jeudi 26 août 2021

Les charmes discrets du séjour à Fresnes

Le constat est d'une indéniable vérité : les “soirées entre potes” du XVIIe siècle avaient une autre allure que les pauvres nôtres, même sans tenir compte du fait qu'elles se déroulaient généralement sans muselière à élastiques auriculaires.

Au soir du 4 février 1665 – qui tombait un mercredi, comme on s'en souvient peut-être –, Simon Arnauld de Pomponne est enfin de retour à Paris, après une interminable année d'exil. Il est le fils d'Arnauld d'Andilly et, par conséquent, le neveu du Grand Arnauld – pour vous situer un peu le bonhomme. Pourquoi l'exil ? Pour prix de son amitié un peu trop public avec le ci-devant surintendant Nicolas Fouquet ; lequel, au moment où nous parlons, s'apprête à prendre le chemin de son ultime “résidence sur la terre”, soit la forteresse de Pignerol.

Bref, à l'instar des loups teutons, Pomponne est entré dans Paris. Que fait-il, à peine descendu de voiture ? Il se précipite à l'hôtel de Nevers, en lequel Madame du Plessis-Guénégaud reçoit ses amis lorsqu'elle se trouve à Paris. Et c'est là, passé le seuil du salon, que pour nous la rêverie commence.

Car ce soir-là, en l'hôtel de Nevers, sont réunis la marquise de Sévigné et sa fille – la future Madame de Grignan –, la comtesse de La Fayette, le duc de La Rochefoucauld, au milieu d'une douzaine d'autres, dont les noms sonneraient moins haut à vos oreilles. La conversation va son train, quand arrive Nicolas Boileau, venu lire ses dernières satires inédites. Il est suivi de près par Jean Racine, qui déclame les deux premiers actes de son Alexandre le Grand, que nul n'a encore vu jouer sur une scène. Puis, les lectures achevées, les discussions peuvent reprendre, tandis que passent les rafraîchissements. Brillante époque…

Brillante mais aussi heureuse, cette époque où si quelqu'un de vos relations vous apprenait qu'il venait de “passer un mois à Fresnes”, vous étiez davantage enclin à l'envier qu'à le plaindre. Car vous compreniez bien que votre ami n'avait nullement été engeôlé dans un cul de basse fosse surpeuplé de mahométans violents et obtus, mais qu'il avait été invité dans le château de campagne des du Plessis-Guénégaud – les mêmes que tout à l'heure –, résidence bucolique à laquelle le grand Mansart lui-même avait mis la truelle et le fil à plomb.

Là aussi, là encore plus, les talents d'hôtesse de la maîtresse de maison font merveille. Dans ce décor idylliquement champêtre, on retrouve souvent les mêmes invités qu'à Paris, plus Mademoiselle de Scudéry, plus Madame de Motteville qui rêve dans un coin aux mémoires qu'elle s'apprête à écrire, mais moins Arnauld de Pomponne qui, entretemps, a été nommé par le roi ambassadeur en Suède et qui, chez ces grands crétins blonds et nordiques, se languit de ses amis parisiens et du château de Fresnes où il n'est point.

C'est probablement là, en ce château, que se sont nouées les amours du duc de La Rochefoucauld et de Mme de La Fayette – bien que Mme de Sévigné, qui sait parfois se montrer chipie, soutînt que l'auteur des Maximes n'avait jamais été amoureux sa vie durant, en étant incapable. Mauvaise langue ? Peut-être bien. Car le duc semble tout de même avoir eu un certain mal à se remettre de sa rupture avec la duchesse de Longueville (Anne-Geneviève de Bourbon-Condé de son petit nom), sœur aînée du Grand Condé.

C'est à Fresnes encore que la marquise de Sévigné écrit quelques-unes de ses lettres les plus fameuses, celles dans lesquelles elle narre au jour le jour les rebondissements de l'interminable procès de son grand ami Fouquet. Le dit surintendant, à l'époque de sa splendeur, aurait bien aimé mettre la belle marquise dans son lit, ou au moins sur un quelconque canapé – mais il semble qu'il n'y est pas parvenu, malgré sa gloire, sa fortune et sa prestance. Ces lettres ne sont pas destinées à sa fille, dont on a vu qu'elle était encore auprès d'elle, mais à son remuant cousin, Bussy-Rabutin, qui, en ce début d'année 1665, vient d'être élu à l'Académie française, mais ne va pas tarder à prendre le chemin de la Bastille, puis la route de l'exil, c'est-à-dire de son château bourguignon où il terminera sa vie, un bon quart de siècle plus tard – ce qui nous éloigne presque autant du château de Fresnes que de l'hôtel de Nevers.

