Réjouissants, ces Mémoires d'Hector Berlioz, pour quoi j'ai quitté hier Debussy. Je ne sais trop quelle image je me faisais de cet homme-là au travers de sa musique (que je n'écoute pas tous les jours), mais son humour continue à me surprendre et, donc, par son côté inattendu, à me ravir. Où je suis rendu – 200 pages sur 650 –, Berlioz n'a pas tout à fait 30 ans et se trouve pensionnaire de la Villa Médicis, où il s'ennuie fort. Du coup, son caractère, plutôt du genre bouillonnant, s'en ressent, et le débord menace à chaque page. Voici par exemple ce qu'écrit cet antifestif avant l'heure : « J'étais méchant comme un dogue à la chaîne. Les efforts de mes camarades pour me faire partager leurs amusements ne servaient même qu'à m'irriter davantage. Le charme qu'ils trouvaient aux joies du carnaval surtout m'exaspérait. Je ne pouvais concevoir (je ne le puis encore) quel plaisir on peut prendre aux divertissements de ce qu'on appelle à Rome comme à Paris les jours gras !… fort gras, en effet ; gras de boue, gras de fard, de blanc, de lie de vin, de sales quolibets, de grossières injures, de filles de joie, de mouchards ivres, de masques ignobles, de chevaux éreintés, d'imbéciles qui rient, de niais qui admirent, et d'oisifs qui s'ennuient. »
Trois paragraphes plus loin, Berlioz met en scène l'excitation du peuple roi (l'expression est soulignée par lui) à l'apparition des “élites” : on a l'impression de se trouver au bas des marches du palais cannois des festivals, quand les gogos en short et leurs matrones en collants boudineux lèchent des yeux et des smartphones les saltimbanques empingouinés qui abordent les ondulations régulières du tapis écarlate. Cela donne ceci :
« Mirate ! Mirate ! voilà l'ambassadeur d'Autriche !
– Non, c'est l'envoyé d'Angleterre !
– Voyez ses armes, une espèce d'aigle ! »
Cela continue dans ce ton durant quelques répliques de la même eau, et puis soudain :
« Et ce petit homme, au ventre arrondi, au sourire malicieux, qui veut avoir l'air grave ?
– C'est un homme d'esprit qui écrit sur les arts d'imagination, c'est le consul de Civita-Vecchia, qui s'est cru obligé par la fashion de quitter son poste sur la Méditerranée, pour venir se balancer en calèche autour de l'égout de la place Navone ; il médite en ce moment quelque nouveau chapitre pour son roman de Rouge et noir. »
Se doutant que nombre de ses lecteurs ignoreront à qui il vient de faire allusion, Berlioz précise en note : « M. Beyle, qui a écrit une Vie de Rossini sous le pseudonyme de Stendhal et les plus irritantes stupidités sur la musique, dont il croyait avoir le sentiment. »
Le “dogue à la chaîne” a tout de même trouvé le moyen de mordre.
Il y a bien longtemps que je n'ai pas écouté du Berlioz, mais je vais m'y remettre. Un homme qui détestait la fête ne pouvait être complètement mauvais.
RépondreSupprimerLes Nuits d'été, par exemple.
Supprimer@ Mister Goux
SupprimerSitôt dit sitôt fait 😇
https://m.youtube.com/watch?v=EBTRGsP6R-I
Hélène dici
Un homme qui détestait Stendhal, en revanche...
RépondreSupprimerLe fait qu'il n'aime pas ses écrits sur la musique ne veut pas dire forcément qu'il le détestait en bloc.
SupprimerDe plus, on a parfaitement pas le droit de ne pas aimer Stendhal !
Supprimer"Parfaitement pas le droit de ne pas aimer Stendhal !" : voilà qui est au moins parfaitement clair !
SupprimerVoilà qui m'apprendra à me relire (ou à ne pas me relire…) !
SupprimerWagner, à qui on avait rapporté que Berlioz avait déclaré : "La guitare est un petit orchestre !" aurait paraît-il répondu : "Oui, l'orchestre est une grande guitare !"
RépondreSupprimerSe non è vero...
Un petit régal votre billet.
RépondreSupprimerUn concerto pour deux voix en quelque sorte ...🙂,
Je vous imagine bien vivre au 19eme siècle ...
Hélène dici
Berlioz, si pompeux et autosuffisant.
RépondreSupprimerEt même méprisant, comme le montre votre photo, la lèvre dédaigneuse. Triste sire, musique oppressante, mais chacun ses goûts !
Si j'étais vous - prenez cela pour un conseil amical - je demanderais à Didier de supprimer ce commentaire.
SupprimerComment écrire de pareilles crétineries - avec un tel aplomb - concernant un musicien qui dès ses débuts a fait l'admiration de musiciens comme Wagner ou Paganini ?
Sa carrière l'a amené dans l'Europe entière, et partout il a été reconnu par les plus grands musiciens comme étant leur pair, comme par Liszt ou Mendelssohn et jusqu'aux "Cinq" qui ont reconnu une dette envers lui !
Ah, oui, en matière d'opéra, on n'a jamais fait rien d'aussi élaboré, d'aussi novateur ( mais, il faut bien l'admettre, d'aussi musicalement complexe) que Carmen...
SupprimerDieu ! qu’il est drôle de lire les mots « pompeux et autosuffisant » sous la plume de quelqu’un qui présente son propre blog par : Où l'on cultive l'art de se mouvoir à travers les dimensions conceptuelles comme le ninja sur le chemin des brouillards ...
