samedi 16 mai 2015

L'âme de Charlus traîne par ici


Charlus n'est pas un nom qui nous porte chance ; et encore moins aux chiens à qui nous l'attribuons. Le premier, en 1999, nous ne l'avons gardé que deux ou trois semaines. Il est de toute façon mort aujourd'hui, forcément, mais j'ai souvent pensé à lui, et j'espère que l'homme à qui nous l'avions donné alors lui a fait une vie digne de ce nom.

Le second est mort la nuit dernière, la parvovirose a eu le mot de la fin, ainsi qu'elle l'a fréquemment si j'en crois Wikivirus. Hier soir, sa “mère porteuse” nous a passé un mail pour nous dire que Milos (le futur Charlus, donc) venait de partir aux urgences vétérinaires, suite à une brutale aggravation de son état. Elle nous demandait de ne pas trop nous attendre à une issue heureuse. J'ai bien compris, alors, que cette jeune femme charmante tentait de nous préparer ; qu'en réalité, Milos ne partait pas aux urgences mais à la piqûre et à l'incinérateur, sous les ricanements du Parvomachin, resté maître du terrain – et c'est ce dont, en effet, elle nous a avisés en fin de matinée.

Je l'ai très bien pris, j'en étais même assez admiratif de moi-même, alors que cela m'arrive assez rarement. Après tout, ce chien pas encore tout à fait chien, nous ne le connaissions pas : que pouvait me faire qu'il mourût ? On me l'aurait mis sous le nez au milieu de trois de ses frères que j'aurais été incapable de dire : c'est lui. Alors ? Restons raisonnables et droits, tout de même !

Il n'empêche : ce chien que nous n'avons pas eu, que nous avons aperçu une fois, il y a dix jours, au milieu d'autres chiots semblables à lui, eh bien je ne cesse d'y penser depuis que je sais qu'il est mort. Je me surprends à imaginer ce qu'il aurait pu “donner” adulte, je lui construis un caractère, je bâtis des souvenirs – non pas pour Catherine et moi, mais pour lui, pour lui avec nous, ce qui est le comble de la sottise, ou de l'attendrissement de vieillard ; justement, je le vois dans sa vieillesse, c'est-à-dire par-delà ce temps énorme pour lui qu'auraient constituées les dix ou douze ou quatorze années prochaines. Pour tout dire, et bien que je ne tinsse pas tant que cela à voir arriver un nouveau chien ici, je ressens tout de même, du fait de sa mort, une sorte de regret, de frustration de ce qu'il n'a pas été. Je pense aussi à ce qu'on l'a laissé souffrir, alors qu'il aurait été si simple et si humain de mettre fin tout de suite à cette pauvre vie qui n'en a pas été une. J'essaie de me mettre dans la cervelle d'un chiot de deux mois, intubé de partout, incapable de bouger, souffrant mille morts sans savoir pourquoi, séparé de sa mère et de ses frères et sœurs ; tout cela pour disparaître à peine né, dans un dernier spasme de douleur. Évidemment, je n'y parviens pas. Il vaut mieux que je m'arrête là.

50 commentaires:

  1. Je ne souhaite absolument pas plaisanter avec la souffrance, surtout avec celle d'un être qui ne peut la comprendre, mais pourquoi vouloir à tout pris appeler un chien "Charlus". Il y a des personnages au destin moins tragique chez Proust ! Mon interrogation n'est donc pas "plaisanterie"

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    1. C'est que, si vous parcourez l'index des personnages de La Recherche, vous vous apercevrez qu'il n'y a pas tant de noms que cela qui peuvent convenir à chien (dans l'idée que je me fais de ce que doit être un nom de chien, évidemment).

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  2. Désolé, je ne ressens rien. Il y a suffisamment d'enfants qui meurent chaque jour. Mais je sens que, moi aussi, je ferais mieux de m'arrêter là.

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    1. Vous trouvez vraiment qu'il meurt suffisamment d'enfants chaque jour, vous ?

