Parce que ma mère l'a donné à Catherine lorsque nous nous sommes vus 
récemment, je viens de lire le dernier roman de Fred Vargas, L'Armée furieuse.
 « Il est plutôt mieux que les deux ou trois précédents, m'avait dit 
Catherine en substance (j'avais personnellement abandonné l'auteur avant
 le pénultième : Les Lieux incertains, ou quelque chose 
d'approchant), mais la fin est grotesque. » Livre refermé, je la trouve 
plutôt indulgente. Il est tout à fait exact que le coupable qui sort 
dans les dernières pages du chapeau et surtout ses prétendues 
motivations sont parfaitement ridicules et artificielles – ou l'un parce
 que l'autre. On retrouve là le plus gros problème de Mme Vargas, ou si 
l'on veut de ses lecteurs : cette fin qui s'effondre oblige à un coup 
d'œil rétrospectif sur tout le roman, ce qui a pour conséquence de 
montrer en pleine lumière ses défauts, et les faiblesses de l'auteur. 
Les plus graves de celles-ci me semblent deux : la première est carence,
 la seconde excès de richesse.
Contrairement à ce 
qu'une lecture rapide, ou débutante, tend à faire croire, Fred Vargas 
est dans l'incapacité de créer des personnages, c'est-à-dire des gens 
“normaux”, semblant pris presque au hasard, dont elle s'attacherait 
ensuite à nous donner de bonnes raisons de nous intéresser à eux, en 
nous révélant ce qui se tient, se déroule, s'agite, fermente sous les 
miroitements de leurs apparences. Comme elle ne sait pas le faire, elle 
espère cacher ses manques en multipliant les phénomènes de cirque, les 
attractions foraines, les originaux à lubie, etc. Cela étonne et amuse 
dans les premiers chapitres – voire dans les deux ou trois premiers 
romans, car elle ne manque pas d'habileté –, puis cela fatigue, agace et
 enfin ennuie. Surtout, cela déréalise. On me dira que les 
histoires qu'elle échafaude ne dénotent pas un grand souci de réalisme ;
 c'est justement pour cela que les personnages qui y sont plongés 
devraient être, eux, au plus près du réel. Nous reviendrons sur les 
“intrigues”, restons encore un peu sur le personnel.
Cette
 tendance à créer des marionnettes difformes est surtout devenue 
flagrante lorsqu'elle s'est mise à doter son commissaire Adamsberg 
(lui-même déjà forcé) d'une sorte de brigade ou d'embryon de 
brigade : pas un seul être humain ordinaire en son sein, pas un flic un 
tant soit peu reposant. On se dit rapidement qu'un tel synode de 
frapadingues ne sera jamais en mesure de résoudre le moindre début 
d'enquête et on aura raison. Le soupçon s'installe, alors, que nous ne 
sommes pas en présence d'une brigade criminelle mais bien d'un petit 
groupe d'aliénés dont la caractéristique commune est de se prendre pour 
des policiers ; et on se met à guetter l'irruption dans le décor des 
infirmiers chargés de distribuer les petites pilules du soir et de 
rediriger tout le monde vers les chambres capitonnées. 
L'auteur
 profite de ce qu'elle nous a jeté entre les jambes des “héros” tous 
parfaitement hors normes (on est moins loin qu'on ne pense des Marvel comics),
 pour se laisser aller à trop de facilités – même en tenant compte du 
fait que nous sommes  dans de la littérature populaire –, faisant appel à
 la surpuissance de l'un ou l'autre de ses super-Mario(nnettes) quand 
elle a besoin de s'extraire d'une impasse scénaristique où elle s'est 
elle-même fourrée par excès de complication, ivresse de toute-puissance.
