J'avoue, à ma grande et courte honte, n'avoir avant ce matin jamais entendu parler de Sylvain Tesson. Mais je viens de trouver, sur un excellent blog – probablement éphémère –, ce court texte de lui, qui semble extrait d'un livre intitulé Les Forêts de Sibérie :
« Assez tôt, j'ai compris que je n'allais pas pouvoir faire grand-chose
pour changer le monde. Je me suis alors promis de m'installer quelque
temps, seul, dans une cabane. Dans les forêts de Sibérie. J'ai acquis
une isba de bois, loin de tout, sur les bords du lac Baïkal. Là, pendant
six mois, à cinq jours de marche du premier village, perdu dans une
nature démesurée, j'ai tâché d'être heureux. Je crois y être parvenu.
Deux chiens, un poêle à bois, une fenêtre ouverte sur un lac suffisent à
la vie. Et si la liberté consistait à posséder le temps ? Et si le
bonheur revenait à disposer de solitude, d'espace et de silence – toutes
choses dont manqueront les générations futures ? Tant qu'il y aura des
cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu. »
La solitude et le silence sont en effet les deux luxes dont commencent toujours par nous priver les dictatures, qu'elles soient communiste, nazie ou modernœuse. Cela étant, si on pouvait se trouver un petit havre un peu moins lointain que la Sibérie, je serais preneur. Ce qui nous ramène à cette réponse faite par je ne sais plus quel chef d'orchestre, à qui on demandait où il aimerait habiter : « Pas trop loin de chez moi… »
J'aime bien le silence, aussi. Surtout quand il est interrompu par une question du genre "Je t'offre un autre verre, Nicolas ?" puis "Patron, tu peux lui remplir son verre ?".
RépondreSupprimer« Pas trop loin de chez moi » : justement, la photographie n'est pas terriblement sibérienne...
RépondreSupprimerNicolas : et l'espace infini des grands bistrots sous la lune…
RépondreSupprimerDF : ce pourrait être dans le coin de Magadan.
Il y a aussi le documentaire télévisé pour ceux qui n'ont pas lu le livre :
RépondreSupprimer6 MOIS DE CABANE AU BAIKAL
Mouais... La cabane au fond des bois pourquoi pas, mais ça manque un peu de grandeur, de copains et de famille pour convenir à mes besoins. Peut-être que ça changera en prenant de l'âge...
RépondreSupprimerEt si la liberté consistait à posséder le temps ? Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d'espace et de silence
RépondreSupprimerFredi n'en a jamais douté, lui qui a la chance de connaître ce bonheur là.
Mais il sait aussi qu'à long terme c'est un bonheur intenable, qu'il faut un jour retrouver ses semblables, pour les aimer ou les détester, que la solitude est douce, à condition qu'un ami vienne vous en parler de temps en temps.
l'homme est un animal social ou n'est pas un homme.
Ah, Magadan ! Ce nom m'a toujours fait rêver. D'ailleurs Lénine ne disait-il pas que « Magadan, c'est le communisme plus les engelures » ? Bref, l'exotisme pur.
RépondreSupprimerOui Magadan au Canada, pour la solitude, c'est bien aussi.
RépondreSupprimerDésolé mais je voulais la faire avant le taulier.
Je viens de terminer la lecture du livre: Superbe!
RépondreSupprimerJe l'ai lu, ça n'a pas grand intérêt. Il y a même quelque chose d'assez moderne dans ce genre d'ascèse, comme s'il n'y avait pas de juste milieu entre les mondanités stériles et les steppes glacées. Ce genre de misanthropie, baignée d'une sourde culpabilité, est l'aveu d'une forme de référent collectif indépassable. Il y a de l'oisiveté, et donc du vide, petit-bourgeois (Tesson est fils de) dans ces retraites mortifères. Au fond c'est encore et toujours la recherche d'une authenticité toute en cliché (et son livre, qui intéresse les lectrices, se vend très bien). O combien plus louable cette retraite eut été s'il n'en avait PAS fait un livre.