Le salon de la comtesse du Plessis-Guénégaud avait en quelque sorte, et avec plusieurs autres, remplacé celui, très célèbre, de la marquise de Rambouillet qui, dès le début des années 20 de ce siècle-là, avait pour ainsi dire inauguré la “vie de société”, en recevant divers amis et hôtes de marque, voire très-illustres, dans la fameuse “Chambre bleue” de son hôtel, sis en la rue Saint-Thomas-du-Louvre. Inutile de chercher cette artère sur un plan du Paris actuel : elle a cessé d'exister au XIXe siècle. Avant cela, elle reliait la place du Palais-Royal à la Seine, passant, à quelques mètres près, à l'emplacement où s'élève désormais, pour notre honte à tous, la pyramide de M. Pei.

Comme quoi, il n'y avait pas que les soirées entre potes pour être plus élégantes au XVIIe siècle qu'au nôtre.

37 commentaires:

  1. Et... vous pensez que si vous aviez vécu à l'époque vous auriez pu être invité?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Why not ? Vincent Voiture était l'un des piliers de l'hôtel de Rambouillet, bien que simple fils d'un marchand de vin amiénois…

      Supprimer
    2. il devait avoir le meilleur vin à apporter, dans les soirées où j'allais avant, il y avait toujours un type dont on ne savait pas trop pourquoi il était là et il y a toujours un type qui a cette utilité de procurer divers produits...

      Supprimer
    3. Non, non, il était invité pour son talent et son esprit !

      (Vu son nom, il aurait aussi pu être invité dans le but de raccompagner les invités bourrés…)

      Supprimer
  2. Faux.
    La vraie raison de son exil fut d’avoir imité sa sœur, la Pomponette.
    Autant vous dire que le Pauvre Pompon en a eu sa claque et en a référé à qui de droit.
    On ne rigolait pas à l’époque, contrairement à ce que vous laissez entendre. 😉
    Hélène

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Mais qu'est-ce que vous racontez ? Vous avez bu, ou bien ?

      Supprimer
    2. C'est de l'humour sur "Pomponne"... enfin, je pense

      Supprimer
    3. «AH ! te voilà, toi ? Regarde, la voilà la Pomponnette... Garce, salope, ordure, c´est maintenant que tu reviens ? Et le pauvre Pompon, dis, qui s´est fait un mauvais sang d´encre pendant ces trois jours ! Il tournait, il virait, il cherchait dans tous les coins... » Marcel PAGNOL

      Supprimer
    4. Bah, ça ne vous « parle » pas c’est pas grave.

      En revanche je ne bois pas d’alcool (depuis toujours), je n’aime pas ça, ça brûle l’estomac rien qu’en l’avalant.

      Hélène

      Supprimer
    5. Non, elle n'a pas bu, elle a lu, elle. Non, elle n'a pas lu Elle ; elle, elle a lu. Elle a lu Pagnol, alors que vous la soupçonnez d'avoir bu la gnôle...

      Par ailleurs : " ...le château de campagne des du Plessis-Guénégaud ", le " du " n'est-il pas indu ?

      Supprimer
    6. Je me doutais qu'il fallait chercher l'allusion de ce côté, mais sans en être sûr, n'étant guère un familier de Pagnol.

      Pour la particule : la règle (de moins en moins suivie de nos jours, je vous l'accorde) veut que les particules "du", "des" et "d'" soient inamovibles. Seul le "de" peut sauter, SAUF pour les noms d'une seule syllabe (on dire : de Mun et non : Mun) et pour ceux de deux mais dont la seconde est muette. C'est pourquoi les Goncourt mettent un point d'honneur à toujours parler de "de Sade" et non de "Sade" lorsqu'ils évoquent le divin marquis.

