vendredi 6 octobre 2017

Un grand saut dans le Gide


Par quelle voie plus ou moins tortueuse ai-je abouti au journal de Gide ? Voilà ce que je ne saurais plus dire ; toujours est-il que j'y déambule avec plaisir depuis deux jours. Mais ce plaisir n'est pas exempt de frustrations ; et elle fut terrible celle que, ce matin, je ressentis en lisant les trois lignes tracées par Gide à l'aube du 26 février 1916 : « Achevé la soirée chez Marcel Proust (que je n'avais pas revu depuis 92). Je me promettais de raconter longuement cette visite ; mais je n'y ai plus cœur ce matin. » A-t-on le droit de me faire un coup pareil ? Une telle cruauté mentale est-elle acceptable ?

Heureusement, les compensations sont nombreuses ; notamment, bien sûr, lorsque le lecteur peut s'offrir, au prix d'un anachronisme séculaire, la joie enfantine de se payer un peu la tête de ses propres contemporains. Restons en 1916 ; le 29 octobre, Gide écrit : « Les journaux m'exaspèrent, dont l'optimisme pleutre et suranné semble toujours croire que le triomphe consiste à ne pas consentir à s'apercevoir des coups que l'on reçoit. » Phrase que, tout naturellement, je dédie à nos modernes et farauds vous-n'aurez-pas-ma-hainistes, idolâtres de nounours en peluche et de bougies colorées.

26 commentaires:

  1. Comme quoi le monde était déjà à l'agonie il y a un siècle.
    Alain Bar

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  2. Et voilà, à l'occasion du tourbillon quantique provoqué par Jazzman et lassé par ces gamineries troublant le sérieux de la bibliothèque, Maître Goux décida de sortir sur le champ l'artillerie lourde. Ce sera donc les Nourritures terrestres, what else ?

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    1. En réalité, je n'ai jamais été fou de Gide. D'où la question que je me pose depuis deux jours : pourquoi suis-je occupé à le relire ?

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    2. Barbara Schreyer7 octobre 2017 à 09:04

      Peut-être parce qu'adolescents, il nous charmait déjà ?
      Il y a longtemps que je ne l'ai pas relu, mais j'en garde un bon souvenir...
      Dites-nous en plus, maintenant que vous le fouillez à coeur !

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  3. Gide, quelle langue magnifique ! Quelle hauteur d'esprit !

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    1. Tout de même assez "poseur" dans son journal. Plus que Léautaud dans le sien, en tout cas.

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    2. Je crois que Léautaud était lui aussi un peu poseur, mais dans un autre genre.
      Mais comme on l'adore, on lui pardonne tout !

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  4. Ce n'est pas de moi, mais cela semble une appréciation parfaite: "La porte est étroite, il est vrai, pour justifier l’injustifiable"

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  5. Personnellement, je garderai Paludes et vous laisserai le reste !

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    1. C'est excessif ! Mais Paludes est effectivement un de ses livres qui ont le mieux vieilli.

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  6. Il est impossible de ne pas avoir lu le Journal de Gide, celui qu'on disait le "Témoin capital".

    Mais tout comme vous, Didier, je le trouve parfois un peu poseur et même chichiteux . Et trop dans l'effet, car ce journal était prévu pour être vite publié.

    Si vous l'avez en Pléiade, ce sont les dernières oeuvres qui sont bien, comme " Et nunc manet in te" et "Feuillets d'automne"

    Mais ce que je préfère par-dessus tout, ce sont ses correspondances, elles sont toutes très bien, que ce soit avec Martin du Gard, Claudel, Jammes ou Dorothy Bussy, sa traductrice.

    Je pourrais parler des heures de mon cher Bypead, comme on l'appelait dans l'entourage de La Petite Dame, sa famille de coeur.

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    1. Son Thésée est très bien aussi. Et puis, en "complément de programme", je conseillerais vivement les Cahiers de la Petite Dame, qui forment un étonnant "pendant" au journal.

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  7. Je me suis d'abord dit que vous ne reculiez plus devant aucun jeu de mot, puis je me suis souvenu de La nature a horreur du Gide d'Henri Béraud (avec l'aide des pédés de Wiki). Donc tout va bien.

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    1. J'ai en effet pensé à Béraud avant d'écrire ce titre. Béraud qui, par ailleurs, était loin d'être un mauvais écrivain : ses souvenirs de son enfance lyonnaise sont très bien.

