dimanche 10 mars 2013

Midi le juste


À plusieurs reprises, dans tel de ses livres et tel autre, Renaud Camus a noté que les gens qui disaient “ce midi” plutôt que “à midi” signaient par là même leur appartenance à cette petite-bourgeoisie dont il dit qu'elle occupe désormais tout l'espace de nos sociétés, ne concevant ni n'admettant rien en dehors d'elle – et surtout pas ce qui pourrait encore tenter de se faire passer pour une classe cultivée. Il y revient encore dans ses Inhéritiers, ouvrage majeur me semble-t-il, et formant le dernier panneau d'un triptyque commencé avec La Grande Déculturation puis Décivilisation. Les Inhéritiers peuvent être lus en ligne, après avoir versé sa modeste obole à l'auteur…

Cela posé, revenons à ce fameux midi. Si la remarque de Camus est fondée syntactiquement – midi étant une heure de la journée, il convient bien de dire à midi… –, elle me paraît pourtant contestable, ne serait-ce que si on s'adosse au Cimetière marin de Valéry, dans lequel il est question de Midi le juste. C'est surtout que midi a cessé d'être une heure, en tout cas de n'être que cela, pour devenir le raccourci de “la pause que l'on s'accorde au moment du déjeuner”. Il ne me choque donc pas que l'on en vienne à parler d'un midi, et par conséquent de ce midi. 

D'autant que m'amusent assez les particularismes, que je suppose régionaux, qui font varier de façon inattendue les manières de l'évoquer. Ainsi, ma mère, qui par ailleurs parle un français que pourraient lui jalouser 90 % des bacheliers du jour, ma mère dira facilement qu'elle a fait telle chose pendant midi ; la femme d'un ami, dont je crois qu'elle est lorraine, la fera, cette chose, entre midi ; pour ce qui est de la mienne, d'épouse, elle accomplira la même besogne sur l'heure du midi, ce qui est pousser le bouchon un peu avant, mais on supposera que cette biscornue locution a été par elle rapportée du Québec. 

Quant à moi, pour obvier à ces chausse-trapes, j'ai pris la saine habitude de ne strictement rien faire et de me tenir coi, approximativement entre onze et trois heures.

10 commentaires:

  1. "Ç'midi", voilà bien une expression totalement proscrite chez moi. Un peu trop "au plaisir".

    Et on mange quoi, ç'midi ?

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  2. Pas étonnant que vous n'ayez pas d'enfants.
    Le temps de midi est assez propice à la conception des enfants.
    Sur les quatre enfants que j'ai, j'ai la certitude d'en avoir fait au moins un, entre midi.

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  3. Je ne comprends rien. Si, à midi, je prends l'apéro de midi entre midi et 14heures, c'est mal ?

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    1. Avant l'heure, c'est pas l'heure (quoique, en l'occurrence...), après l'heure, c'est toujours l'heure.
      Qui peut le plus peut le moins.
      Trop fort n'a lamais manqué.
      Si tu doutes, t'en rajoutes.

      Non, je ne crois pas que c'est mal.

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  4. Sur "ce midi", on peut jeter un coup d'œil à Maurice Grevisse & Michèle Lenoble-Pinson, Le Français correct, 6ème édition, De Boeck / Duculot, 2009, n° 599, page 191 (lisible en ligne).

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  5. Dans le sonnet de Mallarmé, si "ce minuit" n'est pas une apposition à "l'angoisse", mais est tout bonnement un complément de temps, alors on trouve une attestation hautement raffinée d'une construction que Grevisse déclare inexistente.

    Ses purs ongles très-haut dédiant leur onyx,

    L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,

    Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix [...]

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  6. Valéry, l'enfant de Mallarmé. J'aime.

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  7. "Midi le juste": juste mitan, juste milieu ?

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  8. On dit bien "ce matin", "cet après-midi" et "ce soir". Lorsque "midi" représente, non pas une heure de la journée, mais un moment de la journée (une durée), je pense que "ce midi" est acceptable.
    Geneviève

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  9. Moi les vacances, je les prends dans le midi.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.