dimanche 31 juillet 2016

L'écrivain, le traître et le petit délateur

Un peu surpris, ce matin, de recevoir déjà La Tour, le journal de Renaud Camus pour 2015, commandé il y a seulement quatre ou cinq jours. Naturellement, comme les années précédentes, j'ai cédé à la puérile pulsion consistant à filer directement à l'index, pour voir s'il était question de moi à un moment ou à un autre. Je n'ai droit, cette année, qu'à une seule “entrée”, celle du premier octobre ; elle n'est guère flatteuse pour moi, je le crains, mais elle mérite d'être un peu discutée. Je vais commencer par recopier le passage, et peut-être m'en tiendrai-je là pour ce soir, car il est un peu long. Voici :

« Plieux, jeudi 1er octobre 2015, minuit moins le quart. Jérôme Vallet a déposé sur Facebook, ce matin, je ne sais pourquoi, une discussion très désagréable à mon sujet, qui s'était déroulée sur le blog de Didier Goux, à son initiative, semble-t-il. Le consensus entre les participants était que mon inspiration littéraire avait subi un terrible rétrécissement, depuis le début du siècle. La majorité des intervenants attribuaient ce désastre à la place croissante de la politique, dans ma vie et dans mes écrits : elle avait terriblement décomplexifié et délittérarisé ma pensée et mon œuvre, qui avaient perdu toute vibration bathmologique de fait de ma concentration obsessionnelle sur des opinions et des thèmes précis, trop clairs, caricaturaux. D'autres, beaucoup moins nombreux, incriminaient l'amour, le bonheur, la vie de couple, trop régulière et paisible. Goux lui-même pensait qu'il fallait surtout chercher du côté de l'âge, de la réduction des moyens intellectuels et de la capacité littéraire, du fait de l'âge.

« Le piquant est que le rencontrant pour la première fois, il y a une quinzaine d'années, et confronté à son enthousiasme délirant qui m'embarrassait un peu (au moins socialement, devant des tiers), je lui avais prédit (un peu pour dire quelque chose) qu'un jour il ne le comprendrait plus du tout, cet enthousiasme ; et que toute cette ferveur exaltée se renverserait en son contraire exact, comme je l'avais vu cent fois arriver chez d'autres. Bien entendu il n'avait pas cru un mot de ce que je lui disais, et jurait ses grands dieux que pareil renversement ne se produirait jamais. »

Voilà le dossier, donc. Commençons par le second paragraphe. D'abord, une première erreur factuelle, dénuée d'importance ici : nous nous sommes rencontrés pour la première fois à la fin de l'année 2006, c'est-à-dire il y a un peu moins de dix ans. C'était à une réunion de lecteurs et d'amis qui, suite à une lecture publique faite par Camus à Beaubourg de l'une de ses églogues, avait eu lieu chez Jean-Paul Marcheschi, dans cette rue dont le nom m'échappe en ce moment, qui commence rue du Louvre, à la hauteur de la Bourse du Commerce (ou anciennement telle). Je ne me souviens pas d'avoir été particulièrement “délirant”, ni même très prolixe dans l'expression de mon enthousiasme – très réel, lui. Mais enfin, le vin rouge aidant, il est possible que je l'aie été. Ce dont je suis sûr, en revanche, c'est que c'est seulement quelques mois plus tard, lors de notre second dîner privé, dans le Gers, que Camus me fit cette réflexion que je l'aimais (ou admirais ?) trop et que, un de ces jours, je lui planterais un poignard dans le dos (ce fut son expression). Et, en effet, je lui avais alors juré que cela n'aurait jamais lieu. D'où son triomphe en demi-sourire et en forme de je-l'avais-bien-dit.

