samedi 31 janvier 2009

Je veux bien, mais raconter quoi ?

Il y a les choses qui nous occupent l'esprit mais dont on sent bien qu'il est préférable de les taire ; de leur laisser le temps de creuser quelques galeries supplémentaires dans le fromage mou de la tête (qui est légèrement différent du fromage de tête, et encore plus du foie de veau persillé).

Il y a ce dont il ne faut pas parler, et ce dont on n'a sans doute que trop parlé déjà. On frôle le radotage, le psittacisme – le gâtisme, pour tout dire. Par moment, on se sent des envies d'enfant attardé, comme celle de se reconvertir en blog de vieux con. Je veux dire : hautement affirmé, encore plus que jusqu'à présent. On parlerait de nos petites maladies, de nos douleurs matinales, de l'énurésie qui guette ; ou encore du prix du lait et de la qualité du pain. On fustigerait les jeunes avec encore plus de mauvaise foi que maintenant, on cesserait d'écouter David El-Malek parce que c'est de la musique de sauvages. Finalement, on se rendrait compte que ce blog est resté inchangé ou presque, on en serait pour ses frais.

On pourrait aussi se retrancher radicalement, se blogamputer, se réduire au mutisme ; dispar'être, comme dit l'autre. Se mettre à autre chose, ou mieux : se mettre à rien. Attendre. Voir ce qui va se passer, comme dit encore un autre. Et ce qui ne passera pas. Devenir contemplatif, légumineux, géranium en pot. Remiser les mots et aligner des soldats de plomb, engager des batailles fictives comme on le fait déjà, mais en silence et sans demander l'avis de quiconque.

On pourrait en faire des choses ; c'est à vous coller le vertige, parfois.

François Villon fréquentait la Comète : la preuve

À Nicolas, le Jean Cotart des temps modernes...


Ballade et oraison


Père Noé, qui plantâtes la vigne,
Vous aussi, Loth, qui bûtes au rocher,
Par tel parti qu'Amour, qui gens engigne,
De vos filles si vous fit approucher
(Pas ne le dis pour vous le reproucher),
Archetriclin, qui bien sûtes cet art,
Tous trois vous pri que vous veuillez prêcher
L'âme du bon feu maître Jean Cotart !

Jadis extrait il fut de votre ligne,
Lui qui buvoit du meilleur et plus cher,
Et ne dût-il avoir vaillant un pigne ;
Certes, sur tous, c'étoit un bon archer :
On ne lui sût pot des mains arracher ;
De bien boire oncques ne fut fétard.
Nobles seigneurs, ne souffrez empêcher
L'âme du bon feu maître jean Cotart !


Comme homme bu qui chancelle et trépigne
L'ai vu souvent, quand il s'alloit coucher,
Et une fois il se fit une bigne,
Bien m'en souvient, à l'étal d'un boucher ;
Bref, on n'eût sû en ce monde sercher
Meilleur pïon, pour boire tôt et tard.
Faîtes entrer, quand vous orrez hucher
L'âme du bon feu maître jean Cotart !

Prince, il n'eût sû jusqu'à terre cracher ;
Toujours crioit :« Haro ! la gorge m'ard. »
Et si ne sût onc sa seuf étancher
L'âme du bon feu maître jean Cotart.

vendredi 30 janvier 2009

L'anonyme est un con

Un courageux lecteur me laisse ce commentaire (évidemment anonyme) :
« Il semblerait que vous connaissez parfaitement le monde de la mine , le monde de la métallurgie,les ouvriers!!! la silicose et autre douceur, je viens d'une famille de gueule noire, le trou du cul du monde...grand père père et tutti fleur de charbon..Si vous pouviez être plus drôle, tout ceci est bien mièvre,ne vous penchez pas trop sur leur tombe , ils pourraient bien vous bouffer tout jaune!! »

J'ai laissé les fautes, les espaces manquants, les guillemets absents, etc. Du reste, ça n'a guère d'importance.

Ce qui en a, de l'importance, c'est l'étalage de bêtise de ce Monsieur Anonyme. Il semble penser que ce qu'ont vécu ses aïeux le sauveront quoi qu'il arrive ; que ce que son grand-père a pu vivre suffit à lui donner une belle âme, une sorte de passeport angélique ad vitam.

Il a tort : ce type est un connard. Son grand-père, non, en revanche. Mais lui, oui, absolument. Je l'imagine parfaitement, avec sa mèche blonde décolorée (et même s'il ne l'a pas, je l'affuble et l'emmerde), courant dans les manifs festives, son grand-père en bandoulière.

Tu vois, mon petit anonyme de merde, je pourrais tartiner des heures sur ta non-existence. Mais pour quoi faire, bon Dieu ? Petit con tu es, petit con tu resteras. Il y a une personne que j'aurais aimé connaître : ton grand-père, qui semble ressembler aux deux miens. Quant à toi, si tu pouvais dégager d'ici, tu me ferais bien plaisir.

Pauvre merde.

Les somnambules sont dans la rue

Sur un blog où je ne suis pas le bienvenu mais où je vais quand même, je viens d'apprendre avec effarement que l'un des slogans arborés hier par les manifestants était Rêve général. Peut-on avouer plus ingénument que l'on s'est abîmé dans le sommeil et qu'on est bien décidé à n'en plus sortir ? Que la réalité a été chassée par la porte et qu'il est hors de question qu'on la laisse rentrer par la fenêtre pour venir gâcher la fête perpétuelle ? J'ai pensé à Philippe Muray, allez savoir pourquoi...

Blog de jaune

Vous pouvez sans remords vous dispenser de lire ce billet, qui risque fort d'être d'un vertigineux inintérêt, dans la mesure où je n'ai strictement rien à raconter : sa seule raison d'être est de faire descendre la photo précédente afin que Suzanne puisse revenir.

Cela dit, j'ai tout de même une mise au point à faire : c'est pur hasard si je n'ai pas publié de billet hier, et je ne voudrais pas être compté parmi les blogo-grévistes. Jaune je suis, jaune je reste. Je vous ai tout de même mis une photo en rapport avec le sujet, mais en prenant soin, vous le noterez, de choisir une vraie grève, avec de vrais ouvriers, et non je ne sais quels fonctionnaires festifs, avec gueules peinturlurées et lâchers de ballons multicolores. Si on continue comme ça (et je ne vois pas pourquoi on ne continuerait pas), les manifs de demain seront vraiment difficiles à différencier d'une vulgaire gay pride – le pléonasme est offert.

Sinon, tout à l'heure, dans le hall de l'immeuble où j'officie, mes yeux sont tombés sur la couverture de Enter, le magazine interne du groupe L*gardère. Gros titre barrant toute la "une" et annonçant les 19e bourses de la Fondation Jean-Luc L*gardère :

La soirée des talents et de la diversité

C'est moi qui souligne, bien sûr. J'ai été content de constater que, pendant les heures de travail, le bourrage de crâne continuait. S'agirait pas que la vigilance se relâche, hein ?

Bon, chère Suzanne, je pense que j'ai suffisamment blablaté pour que disparaisse l'objet qui offense vos yeux. Je vais donc m'arrêter là.

mercredi 28 janvier 2009

À tous les kékés, V

Mes petits kékés, avant de prendre congé, je dois encore attirer votre attention sur une chose : il va de soi que vous devez aimer vos mères, mais méfiez-vous-en tout de même. Elles sont toujours prêtes à vous prostituer, pas tellement pour l'argent (qui compte tout de même), mais pour ce qu'on pourrait appeler la gloriole maternelle, afin de faire court.

Un exemple : aujourd'hui, comme très souvent, au 10 de la rue Thierry-Le Luron excellemment nommée, il y avait "casting-de-kékés". Pour un magazine intitulé Parents. Il s'agit d'une sorte de journal dans lequel, au gré des modes psycho-féminines, on explique à vos "mamans" et "papas" le plus court chemin menant de l'appartement familial au divan freudien. Confortable le divan, heureusement : vous n'y échapperez que par miracle, au train où vont les choses, et vous y serez nombreux. Bien entendu, tous les articles meublant cette publication vomie par les enfers se doivent d'être illustrés. Par quoi ? Hein ? Par quoi ?

Des photos de kékés, évidemment. Donc, régulièrement, le magazine lance des appels d'offres, pour trouver de petits couples modernes désirant tirer un peu d'argent de vous, mes drôles. Il les trouve très facilement ; ça se bouscule au portillon (au sens propre : il y a vraiment un portillon...) par dizaines. Il n'y a pas que des mères : France de demain oblige, on voit aussi arriver des papas jeunes-minces-et-souriants (les vôtres, mes fragiles), tout aussi enthousiastes que leurs femelles (vos mères éternelles, hélas) pour aller gagner leur poignée d'euros en vous pilorisant durant d'interminables quarts d'heure face au photographe, aussi professionnel qu'indifférent à vos gesticulations.

Un jour, dans quelques années, vous allez découvrir cela : vous à poil sur une couverture, une tétine dans le bec, une peluche imbécile dans les mains, que sais-je encore ? Vous, petits muets vagissants, vendus, loués, prêtés, vantés par vos parents si attentifs à votre bien-être – disent-ils –, si respectueux de votre...

Non, rien, laissez ; ce n'est probablement pas leur faute. Pardonnez-leur, d'ici quelque temps.

Tu reviendras à Guillaume Cingal

Hier, profitant de ce que j'avais le dos tourné, l'excellent Guillaume Cingal (comme je ne sais pas s'il apprécierait, je m'abstiens de tout lien ; mais si on cherche bien, il fait partie de mes "fondus"...) me laisse, sur ce billet, le commentaire suivant :

Votre droiture vaut leur gaucherie...

