jeudi 28 juin 2018

La bourde de Vian


Ayant décidé de m'attaquer (enfin ! soupireront certains) au roman noir américain, j'ai commandé, hier, quatre ou cinq volumes des auteurs les plus connus, de Raymond Chandler à Chester Himes, en passant par Jim Thompson, James Hadley Chase et Dashiell Hammett. Les premiers sont arrivés tout-à-l'heure et, confortablement installé dans l'un de nos deux antiques Lafuma, sous le cerisier perdant ses derniers noyaux, j'ai entrepris la lecture du Grand Sommeil, en essayant de n'y pas succomber moi-même, dans la traduction de Boris Vian. Mais, dès la troisième page (édition Quarto, Gallimard), j'ai trébuché sur une impropriété de langage.

Philip Marlowe vient de pénétrer chez les Sternwood (je ne sais pas encore ce qu'il vient y faire) et un domestique, un domestique mâle, l'escorte jusqu'au fauteuil roulant du maître des lieux. Il l'annonce ainsi : « Voici Marlowe, Général. » Or, c'est une faute grossière. Si les femmes s'adressent en effet aux généraux en les appelant “Général”, les hommes, eux, sont tenus de leur donner du “Mon général” – La règle vaut d'ailleurs pour tous les autres grades d'officiers [rajout de cinq heures et demie : à la réflexion, je me demande si la règle vaut pour les officiers subalternes], et je m'étonne que Vian l'ait négligée. On m'objectera que les Anglo-Saxons ignorent l'usage de cet étrange “mon”, qui n'est aucunement la marque de je ne sais quelle possessivité déplacée, mais la simple abréviation de “monsieur”. Certes, mais enfin, il me semble bien que le travail d'un traducteur consiste à rendre les livres qu'il traduit non seulement compréhensibles, mais également assimilables par ses lecteurs pratiquant la langue d'accueil, langue à laquelle il importe qu'il se soumette en grande humblesse d'esprit.

Bref, voilà une lecture qui commence bien.

lundi 25 juin 2018

Ce qu'inspire la relecture du Désert des Tartares


Les livres qu'on a lus à 20 ans, c'est un peu comme les filles qu'on a aimées au même âge : on ne devrait jamais essayer de les rouvrir.

samedi 23 juin 2018

Go West !


L'avantage des romanciers qui meurent jeunes, c'est qu'ils reviennent moins cher à découvrir. Ainsi, ce Nathanael West dont j'avoue, un peu honteux, n'avoir jamais entendu parler jusqu'à dix minutes dans le passé. Il est mort en 1940, à 37 ans, dans un accident de voiture, après avoir grillé un stop à El Centro : si la Californie avait eu la sagesse de notre bon président Macron et limité la vitesse à 80 km/h (vous ferez vous-mêmes la conversion en mph), il serait peut-être encore des nôtres, ce brave West, né Weinstein comme le premier tripoteur de starlettes venu.

Toujours est-il qu'il n'a écrit que deux romans : Miss Lonelyhearts et L'Incendie de Los Angeles, que je viens de commander ensemble. Il m'en coûtera 15, 60 €, ce qui n'est pas le Pacifique à boire. Les deux sont chaudement recommandés par Roland Jaccard sur le site de Causeur : si jamais il y a tromperie sur la marchandise, il peut s'attendre à me voir réclamer le remboursement sur un ton comminatoire, le vieux Suisse. Dans le cas contraire, je croquerai un carré de chocolat noir à sa santé.

jeudi 21 juin 2018

Demandez le programme


Je suis finalement parvenu au sommet de cette méchante Montagne magique, mais Dieu que les dernières dizaines de mètres furent laborieuses ! Il n'a pas pitié du pauvre monde, ce monsieur Mann… Comme le hasard et la Poste font parfois bien les choses, j'avais à peine tourné l'ultime page, et délacé mes chaussures à crampons, qu'arrivaient les livres de juillet, les plus précoces d'entre eux, en tout cas. On trouva dans le paquet :

Un apostolat, d'Albert t'Serstevens, cet écrivain belgo-français, dont le nom étrange siffle tel un aspic, et qui m'est encore, à cette heure, tout à fait inconnu (à part son nom, justement, croisé deux ou trois fois, je ne saurais dire où).

