dimanche 23 mai 2021

Mon marronnier du 23 mai

Je suis à droite sur la photographie. À gauche, mon oncle Patrick, plus jeune frère de ma mère, de trois ans mon aîné, et donc camarade de jeux de mon enfance. Nous sommes sur le trottoir du boulevard Fabert, Sedan, Ardennes, à l'époque où nulle voiture n'y passait (début des années soixante), parce que le pont sur la Meuse, au bout, n'avait pas encore été reconstruit : cette impasse nous fut un territoire d'enfance irremplaçable. À gauche de Patrick, le mur du parc de la Chambre de commerce, dont mon grand-père (son père à lui) était le concierge et l'homme à tout faire – vraiment tout. La troublante créature du milieu me demeure inconnue, probablement à jamais.
 

Bien  que très et précocement intelligent, je fus un petit garçon attardé sur le strict plan de l'orthophonie : à quatre ans, un certain nombre de consonnes se montraient encore rétives et ricanaient bêtement à l'instant de sortir de ma bouche. Un jour – c'était à Châlons-sur-Marne, ma ville natale que des modernœuds malfaisants ont depuis pompeusement rebaptisée Châlons-en-Champagne –, alors que nous arrivions de chez ma nourrice (comme je crois bien que l'on ne dit plus), ma très jeune mère et moi, à notre petit appartement de la rue Saint-Éloi, elle sur la selle du vélo et moi dans le petit siège juste derrière, j'annonce fièrement :


« C'est la tête à Didier ! »

Incompréhension de mes parents, pourtant adultes et, donc, omniscients. Leur réaction est en gros la suivante :

« Quoi ta tête, qu'est-ce qu'elle a ta tête ? »

Moi (un peu plus véhémentement) : « C'est la tête à Didier ! »

On examine attentivement le crâne de l'héritier, alors unique, on ne trouve rien de particulièrement alarmant, et même rien du tout. Pourtant l'héritier s'obstine, d'une voix sans doute plus forte et vaguement outrée : « Mais c'est la tête à Didier ! »

On doit probablement finir par me signifier qu'on ne comprend rien à ce que je dis, et qu'il serait bon que je fermasse ma mini-gueule de dauphin putatif : ça se faisait, en ces temps. Et, en effet, je m'écrase. Une demi-heure plus tard, ma mère :

« Tiens, on est le 23 mai, c'est la fête à Didier… »

Et moi : « Aaah, oui : c'est la tête à Didier ! »

Ma grand-mère paternelle (qui était là ce jour) me l'a resservie pendant plus de trente ans, celle-là. Et chaque 23 mai elles me manquent un peu – ma grand-mère et l'histoire.

41 commentaires:

  1. Une image d'enfance comme on n'en fait plus...

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    1. Ce serait aujourd'hui, je suppose que mon oncle Patrick tiendrait la perche du selfie…

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  2. Je n'ai JAMAIS eu de poux, môssieur !

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  3. Et pourtant, désiré, je ne l'étais point (en tut cas, pas si vite…).

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  4. Bonne fête, Parrain ! Et que le cul vous pèle !

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    1. Vu le froid qui règne (merci au fucking réchauffement climatique…), il me pèle pour sûr !

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    2. L'expression originale est : "Et que le cul te pèle !"
      A noter qu'elle peut remplacer pour toute occasion un peu solennelle, la fameuse expression hébraïque "Mazel Tov !"

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Mazal_Tov

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  5. Oui, mais revenons à "la troublante créature du milieu"... Qui pourrait-elle être ?

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    1. Difficile à savoir, dans la mesure où, d'après moi, il ne peut s'agir que d'une étrangère à la famille. Peut-être la fille de voisins, qui passait par là au moment de la photo ? Allez savoir…

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  6. Je peux vous demander quel âge avait votre mère à votre naissance ? Elle avait beaucoup d'écart avec son petit frère ? C'est tout de même amusant, l'oncle et le neveu sur la photo, le grand avec cravate et veston, le petit avec son lacet coquettement noué autour du col, parfaits chevaliers servants en culottes courtes encadrant la gente demoiselle.

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  7. Qu’ils étaient doux ces jours de mon enfance
    Où toujours gai, sans soucis, sans chagrin
    je coulais ma douce existence
    Sans songer au lendemain.

    Que me servait que tant de connaissances
    A mon esprit vinssent donner l’essor,
    On n’a pas besoin des sciences,
    Lorsque l’on vit dans l’âge d’or.
    ....
    Gérard de Nerval

    Très très belle photo.
    Hélène

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    1. "Qu’ils étaient doux ces jours de mon enfance"
      Tout le monde ne peut pas en dire autant...( né en 1938, et pas dans une famille catho intégriste... Tiens : que devient jazzman ?)

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    2. Bien sûr Elie, vous avez entièrement raison.
      De plus, je pense que l’on peut enlever « intégriste » et se limiter à catholique ( concernant cette époque jusque dans les années 50).

