vendredi 20 novembre 2015

Philippe Muray par Philippe Muray



Je comptais, et compte toujours, écrire un assez long billet à propos de ce deuxième tome du journal de Muray, tout récemment paru, et encore plus fraîchement lu ; volume étonnant par bien des côtés, et notamment par ses différences avec le précédent. Le temps m'en a manqué aujourd'hui. Puis, je me suis dit qu'après tout le plus rapide moyen d'intéresser d'éventuels lecteurs à un journal d'écrivain était peut-être encore de leur en proposer quelques menus extraits. En voici une dizaine, dont il n'est pas besoin, je pense, de préciser que je ne les ai pas piqués au hasard des 550 pages…



22 janvier 1986. Entre la droite et la gauche, il y a la différence qu'il y a entre ce qu'on dit de moi et ce que je dis de moi. L'homme de droite, en général, est dit de droite. On le parle. On l'accuse. On le définit. Être de droite, c'est être dans une attitude passive, une situation de défini. Masochisme. L'homme de gauche, en revanche, se dit de gauche. C'est de lui-même que vient sa propre définition. Quand il le dit, il manifeste en même temps une immense satisfaction de son être. Il faut entendre ce qu'il dit de lui-même comme un soupir de satisfaction.

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4 mars. Fatigué d'écrire à contre-courant de tout. J'ai écrit contre tout le socialisme et tout l'occultisme, c'est-à-dire contre un maximum de gens. J'écris contre les enfants, la volonté d'enfants, alors que la droite, la gauche, les hommes, les femmes, les pédés, tout le monde, s'alarme de la dénatalité. Ce que j'écris est un crime. On ne peut pas m'aimer. Encore heureux si un jour j'arrive à les obliger à se souvenir de moi !

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7 juin. Il faudrait qu'un jour je parle aussi de tous les crétins qui passent leur vie à s'identifier à vous, à essayer de vous confondre avec eux, à vous démontrer que vous n'avez pas plus de droits qu'eux, que « vous ne valez pas plus cher (ni moins) qu'eux », etc. Qui ont horreur de la moindre hiérarchie. Qui croient pouvoir discuter avec vous sur un pied d'égalité. Et il faudrait être aimable, compréhensif, faire comme si on ne voyait rien, accepter en souriant l'escroquerie. Se laisser rabaisser. Humilier. Ramener dans leur malveillance.

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3 juillet. La culpabilité des hommes, pour les femmes, c'est la vie même. C'est la source même de la vie parce que, s'ils n'éprouvaient pas de culpabilité à les avoir baisées, ils n'accepteraient pas qu'elles leur fassent des enfants. Il faut donc (c'est la clé de la résistance des femmes au sexe) que la baise ait toujours plus ou moins les couleurs d'un viol. Sinon, elles n'auraient aucun droit à demander ensuite le remboursement, la réparation – l'enfant.

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21 février 1987. Pas assez de cul, de seins. Culotte de cheval. Muscles fessiers insuffisants. Trop de cul. « J'ai du ventre »… Vergetures… C'est un désastre… Les écouter parler d'elles-mêmes est une épreuve. Il faut avoir la queue bien accrochée aux couilles pour lever quand même. Heureusement, la façon dont on s'en sert n'a rien à voir avec la manière dont elles se regardent. Deux anatomies différentes. Deux découpages. Un petit cul peut produire des effets érotiques stupéfiants, s'il est bien offert et bien enfilé. Une sale gueule intelligemment intéressée par l'affaire peut devenir une vraie gargouille d'amour dans laquelle on adorera se vider. Des loches relâchées peuvent avoir une indépendance et des initiatives surprenantes. Ce qui compte, Mesdames, c'est que vous aimiez vous faire grimper et que ça se voie, voilà la vraie intelligence, le grand Talent ! Pas donné à toute pétasse. Et qui ne se simule pas !

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28 février. Les femmes ont souvent fait des fausses couches avec moi, ce qui signifie que leurs « entrailles » ont eu plus de raison, plus d'intelligence qu'elles-mêmes. Leurs entrailles ont eu peur de ce que leur raison ne craignait pas. Une viscéralité les a averties qu'elles ne comprenaient pas tout, qu'il y avait d'autres choses que celles qu'elles voyaient. Enfin, que leur optimisme ne les mènerait à rien de bon pour elles.

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Même date. Tout ce que j'ai écrit sur Céline et l'antisémitisme (comme obsession du « virus » à supprimer : le Juif) est à réadapter. L'attitude de Céline était hygiéniste. Maintenant que les gens ne peuvent plus s'attaquer – ou n'osent plus s'attaquer – aux Juifs, aux Noirs, etc., ils s'attaquent aux fumeurs, aux chasseurs, aux amateurs de corridas. Même si les conséquences sont bien entendu moins meurtrières, la logique est la même. Il s'agit toujours de faire une planète « propre »…

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10 mars 1988. Les théoriciens durs et purs – philosophes, sociologues, etc. – si impressionnants quand ils déploient leur arsenal rhétorique, et qui par ailleurs écrivent des poèmes alanguis, des romans kitsch, font de la photo surréaliste… Les comparer à ces filles bardées de diplômes, positives, archi-executives, et qui se conduisent en bonniches midinettes dès qu'il s'agit de relations « amoureuses ».