Seulement, Camus se trompe : bien loin de se transformer en “son exact contraire”, cet enthousiasme d'il y a dix ans est demeuré intact, pour les livres de lui publiés à cette époque et pour l'écrivain qu'il était (et est peut-être encore, après tout, même s'il persiste à n'en plus guère donner de preuves éclatantes). En clair, alors que par ce billet – que je vais aller relire ainsi que tous ses commentaires – j'exprimais, il me semble, une inquiétude au sujet de son pouvoir créateur, lui préfère se placer sur le terrain de la trahison. Or, il me semble que toute personne qui décide de rendre publics ses écrits accepte par là même, ou devrait accepter, que tel ou tel lecteur, après avoir été enthousiasmé par celui-ci, se déclare déçu de celui-là. On n'entre pas dans l'œuvre d'un écrivain comme on le fait en religion ; et, plongeant dans celle de Camus il  a dix ans, m'y immergeant totalement durant deux ans, et ne l'abandonnant jamais ensuite, je n'ai pas pour autant fait acte d'allégeance inconditionnelle à son auteur ; il n'y eut, entre nous, ni adoubement ni ordination : seulement, de moi vers lui, et c'est déjà beaucoup, une admiration pour la plupart des livres qu'il a écrits depuis 40 ans. Mais lui-même semble voir les choses autrement et plus ou moins me refuser cette liberté de jugement dont je parle, puisque, deux paragraphe plus loin, il évoque ma “désertion” ; or, je ne me souviens pas d'avoir jamais signé d'engagement ferme dans une quelconque armée camusienne.

Je viens de rechercher le billet mis en cause par Camus : impossible de mettre la main ni l'œil dessus ! Me voilà donc un peu embarrassé pour aborder le premier paragraphe, auquel je comptais arriver maintenant. Ce dont je me souviens, c'est d'y avoir envisagé, en tant qu'hypothèse, un tarissement, total ou relatif, de la veine créatrice, ou disons purement littéraire. Mais je suis bien certain de n'avoir jamais parlé de “réduction des moyens intellectuels”, ce qui aurait équivalu à traiter Camus de semi-gâteux, ou en voie de gâtification, chose qui ne m'a jamais effleuré l'esprit. Et parler, en ce qui me concerne d'un “abandon” est tout aussi inexact, puisque je n'ai jamais cessé de lire les livres de Camus à mesure qu'ils paraissaient, à en rendre compte souvent dans le blog, à dire mon adhésion presque complète (presque parce que je trouve l'expression Grand Remplacement plutôt malheureuse en elle-même) à ses thèses “politiques” et à recommander toujours aussi chaudement la lecture de son œuvre, comme un certain nombre de mes amis pourrait en témoigner.

Il y a tout de même une chose amusante, dans ces deux paragraphes, c'est lorsque Camus se demande pourquoi Jérôme Vallet a cru bon de transporter billet et commentaires sur Facebook. Comme s'il était surpris de ce petit jet de bile, évidemment destiné à semer la zizanie entre lui et moi, de la part d'un individu dont, lors de ce même dîner où il prophétisait son assassinat par moi, Camus nous avait dit ne plus le supporter, ni lui ni ses interventions sur les différents forums. Sur ce, je vais retourner à La Tour, dans la lecture de quoi, malgré mes divers abandon et trahison, je suis plongé depuis ce matin à peu près sans interruption.

jeudi 28 juillet 2016

Le temps venu des armes lourdes


En juin, on a kärcherisé tous azimuts.

lundi 25 juillet 2016

Asylum, dégâts collatéraux


J'ai acquis récemment un gros coffret de disques “blu-ray” comprenant les quatre premières saisons d'American horror story : un achat que je qualifierai d'anti-alcoolique. En effet, Catherine ayant la ferme intention, le mois prochain, de m'abandonner à moi-même et à mes funestes penchants durant deux semaines, pour aller faire la zouavesse dans une yourte au fin fond d'un bois canadien, il me fallait dresser de solides pare-feu entre moi et ma tendance aux libations massives dès lors qu'une certaine solitude conjugale descend sur la maison. Or, rien de plus efficace, quand on prétend remplacer l'ivrognerie honteuse par une “ivresse douce et raisonnée”, pour parler comme Juan Carlos Onetti, que la perspective d'une soirée de télévision comportant un lot raisonnable de meurtres, tortures, éviscérations en tous genres : la compréhension du scénario, ni la lecture agile des dialogues en sous-titres, ne s'accommode du sommeil plombé qui a tendance à saisir le franc buveur dès lors qu'il s'appesantit dans son fauteuil.