C'est tout ce que j'aime lire : le mini-poignard planqué dans la paume qui caresse, la capsule de cyanure au creux de l'une des dents qui sourient – le double fond.

mardi 27 janvier 2009

À tous les kékés, IV

Finalement, mes kékés, je ne vous dirai rien de l'Art. Oui, je sais, j'avais promis. Mais nous autres, gisants, ne sommes tenus à rien, et surtout pas envers vous. On peut avoir été boutiquier, mineur de fond, mage socialiste, cracheur de feu et de poumons, nounou d'enfer ou oiseau de paradis, peu importe : nous n'avons plus de comptes à vous rendre – d'autant moins que nous n'avons jamais été capables de les tenir. Nous sommes la première génération à ratiociner sur le monde futur sans nous être jamais souciés de l'état dans lequel nous mettions le nôtre.

Après nous le déluge ? Oh ! non, même pas : un petit déluge, au moins, ç'aurait eu un peu de gueule ; suffisant à vos occupations pour une demi-génération. Après nous, la fête perpétuelle. La terrible fête dans laquelle nous vous avons englués avant même votre naissance, mes kékés à roulettes. Lumière et bruit : les deux portes de votre enfer. Spots et musique d'ambiance. Géhenn' land. Styx Park enfin avenu. La S.P.R.N. Tartare-Immo vous souhaite la bienvenue dans son nouveau multiplexe de vie terrestre et s'empresse de refermer à clé derrière vous, avant d'aller s'allonger à l'abri de vos regards lourds d'insouciance obligatoire. Société Posthume à Responsabilité Nulle : les promoteurs vous saluent bien...

Nous sommes coupables, c'est entendu, mais ne vous croyez pas innocents pour autant. Savez-vous ce que dit saint Augustin (ne perdez pas votre temps à chercher : il se trouve au rayon le plus profond et le mieux gardé des nouvelles catacombes) dans sa Cité de Dieu, à propos du kéké – pardon : de l'enfant ? Ceci : « Si on lui laissait faire ce qui lui plaît, il n'est pas de crime où on ne le verrait se précipiter. » Scandaleux ? Inadmissible ? Évidemment ! C'est bien pourquoi nous avons détruit le catholicisme. Et nous l'avons fait pour vous ; pour ne pas troubler la fête.

Et puis encore ceci, toujours à votre sujet, dans le Talmud de Jérusalem : « L'enfant ressemble à un porc qui fouille les cloaques. » Intolérable ? Nous n'avons pas toléré non plus. C'e qui vous explique pourquoi les plus angéliques d'entre nous n'avaient au fond qu'un idéal : détruire Israël ; en finir avec les tribus qui refusaient depuis trop longtemps de chanter vos louanges, qui renâclaient à faire leurs les nouveaux cantiques de l'innocence. Peut-être y sont-ils parvenus, en fin de compte ; je ne sais pas : les informations parviennent mal et sporadiquement au royaume subterrestre ; on est quelques-uns à supposer que le sépulcre doit agir comme une sorte de cage de Faraday, mais on n'est sûr de rien.

Enfin, voilà, mes kékés. Il me semblait avoir encore beaucoup de choses à vous dire. Mais à quoi bon ?, quand il est possible de tout résumer par deux décasyllabes écrits il y a cinq siècles et demi :

Frères humains qui après nous vivez,
N'ayez les coeurs contre nous endurcis...

Et, si vous le retrouvez, si sa voix parvient un jour prochain à recouvrir vos flons-flons perpétuels, s'il vous plaît, soyez gentils, et priez Dieu que tous nous veuille absoudre.

Se battre pour ses opignons

Je crois avoir mis au jour la différence primordiale entre mes amis de gauche et moi : je les aime avec leurs idées, ils m'aiment malgré celles que j'affiche.

De quoi certains vont déduire que, au fond, inconsciemment, en mon fort Chabrol intérieur, je trouve leurs opinions plus sortables que les miennes.

En vérité actuelle, elle le sont effectivement.

Le ventre fécond relève la tête

Pour essayer de me faire offrir une bière, demain, par le camarade Rubin...

lundi 26 janvier 2009

Mot d'émétique

Je suis passé en coup de vent, l'autre jour, au travers d'un blog où l'on s'interrogeait de savoir ce que représente vraiment le Modem dans la vie politique française. Bien que m'en contre-pignolant avec nonchalance, j'ai tout de même trouvé une amorce de réponse. Le Modem, c'est la gauche aspartam. La révolution à prix doux.

LE SOFTCIALISME

À tous les kékés, III

Les kékés, il faut que je vous entretienne d'un phénomène étrange et capital qui a frappé voici déjà longtemps vos parents, mes voisins de fosse, mes co-locataires de mausolée. Un matin, ils se sont réveillés – tous à la même heure –, et l'idée était là, lumineusement tremblotante sur le mur de la chambre matrimoniale. Ils l'ont reconnue tout de suite, persuadés qu'ils furent alors de son éternité ; et ils la saluèrent.

En réalité, ce qu'ils ont pris ce matin-là pour une idée aussi ancienne que leur pauvre race n'était même pas une idée neuve. C'était l'acide qui allait ronger tout le reste, emporter les digues et les remblais naturels. C'était Satan s'avisant du vide divin et reprenant le monde à la hussarde. L'ange déchu et chassé se rebaptisa Égalité pour se présenter en majesté à vos parents en pleine descente de sommeil.

Chacun de nous – car je fais partie des coupables, même si j'ai manié l'outil avec quelque réticence, au moins au début – se mit à travailler à son règne. On combla les dépressions, arasa les sommets trop voyants, les pics d'orgueil, les hautes falaises de solitude, on dynamita le rocher de cristal baudelairien, coupable de ne pouvoir accueillir tout le monde en ses aspérités miroitantes ; et la terre devint enfin habitable pour les générations futures – vous, mes kékés –, c'est-à-dire plate et semblable à elle-même partout. On la rebaptisa banlieue, au singulier car il ne saurait y en avoir plusieurs.

Puis, le décor planté, on s'attaqua à l'humain. Chacun d'entre nous fit de considérables efforts pour ressembler à chacun. Il y eut bien au début quelques tiraillements cervicaux lorsqu'il fallut ployer la tête afin qu'elle ne dépasse pas celle des autres – qui faisaient la même chose de leur côté. Mais les efforts s'allégèrent rapidement, les nuques s'assouplirent, bien aidées en cela par les polices gymniques qui se mettaient progressivement et progressistement en place.

Les résultats dépassèrent les espérances : vos parents et moi plongeâmes dans l'avenir avant même qu'il fût inventé, conçu. Avec tous le même maillot de bain en laine bleu marine tricotée qui grattait bien un peu l'entrejambe mais auquel on s'habitua très vite, là encore.

La cathédrale laïque déjà bien vermoulue de l'école fut notre premier vrai chantier, le portique glorieux de nos douze travaux d'hercuscules. Essayez d'imaginer, du sein de votre futur, l'effet de scandale que pouvait produire un temple à colonnes à l'entrée d'une banlieue pavillonnaire : pas besoin de vous en dire plus, n'est-ce pas ? On pavillonna le temple en trois coups de pioche, et on le fit en votre nom. On posa la toise sur le crâne du plus petit d'entre vous et il devint élève-étalon pour les siècles des siècles. (Dans le même temps, d'autres équipes travaillaient à supprimer les siècles.) La cure d'amaigrissement fut cordialement reçue et fit du bien à tout le monde. Il y eut évidemment au début quelques esprits chagrins pour nourrir leurs kékés en cachette, mais la soudaine obésité de leur progéniture les trahit assez vite ; la plupart renoncèrent à leur déplorable esprit, à leurs complexes de supériorité absurde, les derniers réfractaires se virent retirer la garde de leur descendance.

Du reste, la méthode se perfectionnait chaque jour, dans le but de réduire les poches de résistance. C'est ainsi qu'on eut l'idée, pour masquer les aspects inévitablement un peu grisâtre de l'égalité parfaite, d'introduire dans son champ uniforme une diversité artificieuse et homéopathique, exemplaire et rédemptrice. Cela fonctionna à merveille : on faisait venir des brassées de malheureux par cargos entiers, on les revêtait de la pourpre, on les exhibait en exemple, les érigeait en paradigme – et l'exemple fut suivi d'enthousiasme, le paradigme reproduit scrupuleusement.

L'école mise en conformité d'avenir, il restait à détruire une citadelle autrement plus redoutable, un bastion effrayant de la supériorité et de l'élection érigées en principes d'existence : l'Art. Le long regard étonné que vous faites, à ce mot, glisser jusqu'à la dalle qui me dérobe à vous me prouve – et je m'en réjouis – que nous y avons pleinement réussi. Voici comment...

dimanche 25 janvier 2009

Car le tombeau toujours comprendra le blogueur

C'est ce qui s'appelle sauter de tombe en tombe, je suppose. Lorsque j'ai ouvert l'aïeul de ce blog, le but était de nouer un dialogue avec Bergouze, lui sous son tumulus, silencieux, bien sage, et moi à cheval dessus, jactant à perte d'ouïe.

Et je me retrouve, depuis deux jours dans une situation pour ainsi dire inverse : emmitouflé dans mon futur suaire (car de crémation je ne veux point : on n'est pas des sauvages ! Et le jour de la résurrection des corps, ils auront l'air malin, tous les petits tas de cendres condamnés à revivre sous forme de paquets de clopes, tiens !), mon mastaba cerné de petits kékés qui ne m'écoutent probablement pas.

Le seul invariant, c'est que c'est toujours moi qui jacte.

