Propriété des Flaubert à Croisset |
1846 est une année terrible, pour le pauvre Flaubert. Dès janvier, son père meurt brusquement, à 61 ans. Deux mois plus tard, il perd sa sœur cadette, Caroline, qui semble ne s'être jamais relevée de son accouchement de février. Pour le lecteur d'aujourd'hui, cette deuxième mort surtout est regrettable. Gustave et Caroline étaient fort proches et s'écrivaient beaucoup dès lors qu'ils étaient séparés, fût-ce de quelques kilomètres. Or, si l'on en juge d'après les lettres d'elle que l'on possède (rcueillies dans le premier volume Pléiade de la Correspondance), Caroline avait l'esprit intelligent, vif, drôle, d'une tournure assez comparable, sur quelques points au moins, à celui de son aîné. On peut donc supposer que, après la consommation de sa rupture avec Louise Colet, en 1854, c'est à Caroline que Flaubert aurait écrit, chaque nuit ou presque, pour se décharger de la tension accumulée durant ses heures de travail. Ainsi aurions-nous pu suivre l'élaboration et la progression de Salammbô et de L'Éducation sentimentale, des Trois Contes ou de Bouvard et Pécuchet, avec autant de détails que nous en lisons à propos de Madame Bovary dans les lettres de l'écrivain à sa collante poétesse. Et, justement, le troisième moment crucial de cette année 1846, pour Gustave, c'est sa rencontre avec Louise, dans l'atelier de l'un de ses amants, le sculpteur James Pradier ; il va mettre huit ans à s'en défaire, bien qu'il semble s'y essayer pratiquement dès le début de leur liaison, laquelle se déroule pour l'essentiel à distance prudente, lui à Rouen, elle à Paris, avec rencontres furtives et très espacées à l'auberge de Mantes. Car, si fou que cela paraisse, il y avait encore à cette époque, dans notre bonne ville de Mantes, de ces lieux d'accueil ancestraux où le voyageur et le simple passant étaient autorisés à pénétrer sans avoir à ôter leurs babouches préalablement.