mardi 4 décembre 2018

Le poids de la sardine


Il est des interrogations fort anodines qui, pourtant, font entrevoir des abîmes dès lors qu'on se penche sur elles. Ainsi, sur le fond de certaine boîte de sardines dont il m'arrive de faire l'emplette, est portée la double inscription suivante :

– Poids net : 135 g.
– Poids de poisson : 102 g.

Déjà la faille se laisse pressentir, au moment où le consommateur se dit qu'il est impossible que les quatre ou cinq sardines alignées tête-bêche dans la boîte atteignent toujours le poids indiqué, vaguement inquiétant dans sa précision même. Dans les jours ou les semaines qui suivent cette première observation, l'acheteur se surprend à inspecter l'intérieur de chaque boîte d'un œil inquisiteur, tâchant de voir si, par hasard, quelque employé de la conserverie, payé uniquement dans ce but, peut-être émargeant à un budget secret, n'aurait pas, çà ou là, rogné une ou deux minuscules parcelles de poisson afin de parvenir à ces fatidiques 102 grammes ; parcelles qui, songe-t-il soudain, et son trouble s'en accroît, ainsi que sa suspicion, pourraient aussi bien avoir été ajoutées. Mais non, rien ; rien que d'honnêtes sardines, ne présentant aucune trace de mutilations pratiquées à des fins pondérales.

Voyant son inquiétude monter inexorablement, l'épouse de notre déboussolé piscivore propose une explication dictée par la charité : « Peut-être que 102 g représente le poids minimal de sardines que chaque boîte doit contenir ? » L'homme en ressent un soulagement très net, mais hélas fugitif. Car aussitôt surgit une seconde question : s'il s'agit bel et bien d'un poids “plancher”, pourquoi ne pas avoir arrondi à 100 grammes ? Pourquoi ces 102 grammes ?

C'est l'instant précis où l'abîme s'entrouvre.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.