Les kékés attendront que l'oiseau ait fini son repas

Après un excellent poulet au cidre et aux deux pommes (de terre et d'arbre, pour les béotiens), plus quelques pages de Philippe Muray pour me réactiver la glande réactionnaire, je suis venu me mettre en embuscade derrière cet écran. Mon idée était d'écrire un troisième volet de la série intitulée À tous les kékés et libellée France d'après. Car, depuis hier, je me demande si je ne vais pas prolonger un peu l'expérience, commencée par le plus grand des hasards (ou alors non ?). Donc, pourquoi ne pas écrire tout de suite le troisième épisode, le tiers tableau, de cette sage désolée ? En écoutant les Vingt regards sur l'Enfant Jésus d'Olivier Messiaen, qui se trouvaient plutôt de circonstance ?

Et finalement, non. Pas tout de suite. Les kékés attendront un peu. Allez jouer plus loin ! Après tout, le temps travaille en leur faveur ; c'est au moins l'impression qu'il se plaît à donner, ce fourbe. J'ai donc sursis à ce projet. Simplement parce qu'il y avait plus urgent à dire : depuis quelques jours, le chardonneret est revenu.

Ils étaient trois, voilà deux ans, à venir faire restau du coeur dans la mangeoire accrochée au tronc du tilleul. Ils n'apparaissaient que par grand froid et s'enfuyaient au moindre soupçon de présence humaine à l'intérieur de la maison toute proche. Nous nous étions laissé dire que le chardonneret était en voie de raréfaction et qu'il était de plus en plus difficile d'en voir aux approches des habitations humaines. Nous prenions donc des précautions de dentellière pour ne les effrayer pas.

L'année dernière, pas un seul. Et, cette année, même durant la vague de froid des fêtes, aucun chardonneret non plus. On se résignait à se contenter des mésanges, sitelles, rouge-gorge, verdiers et grive...

Finalement, nous avons donc récupéré un rescapé de la bande des trois, avant-hier, et depuis tous les jours. Je suis certain que des tas de gens n'ont jamais vu de chardonnerets en liberté, notamment parmi les plus jeunes. Je crois que j'éprouverais une certaine satisfaction à désigner ce minuscule oiseau au masque stendhalien à un enfant surgi de nulle part, en lui murmurant de ne surtout pas bouger, comme mon grand-père l'a souvent fait avec moi ; et surtout le plaisir de le lui nommer.

Transmission des noms, passation du regard : congédiez les kékés par la porte, ils resurgissent par la fenêtre. Sans effrayer le chardonneret.

samedi 24 janvier 2009

À tous les kékés, II

Je vous souhaite la bienvenue, c'est entendu, mais je ne vous fais pas de cadeau. Je veux dire que je n'ai malheureusement aucun cadeau à vous faire : je sonne chez vous les mains vides. Certains d'entre vous m'en détesteront peut-être, mais je dois le dire : j'ai participé au grand saccage que vous pouvez aujourd'hui contempler autour de vous. C'était il y a longtemps, avant ma mort, mais ce n'est pas une bien vaillante excuse, je m'en rends de mieux en mieux compte.

Songez que les gisants que nous sommes devenus sont nés au milieu des écoles et des bibliothèques, alors qu'il vous faut maintenant, pour espérer lire des livres, de vrais livres, « de grands livres propres comme des aurores de juin » descendre au profond des catacombes où la grande et fragile culture européenne est retournée attendre des temps plus propices. C'est nous qui avons fait cela ; nous qui avons permis que les livres réintègrent les terriers humides et sombres dont ils auront réussi à sortir durant à peine quatre siècles. Nous avons regardé ailleurs, tandis que les bibliothèques infinies et tranquilles se muaient en pistes de danse, les allées pieusement rectilignes en scenic railways pour trottinettes, les rayonnages silencieux en présentoirs à chaussures de sport.

À mesure que s'aggravait le battement cyclopéen de la musique synthétique, l'air s'est raréfié entre les pages ; alors, sous peine d'asphyxie définitive, les grands livres sombres et aphones sont retournés à la crypte originelle. Nous vous sommes comptables de cette désolation ; de cette nuit grisâtre qui a remplacé la vraie, disparue déjà de notre vivant sans que quiconque s'en soucie vraiment.

Nous vous sommes comptables de cela. Que faisions-nous ? C'est ça que vous me demandez, les kékés ? Je vous l'ai dit déjà : on regardait ailleurs. Certains droit devant, aveuglés par les rayons laser et la lumière noire des lendemains radieux ; d'autres, avec moi, assis par terre, n'offraient que leur dos rond aux temps à venir : ils pensaient contempler le passé pour y chercher un enseignement mais ne fixaient que le sol qu'écrasait leur cul, d'un oeil crépitant de fureur vide.

Parfois, l'un d'entre nous se dressait en poussant un bref cri de rage : il avait cru apercevoir l'ennemi, le précieux ennemi. Mais très vite, la troupe inquiétante apparue à l'horizon enfilait les chaussures bariolées disponibles sur les rayonnages, devant les livres qu'elles commençaient à masquer, et leurs têtes se mettaient à dodeliner en cadence des autres. Celui qui s'était levé se rasseyait sous les sarcasmes et les paroles consolatrices – parfois une bonne âme lui résumait ce qu'il avait manqué du feuilleton passant sur l'écran géant, et dont son incompréhensible éclat l'avait un instant distrait.

Bientôt, mes kékés, plus personne ne prit la peine de se lever, sauf pour sauter sur ses rollers et faire deux ou trois tours rapides de la bibliothèque de plus en plus dégarnie d'ouvrages, toujours dans le même sens pour ne pas gêner les déploiements ludiques de tous les autres tournant en même temps que lui.

Lorsque le dernier livre eut été descendu dans les souterrains, que l'on eut déscellé les panneaux indiquant le chemin pour s'y rendre, certains d'entre nous avaient déjà un peu de peine à se souvenir de l'existence des livres ; peut-être à cause de la musique, devenue générale. L'herbe se remit à pousser, maigre et puante, effaçant les chemins.

C'est pour cela qu'il ne vous faudra sans doute pas moins d'une vie longue pour retrouver les pistes du savoir et des jouissances, pour vaincre votre angoisse des profondeurs où la lumière tremblote sans doute encore – du moins je l'espère pour vous.

Et c'est aussi pour cela que, malgré votre jeune âge et votre gentillesse apprise, il y a cet éclair dur dans votre oeil, lorsque vous contemplez ma tombe sans nom, la tête légèrement inclinée sur l'épaule et le poing à la hanche.

Naissance d'un mot : champagne !

À Audine et Dorham.
À LinaLoca, pour le mot-valise.


Je viens tout juste de l'inventer (n'y touchez pas, il n'est pas sec !), pour désigner nos progressistes, intransigeants sur le principe de laïcité dès lors que c'est un juif ou, pis encore, un catholique qui fait mine de remuer une oreille, mais tout pleins de mansuétude sucrée lorsque cette même laïcité est renvoyée aux greniers de l'Histoire par telle ou telle association musulmane :

Les Islaïques.

Un peu de poésie dans ce monde de brutes

Pour ceux d'entre vous qui s'intéresseraient à ce merveilleux poète que fut Paul-Jean Toulet, Alain Finkielkraut lui consacrait, ce matin, son émission de France-Culture, avec pour invités Frédéric Martinez, biographe de Toulet, et Renaud Camus, fin connaisseur de son oeuvre. C'est ici.


« La nuit a été donnée à l'homme pour qu'il se repose de l'homme. »

P.-J. Toulet

Amusante coïncidence

Hier, en commentaire du billet-qui-fâche-tout-rouge, l'un des lecteurs de ce blog – je ne sais plus qui et j'ai la flemme d'aller voir – disait que les islamistes n'étaient pas, à ses yeux, le seul danger nous menaçant, les "créationnistes" en étant un autre. Soit. Il se trouve que le Nouvel Observateur de cette semaine, consacre à ces braves illuminés son dossier d'ouverture. On y apprend que, spécialité des États-Unis au départ, le créationnisme (et son petit frère, le "dessein intelligent") a fait une entrée massive en Europe depuis le début de l'année 2007. Propagé par des protestants recto-manche-à-balaïsés ? Par des intégristes en soutane fraîchement évadés de Saint-Nicolas-du-Chardonnet ?

Ben non, il faudra chercher ailleurs. Allez le lire, c'est instructif. Et très amusant.

vendredi 23 janvier 2009

À tous les kékés

Franchement, je vous souhaite la bienvenue. Au bout du compte, je ne sais pas trop ce qui vous attend, vous vous démerderez – comme nous. J'ai remarqué que je devenais frileux, avec l'âge : il est possible que ce ne soit pas seulement vrai d'un point de vue physique. Peut-être ai-je désormais besoin d'une petite laine mentale, allez savoir, bande de salopiots.

On devrait se séparer assez vite, vous et moi, mes kékés. Dans les moments où vous commencerez à vous intéresser à certains gouffres féminins (par exemple), et avant de vous aviser du cul-de-sac dans lequel vous vous engagez, je serai, moi, concerné diablement par un autre gouffre, forcément moins tiède et humecté – c'est sans importance.

J'aurais tout de même aimé que vous ayez une vague idée de ce monde disparu (je parle dans le futur, hein ? dans votre âge adulte...), que vous vous sentiez reliés à quelque chose, je veux dire à quelques-uns. Je crains que ce ne soit pas le cas, mais quelle importance ?

Le monde que je quitte sera ce qu'il pourra, vous n'y changerez pas grand-chose de plus que ce que nous en avons fait, vous bricolerez comme nous autres. Parfois, les soirs d'ennui, vous ouvrirez un livre dans lequel on vous racontera ce monde mort. Vous ouvrirez des yeux incompréhensifs, étonnés peut-être, envieux pour certains d'entre vous : ceux-là creuseront jusqu'à plus soif, ils fabriqueront leur malheur, les autres resteront tranquilles, assurés de vivre dans le meilleur monde possible – ce qui sera sans doute vrai.