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    2. D'après mes dictionnaires, ça colle, pour peu que vous ne fassiez pas semblant de ne pas entendre la partie évidemment sous-entendue de ma phrase, partie sous-entendue rendue nécessaire par le premier tronçon de mon propos.
      Je développe :

      "Il y a suffisamment d'enfants qui meurent... pour que vous ne veniez pas tenter de nous faire pleurer sur le décès inopiné d'un chiot"

      Sinon on pourrait parler du fond, aussi, mais ce que j'aurais à dire me ferait mal voir des "amis des bêtes". Et puis, au fond, votre billet sous-entend assez que vos déplorations sont ridicules, même si vous n'y croyez pas.

      Ce qui fait déjà beaucoup de sous-entendus.

      Mais vous l'aurez compris : "je ne suis pas Charlus".

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    3. Magnifique prestation de Marco Polo.

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    4. Quand on s'adresse aux valeurs sûres, on n'est que rarement déçu.

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    5. "je ne suis pas charlus" superbe, c'est surement la phrase philosophique de la semaine

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  3. Et nous faudrait faire des commentaires intelligents ?

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  4. C'est bien triste... J'aime la vie que vous lui avez "construite" dans votre esprit.

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    1. Je me demande si je ne vais pas, quand j'aurai fini mes petits travaux actuels, tenter d'écrire une vie de Charlus.

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  5. Vous m'avez donné l'envie de raconter cette autre histoire de chien. Lorsqu'il avait sept ans, quelqu'un offrit à mon mari une petite chienne blanche, type Loulou de Poméranie. La Cocotte, l'avait-il nommée. Il habitait dans la Grand'Rue à Saint-Etienne, celle qui mesure parait-il quinze kilomètres, qui traverse toute la ville du nord au sud et où passe le tram. Ce fameux tram que Saint-Etienne a toujours gardé sous les moqueries des modernistes qui avaient abandonné le leur, pour le reconstruire, toute honte bue, trente ou quarante ans plus tard.
    Et voilà qu'un jour, la Cocotte échappant à la surveillance de son petit maître, file sous le tram à l'arrêt. Et voilà l'enfant qui se précipite sous le tram pour récupérer son animal. Et voilà les gens qui se mettent à hurler de peur que le tram ne redémarre et écrase l'enfant et son chien. Sans doute l'aurez-vous deviné l'histoire se termina bien. Le petit garçon devint médecin et la Cocotte ne mourut que lorsqu'il eût terminé ses études.
    Par la suite il eût beaucoup d'autres chiens dont, au train où vont les choses, j'aurais peut-être l'occasion de vous parler, un jour ou l'autre.

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    1. Heureusement pour vous que le tramway ne s'est pas trop pressé de démarrer : vous seriez peut-être une vieille fille aigrie et desséchée, à l'heure où nous causons…

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    2. Sur la "vieille fille", vous vous trompez car il m'a eue de seconde main. Quant à "aigrie et desséchée" je ne sais pas, mais ce que je sais c'est que j'aurais été très malheureuse.

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    3. Qu'il vous ai eue de seconde main est normal, dans la mesure où la première était occupée à essayer d'attraper le clébard sous le tram.

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  6. La seule chose qui m'intéresse est de savoir comment vous allez cuisiner l'escalope qu'il a dans la gueule

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    1. Avec de l'ail finement découpé et ajouté dans la poêle presque au moment de servir, je pense.

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    2. avec un petit filet de vinaigre, au fait vous êtes balsamique, vin ou cidre pour le vinaigre ?

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    3. Je ne suis pas fou du vinaigre chaud. En tout cas, tout sauf balsamique !

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  7. vous êtes un treets, dur sur le pourtour et tout fondant dedans.


    Stanislas

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  8. De toute manière quelqu'un qui déteste les enfants ne peut être foncièrement mauvais...

    W.C. Fields qui aimait aussi le riesling de l'ami Joseph.

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    1. D'ailleurs, il paraît que, dans l'intimité, on le surnommait W.C. Fritsch, t'as qu'à voir !

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  9. Pour ce qui me concerne, j'ai décidé de ne plus avoir de chien lorsque mon dernier, un magnifique tervueren, est mort il y a une dizaine d'années. Depuis mon plus jeune âge, j'ai toujours vécu avec un ou plusieurs chiens, mais au fil du temps la séparation définitive devenait de plus en plus dure à supporter.

