samedi 29 avril 2023

Du côté de chez Anatole


 Depuis quelques jours, je lis, l'un derrière l'autre, les quatre romans composant l'Histoire contemporaine d'Anatole France ; avec un plaisir certain. Pourtant, je dois faire un réel effort, et sans y parvenir tout à fait, pour admettre que cette tétralogie a été écrite et publiée à peine quinze ans avant la parution de Du côté de chez Swann. Lorsqu'on les lit, France et Proust semblent séparés par toute l'épaisseur d'un siècle entier, alors qu'ils furent presque parfaitement contemporains : bien que né quelque 27 ans avant lui, Anatole est mort deux ans après Marcel.

Lorsque je pense à France, quand je vois ses personnages s'ébrouer sur la page, m'apparaissent aussitôt de graves messieurs d'un âge et d'un embonpoint certains, avec barbichette et bésicles, surmontés d'un melon ou d'un haut-de-forme. Or, il est tout à fait impossible de se représenter ainsi ni Proust lui-même, ni Charlus, ni Swann, ni le duc de Guermantes, etc. 

Anatole France et M. Bergeret , son personnage central, appartiennent pleinement à leur temps, ils sont entièrement “d'époque” (et c'est d'ailleurs ce qui, au moins pour moi, fait leur charme un peu “sépia”), tandis que Marcel Proust et Charles Swann s'en sont évadés dès leur venue au monde littéraire.
 
J'ajouterai ceci : Proust, au long des trois mille pages de sa Recherche du temps perdu, n'est jamais bavard ; alors que France parvient à l'être régulièrement dans ces quatre romans dont aucun ne compte plus de deux cents pages. Son bavardage est souvent plaisant, élégamment tourné, pertinent même ; mais cela reste du bavardage ; facilité que Proust s'interdit toujours.

jeudi 20 avril 2023

Les séries de bonnes femmes

Je reconnais que mon titre pourra passer pour un tantinet provocant. Néanmoins, la chose existe : je veux parler de ces séries télévisées écrites par des femmes, pour des femmes, et dans lesquelles les rôles de “personnages forts” leur sont systématiquement dévolus. J'y pensais tout à l'heure à propos d'Anatomie d'un scandale, série anglaise revue ces deux soirs derniers à l'instigation de Nicolas qui en a parlé, essentiellement pour en dire un bien que je ne pense moi-même qu'à moitié – et encore.

Au centre de l'intrigue, un brillant ministre de Sa Majesté – donc, suivant la bienpensance obligatoire, un mâle dominateur, arrogant, prenant les femmes comme des kleenex et les jetant de même – nanti d'une parfaite épouse blonde et d'une jeune ex-maîtresse brune qui se trouve travailler sous ses ordres (les trois en photo ci-dessous). Au début du premier épisode, la séduite-et-abandonnée (syntagme figé) porte plainte contre son ex-amant pour viol.

(Évidemment, pour viol : la série-de-bonne-femme se reconnaît entre autre à ce que les mâles y violent à peu près aussi facilement qu'ils tiraient des coups de colt à l'époque du western. On finira par se demander si les femmes post-modernes ne ressentent pas un genre d'attirance malsaine, de délicieuse horreur, pour ces crimes-là.) 

Là-dessus, les avocats s'en mêlent. Ou plutôt : les avocates, et notamment celle qui va s'acharner sur le violeur présumé (photo d'ouverture). Car dans cette cour de justice anglaise, les femmes semblent avoir entièrement pris le pouvoir, à l'exception du vieux juge qui, sur son banc, somnole du premier épisode au dernier et ne joue rigoureusement aucun rôle discernable.

La suite des péripéties sombre rapidement dans l'invraisemblance, encore soulignée par une réalisation souvent ridicule à force d'affèterie. Ce n'est pas l'important. La seule chose qui compte est de produire une série morale. C'est-à-dire une histoire à la fin de laquelle le prédateur puissant, nanti, bourgeois, évidemment blanc (mais qu'on se rassure : son avocate est du plus beau noir, et ses cheveux rasés à la peau sont là pour nous suggérer un probable lesbianisme), sera cloué au pilori. Et, de fait, il le sera, même après avoir été acquitté par le jury : l'épouse blonde, dont il serait intolérable qu'elle se satisfît de sa position de victime, se chargera de l'exécution, au prix d'une pirouette scénaristique qui laissera rêveurs les esprits les plus enclins à l'indulgence.