Car
 à cette incapacité à créer de véritables personnages vient s'ajouter un
 goût malencontreusement prononcé, et davantage en vieillissant me 
semble-t-il, pour les intrigues les plus tarabiscotées, les échafaudages
 tellement savants qu'ils finissent par s'écrouler sous leur propre 
sophistication : c'est l'excès de richesse dont je parlais en 
commençant. La mécanique que Vargas met au point est si complexe, si 
ramifiée, si précise dans le moindre effet de ses causes multiples qu'à 
la fin, lorsque la clé lui est fournie, le lecteur est assommé par une 
double déception. La première est que le ressort primordial lui semble 
bien pauvre par rapport à la merveilleuse horloge que l'on a actionnée 
devant lui durant plus de quatre cents pages ;  la seconde correspond à 
la certitude d'avoir été floué, dans la mesure où il comprend, là encore
 rétrospectivement, que tout ce qu'on lui a raconté est rigoureusement 
impossible, que le coupable – qui ne saurait, lui non plus être un 
assassin ordinaire, mais toujours un esprit d'un diabolisme qui le fait 
basculer dans l'irréel, un fantastique presque gothique – ne peut
 pas avoir conçu et encore moins réalisé un plan aussi retors et 
implacable ; en un mot, nous voyons avec une netteté cruelle qu'il n'est
 pour rien dans tout cela, que c'est Mme Vargas qui, patiemment, sans 
doute laborieusement, a tissé cette toile labyrinthique avant de 
l'installer en son centre. Je sais bien que le polar n'est jamais
 réaliste et qu'aucune des enquêtes que l'on y déroule ne pourrait avoir
 un commencement d'existence dans le monde réel : n'importe quel 
policier nous le confirmera, je pense. Mais il y faut tout de même 
quelques points d'ancrage, et c'est justement ce que se et nous refuse 
Fred Vargas. Si ses débuts de romans sont en général assez réussis, en 
tout cas bluffant au sens propre du mot, ils basculent ensuite 
dans la féérie, avec rebondissements en cascades, interventions 
quasi-surnaturelles, sens de la divination illuminant brusquement 
certaines figures, etc. C'est bien pourquoi, au moins dans ses trois ou 
quatre derniers ouvrages, la fin est toujours un effondrement : c'est 
qu'il s'agit, tout de même, de nous persuader tant bien que mal que tout
 cela, cette surhumaine machinerie, a été monté rouage après rouage par 
un simple mortel ; que, du coup, l'auteur est bien contraint de nous 
faire apparaître comme un véritable génie du mal : c'est l'Ombre jaune
 de Bob Morane distribuée en avatars finalement assez peu différents les
 uns des autres, car rien n'est plus monotone et semblable à tous les 
autres qu'un génie du mal.
Cela dit, je dois 
reconnaître à Fred Vargas un certain sens du dialogue vif, efficace, 
souvent drôle, même si elle a tendance à abuser du paradoxe. Si elle 
parvient à s'astreindre à des histoires plus ramassées, moins 
“esbroufe”, et à renoncer à ses originaux systématiques, elle 
parviendra peut-être un jour à écrire un excellent roman. Mais alors, 
elle sera devenue quelqu'un d'autre que Fred Vargas. 

J'aimais bien les premiers que j'ai lus (il y à plus de 10 ans ?) mais ça ne me viendrait plus à l'idée d'en acheter.
RépondreSupprimerC'est bien pourquoi je ne les achète plus. J'aimais bien du début, en effet, qui mettaient en scène les “quatre Évangélistes”. Maintenant, elle complique tellement que toute crédibilité s'effondre.
SupprimerPareil. J'en ai lu 2 à tout casser et j'ai abandonné au 3ème... Il y a des années aussi.
RépondreSupprimerAh, vous êtes encore moins indulgente que moi : j'ai bien aimé jusqu'à Pars vite et reviens tard. Alors que, en principe, c'est moi qui suis censé ne pas aimé le polar…
SupprimerComme quoi...
SupprimerMais c'est vrai que les vaches normandes ne bougent quasiment pas, non?
RépondreSupprimerAh mais oui, ça n'empêche rien !
SupprimerJe croyais avoir lu sous votre plume qu les polars ne vous intéressaient pas (reprenez moi si je me trompe). Et en matière de polar, Fred Vargas n'est vraiment pas ce qu'on fait de mieux
RépondreSupprimerVous ne vous trompez pas, j'ai même mis un lien, dans un commentaire un peu plus haut. Mais je ne prétends pas être totalement cohérent…
SupprimerDéjà que je ne l'ai jamais lue, je la lirai encore moins !
RépondreSupprimerTiens, au fait, on ne l'entend plus celle-là prendre la défense de l'italien qui a tué des gens.