RépondreSupprimerBien sûr on peut toujours rêver à la pureté absolue, au toujours plus... à la démesure.
RépondreSupprimerUn autre livre de la même veine mais certainement pas "petit bourgeois": "Traité de la cabane solitaire" d'André Marcel chez Arlea.
Petit frere gauchiste de la derniere heure, ne connais tu pas ce bouquin "ermites dans la Taiga"
RépondreSupprimer(ET sans contrepeterie) ;)
Une fois dans la cabane, poser ce que l'on vit sur le papier peut avoir un intérêt il me semble, Il Sorpasso. La publication n'est que l'étape suivante. Je ne crois pas qu'il soit parti là-bas parce qu'il avait besoin d'un livre, j'ai l'impression que c'est le contraire qui s'est passé.
RépondreSupprimerPour le côté extrême de l'expérience, il en parle dans certaines interview. Je l'ai vu affirmé que malgré sa critique de la société de consommation, notre époque permettait très bien de vivre très humblement. Il dit simplement qu'avec l'abondance des stimuli qui caractérise nos sociétés, l'évasion intérieure nécessite une très grande force d'âme. Ce qu'il n'a pas, d'après lui. D'où le besoin de partir. Il ne dit pas qu'il a vécu une expérience là-bas supérieure à celle qu'on pourrait vivre ici. Il dit que lui a eu besoin de partir pour la vivre. C'est moins caricatural que ce que vous semblez dire, ce n'est pas une éloge de l’ascétisme aussi conne que l'hédonisme onfrayen, par exemple.
Et au-delà de ça, il faut être effectivement d'une force démesurée pour pouvoir vivre ce genre d'expérience de retrait et de plongeon dans le silence en restant en ville aujourd'hui. D'une force démesurée, ou d'une mauvaise foi démesurée aussi. Si l'ascétisme obligatoire est caricatural, l'affirmation que l'on peut être heureux en Occident simplement à condition de le vouloir l'est bien plus.
Essayez les collines du MORTAINAIS. Solitude et isolement s'y cultivent. A peine perturbées par quelques discrets Anglais. De plus les maisons n'y sont pas chères. Seulement, la solitude demande un minimum d'entraînement...
RépondreSupprimerLe problème, c'est que ça n'a aucune valeur littéraire. Il n'en tire aucune considération digne de ce nom, sinon, qu'il faut continuer à s'occuper, à se créer des stimulis. Diantre.
RépondreSupprimerCe genre d'ascèse de privilégié, Jung s'en moquait déjà dans les années 30, disant que ça va bien 6 mois à couper du bois, mais au bout d'un moment, on sait que sa place est dans ce monde "civilisé" si on en vient.
Non, ce qui est intéressant c'est le formidable accueil fait à ce livre, par ceux-là même qui crééent des "stimulis" (écoutez l'interview par Fogiel par exemple). Elle est là, la valeur littéraire, et elle est inexploitée, évidemment. Je rêve moi d'un romancier qui aurait mis en scène ce genre de personnage, et la société qui lui ouvre les bras et tend les micros.
J'ai déjà entendu cette objection, Il Sorpasso. Et je l'y attendais. Je ne lui trouve donc pas une grande valeur littéraire non plus, même potentielle, mais pourquoi pas. Quand on veut absolument contredire, on peut. C'est pas toujours intéressant. En tout cas pas plus qu'une expérience comme celle de Tesson.
RépondreSupprimerL'accueil dont vous parlez est superficiel, comme tout le reste. C'est une publicité. Personne ne s'intéresse vraiment à ce qu'il a vécu. On ne l'écoute pas - et s'il n'y a rien à dire c'est pas grave, comme vous le soulignez -, on ne veut en tirer qu'une carte postale. C'est un truc de bobos à la Yann Arthus-Bertrand.
Ce que je veux dire c'est que l'effet de mode n'est pas obligé de masquer l'expérience elle-même. Sociologiquement c'est certainement très intéressant, et y'a encore des cartouches à tirer, et on toucherait juste c'est certain. Mais ça n'est pas toujours plus intéressant, non.