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Edgar Hilsenrath, 1926 — 2018. |
Malgré ce que le béret pourrait incliner à croire, Edgar Hilsenrath n'était nullement français mais allemand ; juif de surcroît et, durant un temps, pensionnaire obligé de divers ghettos. Ce fut aussi un écrivain, ce qui explique qu'il resurgisse ici.
Très curieux roman que Le Nazi et le Barbier, où le macabre et le burlesque sont intimement liés, où la farce et l'horrible forment un mélange parfait, mais où l'insupportable est tempéré par l'exagération volontaire. C'est ainsi que le narrateur se fait enculer par l'amant de sa mère — lequel est doté d'une bite énorme — alors qu'il est âgé d'à peine une semaine. Plus loin, on rencontre une quinquagénaire allemande, affligée d'une jambe de bois, que les Russes, au moment de la prise de Berlin en 1945, ont violée 59 fois.
Ce narrateur, Max Schultz, n'est pas qu'une victime, loin s'en faut. Fils d'une putain aryenne “de souche”, on le voit s'engager dans la SS et devenir exterminateur dans un camp de la mort, où il massacre sans hésiter plus que cela Itzig Finkelstein, son ami d'enfance, juif indiscutable mais au physique de parfait aryen, tandis que son bourreau, lui, ressemble par une incompréhensible ironie génétique à une caricature de youpin publiée dans le Völkischer Beobachter.
Ce faciès outrancièrement typé va être sa chance ; ou, disons, sa planche de salut : en 45, à l'écroulement de ce Reich qu'il a servi avec zèle et conscience, Max Schulz endosse l'identité de son ami tué par ses soins, après s'être fait déprépucer par un médecin complaisant, un ex-nazi compréhensif. Devenu juif par ce tour de passe-passe, il choisit fort logiquement d'émigrer en Palestine, où il reprend son premier métier, coiffeur, et devient un intransigeant sioniste. La suite ? La fin ? Je ne sais pas : il m'en reste à lire.
Si j'ai écrit plus haut les mots “bite”, “enculer” et “youpin”, ce n'est pas par puéril désir de choquer les prudes ni les antiracistes de profession, mais parce que Hilsenrath lui-même manie une langue sans périphrase ni litote, une langue souvent verte et roide, qui tressaute et rebondit, un peu à l'image de son effrayant et pitoyable “héros”. Il y a, dans ces quatre cents et quelques pages, un peu de Rabelais et pas mal de Père Ubu : on s'y amuse beaucoup.
Mais enfin, il faut admettre que c'est plutôt une boisson d'homme.