Le Désert des Tartares, de Dino Buzzati, qui m'avait fort impressionné lorsque je l'avais découvert, vers 18 ou 19 ans. L'impression sera-t-elle aussi forte cette fois-ci ? On vous dira. 

Mr Vertigo, de Paul Auster : nous l'avons déjà évoqué dans un précédent billet, je n'y reviens pas ; pas pour l'instant.

René Leys, de Victor Segalen. A priori, je ne suis guère attiré par ce qu'on appelle les “écrivains voyageurs”, peut-être parce que n'étant moi-même ni l'un ni l'autre. Mais enfin, comme c'est en hommage à Segalen et à son roman qu'un jour Pierre Rickmans est devenu Simon Leys, et que c'est lui, ensuite, qui a éveillé mon intérêt pour la Chine, il était logique que je finisse par boucler cette boucle.

– Enfin, celui par lequel, tout à l'heure, j'ai attaqué cette mini-pile en en lisant les sept ou huit premières pages : La Folie Baudelaire, de Roberto Calasso, parce qu'il faut toujours revenir à Baudelaire, surtout quand il est, comme ce semble être le cas ici, en excellente compagnie.

Ces heures de lecture à venir m'ont coûté moins de 40 € : la littérature est un plaisir de salaud de pauvre. Mais de salaud de pauvre d'élite.

mardi 19 juin 2018

Le vieux réactionnaire sur la montagne suisse


La Montagne magique, tout le monde le sait, se passe à Davos, petite cité suisse bien connue des altermondialistes décervelés. Le jeune Hans Castorp, frais émoulu de son école d'ingénieurs (on notera au passage que l'on ne rencontre jamais de vieil émoulu, encore moins de rance émoulu : l'émoulu est toujours frais, comme le Portugais, toujours gai), Hans Castorp, donc, arrive au sanatorium de l'endroit pour une visite de trois semaines à son cousin Joachim, qui se soigne là afin de pouvoir entamer la brillante carrière d'officier prussien à quoi il se sait voué. L'histoire se passe aux environs des belles années 1910, comme l'aurait dit Trenet.

Les trois semaines de Castorp vont durer sept ans. C'est ce septennat immobile qui constitue la matière des mille pages du roman ; lequel fourmille de moments extraordinaires se détachant d'une pâte uniforme et vaguement ennuyeuse : image parfaitement juste, donc, de ce qu'on imagine être la vie de sanatorium quand on n'y est jamais allé. Comme il ne se passe rien, chaque micro-fait prend des proportions gullivériennes, à commencer par les cinq repas quotidiens qui sont servis aux malades ; ou les heures de balcon et de chaise longue qui ponctuent chaque journée. 

Pas d'événement qui ne fût attendu et préparé de longue date, mais des conversations à perte d'ouïe, notamment entre MM. Settembrini et Naphtah, dans lesquelles le jeune Castorp s'introduit en comparse secondaire. On parle de politique, de théologie, de morale, on s'oppose, on se contre avec courtoisie bourgeoise et conceptuelle fermeté. M. Settembrini figure ce que nous appellerions aujourd'hui un progressiste, tandis que M. Naphtah tiendrait le rôle du réactionnaire, ou du traditionnaliste si l'on veut être gentil. Voici par exemple ce que déclare celui-ci à celui-là (qui vient de lui servir une belle tartine de siècle des Lumières, de liberté et de droits de l'homme), peu après la mi-roman : 

