mardi 30 juin 2015

La Note de service


Il est relativement rare qu'une simple et concise note de service ait le pouvoir de déclencher, chez celui qui a l'idée saugrenue de la lire, la perplexité, puis l'hilarité, et enfin une certaine dose de désarroi. Ce matin, dans une grande entreprise de presse européenne dont je tairai le nom, j'ai découvert celle-ci :


RÉUNION GÉNÉRALE

Objet : en raison de l'actualité, le pot hors-série, Tuc et champagne est reporté et remplacé par une réunion charte de bonne conduite vendredi 26 juin 2015 à 12 H 00, bureau 291.

lundi 29 juin 2015

Journal de mai


Il est à sa place habituelle.

dimanche 28 juin 2015

Un goût dépravé pour l'égalité ou Le Socialisme est parmi nous


« Il y a en effet une passion mâle et légitime pour l'égalité qui excite les hommes à vouloir être tous forts et estimés. Cette passion tend à élever les petits au rang des grands ; mais il se rencontre aussi dans le cœur humain un goût dépravé pour l'égalité, qui porte les faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau, et qui réduit les hommes à préférer l'égalité dans la servitude à l'inégalité dans la liberté. Ce n'est pas que les peuples dont l'état social est démocratique méprisent naturellement le liberté : ils ont au contraire un goût instinctif pour elle. Mais la liberté n'est pas l'objet principal et continu de leur désir ; ce qu'ils aiment d'un amour éternel, c'est l'égalité ; ils s'élancent vers la liberté par impulsion rapide et par efforts soudains, et, s'ils manquent le but, ils se résignent ; mais rien ne saurait les satisfaire sans l'égalité, et ils consentiraient plutôt à périr qu'à la perdre. »

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, I, Folio, p. 104.

samedi 20 juin 2015

À propos des églises vides (et des mahométans que l'on prétend y installer)


Sur ce sujet, Renaud Camus a écrit un texte que je trouve remarquable. On pourra le lire dans son intégrité ici. En voici cependant un extrait :

« Et si ce que j’aime dans les églises, moi, c’est précisément qu’elles soient vides, qu’elle soient le lieu du vide, de l’absence, du retrait, du silence et parfois de la musique ? Qu’au cœur des villes et du tourbillon d’être et de parler, de bruire, de nuire et de nocer, elles offrent des réserves de non-être et d’abstention, de fraîcheur dans la chaleur de l’été, de pénombre dans l’excès de lumière, de hauteur dans la trivialité des jours, de beauté dans la laideur du monde, de civilisation et d’art dans l’hébétude qui gagne ?

» Chrétiens, mes frères, il n’y a pas de spiritualité que dans la foi. Il y en aussi dans le doute, le croiriez-vous, dans l’inassentiment, dans le défaut d’adhésion et de présence. Je n’irai pas jusqu’à dire que les églises appartiennent autant à ceux qui s’y rendent seulement quand elles sont vides qu’à ceux qui les emplissent quelquefois, mais je crois bien qu’elles sont aussi chères aux chrétiens de civilisation, de culture et d’éducation, fussent-ils athées ou juifs, voire musulmans, qu’aux chrétiens de conviction. Nous les aimons parce qu’elles sont notre patrie charnelle, nos morts, les images qui nous ont bercés, l’espace, le parfum et le son de notre appartenance au temps et à la terre, à cette terre-ci, à ce continent-, à cette nation chrétienne, romane et gothique dans l’âme. Et nous aimerions mieux mourir que de les voir livrées à d’autres mains, à d’autre cultes, à la botte, à la babouche ou aux pieds nus des conquérants. D’ailleurs il faudrait, pour que cela soit, que nous fussions morts. Est-ce que nous le sommes ? [Ici le narrateur se tâte.] »

vendredi 19 juin 2015

Relire Revel


C'est à quoi j'encourage tout un chacun, y compris ceux qui ne l'ont jamais lu, même si je me rends bien compte que le sous-titre du volume atterri tout à l'heure dans ma boîte aux lettres pourrait avoir un effet révulsif sur certains de mes charmants visiteurs. Dans ce cas, pourquoi ne pas commencer par quelques Plats de saison ? Il s'agit d'une collection lancée par les éditions du Seuil en 1990, dont le nom dit clairement le projet : Journal de la fin du siècle. Il s'agissait, chaque début d'année, de publier le journal tenu par une “personnalité” (écrivain, historien, etc.) durant les douze mois précédents. En 2000, c'est donc Revel qui s'y est collé. Le résultat est aussi savoureux que certains des plats qu'il décrit, lorsqu'il lui arrive de déjeuner dans un restaurant digne de ce nom. Le regard sur l'époque est d'une ironie parfois féroce, les épinglages politiques hautement épicés et le dégonflage de baudruches d'une efficacité souveraine. Bref, on s'amuse beaucoup, et en plus on rajeunit : 2000, c'était encore l'époque de l'inénarrable et pompeux Jospin, entouré de sa gauche dite “plurielle”, c'est-à-dire incohérente et foutraque. Rien que d'écrire ces mots, j'ai l'impression de parler du Précambrien.

