jeudi 11 janvier 2018

Le monde Sándor


Sándor Márai (1900 – 1989) est un écrivain hongrois, ce qui n'est pas donné à tout le monde. C'est d'ailleurs pourquoi on devrait plutôt l'appeler Márai Sándor, ainsi qu'on a coutume de le faire dans son parler finno-ougrien. Notons aussi que, pour écrire les noms magyars, un clavier espagnol s'avère bien précieux. Toujours est-il que certains de ses romans sont disponibles en français ; on peut même en acquérir cinq d'un coup, grâce à un volume de la Pochothèque, cette Pléiade du miséreux (si l'on veut bien considérer que la collection Bouquins est déjà la Pléiade du pauvre) ; parmi ces cinq-là, je viens de terminer Les Braises.

Le roman se situe presque tout entier – à part son ouverture – à l'intérieur d'une salle à manger de château, pièce qui n'a pas été habitée depuis de nombreuses années, de même que toute l'aile qui la renferme, le châtelain, un général, se confinant volontairement dans une autre partie de sa demeure, avec quelques domestiques et Nini, la gouvernante qui l'a vu naître et qui a maintenant 91 ans. Dans cette salle à manger, le général va passer la soirée et une grande partie de la nuit – l'aube point au moment où le livre s'achève – avec Konrád, son ami d'enfance, d'adolescence et de jeunesse, qu'il n'a pas vu depuis 41 ans. Tout le roman n'est qu'une longue conversation entre eux, dans laquelle d'ailleurs, c'est presque toujours le général qui parle : on pourrait appeler cela un “monologue ponctué”. Entre eux, une chaise vide, celle de l'épouse morte du général, Kristina. Il s'agit, pour ces deux vieillards (ils ont près de 75 ans et vivent dans la première moitié du XXe siècle) de solder leur compte, d'apurer le passé, de faire jaillir la vérité avant que la mort ne vienne les prendre. Sauf que la vérité ne jaillit pas comme d'un puits, surtout après 41 ans de silence. Elle est tapie au fond de l'œil d'un vaste entonnoir, dans lequel on comprend que les deux hommes ne pourront descendre qu'en dessinant des cercles concentriques de plus en plus rapprochés, rapides, et donc dangereux. Le général semble mener cette sorte de danse macabre circulaire, mais le lecteur en arrive assez vite à se demander si ce n'est pas plutôt le laconique et réticent Konrád qui détient toutes les clés. Les clés de quelle porte ? C'est l'objet du roman : à  vous d'aller la pousser.

Sándor Márai a partagé les dernières décennies de son existence entre la région napolitaine et la Californie. Après avoir, en deux ou trois ans, vu mourir la plupart de ses proches : épouse, fils, frères…, il se suicide le 22 février 1989, quelques mois avant que la Hongrie ne soit libérée de la tyrannie communiste qui l'avait conduit à l'exil. Même les grands écrivains sont parfois mal inspirés.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.