Enfin, parce qu'il n'y a finalement pas grand-chose d'autre à faire, les armées de kékés se fabriqueront des enfants. Pour meubler leur vie et le monde. Et ils trembleront pour eux, et riront de les voir s'éveiller, et se féliciteront d'avoir fait au moins cela. Ils auront probablement raison.

jeudi 22 janvier 2009

Prêcher le phò pour savoir le vrai

C'est une remarque que j'ai formulée (entre parenthèses) dans un commentaire à ce billet ayant fait couler encre, malentendus, aigreurs et polémiques, qui s'intitule Pauvre kéké ! (nom commun, donc : on se calme...). Comme en passant, je me demandais (et l'interrogation ne date pas d'aujourd'hui, en ce qui me concerne) pourquoi les Vietnamiens, les Chinois d'Indochine, les Laotiens, etc. ne faisaient jamais parler d'eux.

Pourquoi ces Asiatiques ne se sont-ils pas lancés dans la course actuelle à qui-sera-la-plus-belle-victime-du-monstre-occidental ? Pourtant, ils ont été colonisés, exploités, méprisés par nous, comme n'importe quel Africain ou Arabe, que je sache. Qu'est-ce qui fait qu'ils semblent ne pas nous en vouloir ? Ou, nous en voulant peut-être, qu'est-ce qui fait qu'ils ont choisi de ne pas pleurnicher à tous les carrefours ?

Pourquoi leurs enfants ne sont-ils pas "en situation d'échec scolaire", selon l'expression actuelle pour désigner les cancres ? Par quel hasard, les adolescents aux yeux bridés et à la peau délicatement cuivrée ne s'éclatent-ils pas à brûler les voitures de leurs voisins de palier chaque 31 décembre que Dieu fait ? Qu'ils semblent tout ignorer du plaisir d'une bonne tournante, dans le local à poubelles ? Ou d'une festive descente sur les Champs-Élysées, à la gare du Nord ou sur le parvis de la Défense, avec barres de fer et armes à feu ?

Pourquoi est-ce que la HALDE et autres officines staliniennes ne s'occupent-ils jamais d'eux ? Pourquoi n'ont-ils pas bidouillé un équivalent du CRAN, afin d'obtenir qu'il y ait davantage de petits Niakoués dans les feuilletons télé ?

En un mot, d'où leur vient cette sorte de dignité, dédaigneuse et souriante, que chacun peut leur constater ?

C'est une simple question, il n'y a pas de piège, mais elle me semble très intéressante. Je crois avoir deux ou trois pistes de réflexion. Et vous ?

Tu reviendras à l'abbé Alphonse-Louis Constant

Qui connaît l'abbé Alphonse-Louis Constant ? Pas grand-monde, assurément, en tout cas sous ce nom-là. En 1853, défroqué, il se rebaptisera lui-même Éliphas Lévi, nom déjà un peu plus connu, notamment par les illuminés de l'illuminisme. Avant cela, il aura publié deux livres, dont les titres – mais surtout celui du second – me ravissent en extase : en 1841, L'Assomption de la femme, et, trois ans plus tard, La Mère de Dieu, épopée religieuse et humanitaire.

Relisez ce dernier intitulé lentement, en savourant bien chaque mot : La Mère de Dieu, épopée religieuse et humanitaire...

Ne croirait-on pas voir se résumer notre époque, ses aspirations, les forces profondes qui la travaillent ? La féminitude comme avenir et fin ultime de la dégradante et dégradée virilité, cause de tous les maux ? Et cette "épopée humanitaire", n'est-ce pas nous, nous tous, que l'objectif a saisis ?

Le pire est que l'abbé Constant, n'est pas un illuminé isolé : les occultistes pullulent, en ce 19e siècle, ils sont le camp du Progrès, presque toujours socialistes, et leurs idées, leurs aspirations se réaliseront pleinement, un siècle après eux. Ainsi Marie Deraismes, fondatrice du Droit humain, un organisme fémino-théosophique qui propose rien de moins qu'une sorte de guerre sainte, en quatre points :

1) Remettre à la mode l'Inde et le Tibet où subsistent les cultes maternels. Les mouvements naissants de libération nationale dans ces pays contribueront à la réussite de cette opération.

2) Utiliser la franc-maçonnerie pour venir en aide au mouvement théosophique trop faible pour s'attaquer seul aux trois religions du Livre.

3) Introduire les doctrines d'Orient en Occident.

4) Défendre et promouvoir les valeurs féminines comme le pacifisme et l'égalité des sexes.

Le plus effrayant n'est pas que des idées aussi stupides aient pu être émises au 19e siècle, mais bien qu'elles se soient réalisées au 20e.

La matière de ce billet est tirée du livre de Philippe Muray, Le 19e siècle à travers les âges, réédité par Tel - Gallimard, dans lequel il s'attache à mettre en lumière les liens nombreux, organiques qui, au 19e siècle mais aussi au suivant, ont uni l'occultisme triomphant et le socialisme naissant.

mercredi 21 janvier 2009

Pauvre kéké !

Forcément, on pense que je ris. Je ne ris pas tellement – en fait, je ris de moins en moins. Par exemple : "Grâce soit rendue à George W. Bush". Forcément, on pense que c'est pour rire.

Pas tellement. Je suis persuadé que, d'ici cinq ou vingt années, vos pitoyables enfants, ces petits humains merdiques que vous passez des heures, chaque soir à endormir, bande de crétins, il n'est pas tout à fait impossible qu'ils se réveillent.

Que vont-ils vous demander ? Sérieusement ? À votre avis ? Tous ces petits Kékés (appelons-les comme ça), devenus adultes, à un moment forcément, ils vont vous poser une question – plusieurs même : ils vont avoir envie de savoir ce que vous avez fait de leur monde – de ce petit univers où vivait leur grand-père.

Vous leur direz quoi ? Au Kéké ?

Vous lui expliquerez quoi, à ce petit connard blanchouillard ? Vous lui expliquerez quoi, vous le rejustifierez de quelle manière, vous lui direz quoi, pour faire bref, vous aurez quel argument, mes petits amis, dans votre futur âge mûr, pour que ce petit Kéké accepte ce monde que vous êtes en train de lui léguer ?

Pensez-y : à ce monde...

mardi 20 janvier 2009

Votre diversité, vous vous la taillez en pointe et...

Je n'en peux plus, je sens que je vais piquer un coup de sang, un de ces jours. Désormais, le premier qui prononce le mot devant moi, je régurgite la soupe de frère Victor-Antoine d'Avila-Latourrette sur la pointe vernie de ses écrase-merde, je préfère avertir.

La diversité. Dont on nous matraque les trompes d'Eustache d'un premier janvier l'autre, avec une sollicitude toute nord-coréenne. Sondez ce mot : vous n'entendez donc pas ce qu'il recèle de mépris, pour vous, pour moi ? De quoi veut-on à toute force nous persuader ? Qu'avant l'invasion, nous étions tous semblables ? Uniformes ? Monochromes ? Interchangeables ? Une armée de clones ? Un troupeau de répliquants ? Des photocopies en 3 D ?

Est-ce que, dans le siècle passé, l'ouvrier se regardait comme rigoureusement semblable à son patron ? Je n'ai pas le souvenir de cela.

Le journalier agricole se sentait-il une parfaite communauté d'intérêt et de pensée avec le céréalier beauceron qui l'embauchait à date fixe ? Je n'ai pas le souvenir de cela.

Le lycéen et l'ancien Poilu se contemplaient-ils l'un l'autre comme en un simple miroir ? Je n'ai pas le souvenir de cela.

Le Strasbourgeois et le Marseillais étaient-ils dans l'incapacité de se différencier au premier coup d'oeil, au premier mot énoncé ? L'homme des hautes montagnes et celui de la plaine Monceau ? Je n'ai pas le souvenir de cela.

Les hommes et les femmes ne voyaient-ils en eux qu'une simple différence d'organes, presque fortuite ? Je n'ai pas le souvenir de cela.

Celui qui croyait au Ciel et celui qui n'y croyait pas tenaient-ils leur différence pour simple anecdote, n'entamant en rien leur parfaite conformité mutuelle ? Je n'ai pas le souvenir de cela.

Le fils de réfugié politique espagnol et l'Ardennais de la huitième génération restaient aveugles et sourds à leurs histoires respectives ? Je n'ai pas le souvenir de cela.

L'homme honnête et le fourbe, le lâche et le héros, la star de cinéma et la femme de ménage, le politicien et le syndicaliste, mon père et notre voisin : tous ces gens se considéraient donc, si je m'en laisse accroire, comme les simples tirages, reproductibles à l'infini, d'un unique et grisâtre cliché ? Je n'ai pas le souvenir de cela.

Donc, vous voilà prévenu : si un certain prurit conformiste vous amène à prononcer tel ou tel mot cadavéreux en ma présence, vous auriez intérêt, avant, à chausser des bottes en caoutchouc.

Cékikiladi ?

« Le mal qui nous ronge les entrailles, ce sont nos prêtres des deux confessions.

- Le dogme du christianisme s'effrite devant les progrès de la science.

- Tout ce qu'il reste à faire est de prouver qu'il n'existe dans la nature aucune frontière entre l'organique et l'inorganique. Lorsque la majorité des hommes saura que les étoiles ne sont pas des sources de lumière, mais des mondes, et peut-être des mondes habités comme le nôtre, alors, la doctrine chrétienne sera convaincue d'absurdité... L'homme qui vit en communion avec la nature est nécessairement opposé aux Églises.

- Placez un petit télescope au milieu d'un village et vous détruirez un monde de superstitions. »

(Un seul auteur pour l'ensemble des citations – réponse demain...)

lundi 19 janvier 2009

Connaissez-vous frère Victor-Antoine d'Avila-Latourrette ?

À Dorham, pour l'inspiration...