Et puis, il y a la plaignante, maîtresse passionnée et ardente du ministre durant cinq mois, jusqu'à son largage. On ne se fera pas faute de nous indiquer qu'elle a fort bien pu, au début, subir l'ascendant social, moral, intellectuel, etc. de son brillant, puissant et célèbre patron ; bref, que malgré son enthousiasme charnel elle est une sorte de victime dès le départ. Et tout le monde, y compris l'avocate de l'accusé, se gardera bien de suggérer que son accusation de viol pourrait n'être qu'une simple vengeance, une réaction de dépit et de colère, se voyant rejetée comme maîtresse et, peut-être, retardée dans sa carrière politique en cessant d'être la “collaboratrice privilégiée” du ministre.

Quelle impression reste, à la fin de tout cela ? Celle d'avoir entendu se plaindre, récriminer, accuser trois femmes, trois victimes autoproclamées (car l'avocate aussi est une victime, je ne vous dis pas comment ni pourquoi) qui, finalement unies par la grande sororité victimaire, réussiront à égorger le bouc satanique qui a fait leurs malheurs – bouc qui, au fil des épisodes, en plus d'être satanique, devient de plus en plus émissaire, jusqu'à son bûcher terminal.

En un mot, une série à voir absolument, à condition d'être une femelle de combat ou un mâle déjà sérieusement déconstruit

P.S. : les accros aux séries auront reconnu dans le ministre violeur un pilier de Homeland, et dans l'avocate la fille aînée de la famille Crawley de Downton Abbey.



 

samedi 15 avril 2023

Vive la loi ou Les seigneurs des anneaux


 Dans le cloaque touitteuresque où je vais chaque matin tremper un orteil circonspect, je découvre que des excités quelconques viennent d'avoir une mirobolante idée, résumée par le slogan suivant : 

Pas de retrait, pas de J.O.

Si je comprends bien, cela semble signifier que, si le gouvernement s'obstine à rendre effective sa loi sur la réforme des retraites, ces braves combattants du Bien vont désormais tout mettre en branle pour saboter les Jeux olympiques parisiens de l'année prochaine, voire rendre impossible leur tenue. 

À ce jour, c'est de fort loin le meilleur argument que j'ai lu en faveur du maintien de la loi.

samedi 8 avril 2023

Les bandits et les fous


 J'acquiesce des deux mains (?) à la sentence suivante, trouvée chez Remy de Gourmont, qui est en ce moment ma lecture vespérale : 

« C'est le malheur de ceux qui ne prennent pas parti dans la politique, qu'ils sont également dégoûtés par toutes les factions et qu'ils ont le sentiment de vivre chez des bandits ou des fous. » 

Et encore ce bon Remy n'a-t-il pas eu le réjouissant privilège de connaître notre siècle et nos “factions” : son impalpable, et donc assez rassurant, sentiment se serait alors mué en certitude triste. Ou bien il aurait éclaté de rire, on ne sait pas trop.

jeudi 6 avril 2023

Des verges pour se faire battre


 Au fond, nos jeunes post-féministes d'aujourd'hui, celles qui clouent chaque matin un vieux mâle exténué sur la porte de leur grange pour apaiser leur soif de tribunaux et de galères, celles-là ne font que réagir mécaniquement contre la liberté sexuelle imprudemment prônée par leurs soixante-huitardes grands-mères – qui elles-mêmes, du reste, vivaient largement d'illusions. 

Ce qu'elles exigent, ces bigotes new style, c'est le retour à un puritanisme “de combat” – mais camouflé sous des habits qu'elles croient neufs –, basé sur un séparatisme et un encadrement des sexes aussi stricts que possible. En cela, elles ne sont pas très éloignées de ce que réclament nos frères musulmans, et qu'ils appliquent déjà en grande partie dans leurs divers territoires annexés. 

Qu'un régime islamique s'installe demain par ici, on verra un bon nombre d'entre elles s'en accommoder fort bien ; et même s'épanouir étrangement sous la férule nouvelle.

samedi 1 avril 2023

Le grand bond en avant


 En mars, on a sauté à pieds joints dans le XXIe siècle.