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    1. Faites comme M. Polo : concentrez-vous sur les petits enfants qui meurent…

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    2. Lesquels ? Il y a une vaste palette de couleurs disponibles. Avec tous ces machins sur la diversité, l'enrichissement, la chance pour notre pays, etc., je ne sais pas sur lesquels je dois pleurer. Parce que bon, pour les blancs, c'est mort, ce sont tous des fils d'esclavagistes ou de colonialistes, et comme on ne pleure pas sur les salauds ou les fils de salauds...

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    3. une petite pensée aussi aux formes de vie non terrestre Les autres formes de vie intelligentes de l'univers (si elles existent ou ont existé mais mon petit doigt me dit que oui) ont t'elles les memes problèmes, les memes désirs que nous ? On ne s'interroge pas assez sur ce qui se passe en dehors de notre petite planète finalement

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  10. Un texte de ce bon Malebranche qui mérite réflexion, peut-être. Il y est question de Chinois, de chevaux, de cochers et de chiens...

    "Je vois, par exemple, que 2 fois 2 font 4, et qu’il faut préférer son ami à son chien, et je suis certain qu’il n’y a point d’homme au monde qui ne le puisse voir aussi bien que moi. Or, je ne vois point ces vérités dans l’esprit des autres, comme les autres ne les voient point dans le mien. Il est donc nécessaire qu’il y ait une raison universelle qui m’éclaire et tout ce qu’il y a d’intelligence. Car si la raison que je consulte n’était pas la même qui répond aux Chinois, il est évident que je ne pourrais pas être aussi assuré que je le suis, que les Chinois voient les mêmes vérités que je vois. Ainsi la raison que nous consultons quand nous rentrons dans nous-mêmes, est une raison universelle. Je dis quand nous rentrons en nous-mêmes, car je ne parle pas ici de la raison que suit un homme passionné. Lorsqu’un homme préfère la vie de son cheval à celle de son cocher, il a ses raisons, mais ce sont des raisons particulières dont tout homme raisonnable a horreur. Ce sont des raisons qui dans le fond ne sont pas raisonnables, parce qu’elles ne sont pas conformes à la souveraine raison, ou à la raison universelle que tous les hommes consultent. "

    Malebranche

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    1. C'est d'une épaisseur et d'un ennui…
      Vous voulez dire quoi exactement en dehors de votre penchant bancal pour une humanité idiote ?

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    2. Je vois par exemple, que 1 goutte d'eau plus 1 goutte d'eau font toujours 1 goutte d'eau, ou 2, ou 3... et qu’il faut préférer son chien à son ennemi, et je suis triste qu’il y ait si peu d’hommes autour de moi qui ne le puissent voir aussi bien que moi. Or, je ne vois point ces vérités dans l’esprit des autres, comme les autres ne voient point les miennes dans le mien. Il est donc impossible qu’il y ait une raison universelle qui m’éclaire et tout ce qu’il y a d’intelligence. Car si la raison que je consulte était la même qui répond aux Chinois, il est évident que je ne pourrais pas être aussi assuré que je le suis, que les Chinois ne voient point les mêmes vérités que je vois. Ainsi la raison que nous consultons quand nous rentrons dans nous-mêmes, est une raison individuelle. Je dis quand nous rentrons en nous-mêmes, car je ne parle pas ici de la raison que suit un homme passionné par l'universel. Lorsqu’un homme préfère la vie de son cocher qu'il déteste à celle de son cheval qu'il aime, il a ses raisons, mais ce sont des raisons universelles dont tout homme raisonnable devrait pour moi avoir horreur. Ce sont des raisons qui dans le fond ne sont pas raisonnables, parce qu’elles ne sont pas conformes à la souveraine raison, ou à la raison individuelle que tous les hommes consultent.

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    3. La preuve par l'exemple : l'humanité présente est devenue incapable de comprendre un texte simple mais argumenté (Pétula) ou même de respecter un minimum la logique (NV, qui peut-être ignore que les Chinois font les mêmes mathématiques que nous, sans concertation préalable).
      Evidemment, c'est autre chose que du Proust et que les petits (ou gros) romans dont il est habituellement question. Il ne suffit pas de savoir lire.