Aujourd'hui, afin de faire taire cette esti d'langue sale de Nicolas, qui, en commentaire d'un précédent billet, insinuait que l'Irremplaçable et moi étions murgés tous les soirs, j'étais fermement décidé à écrire un texte compréhensible par tous, à commencer par moi-même demain matin. Sauf que n'ayant rien bu, je n'avais non plus rien à raconter. Je me voyais donc déjà réduit à la sinistre extrémité de devoir vous exposer mes divers brossages de dents (avé la langue ? Sans la langue ? Etc.), tel un quelconque Dorham. Et c'est l'oeil torve et le pas traînant que je m'acheminai vers ce clavier, la dernière cuillerée de soupe à peine avalée. C'est alors que l'illumination jaillit, du fond de mon assiette vide, si je puis me permettre. Et que je décidai de vous entretenir de frère Victor-Antoine d'Avila-Latourrette.

Frère Victor-Antoine d'Avila-Latourrette est un moine québécois ayant une importance capitale dans notre existence. Non à cause de son magistère moral ou religieux, mais en raison de son livre, Les Bonnes Soupes du monastère, dans lequel l'Irremplaçable puise une grande part de notre alimentation vespéro-hivernale.

Donc, cet après-midi, elle décide de tester une nouvelle recette – moment toujours intensément bouleversant dans notre existence morne. Elle en choisit une à base de pommes de terre, de chou et d'oignon. Rien d'autre ? Rien d'autre. En tout cas, rien d'autre sur le papier.

Car l'Irremplaçable, que le respect des frères conventuels n'étouffe pas, décide sur-le-champ, par soupçon de fadeur, d'enrichir un peu la recette initiale du kriss de moinillon. Première décision : « Je vais ajouter un peu de gras de jambon espagnol (jamòn, pour les intimes)... » Muy bien, je contresigne l'initiative.

Là-dessus, la cuisinière prise d'une rage créatrice, se souvient qu'elle a entreposé dans le frigo un reste de queue de boeuf : hop ! la queue s'en va illico tremper dans la soupe du moine. Qu'est-ce qui a pu la pousser, ensuite, à ouvrir le compartiment de congélation dudit frigo ? On ne sait. Toujours est-il qu'elle y découvre alors une merguez cuite et congelée. Laquelle maghrébine saucisse va immédiatement rejoindre la queue et le gras de jamòn dans la soupe. Si je précise que, dans mon assiette fumante, j'ai moi-même ajouté un peu de purée de piment chinois, vous comprendrez que la pâlotte soupe de terroir venait de muter en une monstrueuse world food tout à fait consommable par ailleurs.

Mais je me demande ce qu'en aurait pensé ce cher Victor-Antoine.

Aenigma

Ce matin, au saut du page, l'Irremplaçable me dit : « Je n'ai rien compris à ton billet d'hier soir... » Moi, pétri de candide innocence et néanmoins très sobre : « Ah ? » Évidemment, je me précipite pour le relire, vous pensez. Elle a raison : moi non plus je ne me comprends pas. Ou plus. Je devine à peu près ce que j'ai voulu dire, je discerne plus ou moins les mots manquants, ceux qui sont restés coincés dans le clavier, mais ça ne va pas plus loin.

Donc, bien se remémorer la règle de base du blogueur : ne jamais écrire de billet les soirs d'apéro. Sinon, on aboutit à ce genre de poulet, que j'appellerai les textes "Je-me-comprends", ceux où les choses paraissent si claires à l'esprit embrumé qu'il n'est pas besoin de les énoncer dans leur entier ; ceux, aussi, où trois idées différentes s'entrechoquent et où l'on croit avoir trouvé le moyen de les exprimer toutes d'un seul élan. À l'arrivée : une bouillie. Un projet de billet. Une illusion de parole. Et un léger mal de crâne.

dimanche 18 janvier 2009

Vous avez un père, vous ?

On appelle ça le point de fuite. Dix minutes avant, vous êtes persuadé qu'il ne vous arrivera jamais rien, que votre âge s'est finalement arrêté, miraculeusement ; le temps vous a reconnu comme un ami intime, il vous sourit, il vous assure qu'entre vous et lui il n'y aura jamais le moindre... le moindre quoi ? Rien ! On est ami pour la vie, le temps et moi, il me l'a assuré – je devrais n'y pas croire, à votre avis ?

J'y crois, comme un con. (Ah, oui, j'ai oublié de vous dire : je suis largement aussi con que vous l'êtes vous-mêmes, mes drôles.) Et le temps se poursuit lui-même, il fait semblant de m'ignorer – il m'arrive d'y croire. Je vous jure : parfois, le temps me redevient ce qu'il est pour vous, mes jeunes amis : une sorte de traînée d'espoir, une temporisation, une construction d'avenir. On se sépare ici, précisément ici. Pensez-vous réellement que l'avenir travaille pour vous, qu'il ne vous connaît pas de votre naissance ?

Je vous lis, vous savez. Tous autant que vous êtes. Même les basses petites crapules (mes futurs surveillants de mirador) qui, sous prétexte de génuflexion devant le Bien, s'apprêtent à me kalachnikover, qui exigent de mes amis de blogs qu'ils choisissent entre eux et moi, mais qui, finalement, s'agenouillent, pantalon aux chevilles, sourire ignoble, voix dégoulinante de miel, odeur de sanie, face à deux ou trois vrais hommes les envoyant chier, gentiment, humainement (je m'incline devant ceux-ci qui se reconnaîtront).

Que disais-je ?

Le point de fuite, ah oui. Cela n'a plus guère d'importance. Je commence à le voir, je l'attends depuis un certain nombre d'années déjà. Il arrive. Rien n'est encore certain, mais je crois que... Enfin, il arrive.

Attendez une seconde ou deux que la catastrophe se produise : vous allez voir à quel point je vais devenir méchant ! Ça va cogner tous azimuts, je vous le dis ! Les petits enculés arabophiles n'ont qu'à bien se tenir, Papa, tu vas voir : on va finir par se rejoindre, si ça se trouve.

Les yayas sont partout

C'est une petite comédie sans prétention. Le fait qu'elle ait explosé le box-office aux États-Unis ne plaide guère en faveur du bon goût cinématographique de nos amis américains, mais enfin, c'est amusant, plaisant à regarder, le temps file sans ennui. De toute façon, même nanti de 372 chaînes, il ne faut pas se montrer trop exigeant, le samedi soir, à la télévision. Donc, va pour Mariage à la grecque.

En fait, la meilleure surprise du film, pour l'Irremplaçable qui le découvrait et pour moi qui le revoyais, fut de s'apercevoir que la famille Portokalos était affligée d'une véritable yaya alzheimerisée (en bas à gauche sur la photo), et que ses petits-enfants l'appelaient effectivement Yaya (mot orthographié "yiayia" dans les sous-titres français).

Du coup, nous avons eu une pensée mi-émue, mi-amusée pour ma nièce adoptive, la lointaine Nefisa.

Redevenez de gauche, bon sang !

« "Il ne faut pas importer le conflit israélo-palestinien en France", clament à l’unisson tous les responsables politiques à qui on tend un micro. Noble intention, qui devrait couler de source dans un pays où on ne reconnaît pas les communautés, mais les citoyens de la République. Pourtant, par leur attitude, ces dernières semaines, certains, qui veulent aujourd’hui jouer les pompiers, ne se sont-ils pas comporté en pyromanes ?

« Ainsi, la plupart des reportages ou commentaires, sur les chaînes publiques, sont d’une partialité incroyable et d’une complaisance rare vis-à-vis du Hamas. Montrer principalement des images d’enfants ensanglantés, inviter sur les plateaux de télévision un Tariq Ramadan ou la porte-parole des « Indigènes de la République », sans leur opposer d’interlocuteurs capables de contrer leurs discours démagogiques et haineux, contribue-t-il vraiment à diminuer les tensions ?

« Dans ce contexte, 130.000 manifestants, dans toute la France, ont encore défilé samedi dernier, certains pour réclamer la paix mais beaucoup pour brûler des drapeaux israéliens, faire flotter le drapeau des fascistes du Hamas, et scander des « Allah akbar ».

« Ces manifestations contribuent-elles à diminuer les tensions ?

« Question taboue : qui constitue majoritairement ces cortèges ?

« D’après une dizaine de nos correspondants, les chiffres donnent environ 70 à 80 % de manifestants de culture arabo-musulmane, et 20 à 30 % de « Souchiens », pour reprendre l’élégante expression de la porte-parole des « Indigènes de la République », admiratrice du Hamas, dont les propos sur les Blancs n’ont rien à envier aux provocations racistes de Jean-Marie Le Pen, autre admirateur du Hamas.

« Il est d’ailleurs fort intéressant de noter la similitude étonnante entre les propos de patron du Front national, ceux des islamistes et ceux de certains gauchistes.

« Au regard des images subies, et des commentaires assénés, midi et soir, faisant état d’un véritable massacre, voire d’un "génocide" du peuple palestinien, on a connu le « peuple de gauche » capable de se mobiliser davantage.

« On est bien loin de l’onde de choc qu’avait provoquée la guerre d’Irak, et des manifestations monstres qui avaient suivi la décision de Bush.

« Comment s’en étonner ? Pourquoi les esprits libres iraient-ils manifester avec des fanatiques religieux, alors que quotidiennement, ils perçoivent la menace que ces gens-là font peser sur la laïcité et sur les valeurs républicaines de notre pays ?

« Pourquoi iraient-ils manifester avec des gens dont ils sentent confusément qu’ils manipulent l’opinion, en nazifiant l’Etat d’Israël, pour mieux masquer la réalité de leurs projets : imposer l’islam, en France et partout dans le monde.

« Les citoyens de ce pays, sans pour autant cautionner l’ensemble de la politique d’Israël, ne gobent pas le scénario des méchants juifs et des gentils palestiniens arabes, ils ont un peu plus de bon sens, même s’ils ne l’expriment pas aussi brillamment que le romancier Pierre Jourde :

(La suite sur le site de Riposte laïque.)