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    2. Et voilà que maintenant, jazzman, vous avez besoin des "pédés de wiki" pour distiller vos mesquineries ? Vous me décevez !

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    3. Mais oui Mildred, moi aussi je vous aime.
      Décidément, les mayonnaises de la pleine lune sont les plus risquées...

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    4. Barbara Schreyer7 octobre 2017 à 20:41

      Surtout si oublie l'essentiel, le sel,
      voire une touche de curcuma ou de muscade...

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  8. Allons, jazzman, vous l'avez bien mérité ce grand saut dans le Gide, que nous propose une certaine Vera Treguer :

    "J'aime Gide particulièrement pour son art du subjonctif. Pendant que je pense au plaisir qu'il (Gide) me procure me vient inexplicablement le souvenir des paroles de cette chanson: "Je l'aime pour ça" et la chanson continue: "parce qu'elle a les plus gros". Je traduis: Gide a les plus gros imparfaits du subjonctifs c'est pour ça que je l'aime. Et la chanson poursuit: "Je l'aime pour ça, parce qu'il n'y en a jamais de trop". C'est bien ça : jamais trop de subjonctifs dans Gide ! Et la chanson : "Et qu'avec elle je peux faire Coucouroucou Roploplo." Jusqu'à la gueule, je peux m'enfouir dans les subjonctifs infestés de l'érotisme irréductible de Gide.
    Voilà ce que cela donne en pratique : un jour, j'embarque dans un avion A320 de Toulouse à Paris avec le journal d'André Gide. Je lis des récits de promenades d'un jeune homme bouleversé par des petits paysans qui se baignent dans une rivière. Il semble que lui reste assez habillé et à une certaine distance. J'en oublie la démonstration des consignes de sécurité et les instructions pour la manoeuvre du gilet de sauvetage en cas d'amérissage, peu probable au demeurant, entre Toulouse et Paris. L'avion vole maintenant. La jeunesse de Gide avance, ponctuée de ces imparfaits fulgurants du subjonctif. L'hôtesse s'annonce avec son chariot. La phrase que je lis me fouette le sang, mon enthousiasme déborde. J'avise à mon côté un honnête homme d'affaires en costume réglementaire penché sur son ordinateur portable. L'érotisme démoniaque de Gide s'empare de moi et me pousse innocemment à l'action : je lève le nez du livre avec un rire sur les lèvres et un air qui en dit long. Je tourne des trois-quarts vers mon voisin et l'apostrophe d'un : "Vous savez ce que je viens de lire dans mon livre ?" Il considère sérieusement mon tome de La Pléiade et attend poliment que je finisse ma phrase. Je lis à haute voix : "Il n'eut de cesse qu'il ne m'eût emmené au bordel." Je me tais triomphalement. Mon voisin vire à la panique impuissante, muette, paralysante. Il ne sait pas quoi faire de la situation, de lui, de moi. L'arrivée de l'hôtesse qui propose des boissons met fin à l'incongruité. Après son départ, je me replonge dans la lecture et mon voisin dans ses tableaux de chiffres.
    J'aime Gide pour ça, parce qu'il a les plus gros."

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    1. Il est complètement idiot, ce texte ! Vous auriez pu nous épargner ça, franchement…

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    2. On verra bien ce que jazzman en dira, puisqu'en fait, ce texte était pour lui !
      Ceci dit, je le trouve amusant, moi, ce texte !

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    3. Ce que j'en dis...euh...zut une panne d'oreillette au mauvais moment comme toujours (J-C Delarue pendant un direct live avant montage)...
      Je pourrais faire appel à Google, mais ce n'est pas mon genre, surtout qu'on tombe souvent sur une réponse de ces pédés de Wiki qui nous attirent des remontrances et vu l'orientation sexuelle du monsieur ce n'est pas le bon moment. Voilà, en gros (non pas frisé, c'est déjà assez compliqué comme ça). J'espère avoir été assez clair parce que je ne vois pas quoi ajouter.

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    4. On aurait une conjonction de Vénus dans les Gémaux en plus de la pleine Lune que ça ne m'étonnerait qu'à moitié.

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    5. C'est en effet très clair !

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  9. « Encore un siècle de journalisme, et tous les mots pueront. » - F. Nietzsche.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.