lundi 8 mars 2021

D'un torchon à l'autre


Il y a quelque temps, quatre ou cinq films de Bertrand Tavernier ont fait leur entrée chez Netflisque. Je n'ai guère d'attirance pour ce cinéaste, en raison de son côté “vaillant petit soldat de la gauche de progrès”. Il m'a toujours fait un peu l'effet d'une sorte de Jean Delannoy post-moderne, aussi déférent que lui envers les “valeurs” dominantes de son temps, même si, entre l'un et l'autre, ces valeurs ont changé.

J'étais tout de même curieux de revoir Coup de torchon, film librement adapté du Pottsville, 1280 habitants (ancienne et bizarre traduction : 1275 âmes : qu'est-ce que le premier traducteur avait bien pu foutre des cinq âmes manquantes ?). C'est ce que nous avons fait avant-hier, et nous ne fûmes pas déçus : c'est un bon film, les acteurs y sont excellents, même Noiret qui, pour une fois, ne cabotine pas trop, et même pas du tout. 

Du coup, emportés par l'enthousiasme, nous avons, hier, décidé de regarder Que la fête commence. Patatras ! Nous avons abandonné le film peu après sa moitié. D'abord parce qu'il est plutôt ennuyeux, mais surtout parce qu'il est faux à hurler. Qu'est-ce qui est faux ? Tout. La France de la Régence est fausse, la façon de parler des gens – nobles ou “vilains” – est fausse, le Régent lui-même et l'abbé Dubois sont de pitoyables caricatures n'ayant jamais eu la moindre existence réelle. En fait, ce qu'on nous montre, c'est un tableau de l'ancien régime tel que se le représentent depuis deux siècles les plus bornés des républicains, c'est-à-dire une tyrannie insupportable, un champ de ruines et de désolation où règne constamment l'arbitraire le plus débridé. Féérie imaginaire dont on renforce encore le côté purement onirique en mettant dans la bouche des gens du peuple toute une ribambelle de “petites phrases” cherchant à faire croire que le feu de la glorieuse révolution future couve déjà sous la cendre grisâtre d'une royauté honnie. De façon encore plus puérile, le Régent ne cesse de prophétiser les événements futurs, exactement comme s'il venait tout juste de réviser l'histoire du XVIIIe siècle dans son vieux Mallet et Isaac.

Du coup, n'ayant à dire que des choses fausses dans des situations fausses, les acteurs deviennent médiocres, y compris ceux – Noiret, Marielle – qui étaient parfaitement justes la veille au soir dans le film précédent. Le pire étant peut-être Jean Rochefort à qui est échue la pénible et impossible tâche de rendre un tant soit peu crédible la figure d'un abbé Dubois transformé en une sorte de clown à la fois machiavélique et à demi stupide.

Bref, nous avons dégringolés en vingt-quatre heures d'un Coup de torchon à un film méchamment torchonné. Il va être temps de retourner aux Soprano

33 commentaires:

  1. Ne vous inquiétez pas. Lorsque l'Histoire de France aura disparu, que plus personne ne saura plus qui étaient Mallet et Isaac, il n'y aura même plus rien à "torchonner" et vous pourrez tout tranquillement rester sur vos Soprano !

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  2. Mais quelle idée aussi, sans doute le moins bon des Tavernier /Noiret de cette sélection ! Là j'hésite entre L'horloger de Saint Paul et Le juge et l'assassin (sur La vie et rien d'autre je suis plus réservée, mais c'est peut-être Sabine Azéma qui risque de m'énerver)

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    1. Quand je serai réconcilié avec Tavernier, je pense que j'irai du côté de L'Horloger. Au moins parce que j'ai beaucoup fréquenté et aimé Lyon, à peu près à l'époque où le film y a été tourné (alors que le roman de Simenon dont il est tiré se déroulait, lui, aux États-Unis : va comprendre, Charles !).

      Mais ce ne sera pas avant un petit moment !

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    2. Qu'est-ce que vous faites avec votre masque ?

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  3. Tiens ce matin, lisant dans Valeurs Actuelles (oui, je sais, c'est un magazine raciste, nazi et tout ça) un article consacré à Gustave Thibon dont j'ignorais tout, j'ai pensé à vous :

    "Thibon se tient alors plus que jamais à l'écart des haines partisanes. Il y a "deux moyens de couvrir les actes de banditisme : (c'est) d'entrer dans la Milice ou d'entrer dans la Résistance", constate-t-il désabusé. Il reste pour sa part fidèle à l'idéal monarchique, sans doute parce que les racines de la France sont royales..."

    Et l'article se termine ainsi :

    "Personnage aristocratique par excellence, Gustave Thibon a su allier l'exigence la plus haute à une bienveillance sans complaisance. Servi par une langue étincelante, il a consacré son oeuvre au service de la beauté, de l'amour et de l'éternité, se hissant sans l'avoir cherché au niveau des grands classiques de l'esprit français."

    J'ai inscrit son nom sur votre moteur de recherche mais je n'ai rien trouvé.

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    1. Je crois bien avoir déjà lu – ou tenté de lire – un livre de lui, mais je n'en mettrais pas ma tête sur le billot.

      J'ai sans doute tort, mais j'en ai l'image d'un "penseur un peu chiant".