Parce que vous la valez bien

C'est l'histoire d'un petit garçon de huit ans. Il est à table avec sa grande soeur de dix-sept et leurs parents. Quand arrive le dessert, la soeur se lève :

- Je n'ai plus faim et j'ai mal à la tête : je préfère aller me coucher...

Elle y va. Le petit garçon mange son dessert, aide à débarrasser la table, embrasse son père et sa mère, file se coucher. Passant devant la chambre de sa soeur, il s'aperçoit qu'il a oublié de lui souhaiter bonne nuit. Il pousse doucement la porte, et la découvre nue sur son lit, se massant convulsivement les seins en soupirant d'une voix mourante :

- Ah ! un homme !... un homme !... un homme !...

Interloqué, le petit garçon file se coucher sans demander son reste. Le lendemain soir, les parents étant absents, le petit garçon doit dîner seul avec sa grande soeur. Cette fois, c'est dès le début du repas que celle-ci, prétextant une intense fatigue, file dans sa chambre. Une demi-heure plus tard, allant lui-même se coucher, le petit garçon entend des bruits et des soupirs bizarres, venant de la chambre de sa soeur. Il pousse la porte et la découvre nue sur son lit, chevauchée par un matou qui la sabre façon Grand Siècle.

Les yeux du petit garçon s'éclairent, il se rue dans sa chambre, se déshabille fébrilement, se jette sur son lit, empoigne son torse fluet à deux mains et s'écrie :

- Ah ! une playstation !... une playstation !... une playstation !...

Ne me remerciez pas.

samedi 17 janvier 2009

Bravo, les filles ! Et encore merci...

Tout-à-l'heure, attendant le repas, au cours duquel l'Irremplaçable nous a servi ce qu'elle a appelé des "sushis en kit", entre quelques pages de Julian Barnes et un chapitre du Balzac de Curtius, j'ai eu l'idée de feuilleter le dernier numéro de Marie-Claire qui traînait sur la table basse du salon. Bien m'en a pris : j'y ai trouvé un scénario de Brigade mondaine quasiment tout fait, dans un reportage sur les "Love motels" qui font paraît-il fureur au Brésil. Il ne reste plus qu'à transposer en France, à corser un peu les sauces, à rajouter un meurtre ou deux, histoire que les flics ne se dérangent pas pour rien, et le tout sera ficelé pour le 15 mars.

Quelques pages plus loin, je tombai sur un entrefilet signalant l'existence, au Mexique, d'un "parc de loisirs" d'un genre nouveau, où sont recréées, pour les riches, les conditions exactes que doivent affronter les candidats à l'émigration clandestine aux États-Unis. Sur le plan moral, il y a sans doute à redire, mais je sens qu'on peut en tirer quelque chose. Surtout si on n'habite pas trop loin du Mexique (appel du pied discret...).

Bref, les affaires reprennent.

vendredi 16 janvier 2009

Les journalistes se foutent de la planète (et de l'hygiène)

On assiste parfois à des scènes curieuses, dans les toilettes pour hommes. Ainsi, cet après-midi, dans celles situées au quatrième étage du 10 rue Thierry-Le Luron, à Levallois.

J'entre, alors que cet honorable confrère est en tête à tête avec la faïence. Suivant une loi virile non écrite, je m'abstiens d''entamer la conversation cependant qu'il officie. Ce qui va me permettre de l'entendre appuyer sept à huit fois de suite sur le bouton déclencheur de trombe aqueuse durant sa miction.

Comme je me faisais la réflexion que c'était gaspiller bien de l'eau pour une évacuation qui me semblait n'avoir rien de spécialement anthologique, je le vois dans le miroir passer derrière moi et sortir de la pièce sans se laver les mains, comme s'il avait à coeur de corriger ses précédents abus et d'économiser ce qui pouvait encore l'être.

Par conséquent, vous voilà prévenus. Quand on vous le présentera, mon estimé confrère, méfiez-vous s'il vous tend la main : vous risquez de lui serrer la bite.

Sans fleurs, mais en couronne

« La nuit de la mort de Malraux, Louis Aragon dansait un tango argentin dans les bras de Renaud Camus. On reproche beaucoup de choses à ce Camus-là, beaucoup trop à mon goût, mais jamais de mentir. Dans son journal de l'année 1976, que j'ai repris la nuit dernière, il y a encore plus de garçons qu'il n'y a de filles dans celui de Matzneff. Des hommes plutôt que des garçons. Renaud ne bande pas pour les freluquets qui pèsent quarante kilos tout habillés, il penche plutôt pour le jeune homme des cavernes. Chabal, la nouvelle coqueluche du rugby, doit répondre à ses critères de sélection.

« Pour en revenir à Aragon, très présent dans ce volume intitulé Travers, tome 2, on le suit, amusé et ému comme un grand-oncle. C'est le veuf joyeux. Sa concierge mitonne de l'agneau au curry pour la bande de ses admirateurs énamourés, certains un peu plus que d'autres. Louis Aragon, poète masqué, se dévergonde sans craindre les beaux yeux de la terrible Elsa.

« À part ça : des galeries d'art moderne, du Warhol à toutes les sauces, des saunas, des boîtes de nuit glauques, l'univers post-soixante-huitard de la drogue et de la peinture à l'huile. Pas de "capote anglaise", on ne disait pas "préservatif" en ces temps-là, on ne disait rien du tout, on baissait son pantalon en groupe et en procession dans les allées gracieuses des jardins des Tuileries ou dans quelque soupente déglinguée. On s'amusait follement avant de mourir, on peut penser d'ailleurs qu'ils sont tous morts ou presque les amis de Renaud qui brûlèrent leur jeunesse de nuit fauve en nuit fauve. J'en vois d'ici qui lèvent le doigt, j'ai soixante ans, je vais bien, je n'ai pas tout brûlé. Renaud lui-même se porte comme un charme en son château de Plieux, dans le "Gersse" comme il ne faut pas dire. »

Pascal Sevran, Les Petits Bals perdus - journal IX, Albin Michel, p. 122-123.

jeudi 15 janvier 2009

En passant

Juste parce que je l'aime beaucoup.

Le Génie grandit...

« Deux éléments entrent dans la composition du génie : une affinité avec le divin et une force procréatrice. On ne peut dénommer génies à proprement parler que ces hommes dont la production reflète quelque chose du sens divin du monde, dont la création détermine un exhaussement de la vie. De l'oeuvre du génie émanent une lumière et une force. Elle éclaire l'esprit et la réflexion, elle purifie et ennoblit les passions, elles suscitent des images qui informent notre vie. La plus haute intensité de l'esprit, le plus haut degré du pouvoir d'invention et de description ne constituent pas encore le génie, si à cette oeuvre manque la force qui éclaire et fait fructifier. »

Ernst Robert Curtius, Balzac, éditions des Syrtes, p. 20.

Ernst Robert Curtius est l'un des plus grands critiques de la première moitié du siècle (le vrai, le XXe...), et sans doute le plus fin connaisseur allemand de la littérature française. Ami de Proust, Gide, Valery, etc., on lui doit entre autre l'étude remarquable sur Balzac que je suis occupé à relire, ainsi qu'une autre sur Marcel Proust, que je ne parviens malheureusement pas à trouver.

Il convient de noter aussi que, dans la citation que j'ai faite, Curtius ne parle pas de Balzac mais de Joyce, et que ce paragraphe est extrait non du livre lui-même, mais d'un texte écrit par Charles Du Bos en 1930, et qui lui sert de préface.

Si vous avez d'autres questions, n'hésitez pas, la maison reste ouverte à l'heure du déjeuner...

mercredi 14 janvier 2009

Jawohl, Herr Titelmeister !

On me demande d'écrire un petit texte (environ 1200 signes) sur un Américain qui a acheté un billet de loterie le 1er novembre dernier, est mort le même jour d'une crise cardiaque, et s'est retrouvé millionnaire en dollars une semaine plus tard, aussi post mortem qu'il est possible de l'être. Comme Brice cherche un titre, je lui propose celui-ci :

Il joue au Loto mais gagne le Léthé

« Pas assez France Dimanche », me répond-il, pince-sans-rire.

mardi 13 janvier 2009

Je finirai comme mon grand-père

Il s'appelait Maurice. Il était né dans un quartier de Charenton-le-Pont – ce qui est en soi d'assez mauvais augure – devenu depuis la commune de Saint-Maurice, mais sans que le père de mon père y soit pour quelque chose. Avant de se faire peintre en bâtiment (déjà le bâtiment, oui), il avait été paillasse, l'un de ces clowns de second rayon qui effectuent deux ou trois pitreries, le temps que les machinos du cirque fassent place nette sur la piste pour le numéro suivant. Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça, qui n'a rien à voir avec le sujet que je comptais développer.

En dehors d'être un sévère picoleur (décidément, l'hérédité nous cerne de toute part, ce soir), Maurice était d'un naturel très casanier : sa dernière sortie un peu durable, ce fut le stalag. Ensuite, il a bougé le moins possible. Puis plus du tout : entre sa mise à la retraite, en 1965, et sa mort, neuf ans plus tard, il n'a plus jamais quitté son quatrième étage de l'avenue Jean-Jaurès, à Colombes – vue imprenable sur la gare du Stade et les usines Kléber. La voisine et sa fille lui montaient sa bouffe, il avait la radio (puis la télé, je crois bien) et des livres : il était toujours content. Tant qu'on n'exigeait pas de lui qu'il sortît, ce que peu de monde se risquait à faire.