« Je cherche à introduire un peu de logique dans notre conversation et vous me répondez par des phrases généreuses. Je ne laissais pas de savoir que la Renaissance avait mis au monde tout ce que l'on appelle libéralisme, individualisme, humanisme bourgeois. Mais tout cela me laisse froid, car la conquête, l'âge héroïque de votre idéal est depuis longtemps passé, cet idéal est mort, ou tout au moins il agonise, et ceux qui lui donneront le coup de grâce sont déjà devant la porte. Vous vous appelez, sauf erreur, un révolutionnaire. Mais si vous croyez que le résultat des révolutions futures sera la Liberté, vous vous trompez. Le principe de la Liberté s'est réalisé et s'est usé en cinq cents ans. Une pédagogie qui, aujourd'hui encore, se présente comme issue du siècle des Lumières et qui voit ses moyens d'éducation dans la critique, dans l'affranchissement et le culte du Moi, dans la destruction de formes de vie ayant un caractère absolu, une telle pédagogie peut encore remporter des succès momentanés, mais son caractère périmé n'est pas douteux aux yeux de tous les esprits avertis. Toutes les associations vraiment éducatrices ont su, depuis toujours, ce qui importait en réalité dans la pédagogie : à savoir l'autorité absolue, une discipline de fer, le sacrifice, le reniement du moi, la violation de la personnalité. En dernier ressort, c'est méconnaître profondément la jeunesse que de croire qu'elle trouve son plaisir dans la Liberté. Son plaisir le plus profond, c'est l'obéissance. »

Voilà qui, je pense, suffirait à faire grimper ce malheureux Naphtah sur le bûcher toujours dégoulinant d'essence des pédagogues vallaudo-belkacémistes. Il y aurait, évidemment, bien d'autres choses à dire, et souvent plus intéressantes, à propos du roman de Thomas Mann. On m'excusera de remettre : je dois, pour l'heure, aller rempoter mes plantes médicinales, qui ne m'ont que trop attendu.

jeudi 14 juin 2018

Découverte de l'eau


Bondissant à la poursuite d'une bande de mouettes idiotes (ou de sternes stupides, ou de ce qu'il vous plaira d'imaginer comme volatiles), Charlus s'est retrouvé dans l'océan… à ma plus vive inquiétude : je ne me voyais guère plongeant dans la vague glacée, ou que j'imaginais telle, pour aller sauver de la noyade ce semi-abruti. Car il va de soi qu'il fut le seul à se tremper dans l'eau, et que nous autres nous en sommes bien gardés. Du reste, on n'en a pas beaucoup bu non plus.

lundi 11 juin 2018

Parce que c'est mon Chouan…


À compter de ce soir, nous serons là, à Saint-Hilaire-de-Riez, charmante petite cité vendéenne où vit mon beauf' (frère de Catherine) et cousin germain, ainsi que sa femme. Nous rentrerons après-demain, ce qui laisse largement, aux cambrioleurs et autres énergumènes divers, le temps d'exercer leur art (nota bene : les bijoux et les diamants de Catherine sont dans le troisième tiroir du congélateur, et il reste, dans la Case, quelques exemplaires neufs du Chef-d'œuvvre de Michel Houellebecq, roman qui ne peut que prendre de la valeur avec le temps, n'en ayant pour l'heure pas la moindre). Je ne suis pas devin, mais je crois pouvoir affirmer qu'on va manger du poisson et boire du vin blanc. Quant à se tremper dans l'eau avec les crétins huileux, plutôt crever.

samedi 9 juin 2018

Qui connaît Paul Auster ?


Pas moi. C'est-à-dire que j'ai lu un roman de lui, La Cité de verre, il y a bien trente ans : je n'en garde aucun souvenir, pas même celui de l'avoir aimé ou non. Il fallait bien entendu remédier urgemment à cette ignorance : était-il possible de continuer à vivre comme si de rien n'était sans savoir qui est Paul Auster ? Poser la question était y répondre. 