      Le "penchant bancal pour une humanité idiote" est tout de même rafraîchissant. On sent l'humanisme, le respect de l'autre, l'attendrissement spontané devant le visage du nouveau-né, la bonté d'âme, etc. Je ne voudrais pas faire des amalgames, mais de même que certains sont écologistes par détestation de l'homme, il y a des amis des bêtes qui devraient s'interroger sur leurs motivations, et subsidiairement sur la noirceur de leur âme.

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    4. Noirceur de l'âme, et un cliché de plus. Vous ignorez ce que je fais pour l'humanité, pour ma famille, pour des voisins, pour un être abandonné, alors taisez-vous.
      Je ne veux pas vous rafraîchir, je veux exprimer ma grande pitié pour l'animal.

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    5. Si vous suiviez un peu plus ce blog vous sauriez que parler d'"âme noire" est un cliché assumé et moqué. C'est une sorte de clin d'œil.

      Quant à votre altruisme revendiqué à l'égard de l'humanité, je crois que je n'en ai douté que par votre faute, puisque vous avez qualifié cette humanité d'idiote. J'étais donc censé comprendre ce terme comme une marque d'affection et de respect ?

      Mais je ne vois pas pourquoi je perds mon temps avec quelqu'un qui s'auto-réfute si facilement. Il suffit de vous laisser la parole pour me donner raison.

      Continuez donc à parler toute seule.

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  11. J'ai eu un terrier du Tibet, aujourd'hui retourné dans l'Hymalaya, moi qui pensais que les chiens étaient éternels, et il n'est pas rare qu'il me rende visite dans certains rêves.

    Son surnom était Prince Raynier. Je n'ai maintenant plus l'espace ni le pognon, pour en reprendre un. Puis mon visiteur du soir me suffit..

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    1. C'est mon cas aussi: je rêve qu'un chien que j'ai eu il y a 30 ans gratte à la porte; j'ouvre et il entre, l'oreille basse et je me dis: "où était-il pendant tout ce temps?". Et puis je me réveille.

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  12. Votre chien a une âme, vous avez une âme, et moi je n'en ai pas. Oui, carrément, je vis sans âme. Je m'en passe depuis belle lurette et ça va très bien. Vous me dites que j'ai une âme que je le veuille ou non ! Eh bien, prenez-là, je vous la donne, ça vous en fera une deuxième.....

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    1. Que vous le vouliez ou pas, vous avez une âme, quel que soit le nom que l'on veuille bien lui donner. Le terme vient du latin "anima" qui signifie "souffle", ce souffle que vous avez reçu en naissant et qui fait que vous êtes vivant, capable de penser, d'agir, etc. Vous pouvez nier son caractère divin si tel est votre propos, mais vous avez bien une âme qui vous est propre, constitutive de votre persona et liée à votre corps qu'elle anime. D'où la stupidité progressiste qui voudrait que l'on soit propriétaire de son corps. En effet, c'est un pur sophisme fondé sur la confusion entre sujet de droit et objet de droit. Puisque notre âme ne peut, pour l'instant histoire de faire plaisir aux technophiles enragés, être séparée de notre corps qu'elle anime, nous sommes de fait notre corps, donc sujet de droit. A contrario le corps sans vie devient objet de droit.

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    2. Vous la jetez au chien donc!

      Majeur

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    3. Si le souffle de la vie est l'âme, faudra que je leur apprenne le catéchisme à ceux-là, fit-il en se grattant le bas ventre.

      Lucien

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    4. Un esclave est objet de droit même s'il aimerait bien être sujet de droit.
      Dites moi où je me suis trompé.

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  13. Pauvre petit chien, il n'aura pas pesé beaucoup et longtemps sur terre.
    Sinon, le grand-père de Proust s'appelait Amédée. Il y a aussi Albon (un courtisan souriant), Piperaud (le médecin), Brichot, Mangin, Foggi, qui était prince Odo,...

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  14. Navré de l'apprendre. Moi qui me faisais une joie de le rencontrer !

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.