Je suis en train de devenir Maurice. Non, non, inutile de protester, d'essayer de me rassurer : je le sens, c'est en marche. Tenez, rien que l'idée de reprendre le travail demain, après ce providentiel gros rhume, eh bien ça m'accablerait si j'étais du genre à me laisser aller et à pleurnicher sur moi-même. C'est trop loin, trop longtemps, trop de monde à qui parler. Un aller-retour au Super U pour refaire provision de Contrex et de Quézac aurait bien suffi à mon appétit de vie sociale. Mais une journée entière au travail, franchement... Je n'en finis pas de déplorer d'avoir été un peu trop jeune pour grimper dans la précédente charrette ; je vais tâcher de ne pas manquer la prochaine.

Et après, embastillement volontaire, réclusion choisie ! « Pas un pied en dehors du canton ! » : ma devise est déjà prête pour ce temps béni. Devise temporaire, car je sens déjà que, privé de tout frein, mon syndrome de Maurice fera des progrès galopants, métastasera comme une brute joviale. Bientôt, je ne m'aventurerai plus au-delà du jardin ; on murmurera dans le village ; les petits enfants, passant devant le portail, baisseront un peu la voix, cependant que les plus grands s'efforceront au ricanement, sans en mener beaucoup plus large.

Je donnerai le change de la vie en continuant de fréquenter les blogs, et même parfois leurs auteurs : quand l'envie de boire se fera pressante, on en invitera une paire, comme excuses. Ils seront courtoisement reçus, et même avec toutes marques d'amitié. Je protesterai de la joie que j'ai à les voir et recevoir, mais au fond j'attendrai le moment de leur départ avec une impatience exponentielle, afin de me retrouver seul avec l'Irremplaçable, en qui toute humanité fréquentable sera venue se résumer : bientôt, je ne parlerai plus qu'à elle et à l'écran de mon ordinateur.

Mais toujours avec une grande bonhommie et une gaîté inaltérable.

Restons encore un peu à Gaza

Wafa Sultan est psychiatre aux États-Unis et originaire de Syrie, pays où elle a vécu jusqu'en 1989. Ses vues sur les opérations actuelles et, plus généralement, sur le conflit israélo-arabe sont donc largement plus pertinentes que les quelques lambeaux que j'en puis avoir. Je vous les livre donc :


(…) Puisqu’il m’importe peu de satisfaire les uns, de défendre les autres ou d’éviter la colère des troisièmes, je peux dire que le Hamas n’est qu’une sécrétion islamique terroriste dont le comportement irresponsable à l’égard de sa population l’empêche de se hisser au niveau du gouvernement. Mais ceci est conforme à l’habitude, puisque, à travers l’histoire de l’islam, jamais une bande de criminels islamistes n’a respecté ses adminsitrés. (...) Je ne prétends pas défendre Israël, puisque les Juifs ne m’ont pas demandé mon avis quant à leur terre promise. S’ils me demandent mon avis, je leur conseille de brûler leurs livres sacrés et de quitter la région et de sauver leur peau. Car les musulmans constituent une nation rigide exempte de cerveau. Et c’est contagieux. Tous ceux qui les fréquentent perdent la cervelle…

La suite est à lire ici.

lundi 12 janvier 2009

Mon vieux travailleur communiste

1976, octobre. Arrivée à Paris. Je me suis inscrit en seconde année de Lettres modernes (sous-section des branleurs patentés) à Jussieu, haut lieu de la contestitude de ces années-là. Je vais au premier cours, vois, comprends – fin de mon expérience universitaire.

Sinon, je prends tous les matin, à 6 h 10, le bus 27 à la Porte de Vitry, lequel me dépose gentiment à l'entrée de la gare Saint-Michel, où je ramasse les billets des banlieusards, dans une petite guérite qu'Éole fréquente en habitué, de 6 h 30 à 9 h 00. Le reste de la journée, je glande, je somnole, je bouffe : on n'est pas plus Rastignac.

Les bus du petit matin, c'est comme la cantine à midi pile : on est peu nombreux, toujours les mêmes et chacun s'assoit à la même place que la veille.

Le vieux travailleur communiste, sa place, c'est sur la banquette du fond, bien en face de l'allée centrale ; c'est son praesidium suprême. Il n'est peut-être pas très vieux, mais comme j'ai tout juste vingt ans, il le paraît. Travailleur, sans aucun doute, sinon que ferait-il dans le bus 27 à 6 h 10 tous les matins ? Communiste c'est certain, j'ai la preuve.

Alors, là, parenthèse pour mes jeunes lecteurs : je vous rappelle que l'action se situe en 1976, donc le communisme ne ressemble en rien aux petites guirlandes de moraline pour semi-fiotes, que la Marie-George tente piteusement d'accrocher à tous les sapins de Noël sociétaux qui passent à sa portée. En 1976, le communisme, c'est encore un truc d'homme. Ils vont chanter, les lendemains, mais pas à Paris-Plage, je vous le dis, mes petits amis. 1976, c'est le camarade Brejnev qui bricole son bilan globalement positif et s'apprête à expédier Varlam Chalamov en hôpital psychiatrique pour qu'il y meure à l'abri du froid. C'est notre Marchais à nous qui fait tout ce qu'il peut pour savonner la planche à Mitterrand, en criant très fort et en fronçant les sourcils afin qu'aucun journaliste insolent n'aille creuser dans son passé d'avant 1945. Ce sont aussi les camarades maires de la ceinture rouge qui envoient leur bulldozers dézinguer du foyer Sonacotra, dans l'espoir de réexpédier leurs Arabes vers des banlieues de riches, lesquels n'en veulent pas – ils ne savent pas encore que, de ce point de vue au moins, le communisme parfait est pour demain. — Et cette parenthèse n'a que trop enflé.

Donc, mon vieux travailleur communiste s'installe au haut bout du bus, bedaine proéminente et journal plié dans la poche de son manteau (octobre fut froid, en 1976, sans doute pour compenser la canicule de l'été). À côté de lui prend place un petit bonhomme approximativement de son âge, et le bus repart. Les deux compères échangent quelques menus propos, tout le long de la rue de Patay, et même un peu au-delà, jusqu'aux environ de l'église Sainte-Jeanne-d'Arc.

Là, mon vieux travailleur rompt l'entretien en lâchant d'une voix un rien pompeuse, en tout cas pénétrée de sa gravité : « Bon... maintenant, il faut que je travaille... » Et, ayant dit, il sort le journal de sa poche, le déplie et se plonge avec des solennités de prélat dans la lecture de L'Humanité.

Durant les 32 années qui viennent de s'écouler, mon vieux travailleur communiste m'est toujours resté comme un merveilleux exemple de sottise attendrissante autant qu'effrayante. Chaque matin, après trois considérations sur le temps (celui qu'il fait) et les programmes télé de la veille, cet homme consacrait la moitié de la ligne 27 à son travail, qui n'était rien de moins que la mise en oeuvre de l'avenir radieux du genre humain, un avenir tout entier contenu entre les pages de son misérable journal qui, pour lui, devait avoir le soyeux d'une Bible.

Aujourd'hui, assis en tailleur sur ma petite taupinière de 53 années, je vois passer d'autres sortes d'imbéciles. Eux aussi travaillent. Je dois dire qu'ils m'effraient tout autant que mon vieux travailleur communiste. Mais ils ne m'attendrissent plus du tout.

dimanche 11 janvier 2009

Oui et non

Un billet de l'excellent Hoplite, avec lequel je suis pleinement en accord dans sa seconde moitié, mais beaucoup moins dans sa première. J'y reviendrai peut-être demain, si je ne suis pas mort.

Les merveilleuses vacances de GI Joe - pas d'point, fin

Dans la nuit de lundi à mardi, Adeline et Jérôme sont arrivés de Barcelone, et la vie est devenue soudain beaucoup plus rock 'n' roll. D'un autre côté, on ne peut pas venir pleurnicher : non seulement on était prévenu mais c'est même pour ça qu'on se trouvait dans le Gard, grossier mi-chemin entre nos deux villégiatures. Mais, bon : rock 'n' roll tout de même.

Car Jérôme et Adeline ne sont pas arrivés avec moins de quatre enfants (il manque le plus petit sur la photo d'Irrempe) : les deux grandes filles de Jérôme, la fille d'Adeline et le garçon qu'ils ont eu en commun : parvenu à ce stade de complexité, on ne dit plus une famille recomposée, mais un Rubik's cube.

Quoiqu'il en soit, dès le lendemain matin, les décibels en ont pris à leur aise – mode aigu chez les plus jeunes, medium ou grave pour les autres. Comme, en outre, la pluie ne nous a pas laissé une minute de répit de toute cette première journée, la confrontation en intérieur tournait assez fréquemment à la pièce sartrienne. Heureusement, un bénéfique hasard topologique fit que Catherine et moi avions émigré dans un petit gîte annexe, où nous nous sommes régulièrement réfugiés – surtout moi, avec Balzac et l'iPod.

L'acmé a eu lieu comme il se doit dans la nuit du 31, mais pas comme on aurait pu l'imaginer : la pauvre Adeline s'est retrouvée errant à quatre heures du matin au volant de la voiture familiale dans les rues d'Uzès, à la recherche de l'hôpital local pour son fils qui hurlait comme un damné dans son siège pour bébé, un demi-litre de pus dans chaque oreille. Quand elle est enfin rentrée à Lussan, il faisait presque jours.

Tout ce petit monde est reparti en ordre dispersé. Jérôme avec ses deux filles "perso" et son fils le vendredi après-midi, pour Barcelone ; Adeline et Malena le lendemain, en direction de Paris puis de Disneyland ; ce qui, après l'otite nocturne, était bien enchaîner une horreur sur une autre. L'Irremplaçable et moi avons rebranché nos sonotones et mis le cap sur Avignon.

Nous n'y sommes restés que quelques heures : les cohortes de microbes surarmés que la marmaille avait apportée avec elle d'Espagne commençait à opérer ses manoeuvres sur l'organisme de Catherine - moi, je soignais simplement une magistrale gueule de bois de plusieurs jours. Preuve de notre désarroi profond : nous avons déjeuné au MacDo.