RépondreSupprimerJ'ai aimé "Pars vite et reviens tard". "Coule la Seine" aussi, ainsi que "L'homme aux cercles bleus"... Sinon, le polar est un genre que j'affectionne. Actuellement, je lis, dans le désordre, du français pur jus : ADG, Manchette, Amila, Jonquet...
RépondreSupprimerMarre des bouquins dit "sérieux" ! J'ai toujours trouvé dans les polars, outre distraction et plaisir, des "vérités" sociologiques très pointues.
Pars vite et reviens tard, le premier lu, bien aimé, aimé aussi L'homme à l'envers ( quand il y des moutons, je ne suis plus très objective...) Sinon je suis d'accord avec ce que vous dites de Vargas et de son écriture. En effet, à quand un roman non-polar ?
RépondreSupprimerje pense que là ou tout le monde se trompe justement, c'est que Vargas n'écrit pas des "polars" elle le dit bien, elle appelle ça des "rompol". Autrement dit, des romans dont certains des héros récurrents sont flics. Adeptes de polars, passez au large ! Le meurtrier n'a pas beaucoup d'importance, et sans aucun doute si l'auteur le pouvait, elle ne le nommerait même pas. L'intérêt n'est pas la. Il est dans l'originalité et la poésie des personnages, leurs relations pleines de pudeur, leurs dialogues improbables, leurs motivations complexes. Tout ça dégage un charme qui relève bien du roman de qualité (autrement dit loin des Marc Lévy et autres Musso...). Personnellement j'aime Vargas, et je déteste les polars ! (désolée, pas réussi à m'inscrire sur mobile... Emma)
RépondreSupprimerJe n'ai jamais compris pourquoi certaines personnes perdaient leur temps (et le notre) à discourir sur ce qu'ils n'aiment pas.
RépondreSupprimerPour ma part, j'aime les romans de Fred Vargas.
Bonjour, que les romans de Fred Vargas vous déplaisent, je peux le comprendre. Que vous vous livriez à une masturbation intellectuelle pour les descendre, la, je comprends moins. Qui êtes vous ? Pour qui vous prenez vous ? Il suffit de lire le titre de votre blog pour comprendre. Ça va les chevilles ?
RépondreSupprimerJe me prends pour un lecteur, figurez-vous. Un de ceux qui ont trouvé agréable les premiers romans de la dame en question, mais qui trouve qu'elle a dépassé son "seuil de talent" et qu'elle est en train de se perdre.
SupprimerEt, à part ça, vous êtes qui, vous-même ? Où sont vos arguments pour contrer les miens ?
Connard.
Ouh, moi j'ai eu au moins le respect de ne pas vous insulter. Vous savez, je n'aime pas le flan, mais cela ne me donne pas le droit de rentrer chez le pâtissier pour lui dire qu'il fait de la merde. je me contente de ne pas en acheter. Vous êtes sans doute un pseudo intello bobo en mal de reconnaissance. Moi pour ma part, je ne suis qu'un lecteur lambda. Apres recherche sur Internet, on a bien du mal a vous cerner. En fait vous êtes simplement insignifiant. Mais rassurez vous, un jour quelqu'un perdra du temps a dire du mal de vous, ce jour la, vous aurez gagné, vous serez célèbre. Néanmoins cela ne fera pas de vous un artiste. Je ne vous retourne même pas votre insulte, ce serait vous faire trop d'honneur...
Supprimer« Vous êtes sans doute un pseudo intello bobo en mal de reconnaissance. »
RépondreSupprimerVoilà, c'est tout moi, vous avez tout compris.
«Apres recherche sur Internet, on a bien du mal a vous cerner. »
Ah ? Vous tenez à ce point à me "cerner" ? Vous êtes flic ?
Le reste de votre commentaire n'en appel aucun. Mais vous me reprochez quoi, au juste ? De ne pas aimer Mme Vargas ? Je n'ai pas le droit ?
J'entendais parler de Fred Vargas depuis longtemps comme un(e)super auteur(e)...
RépondreSupprimerJ'ai lu des commentaires plus que flatteurs.
J'ai commencé "Temps glaciaires" que j'ai abandonné au bout de 200pages.
Je sens que "Un lieu incertain" va subir le même sort.
Impossible d'entrer dans l'histoire,de m'intéresser aux personnages humour à deux balles, etc.
Je suis contente de tomber enfin sur ces critiques qui correspondent à ce que je ressens.