      Je crois me souvenir qu’un jour jazzman a écrit qu’il allait se faire opérer et on a plus eu de ses nouvelles.
      Hélène

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    3. Peut-être s'agissait-il d'une circoncision ?

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    4. Quel message essayez-vous de faire passer, Doc ? Que la circoncision tue ?
      A la réflexion vous n'avez pas tout à fait tort ! Et d'aucuns pourraient même aller jusqu'à affirmer que vous avez tout à fait raison !

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    5. Je crois que les musulmans sont aussi circoncis, mais je n'ai jamais été vérifier... Peut-être pouvez-vous nous renseigner ?

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  8. Ma mère avait alors 23 ans. Et, aînée de sept enfants, 20 ans d'écart avec le petit dernier.

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  9. Et comment expliquez-vous que vous parlassiez de vous-même à la troisième personne?

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    1. Mais il ne me semble pas l'avoir fait !

      (Et votre imparfait du subjonctif n'a pas de raison d'être – en tout cas d'être là.)

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    2. En effet, j'ai hésitassé un instant avec parlûtes.

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    3. Que n'hésitûtes-vous davantage !

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  10. Ah oui, vingt ans d'écart entre le plus jeune et le plus grand c'était fréquent encore à l'époque, évidemment.

    J'ai connu une dame comme ça, pareil, c'était la petite dernière de cinq enfants. Son père en en avait eu dix, cinq d'un premier lit comme on disait, puis à nouveau cinq du second, dans l'ordre : quatre filles puis un fils, et, deuxième fournée, quatre garçons puis une fille, ça ne s'invente pas ! L'ultime c'était elle, son père avait 68 ans à sa naissance, il était né en 1865... et son propre père en 1811.

    Ça ne nous rajeunit pas. À la fin, il ne restait plus qu'elle et son frère aîné de vingt ans de plus.

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  11. Il veut dire, supposé-je, pourquoi déclariez vous "C'est le tête à Didier" et non "C'est ma tête"... Voilà,...

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    1. Ah oui, en effet ! Je dois avoir la cervelle un peu calaminée, aujourd'hui…

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  12. Dans la famille de ma mère, si l'on excepte le benjamin Patrick, ce sont les deux plus jeunes sœurs qui sont mortes les premières : tous les autres sont encore vivants.

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  13. Chalon sur Marne ou Shalom sur Marne comme aimait à le dire Pierre Dac dont c'était la ville natale ?

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    1. CHÂLONS ! avec accent et s terminal. Sinon, c'est Chalon-sur-Saone…

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    2. Et c'est pas Chalon-sur-Saône ? avé l'accent ?

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  14. C'est un marronnier parce que la tête revient chaque année, ou bien parce que vous avez déjà poster la photo ?

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  15. Je suis le second d'une famille de 4. Quand mon frère ainé est né, mon père a décidé de l'appeler "Jean-Pierre" ; quand je suis né, il voulait m'appeler "Christian" et ma mère voulait m'appeler "Didier". Mon père a dit "on met les deux prénoms dans un sac, et on tire au sort". C'est Didier qui est sorti ... Mais je me prénomme Christian ...

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    1. Bref, il y a eu tricherie, si je comprends bien…

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    2. tout à fait ! Thierry (Euh, non, Didier)

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  16. (Je sais que c'est hors sujet, mais vous ne traiterez jamais laquestion sur un billet)
    Avez-vous remarqué cette déferlante de l'adjectif "glaçant" sur les infos d'Internet ( notamment upday) et même Mme Pulvar ?

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    1. Je suppose que ce doit être le nouvel adjectif que l'on accole à l'extrême droite, ou tout ce qui en tient lieu ?

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  17. Oh mince ! J'arrive trop tard pour vous souhaiter une bonne fête ! Je suis contente parce que j'ai compris dès le début de votre texte ce que l'enfant que vous étiez voulait dire, comme quoi être une ex-instit de maternelle ça peut servir à quelque chose...
    Ça me rappelle mes frères en pantalons courts, bretelles, nœud papillon et boule à zéro à cause des poux et moi robe courte et panty en dessous !
    Bibi

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    1. Nous devions être des genres de jusqu'au-bout-tistes, puisque mon frère et moi avions toujours la boule à zéro… mais sans jamais la moindre menace de poux !

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  18. En réponse à un voeu de votre Filleule, beaucoup plus haut sur ce fil ( " Que le cul vous pèle"), je vous déconseillerais cette solution :


    https://f7td5.app.goo.gl/qQ4CHb

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    1. Pourquoi ? Serait-elle réservée aux seuls circoncis ?

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    2. Vous êtes mieux placée que moi pour savoir s'il est circoncis.

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    3. Je suis surtout bien placée pour savoir que vous êtes d'un casse-couilles la peinture achevée !

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.