j'avoue. J'ai apprécié "Le Mariage de Chiffon" mais aussi "Ces dames aux chapeaux verts".
SupprimerC'est un peu l'impression que j'ai eue en regardant "Le genou de Claire" hier au soir.
RépondreSupprimerMais j'ai été incapable d'enchaîner sur "Ma nuit chez Maud", et toute honte bue, j'ai zappé sur "Castle".
Moi, toute honte bue, j'ai zappé les deux et j'ai regardé une comédie romantique bien niaise, avec Anne Hattaway…
SupprimerPourtant, un film qui fait du genou de Claire l'objet du pari de Pascal, ça ne se zappe pas.
SupprimerDésolé
Duga
Et au final ? S'agit-il d'un amour plutôt anatomique ou plutôt romantique ?
RépondreSupprimerEh bien, au final, comme vous dites si cocassement, il n'est nullement question d'amour romantique. En revanche, on baise beaucoup. Il y a même une gouvernante fortement mamelue qui se branle tous les soirs devant sa cheminée…
Supprimerouf, j'ai eu peur, je croyais vraiment que Ninon de Charamante allait s’empaler sur la statue de Cupidon dont "l'arc n'est pas le seul à être bandé".
SupprimerEh bien, figurez-vous qu'elle est sur le point de le faire (évidemment, rien n'est dit), mais elle est surprise par le jardinier ; lequel, du coup, se fait renvoyer sans ménagement.
SupprimerAh, "au final", ça faisait longtemps…
Supprimerah j'avais d'abord lu qu'il se faisait "envoyer" sans ménagement. C'est ainsi, parfois on lit plus ce qu'on a envie de lire que ce qui est écrit ;-)
RépondreSupprimerQuelque chose ne semble pas aller avec "au final". Ouais, c'est vrai, ça fait pas super langage académique. "Du coup" il faudra que je me replonge dans mon dictionnaire analogique. Remarquez, il y en a qui poussent le ridicule jusqu'à écrire, voire dire oralement, "in fine".
Je reformule ma question initiale en langage plus académique :
En supposant qu'avec courage et abnégation, si l'on est pas habitué aux circonvolutions démodées du style ancien, mais plus familier des ébats immédiats procurés sans attendre, en images et sons, par notre fluide connexion Internet, l'on se donne, dans l'expectative, la peine de lire et tourner tant de pages, est-on quand même récompensé, vers la fin tout au moins, par la jeune, et qu'on supposera jolie, Marquise Ninon de Charamante, descendant dans le parc de son château, après avoir, de la haute et ancienne tour permettant d'admirer le ruban d'argent de la Loire et les toits de Saumur, et venant se livrer à d'autres activités sur l’appendice de la statue de Cupidon dont l'arc n'est pas le seul à être bandé ?
ach, et voilà, ma phrase ne tient pas la route et on va encore me renvoyer à mes dictionnaires. Mais il en va de même pour la grammaire en copier/coller que pour le sexe sur Internet, c'est un peu négligé au final (oops) (non pardon, oups).
RépondreSupprimerdonc désolé mais reprenons :
la Marquise descendant dans le parc après avoir admiré...
et non après avoir permettant d'admirer, pfff
La barbe.
Supprimeroui je suis bien d'accord, c'était chiant voire fatiguant. Au final, je préfère toujours la simplicité des expressions directes et des descriptions crues, voire drues. Au final, toujours, je ne sais pas si le bouquin est fait pour moi, une vrai barbe, voire une muise.
Supprimermarcj
Admirer la barbe?
SupprimerNe pouvant plus commenter chez Jegoun, je tiens à dire, ici, que je ne l'ai jamais attaqué sur son addiction à l'orge dont on fait la bière.
RépondreSupprimerIl y eut en Touraine un petit moment d'émotion, rapporté par la gazette locale, lorsque René Boysleve fit partie, il y a une vingtaine d'années, de la charrette annuelle des expulsés du Petit Larousse. Je m'apprêtais à écrire que la société des amis de René Boysleve ne faisait plus guère parler d'elle depuis lors, mais, une fois de plus, je n'étais pas au fait des dernières nouvelles.
RépondreSupprimerC'est vrai, j'oubliais que l'animal était tourangeau !
SupprimerMerci pour cette dédicace, cher Didier!
RépondreSupprimerC'était bien le moins : sans nos petites discussions "passéistes", je ne sais pas si j'aurais eu l'idée de convoquer Boylesve au Plessis-Hébert…
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