J'ai donc mis deux livres de lui dans mon petit panier Amazon et je laisse reposer le tout jusqu'au 20 de ce mois, date où le compte “Visa” se remettra miraculeusement à zéro, et où l'on pourra de nouveau dépenser sans remords : on n'est pas plus budgétairement orthodoxe. Les deux romans sont un déjà ancien, Léviathan, et ce qui semble être le dernier paru, 4, 3, 2, 1, titre interpelant, on me l'accordera. Pourquoi deux ? s'interrogera-t-on peut-être. C'est une curieuse et assez stupide manie que j'ai, d'acheter presque toujours plusieurs volumes d'un coup des écrivains dont j'ignore tout, et au premier chef si leurs livres vont me plaire, ou au moins s'ouvrir, métaphoriquement parlant.

Mais je bavarde, je bavarde… L'objet de ce billet est d'en appeler aux plus cultivés d'entre vous, et que moi, qui auraient, eux, une connaissance plus approfondie de ce New-yorkais, ce qui n'est pas mettre la barre bien haut, on l'aura compris. Pour leur demander si, à leur autorisée opinion, j'ai bien fait de choisir ces deux romans-là. Et de me dire, dans le cas contraire, lesquels ils me conseilleraient plutôt, et pourquoi. On a donc jusqu'au 19 juin pour remettre sa copie.

Sinon, j'ai également mis dans mon panier un roman de Victor Segalen, mais c'est totalement hors-sujet.

mercredi 6 juin 2018

La tondeuse n'est pas que pour les jardins


Charlus après son passage chez l'esthétichienne.

samedi 2 juin 2018

Ami-ami avec Tom W.

Tom Wolfe, 2 mars 1930 – 14 mai 2018.

J'ai terminé les 820 pages de Bloody Miami tout à l'heure, juste avant d'aller prendre ma douche (les deux faits n'étant d'ailleurs liés en rien) : il y avait longtemps que je n'avais pas lu un roman aussi réjouissant, qui se parcourt à tombeau ouvert (ou à bride abattue si on est vraiment passéiste), et donne de l'Amérique – ou au moins de Miami – une image aussi glaçante que drôle, vraiment très drôle. Par moment, on se croirait chez le bel Alexandre (Dumas), tellement ça galope. Quand je me dis que, pendant ce temps, des malheureux s'obstinent à déchiffrer les minces grimoires de Christine Angot ou d'Édouard Louis, un grand élan de pitié me vient pour eux ; la seconde suivante, je me dis qu'après tout ils n'ont que ce qu'ils méritent. 

Il est vrai que Tom Wolfe – c'est à la fois, de sa part, modestie et ambition – se contente de montrer le monde tel qu'il le voit, d'en indiquer quelques-uns des ressorts les plus agissants, même si ce dévoilement ne risquait pas de lui valoir le Nobel, ni de lui ripoliner l'âme en couleurs pastel ; alors que nos deux chevaliers blancs, eux, attention les yeux, dénoncent le racisme et l'essclusion – pas moins. Il est certes fort beau de flétrir le racisme et l'exclusion, même si tous les bien-pensants occidentaux le font du matin au soir depuis près de quarante ans ; mais il faudrait peut-être leur dire, à Christine Édouard et à Louis Angot, qu'un homme qui dénonce, cela ne s'appelle pas un écrivain mais un délateur. En attendant, et cela s'accorde à merveille avec les deux clowns évoqués, je vais aller tout de suite ouvrir à sa première page Le Bûcher des vanités du même Wolfe ; dont les deux autres romans sont déjà bien au frais dans mon petit panier Amazon.

vendredi 1 juin 2018

Le journal prend de l'avance


Ayant considérablement merdé le mois dernier en publiant deux livraisons d'un coup, et même pas dans le bon ordre, j'ai décidé que, désormais, le journal mensuel serait livré sans attendre, dès le premier (ou deuxième…) jour du mois suivant. Voici donc celui de mai, encore tout chaud du four dont il sort.

Si j'ai choisi Witold Gombrowicz pour illustrer cette annonce, c'est parce qu'il m'a occupé beaucoup au début du mois. Et aussi parce que j'aime bien sa tête.