Le père et le fils sont entrés dans le cimetière, laissant les deux femmes quelques pas en arrière ; le père parle, on ne saura pas de quoi, le fils reste silencieux. Il a l'impression, qui n'est étrangement pas désagréable, d'une répétition – ou d'une reconnaissance ; ou encore d'une cérémonie conciliatoire, par laquelle il chercherait à s'attirer, de la part des morts, une forme de sympathie, tout au moins une neutralité bienveillante, pour la suite de l'histoire.
Le cimetière est militaire, le père l'est aussi, ou plutôt le fut. Il est peuplé de morts allemands, tombés durant les combats qui ont eu lieu autour de Sedan, lors des deux conflits mondiaux ; on leur rend hommage néanmoins, poussés par une vague fraternité de destins, et aussi par la communauté du sort attendu. Ils sont plus de vingt mille à être tombés là, sur ces hauteurs panoramiques, dix fois prises, perdues et reconquises. Le temps aidant, ils sont devenus semblables à nous, comme si la terre d'Ardennes, se les incorporant, les avait naturalisés. Après tout, ils n'étaient pas moins voisins de ces contrées que le Breton, le Limousin ou le Provençal qui reposent dans le cimetière français tout proche du leur.
Le père et le fils errent parmi les tombes, comme s'ils cherchaient quelque chose sans bien savoir quoi. Les phrases du père se font plus espacées, le fils continue de ne rien dire – parce qu'il sent qu'il ne parviendrait sans doute pas à accorder les mots. Bientôt, ils sont rejoints pas les femmes : comme elles sont du côté sonore de la vie, les bruissements qui montaient du sol herbu s'évaporent dans l'air immobile ; et le fils se remet à parler. Mais il y aura eu ce silence de quelques minutes, chargé d'ombre et de froid.
Le cimetière est militaire, le père l'est aussi, ou plutôt le fut. Il est peuplé de morts allemands, tombés durant les combats qui ont eu lieu autour de Sedan, lors des deux conflits mondiaux ; on leur rend hommage néanmoins, poussés par une vague fraternité de destins, et aussi par la communauté du sort attendu. Ils sont plus de vingt mille à être tombés là, sur ces hauteurs panoramiques, dix fois prises, perdues et reconquises. Le temps aidant, ils sont devenus semblables à nous, comme si la terre d'Ardennes, se les incorporant, les avait naturalisés. Après tout, ils n'étaient pas moins voisins de ces contrées que le Breton, le Limousin ou le Provençal qui reposent dans le cimetière français tout proche du leur.
Le père et le fils errent parmi les tombes, comme s'ils cherchaient quelque chose sans bien savoir quoi. Les phrases du père se font plus espacées, le fils continue de ne rien dire – parce qu'il sent qu'il ne parviendrait sans doute pas à accorder les mots. Bientôt, ils sont rejoints pas les femmes : comme elles sont du côté sonore de la vie, les bruissements qui montaient du sol herbu s'évaporent dans l'air immobile ; et le fils se remet à parler. Mais il y aura eu ce silence de quelques minutes, chargé d'ombre et de froid.
chut alors.
RépondreSupprimerDis tout de suite qu'on est bavardes !
RépondreSupprimerMais non, mais non...
RépondreSupprimer« ... les femmes : comme elles sont du côté sonore de la vie... ».
RépondreSupprimerUne grande vérité, ça. Anna soror, si sonore, eût dit Margot Y.
C'est un beau texte Didier, on ne peut que le saluer et respecter ce qu'il dit.
RépondreSupprimerQue lis-je ? Vous osez évoquer les morts allemands, limousins, bretons ou provençaux sans mentionner une seule fois les tirailleurs sénégalais ou les goumiers nord-africains, dont on sait pourtant, depuis le film Indigènes, qu'ils furent les vrais libérateurs du territoire ?
RépondreSupprimerJ'entends d'ici crisser les plumes vengeresses sur les lettres vous dénonçant à la Halde.
(Ouh la... Il va falloir que j'arrête de traîner sur ce blogue, je me gouxise un peu plus à chaque visite. Et il n'y a même plus les liens vers les sites-antidotes d'extrême droite qui permettaient, par réaction, de garder la tête froide)
Beau texte, joli petit tas de non-dits…
RépondreSupprimer:-)
Yanka : et encore, vous ne connaissez pas ma mère...
RépondreSupprimerCouycou : un grand merci.
Chieuvrou : vous filez un mauvais coton, en effet. Si vous continuez sur cette pente, vous allez finir par vous mettre aux rillettes sarthoises.
On aurait pu entendre tinter un glaçon.
RépondreSupprimerAh, ça, pour tinter, ils ont tinté !
RépondreSupprimer"Ah, ça, pour tinter, ils ont tinté !"
RépondreSupprimerDans le champagne, les glaçons tintinabullent.
Suzanne
Les cimetières militaires m'ont souvent frappé par l'ordre, la régularité, et la pureté de l'alignement de croix blanches.
RépondreSupprimerIls m'ont souvent ému aussi par l'anonymat, le destin tragique et la souffrance qui en émanent.
J'aurais aimé fleurir la tombe de chaque soldat et leur dire qu'ils ne sont pas morts pour rien puisque nous vivons en paix désormais.
Suzanne : bien que né dans la Marne, je ne bois jamais de champagne.
RépondreSupprimerTzatza : on vit en paix pour l'instant...
Il faut parfois faire la guerre pour vouloir la paix, mais je crois qu'on peut toujours faire autrement à condition d'accepter de vivre ensemble.
RépondreSupprimerTrès émouvant ce texte. Merci Didier.
RépondreSupprimerAvez-vous remarqué comme le vent souffle là-haut ? Ma surabondante imagination en a aussitôt déduit qu'il était bon de se remémorer les murmures des champs de batailles, et qu'en tendant l'oreille, on les entendrait presque... Au final, pas si sûr que ce souffle là soit réconfortant.
RépondreSupprimerPourtant, je ne parviens pas à être triste dans ce type d'endroit. Grave, certes, mais triste, non.
Pluton, merci.
RépondreSupprimerArchie : je n'ai jamais trouvé les cimetières tristes, pour ma part. Et je trouve une certaine grandeur dans ceux des militaires tués au combat, avec leur stricte égalité dans la mort (eux si hiérarchisés de leur vivant) et cette abscence totale de m'as-tu-vuisme qui gâche beaucoup de tombes civiles.
Beau texte.
RépondreSupprimerJe ressens le grand respect que vous avez pour votre père (et votre mère aussi).
Lui aussi, sûrement.
Bon, je vous mets un lien d'office ! Vous l'avez bien cherché...
RépondreSupprimerElmone : merci !
RépondreSupprimerZoridae : qui irait se plaindre d'être lié par vous ?
:)
RépondreSupprimerJe suis toujours impressionné par tout ce que peut parfois dire le silence...
RépondreSupprimerLe silence... sans doute le bruit le plus puissant.
Merci.