mercredi 11 juin 2008

Le jour où l'on n'a pas dîné avec Léo Ferré (III)

L'idée était la suivante : puisque, pour nous rendre de Rome à Venise, nous allions traverser la Toscane de part en part, nous passerions forcément à proximité du village où Léo Ferré vivait avec sa petite famille, depuis le tout début des années soixante-dix.

Léo, vers 15 ou 16 ans, je l'ai d'abord aimé pour emmerder mon père, qui ne le supportait pas : on a connu des révoltes adolescentes moins bénignes. Ma mère l'aimait bien, elle. En 1955, année de leur mariage, mon père et elle avaient même failli aller l'entendre chanter à L'Olympia. Mais l'aversion de Daniel pour le Monégasque avait finalement été plus fort que son amour flambant neuf pour la jeune Ardennaise, et il avait refusé tout net. Voir mon père refuser quelque chose à ma mère, et celle-ci se soumettre, est une scène dont il convient de bien profiter, et longuement : elle ne se reproduira que très peu souvent, durant les 53 années à venir.

Christiane aimait bien Léo, donc. Mais essentiellement celui des années cinquante, de ce rendez-vous raté à L'Olympia, tandis que j'en tenais, moi, pour l'imprécateur chevelu des années 1970 - 1973, des expériences rock hasardeuses, Amour Anarchie, toute la lyre. En somme, on avait chacun son Léo - avant que je n'annexe le sien, un ou deux ans plus tard. Mon père se confinait dans un mutisme dédaigneux, se contentant, de loin en loin, d'arracher les grossières provocations antimilitaristes que j'affichais exprès sur les murs de ma chambre : c'était un père très coopératif, de ce point de vue.

Je n'ai vu Léo Ferré sur scène qu'une seule fois, en 1973, accompagné par Paul Castanier au piano, dans un cinéma orléanais qui n'existe plus depuis longtemps, boulevard Rocheplatte. Aux murs latéraux y subsistaient encore des fresques ternies et poussiéreuses, sortes de décors permanents qui témoignaient d'un passé d'opérette remontant loin aux années d'avant moi.

J'ai dans la tête
Un vieux banjo
De 1925...


Je n'écoute plus beaucoup Léo, aujourd'hui. Savoir qu'il est rangé là, au bas de la discothèque, me suffit. De toute façon, je n'écoute plus les chanteurs de mon adolescence, hormis Trenet et lui, de fort loin en fort loin. Quant aux pousseurs de couplets actuels, je n'en veux rien savoir. Par principe. Par indifférence. Parce que le temps des chansons a passé, comme l'eau sous les ponts Mirabeau.

Voyant tes remous tes ressacs
Tout au long du quai rectiligne
Un moment je t'avais cru digne
De m'écouter vider mon sac...

Parfois, lorsque l'Irremplaçable est absente, que les chiens ont mangé et réintégré leurs paniers, que la nuit va venir, je glisse un de ses disques dans la machine à sons, juste pour vérifier que je connais encore tout cela par coeur.

Nous avons eu nos nuits comme ça moi et moi
Accoudés à ce bar devant la bière allemande
Quand je nous y revois des fois je me demande
Si les copains de ces temps-là vivaient parfois...

Généralement, cette visite à Monsieur mon passé s'accompagne d'une plongée plus ou moins douce et raisonnée dans l'alcool, que je paie le lendemain sans sourciller ni me plaindre ; de toute façon, il n'y a personne à qui se plaindre.

Eh ! Monsieur Richard !
Le dernier...
Pour la route !

Ce Monsieur Richard qui me fait chaque fois penser à toi, pour qui Léo Ferré n'était qu'un vieux phraseur boursouflé et un peu ridicule. Il n'empêche que j'ai bien failli vous mettre en présence, vers la fin du mois de mai 1985, et je me demande encore ce qu'il serait advenu de cette rencontre, sur le flanc doux d'une colline de Chianti.

21 commentaires:

  1. Votre père n'était pas seul ... Brel et Brassens se moquaient de ce fils de bourgeois de Monaco qui se la jouait !

    iPidiblue anar de réserve

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  2. Au sujet de chanteurs "engagés", j'ai revu Maxime Le Forestier, complètement éteint, vieux pépé qui ne veut plus révolutionner la société mais juste vivre en rentier le reste de son âge ... tout ça pour ça !
    Renaud ne boit plus et s'est refait une vie d'abstinent chronique avec une jeunette ...
    Quant à Cohn-Bendit il commente l'Euro 2008 !
    Décidément il y a des gens qui feraient mieux de ne pas vieillir !
    Tous notaires dans dix ans disait Jouhandeau des soixante-huitard ...

    iPidiblue la révolution en chantant

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  3. En fait le seul qui soit resté cohérent et lucide c'est Brel, il a pris sa retraite à 37 ans, inutile de continuer si c'est pour tricher ...
    N'est-ce pas lui qui chantait "les bourgeois" ?

    iPidiblue intrinsèquement pervers

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  4. Assez d'accord avec Ipide. Ferré est un excellent chanteur (ses chansons sur les textes d'Aragon sont magnifiques), mais un exécrable "poète", et un musicien, n'en parlons même pas, tout à fait ridicule. Brel avait mille fois plus de talent. On peut écouter Ferré à 17-19 ans, en se la jouant, mais alors à cinquante ans…

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  5. Georges : en fait, nous sommes d'accord, à propos de Ferré. Je l'ai écouté entre 16 et 20 ans, disons. Aujourd'hui, quand il m'arrive de metre un disque de lui, c'est plutôt ma jeunesse d'alors, que j'écoute.

