Le dernier roman de mon Saint-pierrais préféré commence par un court préambule, que je vous livre sans davantage barguigner :
« “Vous avez vécu un an en Alaska ?
– Neuf mois exactement : de septembre 1966 à mai 1967.
– Dites-nous les circonstances de votre départ.
– Je suis en Méditerranée, à Port-Cros. Le soleil se couche sur le fort de l'Estissac. Pont-levis et bougainvillées. Un journal traîne par terre. À la rubrique “Offres d'emploi”, je vois annoncé un poste de lecteur à l'Université d'Alaska. La radio diffuse La Nuit transfigurée de Schönberg, je rédige ma demande à la lueur de la bougie.
– Vous recevez, fin août, à Paris, une réponse affirmative ?
– Oui.”
« Comme si j'avais pris la précaution de me photographier, de laisser de moi une image qui me permettrait de revenir là-haut, je m'aperçois à contre-jour, un mois plus tard, sur le campus. Dans mon chalet, debout, devant la table, je suis penché sur un livre. Tu perdras le sommeil au fur que tu perdras la vue. Je relis la première phrase du Compact de Maurice Roche, au ton prophétique de laquelle je tente d'accorder mon propre incipit : On entendra le craquement de tes pas sur la neige parfaitement sèche. Le printemps me surprendra dans cette même pièce, allongé sur le sofa. Dès trois heures du matin, en mai, la lueur du jour indique que les oiseaux chantent. »
Qualifier la phrase citée d'incipit constitue une sorte d'aporie, puisque précisément, il lui est besoin d'une introduction avant de pouvoir apparaître. Et non seulement d'une introduction mais plus précisément d'un autre incipit – un incipit “premier”, ou un préincipit qui se rapproche dangereusement du précipice –, appartenant à un autre livre, lui-même écrit par un autre auteur. On se dit que, peut-être, le préambule que l'on vient de lire ne “compte” pas, et que les pas sur la neige sèche vont ouvrir la première partie qui s'annonce maintenant. Non, pas davantage. La phrase reste absente. Et l'on s'en console en relisant l'intitulé de cette première partie : La fille perdue dans la sonate.
On rêvasse un moment, avant d'embarquer.
« “Vous avez vécu un an en Alaska ?
– Neuf mois exactement : de septembre 1966 à mai 1967.
– Dites-nous les circonstances de votre départ.
– Je suis en Méditerranée, à Port-Cros. Le soleil se couche sur le fort de l'Estissac. Pont-levis et bougainvillées. Un journal traîne par terre. À la rubrique “Offres d'emploi”, je vois annoncé un poste de lecteur à l'Université d'Alaska. La radio diffuse La Nuit transfigurée de Schönberg, je rédige ma demande à la lueur de la bougie.
– Vous recevez, fin août, à Paris, une réponse affirmative ?
– Oui.”
« Comme si j'avais pris la précaution de me photographier, de laisser de moi une image qui me permettrait de revenir là-haut, je m'aperçois à contre-jour, un mois plus tard, sur le campus. Dans mon chalet, debout, devant la table, je suis penché sur un livre. Tu perdras le sommeil au fur que tu perdras la vue. Je relis la première phrase du Compact de Maurice Roche, au ton prophétique de laquelle je tente d'accorder mon propre incipit : On entendra le craquement de tes pas sur la neige parfaitement sèche. Le printemps me surprendra dans cette même pièce, allongé sur le sofa. Dès trois heures du matin, en mai, la lueur du jour indique que les oiseaux chantent. »
Qualifier la phrase citée d'incipit constitue une sorte d'aporie, puisque précisément, il lui est besoin d'une introduction avant de pouvoir apparaître. Et non seulement d'une introduction mais plus précisément d'un autre incipit – un incipit “premier”, ou un préincipit qui se rapproche dangereusement du précipice –, appartenant à un autre livre, lui-même écrit par un autre auteur. On se dit que, peut-être, le préambule que l'on vient de lire ne “compte” pas, et que les pas sur la neige sèche vont ouvrir la première partie qui s'annonce maintenant. Non, pas davantage. La phrase reste absente. Et l'on s'en console en relisant l'intitulé de cette première partie : La fille perdue dans la sonate.
On rêvasse un moment, avant d'embarquer.
oui mais l'Alaska tout de même... c'est froid, non ?
RépondreSupprimerJe n'arrive pas à croire qu'un bougon de Normand tel que vous, qui grogne quand il fait froid ici en juillet, rêve de froidures, de crevasses, de blizzard, de brumes éternelles...
RépondreSupprimerSinon, j'avance (lentement, pour en profiter plus longtemps) dans L'oeuvre des mers, et je crois que je tiens mon meilleur livre de l'année.
Savez-vous qu'il existe un salon de la littérature insulaire à Ouessant ?
Si vous êtes un lecteur de ce cher Eugène Nicole, je sens que l'on va devenir copains. En plus, je crois savoir que Nicole est un fervent admirateur des "Cantos" du grand Ezra Pound. Bref, que du bon.
RépondreSupprimer@Suzanne vous je vous aime bien.. n'allez pas à Ouessnt, (qui voit ouessant voit son sang n'est pas une légende) ils montent des rencontres littéraires pour bouffer de temps en temps des continentaux :)
RépondreSupprimerGaël, ah, non, vous confondez avec Sein, où ce sont des sauvages! (j'espère qu'il n'y a pas d'iliens de là-bas qui me lise...)
RépondreSupprimerD'ailleurs, Nicole y était, à ce festival du bout du monde. Bon, faut y aller, déjà.
@Suzanne si vous le permettez je vous emmènerais sur les deux, vous verez où résident les "sauvages (l'anthopophagisme est il un acte barbare et sauvage, j'ose poser la question en pei débat sur l'identité nationale :) )
RépondreSupprimerGaël : mais c'est que je n'ai nullement l'intention d'y aller : Saint-Pierre suffit à ma rêverie...
RépondreSupprimerSuzanne : je savais, pour Ouessant. Mais les festivals, moi, vous savez...
Christophe : j'ai découvert E. Nicole par le biais de R. Camus qui en parle à plusieurs reprises dans son journal. Je crois d'ailleurs qu'ils sont amis "en vrai".
Gaël : je vous laisse vous débrouiller avec Suzanne.
Ah, Gaël, chiche qu'on y va !
RépondreSupprimermes dernières îles, c'étaient les Chausey (plus grand marnage d'Europe)
Quant à l'anthropophagisme... ce n'est pas toujours un acte barbare. Si l'aventure vous tente, si la question vous intéresse, et si vous n'avez plus rien à lire, je vous conseille "le Gynophage", excellent roman de Pierre Alain Cabrero. Il y est question d'un homme qui mange sa femme, puis finit par ouvrir un restaurant où l'on cuisine la chair féminine, pleine de vertus.