mercredi 17 juin 2015

Où l'on reparle du bâtiment


Aux prises avec ce roman, je me sens un peu dans la situation du brave gars qui entreprendrait de bâtir un édifice, sans plan d'architecte, avec des connaissances plus que sommaires en maçonnerie, zinguerie, charpenterie, etc., et qui se lancerait à l'aventure simplement parce que deux ou trois personnes lui auraient affirmé qu'il ne pouvait que réussir, puisqu'il avait déjà prouvé qu'il savait monter une tente. J'en suis au stade de l'invention du brouillon, c'est-à-dire que je gâche du ciment, empile des briques et des moellons, jointoie, dresse des murs, pose des escaliers et des fenêtres, agence la charpente, etc., sans trop me préoccuper de ce qui s'élève. Quand ce sera fini, le bâtisseur autodidacte se reculera pour prendre du champ, et découvrira s'il a édifié une cathédrale ou bricolé une masure, le plus probable étant que le résultat de ses efforts se situera entre les deux. Ensuite, voyant les béances et les aberrations les plus criantes, il s'emploiera à colmater, redresser, joindre, ajouter un petit balcon ici, un clocheton là, etc. L'épreuve décisive sera enfin la première lecture étrangère, l'œil du dehors ; elle équivaudra à ce que serait une pendaison de crémaillère, un soir où souffle une tempête de pluie et de vent. En quelques quarts d'heures, le malheureux propriétaire-bâtisseur va devoir constater que la tornade a abattu le clocheton dont il était si content, que l'eau, passant sans effort à travers sa toiture, inonde le salon et les invités qui s'y pressent. L'un d'eux, d'ailleurs, vient de tomber du premier étage, à cause du petit balcon de la façade sud, insuffisamment arrimé au mur ; quant à la butte qui supportait la grande terrasse, elle est, en ce moment même, emportée par le ruissellement des eaux, en raison de soubassements mal consolidés. La cave est certainement inondée, mais on ne peut pas le savoir car l'escalier qui y conduisait vient de s'effondrer, etc.

Malgré tout, on reprend sa truelle, une brique, et on continue son mur en sifflotant, la mine faraude, un petit air guilleret. L'écrivain a cru pouvoir quitter le bâtiment : il y est en plein.

dimanche 14 juin 2015

Jean-François Revel et la vraie gauche


Il est intéressant de lire, ou de relire, aujourd'hui Ni Marx ni Jésus, sans doute le livre le plus connu de Jean-François Revel, près d'un demi-siècle après sa parution : comme certains grands crus qui, vieillissant, deviennent autre chose que du vin, on y assiste au fil des pages à la transformation d'un ouvrage d'actualité en livre d'histoire, mais en saisissant la mue à un moment où elle est encore incomplète, et sans savoir si elle se fera jusqu'au bout. Même pour un vénérable vieillard de mon acabit, qui se souvient des événements politiques au moyen desquels Revel illustre ses démonstrations, il y a un effet saisissant d'éloignement dans le temps ; je suppose qu'un lecteur de trente ans, quand il rencontre les noms de Poher ou de Couve de Murville, doit avoir l'impression qu'on lui parle de Philippe le Bel ou, au mieux, de Mac-Mahon. Puis, au détour d'un paragraphe, on tombe sur telle ou telle notation qui, miraculeusement, semble avoir été écrite ce matin. Par exemple, celle-ci, que je dédie affectueusement à mes amis blogueurs de gauche – vraie ou fausse –, tout empêtrés qu'ils sont dans leurs picrocholines escarmouches de frontière :

« Finalement, être de gauche en France, cela semble être avant tout affirmer que l'on est plus purement de gauche que les autres gens de gauche, prouver que les autres gens de gauche sont en fait de droite. La droite est finalement sauvée par la peur paralysante qu'éprouvent ses ennemis de passer pour réactionnaires. Dans les moments de crise, lorsque le pouvoir pourrait changer de mains, plusieurs secteurs de l'opposition ne trouvent tout à coup rien de plus urgent que de proclamer l'identité profonde de presque tous ses alliés avec les détenteurs du pouvoir. »