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26 octobre. Je ne sais conclure ni mes articles, ni mes livres, ni mes coïts. La dernière phrase est aussi abusive que la première, aussi arbitraire, mais à l'inverse de la première elle arrive toujours trop vite. Je ne vois jamais la fin à rien de ce que j'ai commencé. La décharge de foutre, que je sais retenir longtemps, arrive toujours trop tôt à mes yeux. « Il se déversa en elle à longs jets brûlants »… Tu parles ! Un type sait bien que sa giclée ne va être qu'un minuscule « oui » en réponse au long bavardage de sa partenaire jouissant. D'où l'espèce d'humiliation obscure, ressentie de tout temps par les hommes, à éjaculer ; même s'ils font semblant de considérer l'éjaculation comme une victoire sur la partenaire, même s'ils savent qu'ils ne peuvent évidemment qu'en passer par là, ils gardent une vague conscience de l'insuffisance de leur argumentation, de la pauvreté de leur réplique. Décrire la baise comme un dialogue de théâtre en faisant ressortir la disproportion frappante entre le monologue interminable que représente l'orgasme féminin et la réponse mâle pratiquement monosyllabique.

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Et enfin cette dernière, sans que j'aie besoin de dire pourquoi : 

11 octobre. Cauchemar BM de quinze jours. Terminé cette nuit. Il y a encore deux ans, je les liquidais en huit jours (cinq ou six jours il y a quatre ans). Comme à chaque fois que je sors de mon tunnel : qu'est-ce qui s'est passé pendant mon absence ? Etc. 

Et toute vie, ainsi, sans moi s'écoulera.

24 commentaires:

  1. C'est vraiment un condensé de ce que je n'aime pas chez Muray : quand il se force à être original et "mal-pensant"; cela sent l'effort, l'artifice, et c'est forcément raté ; j'aime Muray lorsqu'il fait du Muray spontanément, pas lorsqu'il croit choquer le bourgeois.

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    1. C'est tout de même curieux, de se forcer à être original et de vouloir "choquer le bourgeois", dans un journal qu'on ne destine pas à la publication, en tout cas de son vivant.

      Et, bien entendu, dire que quelqu'un "se force" à être original, c'est le ramener gentiment (mais tout de même sous la contrainte) dans le petit enclos des gens qui pensent comme soi…

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    2. Tiens, je vais défendre Elie Arié, qui pour une fois (en fait ça lui arrive de temps en temps) n'a pas tort. D'abord, il est évident qu'écrire un Journal c'est parler à un public (virtuel), et donc rien n'interdit d'y faire l'intéressant et de vouloir choquer le bourgeois. Ensuite, je trouve aussi, quant à moi, que Muray surjoue et qu'il fait le malin. Je comprends même comment il a fait pour ne pas avoir d'enfants (si c'est le cas, je n'ai pas vérifié) : vu la façon dont il parle de sexualité, il ne devait pas connaître la bonne méthode.

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    3. Pour le coup, je rejoins M. Arié et Marco (tout arrive) ; j'aime beaucoup le Muray des "Exorcismes spirituels" et d' "Après l'Histoire", d'une impitoyable lucidité dont la noirceur est exaltée et transcendée par un style vif et lumineux, mais le diariste me déçoit, avec cette aigreur en basse continue, comme l'on dit en musique, cette crudité surjouée qui se voudrait gouailleuse mais qui n'est que vulgaire : franchement, cette publication n'ajoutera rien à sa gloire littéraire, déjà fort éclatante !

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    4. Ca ne transpire pas vraiment la joie et l'optimisme (et encore j'ai le sens de la litote) On n'a pas vraiment envie de (sur)vivre après avoir lu cela mais on doit reconnaître que muray ne fait que dire la vérité tout nue et tout crue(lle) (il l'éxagère a peine mais l'humanité n'est elle pas une exagération une parodie une emphase de la vie elle meme ?) De tout temps celui qui dit la vérité doit etre écrasé (les génies savants écrivains philosophe et autres "artistes" le FN et les réacs de nos jours) justement pour ne pas briser une cohésion sociale souvent branlante et brinquebalante qui a besoin d'ennemis et de bouc émissaires commode pour justifier sa survie (hier l'étranger le fou le malade mental ou physique la femme etc de nos jours le dépressif le pessimiste le réac le vrai conservateur technophobe europhobe mondialophobe metissophobe etc)

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    5. J'ai validé pour cette fois, mais, à l'avenir, vos commentaires non signés partiront directement à la poubelle…

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  2. Et après ça vous vous étonnerez de vous faire mal voir...

    Alain

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  3. Bon, les émois sexuels de Muray, hein, vous pouvez vous les gardez. Sauf si votre but est de nous détourner d'acheter le bouquin, parce que là, c'est réussi. Parler du "monologue interminable que représente l'orgasme féminin", merde, quoi, quand même : il faut vraiment ne rien connaître à la chose. Finalement, si on enlève le coup du "mutin de Panurge" et celui d'homo festivus, bien trouvés, il reste quoi de Muray ? Des kilomètres de phrases qui disent toujours la même chose. Si en plus il faut se taper sa prose débile de sexologue amateur...