Ensuite, il ne nous restait plus qu'à rentrer chez nous. Comme les propriétaires nous avaient spontanément offert de rester deux jours de plus pour éviter la circulation des retours de vacances scolaires, nous sommes revenus tout benoîtement le lundi, par des autoroutes quasi désertes.

Et battues par les successives tempêtes de neige.

samedi 10 janvier 2009

Vraiment parano, la maman de Samuel !

Il y a une douzaine d'années, juste avant sa retraite, mon collègue et ami Samuel a décidé de se faire construire une maison en Caroline du Sud et de quitter définitivement la France – ce qu'il a fait quelques mois plus tard. Comme je lui demandais le pourquoi d'une décision qui me paraissait si étrange, il m'avait répondu quelque chose comme : « Ma Mère est persuadée que nous, les juifs, on ne sera vraiment en sécurité qu'aux États-Unis. Alors, comme elle commence à être vieille... » J'avais fait un effort pour ne pas me montrer moqueur : quelle parano, la maman de Samuel, tout de même !

Cet après-midi, à Paris, près de cent mille personnes, pour la plupart arabes, ont défilé aux cris de "Israël assassin", ponctués de nombreux Allah Akbar, sous les yeux humides de tout ce que la gauche française compte d'idiots utiles et l'extrême-gauche d'incendiaires volontaires. Dans le même temps, à Nice, des "jeunes" jetaient des pierres contre la façade du casino Ruhl : « Parce que c'est des juifs » a expliqué l'un d'eux.

Quelle parano, la maman de Samuel, tout de même...
Par grand froid, le soleil abdique pouvoir et splendeur. Les hommes étonnés se retrouvent devant lui comme devant l'âtre, la face brûlante et le dos glacé.
Son horreur de l'homosexualité était telle qu'il répugnait à se laver le sexe lui-même.

À propos de Gaza, encore

Même si cela coûte un peu, il faut admettre que le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy dit exactement ce qui doit être dit, et sauve plus ou moins l'honneur de la presse française, à plat ventre devant le véritable agresseur.

vendredi 9 janvier 2009

Les choses de la vie, Paul et les autres

Je me suis laissé entraîner, une fois de plus. Il devait être onze heures et demie, hier soir ; j'effectuais le traditionnel zapping-dodo. Je rappelle aux néophytes que le zapping-dodo est le tour des chaînes – généralistes et cinéphiliques, mais en excluant tout de même le télé-achat et les sports – que l'honnête homme effectue avant d'éteindre le poste et d'aller se coucher ; c'est un exercice à haut risque car on ne sait jamais où il peut vous entraîner, ni surtout jusqu'à quelle heure. C'est ainsi que je suis tombé sur Les Choses de la vie, à une vingtaine de minutes de son commencement. Je suis incapable de résister à un film de Claude Sautet des années soixante-dix. Je ne les regarde pas ni ne les écoute : je les contemple dans un premier temps, puis je plonge dans leur décor qui pour moi n'en est pas un, mais la réalité chaude d'un monde mort, où il me semble vivre encore un peu.

Tout y est : les voitures dans lesquelles je me suis assis – toujours à l'arrière, mes parents devant –, les panneaux de béton au pied en triangle serré indiquant les entrées de village, les villages eux-mêmes ; les vêtements gris des hommes mûrs et les robes plus colorées des femmes, presque toutes aussi jeunes et belles que ma mère alors ; l'entrée des cafés, le chiffon sur le formica, le carillon Big Ben au mur du fond, la publicité Byrrh, les casquettes et la fumée des mégots sans filtre ; le guichet de la petite poste en avant duquel on s'adresse à une employée et non à son hygiaphone blindé.

Cinq minutes me suffisent pour oublier l'histoire, les personnages, leurs problèmes : je suis dans le monde, je tourne le dos à l'action, je m'exfiltre par une ruelle oblique, je rentre à la maison.

Et je me disais hier que ce coin de rue familier, plus savoureusement banal qu'aucun autre, pouvait paraître bien historique et étrange, à beaucoup de mon peu de lecteurs ayant à peine dépassé trente ans ; qu'il devait leur avoir ce côté merveilleux et inquiétant que revêt l'inconnu que l'on sent derrière soi – comme avaient pu l'avoir pour moi les films en noir et blanc des années cinquante, avec Gabin et Paul Frankeur.

J'ai inspiré un grand coup, mais je n'ai pas trop bien réussi à sourire. J'ai allumé une gitane au beau milieu du bureau de poste et nul ne s'en est étonné. Lorsque la tête de Michel Piccoli a disparu sous la vague, il m'a bien fallu réintégrer le futur.

jeudi 8 janvier 2009

Les merveilleuses vacances de GI Joe - pas d'point, III

Puisqu'on avait, dimanche, échappé aux fureurs du Vidourle, on a mis la barre un cran au-dessus dès le lendemain : on a carrément franchit le Rhône ; gonflé, non ? Nous étions attendus, à l'heure où se laissent volontiers déboucher les bouteilles de blanc, dans une petite ville (ou un gros village, si vous y tenez), située à quelques kilomètres à l'est d'Orange. Avec Emma et Pluton.

(Je ne peux pas leur offrir de liens, en dehors de ceux de notre amitié dans les langes, puisqu'ils n'ont de blog ni l'un ni l'autre ; comme on disait à la grande époque du PCF et de la compromission des intellectuels avec ce ramassis de staliniens : ils sont juste compagnons de route.)

Emma et Pluton vivent à Marseille, à cause de Pluton qui trouve malin de continuer à travailler : il y a des hommes vraiment prêts à n'importe quoi pour se rendre intéressants. Mais leur véritable maison se situe ici, au bout du bout du village, quasiment au pied des dentelles de Montmirail et sous la placide surveillance du mont Ventoux. Belle demeure de pierre, rectangulaire, assurée d'elle-même, un brin dédaigneuse de l'admiration qu'elle suscite chez l'arrivant, mais la guettant tout de même du coin de ses fenêtre symétriques (là, c'est moi qui fais le malin : je ne suis plus très sûr qu'elles le soient, symétriques). C'est une demeure de famille, que nul n'a jamais songé à brutaliser, et où l'on sent bien que les meubles, luisants, polis par les ans, pourraient demander compte aux humains de leur présence sur leur territoire, plutôt que l'inverse.

Contrairement à Mère et Père Castor, dont nous avons fait la connaissance dans le précédent épisode de cette saga venteuse, bavarde et pleine de trous, Emma et Pluton ont opté pour une descendance à modèle unique ; à mon sens ils n'ont pas eu tort. Je ne sais pas s'ils se sont longtemps entraînés avant de lancer le prototype, mais c'est une belle réussite. Cette jeune femme de 21 ans (ou 22 ?) – que nous appellerons Albertine pour préserver son anonymat, vu qu'elle se prénomme en réalité Brigitte –, marche résolument sur les traces médicales de ses parents, ce qui ne signifie nullement qu'elle ait chopé leurs microbes mais plutôt qu'elle se prépare hardiment à nous débarrasser des nôtres. À condition que nous ayons signé un engagement dans l'armée car Albertine a décidé qu'elle serait médecin militaire – à quoi l'on devine tout de suite une jeune femme résolue mais calme, sachant ce qu'elle veut et ne veut pas ou s'en croyant assurée, ce qui est le principal. Intelligente et volontiers rieuse, ne refusant pas le verre de vin paternel : une jeune femme comme on aimerait en voir plus souvent.

Nous nous serions du reste volontiers contenté de voir celle-ci plus longtemps, mais Albertine avait décidé de ne point participer au déjeuner auquel l'Irremplaçable et moi étions conviés, au motif que nous n'allions « parler que de Renaud Camus durant tout le repas ». Même pas vrai : dans le temps magiquement immobile qu'a duré notre déjeuner, si nous avons en effet évoqué la figure tutélaire du Maître de Plieux, nous avons abordé quantité d'autres sujets – qui n'auraient peut-être pas passionné davantage la damoiselle Albertine, restons humbles. Il n'empêche (car je tiens absolument à ce qu'elle ait tout de même quelque regret) qu'elle a manqué un repas de haute tenue dans un endroit qui tendait vers l'idyllique. Jugez plutôt. Il est dommage que le restaurant où nous tînmes table n'ait pas de site, ça nous aurait fait saliver un peu, surtout vous.

Connaissant nos appétences pour le vin blanc, Maître Pluton nous en avait sélectionné un (je veux dire : plusieurs unités d'un seul vin...), qui s'est défendu vaillamment mais a fini par succomber face à un adversaire résolu, sinon supérieur en nombre. Il va de soi que le nom de ce cru m'échappe totalement. Vous avez remarqué cela vous autres ? Plus on fréquente un vin au cours d'un même repas, moins on se souvient de son nom. Curieux...

Nous sommes ensuite revenus à l'habitation de nos hôtes pour le café qui, vu l'heure, aurait aussi bien pu être rebaptisé goûter. L'heure, c'est bien ce qui brisa l'enchantement, Catherine détestant conduire de nuit. Je ne peux pas la blâmer sur ce coup : elle avait décidé d'assumer héroïquement ses charges de GI Jane - plein d'points en se limitant drastiquement sur le vin ; tant de dévouement et d'héroïsme tranquille : cette femme aurait pu être infirmière dans les tranchées de 14, si elle l'avait voulu. Nous sommes donc repartis pour Lussan, lestés de nourritures terrestres mais allégés par la perspective d'une nouvelle rencontre pas si lointaine.

En deux jours, nous avions donc échappé aux fureurs du Vidourle et bravé tranquilles les envoûtements du côtes-du-Rhône, triomphant tout uniment de la crue et du cru.

Il nous restait à affronter le tsunami.