On a l'impression, étrange et un peu déstabilisante, que, déjà en 1970, Jean-François Revel passait une partie de ses journées à lire les blogs gauchistes.

lundi 8 juin 2015

L'Animalcule spermatique ou Le Cochon intermittent


Le vendredi 5 mai 1876, la Société des cinq a la fantaisie de se réunir pour aller manger une bouillabaisse dans une taverne située derrière l'Opéra-Comique. C'est ce que les membres nomment un Dîner des auteurs sifflés ; ils sont, par ordre de préséance chronologique : Tourgueniev, Flaubert, Goncourt (Edmond : Jules, son cadet de huit ans, est mort en 1870), Zola et Daudet. Lors de ces dîners, prétextes à quelques libations plus ou moins importantes selon l'appétence de chacun des convives, la règle est qu'il n'y en a pas : on peut parler de tout, aborder tous les sujets, professer les opinions les plus extrêmes, se risquer jusqu'aux confins des paradoxes les plus acrobatiques. D'après ce qu'en rapporte, sur trois pages, Goncourt dans son journal, la conversation est, ce 5 mai, plutôt border line, comme dirait sans doute un Français de notre temps. La conclusion d'Edmond est celle-ci :

« Résumons.
Tourgueniev est un cochon dont la cochonnerie est teintée de sentimentalisme.
Zola est un cochon grossier et brute, dont la cochonnerie se dépense maintenant tout entière dans la copie.
Daudet est un cochon maladif, avec les foucades d'un cerveau chez lequel, un jour, pourrait bien entrer la folie.
Flaubert est un faux cochon, se disant cochon et affectant de l'être, pour être à la hauteur des cochons vrais et sincères qui sont ses amis.
Et moi, je suis un cochon intermittent, avec des crises de salauderies, qui ont l'exaspération d'une chair mordue par l'animalcule spermatique. »

Puisque nous en sommes à ce Journal, j'aimerais ajouter une chose. Avant cela, rappelons que le journal des Goncourt est en fait deux : celui tenu à 95 % par Jules, entre le 2 décembre 1851 et le 1er janvier 1870 (il mourra le 20 juin), et le suivant, dû entièrement à Edmond, jusqu'à sa propre mort en 1896. On lit régulièrement que le vrai journal des Goncourt, c'est le premier, celui tenu par le cadet ; et que, ensuite, sous la plume du survivant, il perd en qualité littéraire et sombre trop souvent dans la collecte de ragots ; c'est la sentence, notamment, exprimée à deux ou trois reprises par Paul Morand, dans ses lettres à Jacques Chardonne.

Je suis de l'opinion inverse. Jules a tendance à filer le morceau de bravoure, à se regarder écrire ; il est plein de préciosités, de tortillons et d'arabesques qui, à la longue et par un paradoxe qui n'est qu'apparent, aplatissent ses pages, en affadissent la lecture. S'il n'est pas tout à fait exempt de ces défauts, de cette écriture m'as-tu-vue, Edmond est tout de même beaucoup plus libre, moins entravé dans son propre style ; de fait, pratiquement du jour au lendemain, le journal devient plus vivant. Quant à l'accusation portée par Morand – et d'autres avant lui –, elle ne tient pas : quel lecteur de journaux d'écrivains n'est pas également, ne serait-ce qu'un peu et honteusement, un amateur de ragots ?

samedi 6 juin 2015

30 ans après, persévérons dans notre haine de Balavoine

Tronche en saindoux et à beignes de rebelle héliporté

J'ai toujours détesté Daniel Balavoine ; autant que Claude François, si ce n'est davantage ; détesté à tous points de vue. Physiquement, d'abord, comme tendrait à le prouver la petite légende supra : il a beau faire ses yeux méchants de redresseur d'injustices et d'exterminator de fascisme larvé, on voit bien qu'il a été grossièrement taillé dans un fromage blanc trop longtemps exposé au soleil (je sais que, logiquement, il me faudrait choisir entre la faisselle et le saindoux ; mais c'est que lui parvient à concilier les deux) ; s'il n'était pas opportunément mort à 34 ans, en allant faire le guignol progressiste à bord d'un hélicoptère, il serait à coup sûr aujourd'hui un poussah adipeux, avec bajoues et nichons ; toutes les Priscillas et les Aïchas se foutraient de sa gueule.