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    1. "Vous les garder" (bien sûr).

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    2. Marco, vous réduisez. Le "monologue interminable que représente l'orgasme féminin" de Muray, quand il écrit ailleurs "un type sait bien que sa giclée ne va être qu'un minuscule « oui » en réponse au long bavardage de sa partenaire jouissant", c'est foutrement bien trouvé !

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    3. il me semble qu'il a raison les femmes ont beau etre altruiste dans la vie de tous les jours (enfin si on les compare aux hommes) pour la sexualité c'est tout l'inverse Depuis que la "libération sexuelle" existe qu'est ce qu'on entend "les femmes ne sont pas plus heureuse dans le domaine sexuel qu'ailleurs, encore beaucoup trop d'homme ne savent pas leur donner du plaisir et surtout les mener a l'orgasme il faut écouter les désirs et les exigeances des femmes" Voila ce que j'entend dès que soit je parle a une fille j'allume la radio le poste je vais sur un site féminin généraliste ou médical Une femme qui jouit n'est centrée que sur son propre plaisir ses propres sensations (qui sont demultipliés et plus longues par rapport a l'orgasme masculin parait il) tandis qu'un homme oublie vite ses désirs une fois l'éjaculation passée (voila pourquoi beaucoup de femme poussent les hommes a recommencer une deux voire plus si nympho après le premier acte) Une femme est un etre dédié a la jouissance a l'enfance au positivisme l'homme est son opposé (enfin normalement)

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    4. Oh, moi je voulais seulement sous-entendre que la description de Muray était assez faiblarde. Si on parle de sexe, faisons-le avec assez de détails pour être crédible. Par exemple, ne négligeons pas le fait que la plupart du temps les femmes n'atteignent pas l'orgasme dans le rapport, information qui manque cruellement ici.

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  4. Je crois, décidément, qu'il va me falloir écrire réellement quelque chose, à propos de ce journal, afin, si possible, d'en dégager les multiples intérêts et les éclairages nouveaux qu'il projette sur son auteur. Mais ce sera un peu plus long que prévu car, avant, il me paraît indispensable de lire les deux livres dont il est très longuement question dans ce volume-ci, à savoir le roman Postérité d'une part et l'essai La Gloire de Rubens d'autre part. Et aussi reprendre da capo ce journal 1986 – 1988 lui-même.

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  5. C'est raide, comme menus extraits, si je puis dire, et qui en dit peut-être plus long sur vous que vous ne pensez.
    Je sens que les Barbara vont adorer !

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    1. Je me suis fait la même réflexion que vous Mildred, de même que je me suis dit qu'il y avait un côté systématique dans la noirceur des propos de Muray.

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    2. On ne se défie jamais assez des psychanalystes de comptoir…

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    3. Enfin, vous avouerez quand même qu'un monsieur qui tient à faire savoir qu'il ne souffre pas d'éjaculation précoce ( " La décharge de foutre, que je sais retenir longtemps") , c'est étrange...

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    4. @Elie Arié

      Continuant sur ma lancée de "psychanalyste de comptoir", je ne peux décemment pas éviter de vous demander : serait-ce la jalousie qui vous aurait fait reprendre la souris ?

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    5. " A quatre pas d'ici je te le fais savoir"
      ( Le Cid, Acte II, scène 2 )

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    6. @ Elie Arié

      Bigre ! Insinueriez-vous, qu'en ce domaine, la valeur peur attendre le nombre des années ?

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    7. Vous savez, à mon âge (77 ans), dans"'éjaculation précoce", le problème, ce n'est pas le "précoce"...

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  6. On est souvent le psychanaliste de comptoir de quelqu'un... Mais bon, une constatation: Je par çi, Je par là...Je,Je,Je... C'est la moindre des choses de trouver ça dans un journal. Chez d'autres, ça se passe autrement.

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  7. "l'homme n'aurait aucune envie d'enfant" L'homme non efféminé voulait il sans doute dire (ce type d'homme se raréfie de nos jours entre Zemmour et le musulman une troisième voie semble impossible) voila pourquoi tant de "couples gays" revent d'enfanter Quand au deuxième point je le rejoint tout a fait Combien de gens tentent de minimiser les faits les actes les preuves que vous leur enfourner sous le pif comme une m.. que l'on foutrait sous le nez d'un clebard pour qu'il reconnaisse sa faute ? Mais non, ce n'est pas tout a fait cela Tu éxagère Intel dit le contraire de toi et il est plus beau riche diplomé etc Je prefère me ranger du coté de l'avis et de la sagesse de la majorité Voila la "liberté d'esprit" et l'"amour du débat d'idée de la culture et de la reflexion" qui ont cours dans la majorité des esprits des "démocrates" modernes Ces gens la vous feraient presque aimer la dictature et le tribalisme (j'ai dit "presque")

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.