Hélas, comme toutes les âmes impatientes, je n'ai point pu y tenir, et, avant-hier soir, j'ai commencé à regarder les premiers épisodes de la saison 2 (les saisons, ici, sont tout à fait indépendantes les unes des autres, on peut donc gravir cet Éverest par n'importe laquelle de ses faces), qui s'intitule Asylum. Comme ce nom l'indique aux anglophones, et aux moins envasés du bulbe des autres, l'histoire se déroule en un centre psychiatrique où, dans les années soixante, on enfermait les fous criminels. J'ai été bien puni de ma précipitation. Non que la saison soit décevante, au contraire : elle est malsaine à souhait, et les acteurs, Jessica Lange en tête, sont parfaits. Mais il y a des retombées néfastes, dommageables à la santé mentale du téléspectateur.

Dans cet effrayant manoir, soumis à des règles aussi drastiques qu'absurdes, voire sadiques, il en est une particulièrement inhumaine : dans la salle commune, où les fous passent, désœuvrés, le plus clair de leurs journées, est diffusée en boucle, sans jamais la moindre interruption, la chanson de Sœur Sourire que tout le monde connaît. C'est pourquoi, depuis quarante-huit heures, je ne cesse plus, et ma raison en chancelle déjà, de me fredonner à basse voix, et avec un accent guilleret contredisant violemment le désespoir dans lequel je me sens plonger : 

Dominique, nique, nique
S'en allait tout simplement,
Routier pauvre et chantant…

C'est dur.

samedi 23 juillet 2016

Samedi rouge en noir et blanc


La sorte de bonheur que l'on éprouve, d'aucuns la qualifieront sans doute de “malsaine” – ou de “malsain” si l'on choisit d'accorder avec “bonheur”, ce qui peut se soutenir –, alors qu'il n'en est rien. C'est la joie tranquille du sage, ou simplement de celui que le hasard a fait demeurer chez lui, quand le tiers ou le quart de ses compatriotes sont saisis par une impérative bougeotte, à vocation méridionale ou atlantique, et vont se trouver englués dans une mélasse automobile qu'ils auront contribué à créer, dont ils sont l'un des innombrables et minuscules grumeaux. Il n'entre aucun sadisme dans cette évocation, encore adoucie par le voile d'une certaine nostalgie dès que l'on s'avise d'avoir ressemblé assez étrangement au garçonnet souriant sur son tas de valises et de sacs : même coupe de cheveux, même chemisette à petits carreaux, que l'on devine colorée comme un vitrail ou un livre d'images, même salopette dont les bretelles prennent un malin plaisir, tantôt l'une, tantôt l'autre, à glisser des épaules où elles devraient demeurer assujetties. C'est que l'on a, depuis ce temps comiquement ou tristement lointain – c'est selon –, appris les vertus de l'immobilité, d'abord chez Baudelaire, sans trop y croire, puis en soi, à mesure que fatigue et lassitude établissaient leur empire : on s'est mis, peu à peu, à craindre le tumulte et le mouvement et à ne plus trop s'enivrer des ombres qui passent ; on reste ici, où les aléas nous ont déposés, parce que l'on s'est persuadé, à force, que c'est chez nous. Et l'on regarde avec une gentille ironie ceux qui viennent de quitter maisons et villages pour aller se jeter dans l'écheveau des échangeurs et, un peu plus loin, sacrifier au rite de l'octroi rebaptisé péage ; sans pouvoir s'empêcher de songer que, peut-être, malgré les apparences brouillonnes qu'ils offrent, ceux-là sont plus avisés que nous, qui, par ces transhumances saisonnières et encore bon enfant, s'entraînent avec prudence à de plus vastes migrations.

