vendredi 16 juillet 2021

Le saint patron des modernœuds

Les gens qui, en 1867, arrivaient à Paris pour y visiter l'exposition universelle pouvaient facilement se procurer un guide, édité dans le but de faciliter leurs déambulations entre les différents pavillons. Le dit guide s'ennoblissait d'une préface signée de Victor Hugo – lequel était, rappelons-le au passage, supposé être un “proscrit”, victime crucifiée à son rocher anglo-normand par l'implacable tyrannie de Napoléon III… On pouvait, dans cette préface, tomber sur ce paragraphe, piqué au vol dans l'Histoire des Français de Pierre Gaxotte :

« Au XXe siècle, il y aura une nation extraordinaire. Cette nation sera grande, ce qui ne l'empêchera pas d'être libre. Elle sera illustre, riche, pensante, pacifique au reste de l'humanité [on s'étonne, là, de l'absence d'une H majuscule…]. Elle aura la gravité douce d'une aînée. Elle s'étonnera de la gloire des projectiles coniques et elle aura quelque peine à faire la différence entre un général d'armée et un boucher… Cette nation aura pour capitale Paris et ne s'appellera point la France. Elle s'appellera l'Europe. Elle s'appellera l'Europe au XXe siècle, et, aux siècles suivants, plus transfigurée encore, elle s'appellera l'Humanité [eh ! la voilà, notre majuscule !]… Le continent fraternel, tel est l'avenir. Qu'on en prenne son parti, cet immense bonheur est inévitable. »

Il faut relire ces huit lignes lentement, pour savourer toute la niaiserie qui s'y étale, pratiquement à chaque mot. Devant une bêtise aussi himalayenne, pour reprendre le mot de Leconte de Lisle, on comprend mieux pour quelle raison Victor Hugo reste l'écrivain préféré des Français en général, et en particulier des ravagés de l'avenir qui irradie et des lendemains qui vocalisent.

Saint Victor, patron des modernœuds – Everest in peace.

20 commentaires:

  1. Il s'est trompé de siècle, et même, probablement, de plusieurs siècles. ( en plus, gonflé d'écrire ça en pleine période de colonialisme...) Mais ensuite : comment savoir ? Le pessimisme systématique n'est-il pas une facilité pour paraître intelligent ?

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    1. Le colonialisme, à son époque, était une valeur "de gauche" : il s'agissait d'apporter les bienfaits de la civilisation et des "Lumières" aux peuplades primitives…

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    2. Le pessimisme systématique n'est-il pas une facilité pour paraître intelligent ?

      Invité par le quotidien l'Opinion (29/04/2021) à imaginer ses Unes de 2025, Emmanuel Macron répond : "Je suis un optimiste de la volonté. Si nous le voulons, notre nation peut prendre toute sa part à l'invention du monde qui vient ...nous travaillons pour qu'en avril 2025 puisse paraître davantage de Unes sur une Europe puissance"

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    3. J'ajouterai que l'on peut fort bien se moquer des idéalistes niais sans pour autant verser dans un pessimisme systématique.

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  2. Il a raison. Il n'y a eu aucune guerre mondiale, par exemple, au XXème.

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  3. J'ai toujours trouvé que la ligne très fine entre son emphase littéraire et le ridicule. Il y a des passages des Misérables insupportables de niaiserie, de victimisation...Maintenant il a quelques vers bien tournés, 93 et et l'homme qui rit sont de bons romans...Mais pour voir un peu qui est Hugo, politiquement parlant entends-je, symboliquement, faut lire les diverses descriptions rendant compte de ses funérailles...il y a toutes les sociétés progressistes de l'époque...aujourd'hui ça ressemblerait à un cortège de soutien à Traoré, avec toute la clique LFI....

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    1. Je ne partage nullement votre avis favorable en ce qui concerne Quatre-vingt-treize et L'Homme qui rit. Mais pour le reste, d'accord.

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  4. L'exil il l'a pourtant bel et bien vécu dix-neuf ans durant dans les îles anglo-normandes, après un premier départ à Bruxelles, et ce jusqu'en 1870 à la chute de Badinguet.
    Une préface, et d'un guide, qu'est-ce que c'est, avec ici un simple passage extrait ? J'y lis de l'utopie, une certaine foi qui ne veut pas s'avouer vaincue en ce pays qu'est la France, dans ce qu'elle aurait pu représenter encore. Évidemment... avec le recul !
    Le "Victor-Hugo-écrivain-préféré-des-Français" ce n'est que la récupération/exploitation gnangnan officielle pour mieux neutraliser le bonhomme. Il est de bon ton de lui taper dessus, j'observe.

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    1. Exil volontaire : Hugo savait très bien qu'il n'avait qu'un mot à dire pour rentrer en France sans être inquiéter le moins du monde. Mais il a préféré "garder la pose".

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    2. Et puis,les îles anglo-normandes,ce sont des paradis fiscaux.

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    3. "Garder la pose" pendant 19 ans ? Mazette ! Exil volontaire de protestation.
      Ainsi il a pu voir publiée cette préface, vision provocatrice de tout ce que n'était pas la France de l'obscène Second Empire...

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    4. C'était très bien, le Second Empire !

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  5. Bonjour,

    J'ai un très grand respect pour votre culture littéraire. Pour ma part, elle manque de d'étoffe, et je n'ai lu de Victor Hugo que les Misérables et Notre Dame de Paris( et peut-être un ou deux poèmes).

    Je ne suis pas un fanatique du gauchiste Victor Hugo, et connais ses travers, mais est-ce pour vous un crime contre le bon goût que d'avoir beaucoup aimé ces deux romans, et admiré le style de l'auteur ?

    Merci pour votre réponse...

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    1. Mais non, rien n'est un "crime" en ces matières ! En tout cas, il en est de plus graves…

      Cependant, si vous me permettiez un conseil, ce serait de NE PAS relire ces deux romans, et de rester sur votre impression première : j'ai fait l'expérience de la relecture il y a quatre ou cinq ans… et je m'en suis mordu les doigts.

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    2. Ça y est, maintenant on en vient à s'excuser de lire ou apprécier Victor Hugo.

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  6. Vous êtes dur, il n'a fait que deux fautes valant 1 point : Paris au lieu de Bruxelles et bonheur au lieu de catastrophe. Ça fait un beau 18/20.

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  7. Poèmes ; " À Villequier", quand même, c'est un peu plus émouvant que " Jeanne était au pain sec "...

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  8. Tous les hommes seront frères sur la terre et sur l'onde,
    A chacun on dira: va, citoyen du Monde !
    V.H

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.