mardi 21 janvier 2014

Salle d'attente


Hôpital d'Évreux, en compagnie de Chardonne et Morand j'attends Catherine dans la salle d'attente de stomatologie ; salle qui n'est guère plus qu'un renflement de l'espace où défilent patients, médecins, infirmières, brancardiers : un abcès de couloir. Cet abcès donne sur un autre, plus grand, où sont assis les malades d'un autre service. C'est de là que, soudain, me parvient une sorte de litanie confuse. En me penchant un peu sur la droite, je vois qu'elle émane d'un très vieil homme allongé sur un brancard, les jambes protégées par une couverture dont il essaie maladroitement de se défaire, sans doute pour descendre de son perchoir. Comme son ton va rapidement crescendo, je comprends maintenant ce qu'il répète en boucle : « Je n'ai rien… je n'ai rien… rien du tout… je n'ai rien… rien du tout… », au moins une trentaine de fois, à voix de plus en plus haute. Personne ne semblant se soucier de ses protestations, il change brusquement de discours, au mépris de toute logique : « Je vais crever… je vais crever… laissez-moi crever… je vais crever…». Cette fois, il balance tellement de décibels qu'une infirmière vient à lui pour tenter de le calmer ; elle y parvient, mais en parlant à peu près aussi fort que lui. Enfin, deux brancardiers arrivent et l'emmènent vers la salle de consultation. À ce moment, nouvelle antienne, sur un mode pitoyable cette fois : « Ma femme… Où est ma femme ? Ma petite femme… ma petite femme… » Il disparaît de ma vue, suivi par une très vieille dame aux cheveux permanentés, qui oscille d'une jambe sur l'autre et, de son mouchoir de sac, s'essuie furtivement les yeux.

16 commentaires:

  1. Il faut retirer à chaque seconde de plaisir que l'on a avec l'autre, le prix que l'on aura à payer lors de sa déchéance ou lui de la nôtre (God damned, c'est beau ce que je viens de dire, j'aurai du faire philosophe…)

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    1. Mais vous êtes philosophe ! Comme M. Jourdain : sans le savoir.

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  2. Bouh, c'est trop triste.
    Comment pouvez-vous lire à l'hôpital un livre que vous aimez?
    Quand vous l'ouvrez à nouveau, chez vous, vous arrivez à vous remettre dedans sans vous remémorer aussitôt le dernier passage et les impressions désagréables que vous éprouviez quand vous l'avez lu ?

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    1. J'y arrive très bien, mais c'est parce que je suis une brute.

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  3. Beau texte. Votre capacité à rendre un climat lugubre (ou pas) m'impressionnera toujours.

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  4. Mais faut-il vraiment que vous nous racontiez le pire de ce que vous vivez?
    Nous avons notre part de souffrance et de regrets, inutile d'en rajouter et "merci d'avance de votre compréhension" comme disent ceux qui ont la haute main.

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    1. Au contraire, je trouve ce récit touchant et essentiel.

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    2. En quelques phrases il vous décrit l'ambiance (Zola aurait eu besoin de trois pages) d'un lieu que nous craignons tous et qui n'a même plus de vfraies salles d'attente, vous décrit un drame humain sans doute poignant et la touche de la brave épouse qui suit son mari malade pour couronner le tout. Et vous vous plaignez. Vous voulez du sensationnel guilleret? Abonnez-vous à Closer.

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    1. Je savais très bien où elle était : n'oubliez pas que j'ai assidûment fréquenté cet hôpital, il y a quelque temps…

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  6. Bravo, que dire d'autre ? Les salles d'attente dans les hôpitaux sont une source inépuisable d'inspiration. Il y a qq. semaines j'y suis reste de nombreuses heures ....avec nos yeux et votre talent, vous auriez pu écrire un bouquin....moi je n'ai écrit que qq. lignes sans attrait

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  7. Point de magazine people dans cette salle d' attente en général c'est fait pour cela, voir les presque-ports défiler sans lever un sourcil, c'est dans ce genre d'endroit que se sont écoulés les 50.000 Closer tirés en plus.

    Pour votre texte, il fait froid dans le dos.

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  8. Vous édulcorez mon Cher, vous édulcorez... Dans la "vraie vie modernoeuse hospitalière", Pépé est abandonné sur son brancard beaucoup plus longtemps, sans surveillance et sans couverture, séparé de son épouse, jusqu'à la chute finale (du brancard) qui le rappelle, par le boucan engendré, au bon souvenir des soignants! L'administration prévoyant absolument tout, le personnel impliqué rédige une déclaration d'évènement indésirable grave pendant que Pépé finit en réa et hop, le tour est joué!

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    1. J'ai dû tomber sur un bon jour…

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    2. Je me souviens avoir assisté à une scène semblable à celle décrite par Pluton et être allé chercher un soignant avant que le vieux ne tombe...

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  9. Je n'ai rien dit encore, je suis abrutie de compassion, donc paralysée et stupide, c'est le rendu général. Il me semble qu'il me faudrait une grosse dose d'euphorisants-calmants pour vivre une telle scène, votre texte ne me fait pas froid dans le dos, il me glace le sang, avec en seules idées, partir, fuir, ne pas revenir.

    Je suis primaire. Je sais. Suis je normale, je crois. la buvette n’offrait rien de vraiment réconfortant, j'imagine, on y trouve le "chocolat chaud" délicieusement exquis, et le café trop fort....

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.