Je crois que je détestais encore plus “l'artiste”, sans doute parce qu'il était beaucoup plus difficile d'y échapper. Les textes de ses chansons, auprès de quoi ceux d'Aubert Jean-Louis (à ne pas confondre avec Aubergenville, Yvelines) auraient passé pour de l'Éluard ; ses mélodies éprouvantes au-delà de toute expression ; et enfin, cette voix de chat en rut appelant une introuvable femelle parmi les poubelles du bas de chez vous : voilà qui m'aurait fait voter avec allégresse la réouverture des bagnes de Cayenne.

Comme si tout cela ne suffisait pas pour la désespérance de ses contemporains, ce mutin de Panurge avant la lettre s'était un jour, sur un plateau de télévision, autoproclamé porte-parole des jeunes (tout courts : les jeunes-à-guillemets n'existaient pas encore, à l'époque), alors qu'il allait avoir trente ans, ce qui l'a conduit, les dernières années de sa pénible existence, à se vautrer dans la rébellitude démagogique la plus échevelée, au point que même Sophia Aram, Didier Porte, Stéphane Guillon ou Christophe Alévêque éprouveraient un léger sentiment de honte s'ils devaient aujourd'hui débagouler la même chose. Le 15 janvier 1986 fut le seul jour de ma vie où j'ai éprouvé un sentiment de forte gratitude envers mes frères maliens, et surtout leurs vents de sable. 

Évidemment, je fus bien puni de cette explosion de joie cruelle : j'avais oublié les enregistrements, les rétrospectives, les hommages, les coups de chapeau, les anniversaires. Si bien que, 29 ans et 5 mois durant, j'ai dû continuer à détester Daniel Balavoine. Et ce n'est pas à la veille de devoir écrire dix mille signes sur lui que la paix va se conclure.

mardi 2 juin 2015

Et nous, Français ?


« Et nous, Français, qu'avons-nous à opposer à Westminster Abbey ? Faut-il nous enorgueillir de notre Panthéon, enfer frigorifique où gèlent éternellement les fidèles de la déesse Raison ? Je trouve aux dernières pages du Génie du christianisme une pièce annexe qui est le procès-verbal de la destruction de l'abbaye de Saint-Denis et de ses tombes royales par ordre de la Convention ; onze siècles (quatre ou cinq de plus que l'Angleterre) de rois déménagés, profanés, jetés au vent. Un mélange de Dies irae et de Ça ira qui serre le cœur. Comme notre République serait plus grande sans cette haine, sans cette indifférence au passé dont témoignent toutes les classes de notre société et qui nous rabaissent au rang d'une tribu nomade ! »

Paul Morand, Londres, Folio, p. 216.

Pour ce qui est des tribus nomades, Morand a manqué le meilleur, mourant un peu trop tôt. Et l'on aurait aimé contempler son ébahissement, de voir, avec une solennité ridicule parce que vide, mimée, transportés dans la chambre froide de la Montagne Sainte-Geneviève deux cercueils garnis de terre, encadrant les restes inconséquents d'un petit avocat sans envergure ni mérite.

lundi 1 juin 2015

Les regrettables bonnes actions de Me Garçon


Curieuse anecdote que celle racontée par Maurice Garçon, dans son remarquable Journal. Vers l'année 1925, revenant de Boulogne-sur-Mer à Paris au volant de son automobile, il est le témoin direct d'une violente sortie de route de la voiture qui le précède. Il s'arrête, descend, s'approche ; aidé par un autre témoin, il parvient à extraire de l'amas de tôles le jeune conducteur, inconscient et déjà couvert de sang. Maurice Garçon s'aperçoit que le sang en question jaillit du poignet à demi sectionné du blessé ; il lui détache donc ses bretelles afin d'improviser avec elles une sorte de garrot ; puis, chargeant l'accidenté dans son propre véhicule, il l'amène dare-dare à l'hôpital le plus proche, qui se trouve être celui d'Amiens. Là, ces messieurs de la Faculté lui disent qu'il était vraiment temps que le blessé leur arrivât, et que sans son garrot de fortune…

Le jeune homme à qui Me Garçon vient de sauver la vie se nomme Louis Darquier, et va bientôt se faire appeler Darquier de Pellepoix. Apprenant que son ancien obligé vient d'être nommé par les autorités de Vichy haut-commissaire aux questions juives, l'avocat note, le 14 mai 1942, qu'il y a des jours où il regrette vraiment ses accès d'humanité. Suit, du nouveau commissaire, un portrait moral qui n'est pas dans un pot, comme aurait dit Léautaud ; Léautaud que l'on croise d'ailleurs assez régulièrement en ces pages, mais c'est une autre histoire.