vendredi 15 juillet 2016

De la maladie mentale chez les poids lourds


Cela devient très curieux à observer, de la part de nos “autorités” aussi bien morales que politiques, ces phénomènes de déni face aux actes de guerre menés contre nous par les musulmans (oui, oui : je stigmatise ; et, circonstance aggravante, je le fais en toute connaissance de cause). Plus la violence monte, plus, évidemment, il devient difficile de masquer sa source quasiment unique, et plus elles s'y emploient, avec une sorte de frénésie dont on sent bien qu'elle a annihilé chez nos impavides élites tout sens du ridicule. Ainsi, depuis ce matin, à propos du carnage qui a eu lieu à Nice, on parle sans honte, dans diverses gazettes, de “camion fou” ou de “chauffard”. Car chacun sait, et depuis toujours, qu'un poids lourd peut soudain, et sans prévenir, perdre l'esprit. On sent bien que, si le prochain kamikaze mahométan fait huit cents morts plutôt que quatre-vingts, il va devenir un “conducteur imprudent”. On le tancera fermement pour avoir eu le pied “un peu lourd” sur l'accélérateur et, après lui avoir implacablement retiré six points sur son permis, pour le conscientiser au niveau du conduire-ensemble un juge l'enverra, dans le cadre des travaux d'intérêt général, qui ont toujours donné de si merveilleux résultats, on l'enverra donner des cours de code de la route aux enfants des écoles, afin de les sensibiliser au problème de l'incivilité routière, laquelle peut frapper n'importe qui, de 7 à 77 ans.

Quant aux rescapés, nos bons apôtres ordonnateurs de cellules de soutien psychologique les enjoindront une fois de plus de “conserver leur rage bien au chaud pour plus tard”.

jeudi 14 juillet 2016

Chaque saison a ses fêtes


Le premier jour de l'année, la tradition veut que l'on mettre le téléviseur sous tension dès midi, afin de suivre, parfois d'une oreille un peu distraite, et souvent d'un œil agacé, le concert du Nouvel An retransmis du Musikverein de Vienne. C'est un plaisir que l'on peut s'offrir partout en France, pour peu que l'on possède le récepteur idoine. 

Le 14 juillet, les réjouissances commencent un peu plus tôt et développent un nombre considérablement plus élevé de décibels ; de plus, elles ont lieu dehors plutôt qu'au salon. Elles ont surtout ceci de précieux, voire de snob, que seuls quelques happy few géographiques peuvent en jouir, à savoir la poignée de privilégiés vivant entre Évreux et Mantes. Nous voulons parler de la mise en formation de la Patrouille de France qui, attendue tout à l'heure au long des Champs-Élysées, décrit auparavant, à l'aplomb de nos crânes, de majestueuses et tonnantes arabesques à basse altitude – sans aller toutefois jusqu'à écimer trembles et peupliers. 

C'est ainsi que l'on a pu nous voir, Catherine et moi, plusieurs fois durant l'heure qui vient de s'écouler, nous précipiter dehors au moindre vrombissement collectif, abandonnant chaque fois nos activités respectives, elle la confection d'une mystérieuse salade, moi la lecture de La Maison Philibert de Jean Lorrain. Jusqu'à ce que, lentement, tout bruit de moteur s'amenuise au Levant puis disparaisse, laissant les oiseaux et les longs-courriers reprendre la maîtrise des airs.

lundi 11 juillet 2016

Bulletin de cure


Il y a donc trois jours que le geste fatal – ou qui sauve, c'est selon – a été accompli. Les prémisses en avaient été posées la veille, par un billet au titre prémonitoire : Sécession radicale (descendez de dix ou quinze centimètres, vous le trouverez). Vingt-quatre heures plus tard, vendredi, je dynamitai du bout de l'index non seulement la blogroll officielle, mais encore les blogs et forums que je tenais en liste cachée, ne conservant que deux ou trois sites d'information ; geste accompli avec tout de même une infime trémulation car je me demandais ce qui allait se produire ensuite.

