Une fois de plus, l'impossible pari a été tenu : roman terminé ! L'Écrivain en bâtiment explose-t-il d'allégresse pour autant ? Y a qu'à lire, c'est juste en dessous...
dimanche 25 mars 2007
Terminer un roman (expérience morne)
On en rêve dès la première phrase du chapitre premier : le moment où l'on va asséner un point final à la dernière de l'ultime. Ça vous soutient pendant huit à dix jours, le temps de régurgiter vos 250 feuillets. (Il ne va pas, ce verbe, puisque, les feuillets, l'auteur ne les a jamais ingurgités (ou alors, ça se saurait). On va donc s'en forger un, rien que pour ce message (prière de l'oublier juste après lecture) : le verbe "gurgiter".)
Donc - on se reprend -, ça vous soutient pendant huit à dix jours, le temps de gurgiter vos 250 feuillets.
[Bon, là, j'ai besoin d'une nouvelle parenthèse. Pour pas que ce soit toujours aux mêmes, je vous balance des crochets (du gauche, en ce qui me concerne) et je vous double tout ça avec des italiques, histoire de réveiller les distraits. Il va de soi (pas sûr, d'ailleurs) que je parle pour les petites merdouilles qu'on usine à la chaîne en tâcheron, afin de gagner la vie de l'Irremplaçable Épouse, mais non des vrais grands beaux romans que-l'on-porte-en-soi, et dont, suprême récompense, Juaniño fera ensuite une critique absconse mais substantielle sur un blog où les foules se bousculent (pour sortir).]
Bref, dès l'incipit, la clausule vous motive grave (ce, pour montrer que, moi aussi, je sais des mots). Or, que se passe-t-il, lorsqu'il arrive enfin, ce point tant espéré ? Quels phénomènes se déclenchent alors, dans le cerveau, les nerfs, le coeur, la viande et même parfois les couilles de l'écrivain en bâtiment ?
Rien. Il ne se passe rien. Il met l'ordinateur en veille (parce qu'il sait qu'il va revenir tout à l'heure et assommer tout le monde avec ses bloguesques considérations), il quitte son bureau et va retrouver l'Irremplaçable Épouse, laquelle est bien tranquille dans son fauteuil à lire Rannoch Moor (putain ! le temps qu'il m'a fallu pour mémoriser ce titre...). Il retire sa cote maculée d'éclaboussures syntaxiques, prend une petite douche pour éliminer la transpiration grammaticale, il enfile des vêtements civils, il se sert un verre - et mime la joie d'en avoir terminé avec son dur (mais sain et honnête) labeur.
Seulement, de joie, il n'y a pas. C'est comme ça. À chaque fois. Depuis le début, le premier de cette série de plus de cent. En place de joie (oh ! non, on n'en demande pas tant : un soulagement suffirait), il y a une sorte de vague gueule de bois (avant même de commencer le premier verre : c'est fort), un écoeurement imprécis qui ne sait pas trop où se fixer, qui hésite entre l'existentiel et l'organique.
Le lendemain, la sensation a disparu (et déjà là, maintenant, à vous la décrire...). Le lendemain, c'est plein soleil. On se réveille avec la sensation que le temps sera infini, avant le prochain incipit. On sait qu'on se trompe, mais on prend plaisir à cette tromperie. Et on se dit qu'il sera tellement bon, tellement merveilleux, tellement soulageant, l'instant magique du point final...
Non, en réalité, le seul vrai moment jouissif, c'est celui où le chèque miraculeux atterrit dans la boîte aux lettres, un matin semblable à tous les autres. Là, l'écrivain en bâtiment, après un crochet à l'agence du Crédit Lyonnais, la tête haute et le regard droit, va au bistrot le plus proche retrouver ses amis, peintres en bâtiment, sculpteurs en bâtiment, poètes en bâtiment, parodontologues en bâtiment, que sais-je.
Il offre une tournée, se sent largement payé de ses efforts solitaires par les clameurs de joie montant de toutes ces gorges en bâtiment, et, ensuite, ils vont tous ensemble jouer de l'accordéon sur les murs de l'usine, comme leurs grands-pères le faisaient à l'époque du Front Populaire - sauf qu'eux ils ont un peu trop bu, et ils finissent par se casser la gueule.
