Pourquoi ce soir ? Mon père pourrait attendre. Du reste, il ne demande rien. Les hommes de ma lignée ne demandent jamais rien : ils se contentent de ce que l'existence leur donne, notamment en matière de femmes.
Les hommes de ma race aiment les femmes qui leur échoient, et je suis leur successeur impeccable, il me semble. Les femmes de ce lignage sont plus fortes que les hommes qu'elles choisissent. Les choisissent-elles ? Je le crois. Elles sont plus fortes - toutes. Les hommes, eux, sont contents de cette faiblesse d'eux-mêmes que les femmes leur camouflent. D'une certaine manière, ils y gagnent. Ainsi, mon grand-père m'a toujours paru être d'une qualité supérieure à ma grand-mère (il avait la carrure pour mourir de soif auprès de la fontaine, elle non) - et c'est probablement pour cette raison qu'il est mort depuis quinze ans, lorsqu'elle est toujours vivante : sa longévité (à elle) ne peut guère lutter contre son sourire et sa voix (à lui).
Mais je devais parler de mon père. On m'a toujours dit que je ressemblais à ma mère. D'après mon frère et ma soeur, je dois même être son "chouchou". C'est peut-être vrai. Mais alors, pourquoi, chaque année passant, me sens-je de plus en plus proche de cet homme, Daniel Goux, avec qui je bavarde volontiers mais jamais ne parle ? Pourquoi son visage, quand je l'évoque, m'émeut-il un peu plus chaque fois ? Par quelle alchimie suis-je certain, à chaque heure davantage, que sa mort me plongera dans des abîmes que je ne veux pas sonder, mais que, peut-être... peut-être quoi ?
J'allais écrire : que peut-être quelques paroles suffiraient à combler. C'est faux, évidemment. Daniel et Didier ne se sont jamais parlé : pourquoi commenceraient-ils ce jour ? Ou demain ? De toute façon, il n'y aura pas de demain, pour Daniel et Didier Goux. Nos lendemains sont derrière nous, si je puis me permettre cette indélicatesse, cette indiscrétion.
Néanmoins...
Nulle envie de mettre fin à ce billet, dans lequel je n'ai finalement rien dit, où le visage de mon père reste invisible, y compris à mes yeux, pourtant bien ouverts, il me semble.
Par quel sombre miracle parvenons-nous à devenir si vieux tout en restant tellement enfant, tellement stupide, touchant d'une main au berceau, de l'autre à la pierre et à la croix ?
Et comment devient-on aussi pompeux et grandiloquent, parlant de choses naturelles, éprouvées par tant de générations ?
Les hommes de ma race aiment les femmes qui leur échoient, et je suis leur successeur impeccable, il me semble. Les femmes de ce lignage sont plus fortes que les hommes qu'elles choisissent. Les choisissent-elles ? Je le crois. Elles sont plus fortes - toutes. Les hommes, eux, sont contents de cette faiblesse d'eux-mêmes que les femmes leur camouflent. D'une certaine manière, ils y gagnent. Ainsi, mon grand-père m'a toujours paru être d'une qualité supérieure à ma grand-mère (il avait la carrure pour mourir de soif auprès de la fontaine, elle non) - et c'est probablement pour cette raison qu'il est mort depuis quinze ans, lorsqu'elle est toujours vivante : sa longévité (à elle) ne peut guère lutter contre son sourire et sa voix (à lui).
Mais je devais parler de mon père. On m'a toujours dit que je ressemblais à ma mère. D'après mon frère et ma soeur, je dois même être son "chouchou". C'est peut-être vrai. Mais alors, pourquoi, chaque année passant, me sens-je de plus en plus proche de cet homme, Daniel Goux, avec qui je bavarde volontiers mais jamais ne parle ? Pourquoi son visage, quand je l'évoque, m'émeut-il un peu plus chaque fois ? Par quelle alchimie suis-je certain, à chaque heure davantage, que sa mort me plongera dans des abîmes que je ne veux pas sonder, mais que, peut-être... peut-être quoi ?
J'allais écrire : que peut-être quelques paroles suffiraient à combler. C'est faux, évidemment. Daniel et Didier ne se sont jamais parlé : pourquoi commenceraient-ils ce jour ? Ou demain ? De toute façon, il n'y aura pas de demain, pour Daniel et Didier Goux. Nos lendemains sont derrière nous, si je puis me permettre cette indélicatesse, cette indiscrétion.
Néanmoins...
Nulle envie de mettre fin à ce billet, dans lequel je n'ai finalement rien dit, où le visage de mon père reste invisible, y compris à mes yeux, pourtant bien ouverts, il me semble.
Par quel sombre miracle parvenons-nous à devenir si vieux tout en restant tellement enfant, tellement stupide, touchant d'une main au berceau, de l'autre à la pierre et à la croix ?
Et comment devient-on aussi pompeux et grandiloquent, parlant de choses naturelles, éprouvées par tant de générations ?
votre si beau billet sur l'enfant appelait celui-ci.
RépondreSupprimerLe voilà.
Oh mon tonton préféré ! Pas vu depuis... une triste date. Au moins, donne lui un gros bisou pour moi.
RépondreSupprimerOui, la mort du père est un goufre qu'on ne peut franchir que dans un sens, comme l'impression que les autres, ceux restés encore sur l'autre lèvre de la plaie béante en sont encore épargnés et bienheureux. Comme s'ils étaient encore ignorant de toute douleur...
RépondreSupprimerMon père était né le 14 septembre...
:-]
Quand mon père est devenu père il était plus vieux que vous. J'étais comme il me disait son " son pèché de vieillesse".
RépondreSupprimerIl est mort quand j'avais 15 ans.
Un gouffre oui c'est vrai, qu'on essaie dans ce cas de combler par l'imagination.