RépondreSupprimerQuant à l’oppression…
Anne-Sofie c'est la meilleure !
SupprimerAnne-Sophie, pardon…
SupprimerLire de telles insanités, sur un blog-ami, je ne trouve pas cela drôle du tout, quel que soit le sens que vous vouliez donner à "drôle" ! Je trouve que c'est affligeant !
SupprimerJ'ignorais que l'unanimité des goûts fût ici requise !
SupprimerPour des raisons souvent obscures, nous avons tous nos préférences et nos rejets en matière d'art et de littérature, néanmoins certains aiment à se présenter en arbitre des élégances.
Un peu de légèreté dans cette suffisance serait la bienvenue, une petite pirouette du Jazzman par exemple...
Les blogs n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts.
SupprimerEst-ce la fréquentation des empereurs médiévaux qui vous rend si péremptoire ?
SupprimerSauf le respect que je vous dois, je maintiendrai néanmoins, l'expression de blog-ami !
Le blog-ami est celui que je vais lire chaque jour avec plaisir où je m'amuse à écrire des commentaires, et sans lequel ma vie serait beaucoup plus triste qu'elle ne l'est.
@ Fredi M
RépondreSupprimerVous avez raison ! Il ne faut pas jeter la pierre à la légère. J'ai donc fouillé le net. Les Suisses s'enorgueillissent essentiellement de leur "Chant du soir", de leur "Ranz des vaches" et bien sûr de leur "Cantique suisse" (sic).
https://www.youtube.com/watch?v=oqr5_oC2-Mc
Je comprends enfin pourquoi ma mère était pliée d'un rire sardonique chaque fois qu'elle revenait d'une répétition de la chorale des Suisses de l'étranger.
Ceci expliquant sans doute cela !
Dans la catégorie compositeurs suisses on ne peut plus célèbres, j’ai failli oublier celui-ci.
SupprimerMadame votre mère était donc suisse et vous auriez un petit complexe d'Electre ?
RépondreSupprimerMais je vous rassure, il n'y a pas de honte à être suisse. Nous avons aussi des musiciens, vous n'avez qu'à consulter Google. Je ne veux pas surcharger le blog de notre hôte avec des enfantillages...
Bon ! Ne chipotons pas. Il existe sans doute des compositeurs suisses, même si je n'en ai trouvé aucun qui soit le contemporain de Berlioz.
SupprimerMais si la Suisse n'a apparemment que peu de compositeurs, elle compte en revanche, un nombre impressionnant de psychiatres, dont ce Karl Gustav Jung, "pionnier de la psychologie des profondeurs" auquel, je crois, vous vous référez, pour fonder vos diagnostics ?
En effet, si vous creusez un peu, la Suisse a beaucoup de choses originales à offrir dans des domaines très variés...
SupprimerEn y creusant, on y trouve des trous, comme le rappelle ce fameux titre à la une de la Tribune de Genève : " Exploit suisse dans le Gruyère "
SupprimerL’un des plus connus est Pierre-André Bovey.
SupprimerTrès belle introduction pour un lundi matin. Merci !
SupprimerÇa date de quand?
RépondreSupprimerQuelle est cette décoration que Berlioz porte à la boutonnière ?
RépondreSupprimerJ'ai creusé un peu, comme il m'a été conseillé, et j'ai trouvé que Berlioz ne manquait pas de décorations. Ainsi le 1er janvier 1857, il écrivait à ses nièces : "Il faut à l'heure m'habiller en académicien pour aller faire en corps la visite du jour de l'an à l'empereur. Ce déguisement fait la joie de votre tante, parce que la première fois que je l'ai endossé à la séance publique de l'Institut elle a remarqué que j'étais le seul possesseur de cinq croix; le plus riche de nos confrères en ce genre n'en ont que trois. Je vais avoir la poitrine comme un magasin de porcelaine."
SupprimerCeci devrait répondre, en partie, à votre question, ou bien ?
Notre ami Hector fut fait Chevalier de la Légion d'honneur le 10 mai 1839, Officier de la Légion d'honneur le 12 août 1864, décoré de l’Ordre de l'Aigle rouge de Prusse le 4 juin 1847, de l’Ordre du Faucon blanc de Saxe le 22 novembre 1852, de la Croix des Guelfes de Hanovre le 3 avril 1854 et de l’ordre de la maison de Hohenzollern le 19 avril 1863. Difficile de reconnaître le ruban sur la photo, mais je suis très fier d’être le seul sur ce blog à savoir faire une recherche dans Wikipédia.
Supprimer@ Alain
SupprimerJ'avoue que ce que vous nous révélez me laisse assez perplexe!
Ainsi entre 1864 où Berlioz a été fait Chevalier de la Légion d'Honneur, il aura fallu attendre qu'il ait reçu quatre médailles teutonnes, pour qu'enfin, en 1864, il soit fait Officier de la Légion d'Honneur ?
Bon ! Je me suis méchamment mélangé les pinceaux, et je m'en excuse !
SupprimerJe voulais dire entre 1839 et 1864, mais vous aurez sans doute corrigé vous-même !
photography by Pierre Petit (1863).
SupprimerAttention, ça pique un peu: ici
Vingt-cinq ans pour monter en grade me semble un délai raisonnable, à une époque où l’on ne distribuait pas la Légion d’honneur à n’importe qui.
RépondreSupprimer14 juillet 2016, c'est ce qui s'appelle flotter entre deux eaux...
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