mardi 29 mai 2018

De l'homme, de l'urinoir et des vastes questions métaphysiques


Sait-on toujours comment les discussions éclosent ? A-t-on idée de la manière dont surgissent les vastes questions métaphysiques ? Celle que je m'en vais vous soumettre a jailli (et c'est bien le cas de le dire…) dans la salle du rewriting de France Dimanche, voilà sans doute un petit quart de siècle. Elle le fit à peu près en ces termes :

Lorsque l'on va pisser dans des toilettes plus ou moins publiques, faut-il se laver les mains avant ou après ?

D'emblée, nous fûmes clivés comme des bêtes. D'un côté, les ultras de l'hygiénisme dû à autrui, les apôtre du vivre-ensemble-proprement, qui penchaient fortement pour l'après, auxquels se joignaient les faux indignés jurant que, leur appendice urinatoire étant d'une irréprochable cleanitude, ils n'avaient nul besoin de passer leurs mains sous l'eau avant de s'en saisir. En face, le clan des réalistes, de ceux qui, au profond des abysses de leur for intérieur, savent bien qu'on n'a jamais la queue aussi propre qu'un vain peuple se l'imagine, et que, donc…

Yves J., notre chef fort-aimé, qui malgré sa cinquantaine bien sonnée attachait une importance à mon avis exagérée à son organe et à ses différentes fonctions, Yves J. voulut jouer les jusqu'au-boutistes et préconisa le double lavage de mains : un avant, un autre après, ajoutant encore à la confusion qui menaçait de tourner à la sécession.

Personne ne songea à émettre l'hypothèse que l'on pourrait aussi bien aller pisser avec des gants, ce qui aurait pourtant été le bon sens même. Nous étions, en vérité, au bord de la lutte fratricide.

Je rétablis brusquement le calme et pulvérisai le clan des après, en faisant observer que, pour quitter le local, il fallait bien poser ses doigts sur la poignée, puis éventuellement serrer la dextre du bipède qui, dans le couloir, avait la pénible manie de vous la tendre dès que le hasard vous faisait vous croiser avec lui ; et que, par là même, on récupérait fatalement les bataillons de germes véhiculés par tous ceux qui ne se lavent ni avant ni après. 

Le clan des vaincus se retira en bon ordre, mais l'alerte avait été très chaude. Et aucun d'entre nous ne put, par la suite, contempler les urinoirs d'un œil tout à fait serein.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.