Le pire est que je viens de m'aviser que l'anniversaire de mon père était le 10 septembre et que, cette année, exceptionnellement, j'ai oublié de l'appeler...
RépondreSupprimerVous vous surpassez Didier, ce texte est de toute beauté !
RépondreSupprimerMagnifique texte... qui me coupe le sifflet !
RépondreSupprimerMoi aussi je l'aime ce texte, mais je l'aurais aimé plus long. Peut-être parce que je connais ton père.
RépondreSupprimerArg ! Didier, arrêtez votre blog, mettez tout ça dans un livre qu'on en finisse... c'est vrai qu'il n'est pas long, sans doute parce qu'il ne devrait pas se finir dans un billet, mais plutôt s'abîmer au "néanmoins"...
RépondreSupprimerCatherine & Balmeyer : z'avez qu'à le rallonger vous-mêmes, je vous laisse les clés...
RépondreSupprimerMon commentaire est incompréhensible, j'ai oublié des mots au milieu... Je reprends plus simplement : l'interruption au "Néanmoins..." est poignante, voilà tout.
RépondreSupprimerMoi je n'ai jamais souhaité son anniversaire à mon père, le 4 janvier, et c'est ma fille par contre qui pense à le lui souhaiter, peut-être parce qu'elle est née un 10 janvier (une année nous avons avec surprise découvert écrit de sa main d'enfant : miteran, au 9 janvier, sur le calendrier des postes pendu à la cuisine, (pourtant aucun souvenir d'avoir parlé de sa mort à la maison cette année).
RépondreSupprimerVous avez le temps, Didier, de vous rattraper : l'anniversaire (à un âge un peu mûr) se fête à une date incertaine, comme la sensation qu'on a de soi-même, ce n'est que lorsqu'on est jeune que ce doit être pile le bon jour, enfin c'est mon point de vue. "Où est mon dix zanvier ? " demandait notre fille, avant de savoir lire, en prenant le calendrier à deux mains.
Anna R.
Parler à ses parents, leur dire combien on tient à eux, combien le temps passant on les comprend parce que "la Vie nous a appris à vivre" ( aurait dit mon grand-père) est toujours difficle.
RépondreSupprimerLe demi-siècle a beau avoir sonné nous restons les petits de ceux-là, alors que pour d'autres nous sommes déjà de vieilles badernes radotant sur un passé qu'ils ne connaîtront jamais et pour cause.
Pour vous, c'est votre père.
Pour moi c'est ma mère qui porte le même prénom que votre père.
Mais vous avez raison.
Ces femmes qui paraissent faibles mais sont plus fortes que leurs maris.
Et pourtant que n'ai-je dit à ma mère que je trouvais niaise parfois, passive de façade (je me contentais de cela, pêché de jeunesse ), soumise et que sais-je encore ?
Le temps m'a ouvert les yeux et le coeur (cette adolescenc(t)e ingrate et sans concession aucune qu'il nous faut passer vaille que vaille ) mais j'ai toujours autant de mal à lui dire que je l'aime.
Vais-je attendre l'instant où il sera trop tard ou bien est-ce un accord tacite entre nous deux ?
Vous touchez au sensible, à l'émotion, au sentiment avec Bonheur et oui... A quand un livre ?
Circé : il y a très loin, du blog au livre...
RépondreSupprimerPas grandiloquent, juste juste ; c'est tout le miracle : offrir au lecteur la compréhension exacte de ce qu'il ressent sans pouvoir le dire.
RépondreSupprimerBalmeyer a raison, qu'on en finisse, lire sur du papier est tellement plus agréable. Si j'osais je dirais que vous craignez de manquer de souffle ou d'histoire, d'une belle histoire à raconter ; comme vous avez tort !
Tiens justement, je parlais de mon père avant-hier..
RépondreSupprimerTiens justement, je parlais de mon père avant-hier..
RépondreSupprimerC'est "drôle" parce que j'ai une maman qui s'appelle Danielle, avec qui je discute mais ne parle pas et dont la disparition (à laquelle je me refuse de penser) me plongera à coup sûr dans un gouffre profond.
RépondreSupprimerTrop de pudeur et de non dits de part et d'autre, quel gâchis !Et pourtant juste 20 ans d'écart .
Et j'ai fait un blog pour "régler mes comptes avec elle", et je n'ai jamais eu le courage d'en parler. Je l'aime trop et elle ne le sait pas.
Très, très émouvant. Désolée quelques petites larmes me viennent aux yeux en vous lisant et je suis sûre que vous ne devinez même pas l'impact de vos mots, pas plus que leur richesse toute de subtilité ... ces mots qui tremblent de délicatesse et presque de regrets... surtout de regrets bien que vous vous en défendiez. J'ai eu envie d'ajouter à votre analyse un petit texte poétisé... n'ai pas osé tout simplement...
RépondreSupprimerMoi aussi j'ai eu un père qui parlait peu - et si je vous traduisais cela en vers - vous conviendriez, comme moi je suis arrivée à le faire avec les années - "qu'aimer ne veut pas dire parler" - et ce, en toute réciprocité...
Jeffanne
Maazz : c'est drôle "au carré", si je puis dire, dans la mesure où la mère de l'Irremplaçable, morte en... tiens, je ne sais plus... 1998 ? 99 ? en tout cas, s'appelait Danielle aussi et était née la même année que mon père, 1932. Si j'ajoute que son mari (le père de Catherine) était le frère aîné de mon père, vous commencez à saisir l'imbroglio...
RépondreSupprimerJeffane : Parler ne sert pas à grand-chose, quoi qu'il arrive, et quels que soient les personnes en présence, bien sûr.
Maaz, voyons, elle doit le savoir !
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