Eh bien, il est arrivé que je me suis fort bien porté, depuis, de ce qui aurait pu se vivre comme un sevrage, avec son cortège d'effets secondaires, et qui n'a été qu'une libération, toute simple mais intense et fort agréable. Me dire, deux ou trois fois par jour, que, dans les cloaques où je pataugeais encore naguère, les mêmes batraciens continuent de produire les mêmes bulles méphitiques, et que j'en ignore désormais l'éclatement de surface, voilà qui ne cesse de me procurer cette sorte de frétillement des papilles que l'on éprouve juste avant la première gorgée d'un vin que l'on sait être gouleyant. Jusques aux livres que je lis, qui m'en semblent plus beaux et plus larges.

jeudi 7 juillet 2016

Sécession radicale


C'est fini, je ne peux plus. J'ai fait des efforts, pourtant ; ç'a duré plusieurs années : je m'armais de patience et de mansuétude, me disant que cela leur passerait et que, après tout, mes frères humains n'avaient jamais été parfaits, ni moi. Mais je ne peux plus.

Les z'élites et leurs zélotes peuvent être qui ils veulent, porter les noms les plus prestigieux du moment, j'ai pris, il y a à peine plus d'une minute, cette décision de rupture radicale, alors que, sur Causeur, j'avais commencé à lire un article de Jacques Sapir consacré à je ne sais déjà plus quoi (et m'en félicite) : à la troisième ou quatrième ligne est arrivé ce semblant de verbe : acter. Bien sûr, je l'ai déjà vu passer trente fois, ou cent trente, ou mil e tre ; mais, soudain, je n'ai plus pu ; et j'ai pris le large. Je n'en veux pas spécialement à M. Sapir qui, après tout, n'est qu'un économiste, c'est-à-dire l'équivalent moderne d'un alchimiste médiéval ou d'un haruspice antique : c'est tombé sur lui, c'est tout. La décision s'est formée en une fraction de seconde : à partir de tout à l'heure, je cesserai immédiatement de lire tout article faisant grincer ces sortes de crécelles à lépreux : acter, éponyme (quand il est mal employé, c'est à dire presque constamment), initier, etc.

Je vais me priver de pensées profondes ou au moins de vues intéressantes, dites-vous ? Non, je suis persuadé du contraire : je crois que toute personne me disant qu'une décision a été actée est une personne qui, littéralement, ne sait pas ce qu'elle dit, qui ne s'entend pas parler ; de même celle qui pense avoir initié un projet, ou sa voisine qui croit que Madame Bovary est le roman éponyme d'Emma. Ils barbotent et clabotent : ils ne parlent pas.

Je fais sécession ; parce qu'on m'a appris que le viol était une chose horrible, et que ces gens violent ma langue (et la leur : c'est un viol aggravé d'inceste) dès qu'ils ouvrent la bouche. Si j'avais les moyens de leur y enfoncer un tisonnier rougi à chaque fois qu'ils émettent l'une de leurs monstruosités insoupçonnées et satisfaites, franchement je le ferais avec plaisir. Mais ce serait tout à fait inutile : autant s'éloigner.

mercredi 6 juillet 2016

Terrorisme : bref manuel de soumission bêlante


Que faire, face au terrorisme ? Comment réagir pour le contrer, le réduire, l'endiguer ? On a parfois la déprimante impression que personne ne le sait. Heureusement, si ! Certains esprits plus lucides et déterminés ont compris quelles armes il fallait opposer aux assassins et, surtout, dans quelles tragiques erreurs nous devions éviter de tomber. Je vous invite donc à vous rallier sans tarder aux conseils de cet infatigable combattant de l'avenir qu'est le soldat Sarkofrance. En voici un extrait :

La terrorisme à si grande échelle vise une terreur à laquelle il ne faut pas céder. Ne pas céder consiste d’abord à ne pas réclamer à chaque attentat de énièmes nouvelles mesures répressives, ne pas instrumentaliser les drames, ne pas réagir sauf pour exprimer une compassion envers les victimes; ne pas se disputer sur l’interprétation politico-sociale à donner à l’évènement; ne pas s’indigner contre telle ou telle religion.