      Supprimer
    7. Mais, à l'inverse, les particules "de" doivent-elles obligatoirement sauter devant les noms de plusieurs syllabes ? Doit-on dire "le cheval de Kervasdoué", ou peut-on dire,
      si on préfère" le cheval de de Kervasdoué"?

      Supprimer
    8. Notez que ceci n'a aucune importance,la particule n'étant pas un signe de noblesse.

      Supprimer
    9. En principe, la particule doit sauter, dès lors qu'on ne donne pas le prénom ou le titre de la personne. Je dis "en principe" car on rencontre beaucoup d'entorses.

      Par exemple Balzac : il nomme l'un de ses personnages "du Tillet", en lui laissant sa particule comme il se doit ; en revanche, en parlant d'un autre, il dit toujours "de Marsay", ce qui est incorrect.

      D'autre part, que la particule soit signe de noblesse ou non ne change rien à l'affaire, et d'autant moins qu'il faudrait alors, pour chaque nom qui se présente, déterminer s'il s'agit d'un "vrai" noble ou d'un "faux".

      Et comme à peu près personne, hors une poignée de maniaques, n'est capable de savoir où finit le faux et où commence le vrai…

      Cela étant, lorsqu'on parle de gens fréquentant les salons ou la Cour des XVIIe et XVIIIe siècles, le problème ne se pose pas.

      Supprimer
    10. ( je n'ai pas compris la dernière phrase: tous n'étaient pas des nobles !).
      Pas d'accord : si la particule était un titre de noblesse, on n'aurait pas le droit de la retirer en écrivant.
      Tout comme, à l'inverse, on n'a pas à désigner par "prince" ceux qui s'attribuent abusivement ce titre qui n'est pas héréditaire (le malheureux ministre de Broglie) : il n'y a plus de princes en France, puisqu'il n'y a plus de principautés ( sauf le président de la République, qui est coprince d' Andorre).

      Supprimer
    11. À noter d'ailleurs que, d'après ce que vous venez de m'apprendre, "prince de Broglie" se prononçant " prince de Breuil ", cette prononciation monosyllabique devrait faire sauter le "de" ( tout comme pour le général de Castries, qui se prononce " Castres"). D'autre part, le "prince" étant abusif car non héréditaire, il ne lui reste finalement que " Monsieur Broglie" ( prononcer " Monsieur Breuil").

      Supprimer
    12. Vous mélangez tout et racontez un peu n'importe quoi. Il y eut par exemple, à l'époque de Louis XIV, un prince de Guéméné : pensez-vous que cette petite ville bretonne était une "principauté" au sens où vous semblez l'entendre ?

      J'aurais aussi bien pu prendre comme exemple les princes de La Roche-sur-Yon, notez…

      Pour ce qui concerne le cas de Broglie/Breuil et de Castries/Castres, je me suis déjà posé la question… et n'ai pas trouvé de réponse !

      Supprimer
    13. Quant à ma dernière phrase, je voulais dire que les roturiers, de toute façon, n'étaient pas reçus, en tout cas au XVIIe, sauf exceptions fort rares. Et les "faux nobles" étaient démasqués aussi vite qu'ils avaient eu la hardiesse d'apparaître.

      Supprimer
    14. Enfin une explication claire sur la règle de la particule même si Arié demeure Arié. Je me souviens d'une discussion sur le forum de l'in-nocence où à la fin j'ai eu un moment de solitude car mon esprit était encore plus embrouillé qu'au début. Heureusement que Pierre Dac n'a pas décidé de nous expliquer les règles autour de la particule et qu'il est resté dans l'adultère :
      " Une femme mariée à un homme qui la trompe avec la femme de son amant, laquelle trompe son mari avec le sien et qui en est réduite à tromper son amant avec celui de sa femme parce que son amant est son mari et que la femme de son époux est la maîtresse d'un homme déshonoré par l'amant d'une femme dont le mari trompe sa maîtresse avec la femme de son amant ne sait plus où elle en est ni ce qu'elle doit faire pour ne pas compliquer encore une situation qui l'est déjà suffisamment comme ça."
      Sinon félicitations pour vos derniers billets très enlevés.