Terminer un roman (expérience morne)
On en rêve dès la première phrase du chapitre premier : le moment où l'on va asséner un point final à la dernière de l'ultime. Ça vous soutient pendant huit à dix jours, le temps de régurgiter vos 250 feuillets. (Il ne va pas, ce verbe, puisque, les feuillets, l'auteur ne les a jamais ingurgités (ou alors, ça se saurait). On va donc s'en forger un, rien que pour ce message (prière de l'oublier juste après lecture) : le verbe "gurgiter".)
Donc - on se reprend -, ça vous soutient pendant huit à dix jours, le temps de gurgiter vos 250 feuillets.
[Bon, là, j'ai besoin d'une nouvelle parenthèse. Pour pas que ce soit toujours aux mêmes, je vous balance des crochets (du gauche, en ce qui me concerne) et je vous double tout ça avec des italiques, histoire de réveiller les distraits. Il va de soi (pas sûr, d'ailleurs) que je parle pour les petites merdouilles qu'on usine à la chaîne en tâcheron, afin de gagner la vie de l'Irremplaçable Épouse, mais non des vrais grands beaux romans que-l'on-porte-en-soi, et dont, suprême récompense, Juaniño fera ensuite une critique absconse mais substantielle sur un blog où les foules se bousculent (pour sortir).]
Bref, dès l'incipit, la clausule vous motive grave (ce, pour montrer que, moi aussi, je sais des mots). Or, que se passe-t-il, lorsqu'il arrive enfin, ce point tant espéré ? Quels phénomènes se déclenchent alors, dans le cerveau, les nerfs, le coeur, la viande et même parfois les couilles de l'écrivain en bâtiment ?
Rien. Il ne se passe rien. Il met l'ordinateur en veille (parce qu'il sait qu'il va revenir tout à l'heure et assommer tout le monde avec ses bloguesques considérations), il quitte son bureau et va retrouver l'Irremplaçable Épouse, laquelle est bien tranquille dans son fauteuil à lire Rannoch Moor (putain ! le temps qu'il m'a fallu pour mémoriser ce titre...). Il retire sa cote maculée d'éclaboussures syntaxiques, prend une petite douche pour éliminer la transpiration grammaticale, il enfile des vêtements civils, il se sert un verre - et mime la joie d'en avoir terminé avec son dur (mais sain et honnête) labeur.
Seulement, de joie, il n'y a pas. C'est comme ça. À chaque fois. Depuis le début, le premier de cette série de plus de cent. En place de joie (oh ! non, on n'en demande pas tant : un soulagement suffirait), il y a une sorte de vague gueule de bois (avant même de commencer le premier verre : c'est fort), un écoeurement imprécis qui ne sait pas trop où se fixer, qui hésite entre l'existentiel et l'organique.
Le lendemain, la sensation a disparu (et déjà là, maintenant, à vous la décrire...). Le lendemain, c'est plein soleil. On se réveille avec la sensation que le temps sera infini, avant le prochain incipit. On sait qu'on se trompe, mais on prend plaisir à cette tromperie. Et on se dit qu'il sera tellement bon, tellement merveilleux, tellement soulageant, l'instant magique du point final...
Non, en réalité, le seul vrai moment jouissif, c'est celui où le chèque miraculeux atterrit dans la boîte aux lettres, un matin semblable à tous les autres. Là, l'écrivain en bâtiment, après un crochet à l'agence du Crédit Lyonnais, la tête haute et le regard droit, va au bistrot le plus proche retrouver ses amis, peintres en bâtiment, sculpteurs en bâtiment, poètes en bâtiment, parodontologues en bâtiment, que sais-je.
Il offre une tournée, se sent largement payé de ses efforts solitaires par les clameurs de joie montant de toutes ces gorges en bâtiment, et, ensuite, ils vont tous ensemble jouer de l'accordéon sur les murs de l'usine, comme leurs grands-pères le faisaient à l'époque du Front Populaire - sauf qu'eux ils ont un peu trop bu, et ils finissent par se casser la gueule.
Gouverner c'est boire, mais qu'est-ce que je dis ? non, gouverner c'est prévoir !
RépondreSupprimerBravo pour cette mise au monde, j'espère que ça n'a pas trop été dans la douleur ?
RépondreSupprimerVous vous mettez combien de fois dans l'année une pression pareille ?
En vous lisant j'ai repensé à deux sexagénaires parlant de leurs enfants bientôt-mais-pas-tout-de-suite trentenaires : Mais pourquoi faut-il qu'ils fassent toujours tout dans l'urgence ???
Aurélie : six fois par an...
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