Donc, premier point important, qu'un vain peuple ignore trop souvent : le terrorisme vise une terreur. Deuxième point, capital : pour contrer les violences, notre seule arme est le “ne pas” : ne pas réclamer (ça ne me viendrait même pas à l'idée), ne pas instrumentaliser (quelle horreur !), ne pas réagir (sauf pour pleurnicher et allumer des bougies), ne pas se disputer (sinon : au coin !), ne pas s'indigner contre la religion (et, bien entendu, ne même pas la désigner). Au cas où l'on douterait de son propre entendement, voire de sa raison, notre débonnaire combattant du ne-pas résume en une phrase sa philosophie de bergerie :

Ne pas céder au terrorisme consiste à ne pas réagir au terrorisme autrement que dans la solidarité et l’émotion.

Traduit du patois ovinophone en langage humain, cela veut dire qu'à chaque bombe doit répondre un nouveau ruissellement lacrymal, et que le moindre Allahou Akhbar ! doit être rendu inaudible par un concert de snif ! avec chœur de bêêê ! 
  
Si, malgré ces sages et judicieux conseils, l'un ou l'autre d'entre vous se sent encore un tantinet agacé par les agissements d'éléments mal contrôlés de notre belle espèce humaine, je l'invite fermement à méditer ce dernier précepte formulé par notre bon pasteur…

Et à conserver sa rage bien au chaud pour plus tard.

Je suppose que le temps n'est pas loin où l'on nous engagera aimablement, en vue de la tonte à venir, à fournir nous-mêmes la tondeuse. Avec le sourire, pour ne blesser personne.

mardi 5 juillet 2016

Le chat, le chien et la collerette

Nous venons d'aller récupérer Golo à la clinique vétérinaire de Saint-Aquilin, suite à une bénigne opération de la patte avant gauche, pratiquée hier soir. Évidemment, afin d'éviter les léchouilleries néfastes, elle est affublée d'une collerette de plastique blanc qui lui enserre la tête à la façon d'un entonnoir : elle semble la tolérer assez bien.

Assez bien pour un chat, ces pittoresques félidés devenant fréquemment à moitié hystériques lorsqu'ils se retrouvent ainsi affublés. Plus confiants, ou d'une nature davantage résignée, les chiens s'en accommodent en général beaucoup mieux ; mais aucun, je crois, au point de Balbec.

Suite à une opération dont j'ai perdu le souvenir de sa nature exacte, il avait dû lui aussi passer par cette épreuve durant une dizaine voire une quinzaine de jours. Dès le lendemain de son retour à la maison, nous comprîmes qu'il était inutile d'attacher l'engin autour de son cou, car il ne cherchait nullement à s'en débarrasser. Au bout de trois jours, nous lui retirions dans la journée puisque, ne nous quittant jamais d'une patte, il était facile de l'empêcher de mordiller les fils de la cicatrice. Nous ne lui remettions la collerette que si nous devions sortir, et chaque soir au moment du coucher. L'affaire était fort simple. Je saisissais l'entonnoir par sa partie large et le tendait vers le chien en disant : « Balbec ! Ta collerette ! » Et, docile, avec même un rien d'empressement, il venait glisser son museau par l'ouverture étroite, avant de rejoindre son panier – ce qui n'est qu'une image car ce chien-là a toujours obstinément refusé de dormir dans le panier que nous avions acheté pour lui, préférant la dureté lisse du carrelage. 

Et voilà comment, depuis une grosse demi-heure, je ne fais que penser à ce gros ours, mort depuis dix ans, presque mois pour mois. La collerette de plastique, c'est ma madeleine à moi.

dimanche 3 juillet 2016

Mort d'un cuistre


J'ai éclaté de rire tout seul, à la surprise légèrement réprobatrice du chat. C'était en apprenant (ici, mais on le trouvera ailleurs) que le vieux politicien bredouillant et stérile qui est mort hier, demandait par testament à ce qu'un hommage national lui fût rendu, aux Invalides, en présence du président de la République. J'ignorais que l'on pût pousser la cuistrerie à ce point où elle confine à la simplesse d'esprit. Une chance que le petit bonhomme n'ait point été de confession catholique : il nous aurait requis le pape et exigé de lui un procès en béatification. Est-ce cela que l'on appelle la retombée en enfance ? Allons, que la République soit bonne fille : qu'elle le lui donne, son petit bout de diplôme post mortem ; et surtout, après cela, que l'on n'en parle plus.