      Supprimer
    15. Avoir un grand moment de solitude au sortir d'une discussion "in-nocente" est une chose normale et même saine. Surtout si l'impitoyable phraseur Francis Marche s'en est mêlé…

      Supprimer
  3. Merci pour ce moment d’histoire bien éloigné de la petitesse de la nôtre

    RépondreSupprimer
  4. La marquise de Sévigné était une mère abusive, toxique et cupide.
    Bussy-Rabutin a été trahi par une put*ain.
    Rien n'a vraiment changé.

    RépondreSupprimer
  5. Arrétez, je vous en supplie. La comparaison entre cette époque et la notre est trop cruelle et vos rappels nous mettent au supplice.
    Si quelqu'un pouvait m'assurer qu'il existe encore un lieu en France ou en Europe ou se reunissent par amitié les descendants par l'esprit de Melle de Scudery, La Rochefoucault, Mme de Sévigné, Boileau ou Racine, ma vieillesse serait moins ronchoneuse!
    En attendant, j'étais entrain de relire les lettres de Mme de Sévigné où elle évoque les repas pour tenter d'en tirer des recettes car non seulement leurs "soirées entre potes" avaient de la tenue coté conversation mais dans l'assiette, c'était pas mal non plus. Votre billet tombe à point et encourage mes travaux!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Concordance des grands esprits…

      Supprimer
    2. Bien sûr que ces lieux existent encore de nos jours : Facebook, Twitter, etc.

      Supprimer
    3. Je ne le fréquente pas beaucoup et il me semble que l'on y mange moins bien ...

      Supprimer
  6. Elle n'a rien à faire là où elle est !

    RépondreSupprimer
  7. Il y a aussi le problème des nobles à double titre, par exemple " Jean de Kerguiziau de Kervasdoué " ; s'il s'était appelé " Jean de Kerguiziau de Mun", faudrait-il faire sauter le 2ème "de" , et l'appeler " Jean de Kerguiziau Mun "? Lui-même ne le fait pas, en tous cas.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Vous n'êtes pas un peu fatigué de raconter n'importe quoi ?

      Supprimer
    2. Ah, oui, c'est l'inverse, désolé ! Je reformule :
      Vous avez écrit " Seul le "de" peut sauter, SAUF pour les noms d'une seule syllabe (on dire : de Mun et non : Mun) .
      Donc, s'il s'appelait " de Mun de Kervasdoué ", il faudrait dire" de Mun Kervasdoué " ?
      Bon, j'abandonne, ce n'est pas mon domaine...

      Supprimer
    3. (moi, c'est Anatole, Anatole du Je-t'en-queue de Befey)

      Supprimer
    4. Et si on supprimait toutes les particules, tout simplement ? Curieux, ce pays qui se réfère tant aux " valeurs de la République", mais où tant de gens attachent une telle importance à descendre d'un noble, vrai ou faux...

      Supprimer
    5. Il est parfaitement inutile de supprimer les particules (que diraient les physiciens ?), puisque nous en sommes au stade où ce sont les noms de famille qui disparaissent : bientôt, nous ne serons plus que notre prénom. C'est déjà en route…

      Supprimer
    6. Un retour au passé, en somme ? Parce que les noms dits "de famille" n'ont longtemps servi qu'à préciser non pas la filiation, mais de qui on parlait

      : "Martin Dupont" désignait le Martin qui habitait près du pont, et à éviter qu'on le confonde avec "Martin Dumoulin", celui qui s'occupait du moulin. Comme les gens bougeaient peu, cette précision s'appliquait aussi à leurs enfants, et concernait souvent toute la famille. Mais c'est assez tard ( j'ignore quand) que Martin Dupont est resté Dupont même s'il allait habiter loin du pont.

      Supprimer
    7. (suite) ... et c'est encore plus tard (j'ignore toujours quand) que,saisi de prétentions nobiliaires, il s'est mis à écrire son nom Martin du Pont... revenant ainsi aux origines de cette particule.

      Supprimer
    8. Et prudemment, vers 1791 ou 92, il est redevenu Dupont en un seul mot, histoire d'éviter la bascule à Charlot…

      Supprimer

La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.