      C'est comme toujours : il faudrait y aller – ou retourner – voir…

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  4. Et puis vous avez déjà croisé quelque part ailleurs que dans ce film l'abbé-cardinal Dubois avec une moustache, vous ?
    Costumes et coiffures ne correspondent pas à l'époque en question. Ils diront, ou ont sans doute prétendu, que c'était pour "marquer la rupture avec Louis XIV et entrer de plain-pied dans le XVIIIe", à coup sûr ! Pour les hommes c'est du 1740/50, mettons 30, allez, quant aux femmes, les cheveux surtout, une catastrophe.
    La facette bretonne est presque plus acceptable, avec Marielle dans son genre... Sinon j'aime bien la duchesse de Saint-Simon au tout début (Hélène Vincent), délicate et assez conforme à l'originale.

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    1. Quand je disais que "tout est faux", c'est vraiment tout, en effet !

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  5. « Coup de torchon », une vrai cure de jouvence chaque fois que je regarde ce film.
    D’ailleurs tous les acteurs sont transcendés par leur rôle.

    « Que la fête commence », j’ai le souvenir d’être agacée par les bons petits soldats qui riaient au moment signalé par leur critique préféré dans la feuille de choux « houlala c’est ici que c’est drôle » (notamment si je ne fais pas d’erreur, lorsqu’il s’agissait d’un « Chirac » préposé au pot de chambre.
    Bref je me suis em...dée, mais j’ai passé une bonne fin de soirée au « drugstore publicis » sur les Champs. Souvenirs souvenirs 🙂
    Hélène

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    1. Non, le Chirac en question est médecin. Médecin abruti et nul, comme il se doit…

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    2. Rôôô, vous êtes dur avec les médecins. 😉
      Hélène

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    3. Non, je voulais dire : comme il se doit d'après l'esprit du film !

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  6. Amusant:l'image que vous avez choisie pour illustrer votre bilet est la seule du film dont je me souvienne.

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  7. Vous êtes un peu dur avec ce pauvre Tavernier. Il a pris l'habitude de rater un film sur deux, certes, mais même avec ce ratio, il reste meilleur que la grande majorité de ses collègues cinéastes français.

    (Et j'avoue vraiment apprécier ses interview et analyses de films en supplément sur certains bluray)

    Bonne journée

    Gadebois

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    1. Je ne dois pas être objectif à son endroit, sans doute à cause de son côté bien-pensant, qui m'agace.

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    2. je ne sais pas si je dois vous conseiller L627 (que j'aime bien même si force est d'admettre qu'il a pris un petit coup de vieux)

      Gadebois

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    3. Je l'ai vu à sa sortie : à peu près aucun souvenir.

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    4. Si Tavernier ratait un film sur deux c'est parce qu'il louchait

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  8. Et pour rater un film en rassemblant Noiret, Marielle, Rochefort, il faut le faire.

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    1. Les acteurs ne peuvent pas tout. En fait, les mauvais acteurs peuvent plomber un film qui, sans eux, aurait pu être bon ; mais de bons acteurs sont impuissants à rendre bon un mauvais film.

      Enfin, je crois.

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    2. Patrice Leconte à réussi avec "les Grands Ducs"

      Gadebois

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    3. En effet : là-dedans, tout le monde cabotinait à donf…

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  9. Le tout début de votre article m'a fait peur : j'ai, l'espace d'un moment, craint que vous ne piétinassiez "Coup de torchon", film qui tient et tiendra probablement une des premières places de mon hit-parade personnel. J'y ajoute "La fiancée du Pirate" et "Coup de tête" dont le célèbre "Allez Trincanmp !" est devenu ma devise, celle de mon ex-épouse et de ma fille. Ces trois films ayant en commun de donner une vision aimable et optimiste des relations sociales que je partage.

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    1. Je ne placerai tout de même pas Coup de torchon à une telle hauteur, mais enfin c'est un bon film. Quant aux deux autres, il y a bien trop longtemps que je ne les ai vus pour en dire quoi que ce soit.

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    2. Je me demandais : qualifieriez-vous de "vision aimable et optimiste des relations sociales", le fait d'avoir fermé votre blog aux commentaires ?

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  10. Je n'ai jamais tenu plus d'un quart d'heure devant Coup de torchon sans faire des bonds. Les acteurs sont pathétiques, et mon dieu que c'est lent et mal filmé, on dirait du super 8 à Ermenonville. On croirait aussi que Tavernier n'a jamais foutu les pieds en Afrique, où les expats que j'ai croisé sont souvent plus marécageux que dans le film. Par contre le roman de Jim Thompson est épatant, mais j'ai jamais foutu les pieds en Amérique. ^^

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    1. C'est amusant ce que vous dites car, moi, après avoir revu le film, j'ai voulu relire le roman… que j'ai abandonné avant la centième page, le trouvant fort ennuyeux.

      Comme quoi…

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  11. C'est curieux les films. J'en arrive à croire qu'ils sont révélateurs de l'état d'esprit du moment, pas plus et trop sensibles au temps qui passe.
    J'ai fait comme vous en regardant "Coup de torchon" que j'avais apprécié au ciné et cela d'autant plus que j'ai passé ma jeunesse en Afrique. Cette fois-ci, vraiment long, lent, sorte de téléfilm des années 70, tout en appréciant le jeu de Noiret et son personnage absurde. "La fête" m'avait fait très bonne impression. Je ne vais peut être pas tenter le retour :-).
    Thierry

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    1. C'est curieux car, moi, c'est justement cette lenteur, ce contraste entre la nonchalance générale, tropicale pourrait-on dire, et la violence de l'action, qui m'ont fait aimer le film.

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  12. "Le réalisateur, scénariste et producteur Bertrand Tavernier est décédé ce jeudi 25 mars, annonce le journal La Croix" Voilà, vous lui avez apporté la "mascagne" ! ...

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    1. Pourtant, j'ai aussi dit du bien de son Coup de torchon : il aurait pu faire un effort, merde !

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.