Mallarmé mis en pièces


C'est à l'heure où j'apprenais la mort d'un poète – en même temps que celles d'un politicien stérile et d'un pontifiant prix Nobel – que j'assistais, réjoui et jubilant, à l'assassinat féroce d'un autre. La mise en pièces se produit vers la fin d'un roman de Jacques Laurent, au titre étrange et laid : Le Miroir aux tiroirs. Il s'agit d'un dialogue entre le personnage masculin principal, Jean Brusse, et l'une des femmes qui croisent sa route, Sibylle, qu'il héberge chez lui plus ou moins à son corps défendant. C'est elle qui sonne la charge, laquelle survient sans prévenir, alors qu'il venait d'être question de Molière et, plus brièvement, de Marivaux :

« – Ah ! Vous êtes fort pour détourner une conversation ! Mais vous ne m'empêcherez pas de vous apprendre pourquoi vous adulez Mallarmé. Par intérêt. À la radio, on interview un mec, on lui demande ce qu'il déteste le plus, il répond : « La bêtise ! » et le tour est joué, sans avoir besoin de le dire il s'est décerné un brevet d'intelligence. Eh bien, il suffit de se réclamer de Mallarmé pour être classé dans l'élite. N'importe quel bourge puant accède à l'élite, s'il sait trois vers de Mallarmé, s'il avoue, presque à contrecœur, comme on reconnaîtrait une faiblesse, qu'il a beau faire, il lui faut reprendre son Mallarmé presque chaque jour, du moins s'en réciter quelques passages, qu'il se sait incapable de vivre sans lui, qu'après tout, ajoute-t-il avec un demi-sourire inspiré, c'est un vice mais qu'il est impuissant à lutter contre. Cette sale comédie est indigne de vous.

Jean s'adossa à la cloison et demanda d'une voix patiente :

– Puis-je vous faire remarquer que jamais au grand jamais vous ne m'avez entendu prononcer le nom de Mallarmé ?

– Vous cachez bien votre jeu, d'accord ! Tous les mallarméens sont des sournois. Et pourtant vous n'êtes pas sournois alors c'est à se demander… Vraiment je ne sais pas pourquoi je vous aime.

Ce dernier mot glissa sur Jean ; il l'interprétait dans un sens anodin, dans le sens d'aimer un copain, sa mère ou les épinards. Plus sensible, peut-être parce qu'elle donnait un autre pouvoir au terme qui lui avait échappé, Sibylle se réfugia derrière Mallarmé et se hâta de reprendre son réquisitoire contre le poète abhorré, contre ses dégueulis d'améthyste, ses abîmes savants comme des chiens de cirque, sa ratatouille de clartés mélodieuses, de chevelures de glace, de robes d'airain, ses ragoûts d'azur séraphique, de joyaux en veux-tu en voilà, de suprêmes tisons, de blonds torrents et de diamants fatals.

– Ce soir, à la télévision…

– Il avait horreur de la réalité, criait Sibylle, le cancre ! Il ne savait même pas la transposer. Ses rares bons vers sont du Baudelaire, non pas plagiés mais inspirés par, ce qui est plus délictueux. Ah ! le salaud ! Avec ses bacchantes jaunes, son regard de gardien de prison, je suis sûr qu'il sentait mauvais des pieds. Et quand on pense qu'il lui a suffi d'écrire un sonnet dépourvu de sens pour que par dizaines critiques et érudits s'acharnent, en faisant avouer les mots sous la torture et craquer la syntaxe, s'acharnent à trouver un sens à tout prix comme si leur idole était un demeuré qui n'avait pas été capable d'exprimer clairement ce qu'il avait à dire, ou un aliéné dont les propos devraient être traduits par un médecin ! »

Diatribe réjouissante dans son outrance même, et dont les derniers mots sonnent comme un écho à Paul Léautaud qui, aussi bien devant les vers de Mallarmé que les romans de Dostoïevski, grommelait : « Littérature de cabanon ! », avant de retourner bien vite à Stendhal, dont il partageait la dilection… avec Jacques Laurent.