vendredi 16 mai 2014

De la nauséabonderie d'Outre-Manche

Ce livre nous a été présenté hier, chez et par Michel Desgranges – celui-ci entre beaucoup d'autres, comme à chacune de nos visites. La lecture rapide du texte de quatrième nous a tout de suite emballés, Catherine et moi, on se demande bien pourquoi. Voici ce qu'il dit :

Carlyle est un écrivain quelque peu effrayant. Réactionnaire et violente, son œuvre regorge d'idées et de sentences à faire frémir humanistes et progressistes : pour lui, la démocratie est “le chaos doté d'urnes électorales”, le monde doit être dirigé par des héros dont il affirme la supériorité morale ; il se prononce contre l'abolition de l'esclavage ; quant à la première Exposition universelle, elle lui fait l'effet d'un “grand bazar industriel”. Ne nous donnons pas la peine d'aller plus loin, il suffit de compléter par cette description lapidaire que fit de lui Spencer dans son Autobiographie : « Il sécrétait chaque jour une certaine quantité d'imprécations et il lui fallait trouver quelque chose ou quelqu'un sur qui les déverser. » Voilà le portrait peu flatteur qu'on pourrait rapidement dresser de cet esprit aussi contrarié qu'un Céline.

En France, Carlyle est presque complètement ignoré. Sans doute son aversion pour notre pays, qu'il jugeait frivole et superficiel, et auquel il préférait la rigoureuse et sérieuse Allemagne, n'y est-elle pas pour rien. Choisir entre deux nations qui se considèrent comme des ennemis héréditaires, c'est nécessairement s'en mettre une à dos. Il aggrava d'ailleurs son cas en applaudissant des deux mains la victoire allemande en 1870. Malgré cela, il était encore lu au début du XXIe siècle : certains de ses ouvrages passèrent, par exemple, entre les mains de Proust ou Claudel.

Il y a quelque chose d'énigmatique dans l'existence même d'un tel livre. Ouvrage improbable pour l'époque, il l'est encore aujourd'hui à maints égards, malgré l'habitude que nous avons des expé­rimentations littéraires. Tenant à la fois de l'essai philosophique, du roman d'apprentissage, ou encore de la satire, le Sartor Resartus résiste à toutes les classifications et se dresse avec un charme capi­teux en singularité pure dans l'horizon littéraire.

Le livre nous arrivera d'ici trois ou quatre jours : on en reparlera éventuellement.

27 commentaires:

  1. « Il sécrétait chaque jour une certaine quantité d'imprécations et il lui fallait trouver quelque chose ou quelqu'un sur qui les déverser. » Ça me va très bien.

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    1. Il y a un petit air de ressemblance entre vous en plus...

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    2. Maintenant que vous le dites, cela me semble même frappant !

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    3. Ah oui, tiens, c'est pas faux…

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    4. Je vous enverrai le livre, dès que Catherine et moi l'aurons lu.

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    5. Ah, ça c'est très gentil. Je le lirai volontiers.

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    6. Ne vous énervez pas : si ça se trouve, c'est très chiant…

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  2. Carlyle a fait plus que "passer entre les mains" de Proust.
    Non seulement Proust l'a lu, mais il avait son portrait dans sa chambre (et seul portrait aux murs).

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    1. Mais en parle-t-il dans sa correspondance ? Personnellement je ne m'en souviens pas, mais je ne suis pas une référence…

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    2. Demandez-donc à Eugène Nicole...

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    3. Ah, n'en rajoutez pas, je vous prie : j'ai manqué sottement l'occasion de rencontrer Nicole il y a quelques mois (chez Marcheschi), et je m'en veux beaucoup.

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  3. On fait mieux que Carlyle ici, ces glapissements continus contre autrui, sans imaginer un seul instant qu'autrui c'est nous, fait "Conjuration des ratés", et même pièce de théâtre, "Les Rustres" de Goldoni par exemple.


    Horace

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    1. Autrui c'est nous ??? Merde alors ! Et ça fait longtemps que vous êtes au courant ?

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    2. Je pensais qu'on ne nous repérerait jamais en-tant-qu'autrui, et voilà…

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  4. Borges en faisait aussi grand cas.

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  5. Monsieur Goux : vous écrivez " il était encore lu au début du XXIe siècle : certains de ses ouvrages passèrent, par exemple, entre les mains de Proust ou Claudel" , donc au 21e siècle Carlyle était lu par Proust ou Claudel. N'y a-t-il pas là un saut dans l'espace-temps ?

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    1. Oui, il y a une erreur (que Catherine m'a fait remarquer aussi), mais elle ne vient pas de moi : je n'ai fait que recopier la quatrième de couverture. Espérons que l'édition du texte est plus sérieuse…

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  6. Robert Marchenoir16 mai 2014 à 21:09

    Sans doute son aversion pour notre pays, qu'il jugeait frivole et superficiel, et auquel il préférait la rigoureuse et sérieuse Allemagne, n'y est-elle pas pour rien.

    Eh ben voilà. Je ne suis pas le seul.

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    1. Evidemment, pour envahir la Pologne ou faire des opéras, l'Allemagne, c'est bien. Mais il n'y a pas que ça sans la vie.

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    2. DANS la vie (bien sûr)

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  7. Petite anecdote glanée ici (voir les deux dernières lignes en fin de page) : Thomas Carlyle

    Traduction : "Une vertu exceptionnelle de Carlyle était sa patience. Quand il eut achevé son "Histoire de la Révolution Française", il prit la seule copie afin de la montrer à John Stuart Mill, copie qu'une domestique brulât, pensant qu'elle était destinée à la poubelle. Assidument, Carlyle écrit à nouveau l'ensemble de l'oeuvre.


    Cela rappelle les pannes d'ordinateur actuelles qui laissent perdre les pages écrites et pas encore sauvegardées...

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    1. Le grand avantage de l'époque de Carlyle est qu'on pouvait torturer la domestique de longues heures. L'ordinateur, une fois que vous l'avez jeté par la fenêtre, c'est fini, et beaucoup moins efficace pour se consoler.

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    2. Ajoutez à cela que la formule classique ainsi transposée : « Nul n'est un grand homme pour son ordinateur », devient parfaitement idiote, alors qu'elle marche très bien avec "bonne", "valet de chambre", etc.

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    3. La formule ainsi transposée est peut-être idiote mais elle n'en demeure pas moins vraie.

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  8. Editeur "José Corti". Inoubliable boutique à l'ancienne face au jardin du Luxembourg. Je m'y rendais à l'époque où j'étais "loufiat" pour un libraire.

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    1. L'avantage est que, désormais, leurs livres sont massicotés et qu'il n'y a donc plus à couper soi-même les pages – tâche que j'ai toujours trouvée horripilante –, comme à la grande époque des Julien Gracq.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.