Au père B, pour le titre et le dîner d'avant-hier.
C'était à Châteaudun, vers 1971 ou peu après : je suis allé, avec mes premiers billets en francs, m'acheter deux disques “33 tours” ; l'un était, puisque mes parents possédaient le volume initial, le suivant de l'œuvre complète – complète alors : dix disques – de Brassens, le même que je récoute ce soir, pour la première fois depuis longtemps. C'étaient des disques dont la pochette était dénuée de la plus petite séduction : les dix ou douze titres contenus, écrits en grosses lettres majuscules noires, sur un pauvre fond d'imitation bois ; et, dans le coin en haut à droite, une tête de Brassens, noir et blanc, grossièrement découpée (on était dans une ère pré-photoshop, n'est-ce pas ?) la pipe aux lèvres comme il se doit. Je les ai tous achetées, ces galettes énormes, au rythme de mon argent de poche et des menus billets que je ne répugnais pas, alors, à ponctionner discrètement (croyais-je…) dans le porte-monnaie familial. À la fin des années soixante-dix, je connaissais le répertoire par cœur, mieux sans doute que son auteur lui-même : c'est un état de chose qui a duré longtemps, à l'aune de ma jeunesse d'alors.
Puis l'âge m'a atteint, comme je suppose beaucoup d'entre vous ; et les chansons de Brassens se sont mis à m'ennuyer un peu. On pouvait dire qu'il était chanceux, de m'assoupir seulement, par rapport à ce grand con de Brel, que je ne connaissais tout autant par cœur, mais qui s'était mis à me révulser, et qui me révulse encore à ce jour, au point que j'ai honte, face à moi-même, dans le silence de cette soirée, un peu pépiante au-delà de la fenêtre ouverte, de savoir encore nombre de ses chansons niaises. Brassens, lui, je ne le rejetais pas, c'était presque pis, en tout cas plus triste : je dérivais de lui ; il s'éloignait, devenait incolore, comme une fresque ancienne dans un chœur d'église romane. Et je dois dire que je m'en voulais un peu de cela : il me semblais perdre quelque chose. Mais je n'y pouvais rien ; j'avais beau, de temps à autre, remettre ses disques sur ma platine virtuelle, échanger les 33 tours moches contre des cd qui l'étaient encore davantage, rien n'y faisait : Brassens et ses chansons m'assoupissaient, ou, plus grave, plus faux, faisaient naître en moi des nostalgies factices.
Et puis, plusieurs semaines déjà, un petit démon, un soir (conjugué évidemment à une bouteille de vin qui devait être du riesling), m'a poussé à “cliquer”, dans l'iPod, sur ce nom : Brassens, dont je ne me souvenais même plus que je l'avais accueilli dans ce sanctuaire électronique de poche. Il m'est alors apparu dans une jeunesse qui, ce soir encore, me reste difficilement explicable. Il n'empêche que, ce soir-là, si je me souviens bien, j'ai dû passer deux heures avec ce Brassens dont je pensais qu'il était resté coincé dans ma jeunesse, à quoi il appartenait tout entier.
Apparemment, si j'en juge par aujourd'hui, il en est sorti. Ou alors, lui mort et moi un peu vivant, nous sommes entrés ensemble dans notre vieillesse.
Brassens, c'était mieux avant.
RépondreSupprimerContente de vous revoir enfin, Didier ! Vous paraissez transfiguré...
RépondreSupprimerCette émotion que vous décrivez plus haut, cette nostalgie volontiers stimulée par une dose adéquate d'alcool est qualifiée par les Portugais de "saudade". Quelque chose d'assez romantique mais puissant.
J'oubliais de dire que ce sentiment de mélancolie est similaire à celui que nous ressentions pendant votre absence... diffus, complexe, ni lourd ni léger, bref de quoi faire un billet !
RépondreSupprimerBrassens n' est pas mon compositeur préféré et un jour j'ai entendu cette chanson" La prière".
RépondreSupprimerJe l'écoute souvent.
Ca me fait penser à lui parlant de Léautaud, passage que je ne retrouve d'ailleurs malheureusement plus.
RépondreSupprimerBrassens, c'est comme Albert Camus (pour moi...);on estime qu'on les connaît par cœur et qu'il est temps de passer à autre chose, et puis on y revient toujours; parce que, pour chacun des deux dans leur domaine, personne n'a encore fait mieux...
RépondreSupprimerCe qui est pénible chez Brel, plus encore que la niaiserie de ses textes, c’est son emphase. Cependant, un peu à sa décharge, je crois me souvenir l’avoir entendu déclarer qu’il avait écrit Ne me quitte pas au second degré, en tant que « chanson sur la lâcheté », ce qui, dès lors, la rend presque acceptable. C’est son public, encore plus niais que lui, qui l’a prise au premier degré pour en faire la « magnifique chanson d’amour » que l’on sait.
RépondreSupprimerMerci Alain. Un fan de Brel
SupprimerPeut-être que Brassens a écrit : "Quand on est con, on est con" pour ceux qui oseraient écrire des trucs dans le genre : "je dérivais de lui, il s'éloignait, devenait incolore" et ainsi de suite, jusqu'à ce : "il me semblaiS perdre quelque chose" ! Alors là, on se dit que trop c'est trop !
RépondreSupprimerIl ne faut pas en vouloir à Mildred, elle est un peu à cran, euh non, à crif en ce moment. Que viendrait faire ici le conseil représentatif des associations nègres...
SupprimerElle a décidé de ferailler aussi chez H16, Corto ne lui suffit plus et tout le monde doit être sur le pont pour empêcher le retour de la peste bleue/rouge lors des élections à venir. Il y a d'ailleurs des trolls nouveaux qui fleurissent un peu partout, c'est le printemps.
De mes "idoles" de jeunesse (Brassens, Brel, Barbara, Ferré et quelques autres de moindre graisse)je n'ai gardé ma fidélité qu'à Tonton Georges chez lequel, au fil des ans, je n'ai cessé de trouver de nouvelles qualités. Je peins mes plafonds, je désherbe mes plates-bandes avec ses airs et paroles dans la tête et la rare sensation d'être resté fidèle à quelqu'un, d'avoir, tout en évoluant, su trouver de nouvelles résonances en moi à des mots qui, eux, n'avaient pas changé. Bien sûr, j'ai plus de recul, je perçois mieux la transformation que le poète fait subir à des réalités banales ou sordides pour les amener au statut de métaphores profondément humaines. Certes, Tonton Nestor eut tort de pincer les fesses de Jeannette avec les regrettables conséquences que cette action eut sur le bon déroulement des cérémonies, mais ce faisant, ne devenait-il pas l'archétype de l'oncle imprévisible qu'une famille tendant à la respectabilité hésite à inviter ?
RépondreSupprimerJ'ai finalement réussi à récupérer internet : l'aventure continue…
RépondreSupprimerJ'hésitais entre cette possible cause de votre absence et un infarctus. Vous êtes donc toujours là. Tant mieux.
SupprimerAh...On était si bien, ici, sans vous...
Supprimer@Elie Arié
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=E776XisGHlk
Merci pour ce lien, Mildred. Décidément, Macron, il aurait dû continuer à faire de la chanson.
Supprimer@ Mildred
SupprimerJe ne m'appelle pas Johnny, adressez-vous à quelqu'un d'autre !
https://www.youtube.com/watch?v=4mCnXEjahg0