    Quant à Brel, je le trouve totalement grotesque, bouffi de prétention, après l'avoir adoré. Ce qui m'a déjà valu quelques petites volées de bois vert du côté de chez iPidiblue...

    Pour ce qui est des chanteurs engagés, je trouve que Le Forestier vieillit tout de même beaucoup mieux que Renaud, qui a sombré dans le pitoyable, notamment en vendant son mariage à Paris-Match.

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  6. iPidiblue : comme fils de bourgeois, Brel n'avait rien à envier à Ferré, il me semble !

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  7. Oui iPidigoux, vous avez raison sur toute la ligne ! Mais Brel lui savait bien d'où il venait ... et quand il chante les Bourgeois vous oubliez qu'il se met lui-même en scène à la fin en notaire qui sort de l'hôtel des 3 faisans - tout un programme - satisfait et repu de lui-même !
    Brel c'est de l'acide, cela décape ... c'est peut-être cela qui vous indispose ! Il ne vous laisse pas en paix ...


    iPidibluette en 45 tours

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  8. Vous avez d'ailleurs tout à fait faux sur toute la ligne quant à la suffisance de Brel, il l'a suffisamment répété, ses chansons ce sont des cachets d'aspirine rien de plus, il l'a dit et redit en trois minutes on n'écrit pas un roman. Il ne se prenait ni pour un révolutionnaire, ni pour un penseur, ni pour un intellectuel juste pour un type qui vit sa vie, à cheval entre la bourgeoisie et la bohème.
    Franchement question suffisance, il y a assez d'Aznavour !

    iPidiblue suffisamment lui-même

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  9. Brel singeait très bien la modestie, en effet. Mais, dans les interview que j'ai pu voir de lui, l'autosatisfaction ne tarde jamais beaucoup à transparaître derrière.

    Enfin, bon, on ne va pas se chamailler pour un chanteur mort depuis trente ans !

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  10. Oui, en somme vous lui reprochez d'être mort à 49 ans - marque d'immodestie - alors que vous êtes encore vivant à 52 ans !
    Je trouve que vous aussi vous singez parfaitement la fausse modestie ... je n'en dirai pas plus !

    iPidiblue ne nous fâchons pas !

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  11. Vous savez Didier nous avons tous nos quartiers de vanité - comme d'autres avaient des quartiers de noblesse - je me souviens que vous êtiez très fier de dire que jeune écrivain vous abattiez tant de signes par jour sur votre machine à écrire et l'autre idiot de Francis Marche vous avait fait une querelle d'allemand à ce sujet !

    Dans une très belle chanson consacrée à son copain Jojo - son chauffeur et son faire-valoir si vous préférez - Brel raconte que dans leurs nuits de beuveries et de fûmeries ils se racontaient l'un sa guerre, l'autre son Olympia ... voilà tout est dit !
    Des histoires de pauvres types qui se font mousser un moment dans une arrière-salle de restaurant !


    iPidiblue

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  12. Tiens, Jojo. C'est l'une des rares chansons réussies de son dernier disque, ça. Vous savez, iPidiblue, ce n'est pas la peine de m'expliquer ce que racontent les chansons de Brel : je dois en connaître entre la moitié et les trois quarts par coeur.

    Du reste, je serais bien incapable d'expliquer mon rejet violent de Brel, aux alentours de ma trentième année. Ainsi, Brassens, que je connais également par coeur quasiment de bout en bout, Brassens m'ennuie un peu aujourd'hui, mais ce rejet ne s'est jamais produit : on s'est séparé à l'amiable.

    Quant à Ferré, je vois parfaitement ses faiblesses, ses ridicules, ses enflures, ses discours faux, sa démagogie, etc. Mais, lui, il reste.

    Ah ! j'ai failli oublier Aznavour, parmi les vieux chanteurs qu'il m'arrive encore d'écouter. Il est à mon enfance ce que Ferré a été pour mon adolescence.

    Pour ce qui est de nos petites vanités, vous avez évidemment raison.

    iPidigoux comme Artaban

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  13. Oui la haine n'est jamais que l'envers de l'amour ... tout vaut mieux que l'indifférence indéchiffrable;

    Dans "Les Bourgeois" Brel dit : "Et moi qui était le plus fier je me prenais pour moi !"
    Vous croyez qu'il trichait en disant cela ?

    iPidiblue ou l'orgueil de n'être que soi

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  14. "...tout comme le violon prend le sien avec l'archet qui le touche."

    "La musique ? C'est ce qui m'empêche d'être totalement incroyant, c'est le doigt de Dieu posé sur le coeur des hommes".

    Georges ! Regardez le coeur pas le doigt. Vous y verrez la lune.

    Marcel...
    de retour dans son bac à sable.

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  15. Marcel, c'est vous qui vous êtes réveillé quand ils ont voulu prélever votre cœur ? Salaud, égoïste !

    M'étonne pas, tiens !

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  16. c'est d'un drôle toutes ces critiques littéraires,poétiques etc... c'est pas piqué des vers ça, ma préférence allant aux envolées sur la prétention

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  17. C'est le Ferré de l'arène ici...

    Ipudesloups Un pour tous

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  18. "Le complexe de panoplie
    que l'on oublie à la buvette
    c'est l'homme."

    Restif en visite (l'air est plus serein ces temps-ci.)

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  19. Salut Martin-Lothar King !

    iPidiblue te salue !

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  20. Où avez-vous planqué l'éponge Didier qu'on nettoie le zinc ?

    iPidiblue nettoyeur à sec

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  21. Ce post m'a beaucoup aide dans mon positionnement. Merci pour ces informations

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.