« De quoi avait peur Ivanov ? se demandait Ansky dans ses carnets. Pas du danger physique, car en tant qu'ancien bolchevique, il avait été très souvent sur le point d'être arrêté, emprisonné, déporté, et même si on ne pouvait pas dire de lui que c'était un type courageux, on ne pouvait pas non plus affirmer, sans mentir, que c'était quelqu'un de lâche et sans tripes. La peur d'Ivanov était de nature littéraire. C'est-à-dire que sa peur était la peur dont souffre la plus grande partie de ces citoyens qui décident un beau (ou un sale) jour de transformer l'exercice des lettres, et surtout l'exercice de la fiction, en partie intégrante de leurs vies. Peur d'être mauvais. Peur, aussi, de ne pas être reconnus. Mais, surtout, peur d'être mauvais. Peur que leurs efforts et leurs peines ne tombent dans l'oubli. Peur que leurs pas ne laissent pas d'empreintes. Peur que les éléments du hasard et de la nature effacent les empreintes peu profondes. Peur de dîner seul ou que personne ne remarque votre présence. Peur de ne pas être apprécié. Peur de l'échec et du ridicule. Mais surtout peur d'être mauvais. Peur d'habiter, pour toujours, l'enfer des mauvais écrivains. »
Roberto Bolaño, 2666, p. 819, Christian Bourgois éditeur.
Photo : Marcel Proust sur son lit de mort, par Man Ray, novembre 1922.
Roberto Bolaño, 2666, p. 819, Christian Bourgois éditeur.
Photo : Marcel Proust sur son lit de mort, par Man Ray, novembre 1922.
Très beau passage...
RépondreSupprimerMais c'est ce que je vous disais récemment, arrêtez de lire des livres. Laissez tomber René Girard et compagnie (de toutes façons vous les avez en vous !) et mettez-vous au travail !
Nom d'un Proust !
Voilà. C'est dit. Pas mieux.
RépondreSupprimerA la question : "Qu'est-ce qu'ils font les écrivains ? "...
L'autre, ça devait être Henry James, ou un garçon comme ça, répondait : "ils écrivent".
Au boulot, garçon.
Gnin gnin gnin...
RépondreSupprimerEt la belle photo de Marcel Proust, (je sais que je comprends vite mais qu'il faut m'expliquer longtemps... comme on me l'a fait remarquer) quel lien a-elle avec ce texte bizarre ? Parce qu'on y parle d'écrivains, c'est ça ?
RépondreSupprimerA.R.
Comme dirait Nicolas : Au boulot ! :)
RépondreSupprimerLe blog, c'est votre bataille de Lépante, faites vous arracher la main gauche, et dans quelques années, après quelques évasions, quand vous serez un vieillard de cinquante huit ans, vous nous sortez un petit Don Qui Shoote, un truc dans le genre !
Ah 2666 c'est chez Bourgois ! Voilà qui est un premier signe de qualité !
RépondreSupprimer[J'admirais Christian Bourgois...].
La remarque de Zoridae est juste, pour conjurer la peur, rien ne vaut la pratique. Ainsi, puisque j'ai le vertige, je passe mon temps à grimper sur des chaises pour vaincre la partie désagréable de cette sensation !
:-))
Proust est mort, Bolaño aussi,mais d'autres sont vivants et écrivant.
RépondreSupprimerLe narrateur de La Recherche était convaincu de sa médiocrité quand il lisait le journal des Goncourt. La hantise de ne pas faire assez bien, est-ce que ce n'est pas de la vanité souffrante ? Est-ce que l'écrivain est juge de ses livres pas encore écrits ?
Anna : aucun lien précis. Elle est affichée à ma gauche, dans mon bureau, donc je l'ai mise, voilà.
RépondreSupprimerBalmeyer : mais je suis gaucher !!!
Poireau : moi, je passe mon temps à ne pas monter sur les chaises, pour cause de vertige...
Suzanne : il peut être juge de ses tentaives, qu'il est seul à connaître.
Didier : ah bin vous voyez ! Allez, grimpez-moi ces chaises et plus vite que ça !
RépondreSupprimer:-))))
"il peut être juge de ses tentatives, qu'il est seul à connaître". Dans ce cas, on peut, au minimum, lui faire confiance.
RépondreSupprimerJe ne vais pas sonner à l'unisson de ceux qui vous demandent d'écrire.
Ce qui fait la spécificité de votre blog, ce qui me plait en lui, c'est qu'il est écrit, justement.
Pourquoi les textes "sérieux" que vous y mettez seraient-ils mieux ailleurs ? Je suis, pour ma part, très contente de les lire "ici", à l'écran. Si vous faisiez un livre de votre blog, je l'achèterais, mais comme mémoire des bons moments de lecture qu'il m'a procurés.
Je n'arrive pas à comprendre (c'est mon sentiment, pas un avis péremptoire) ce qui constitue la frontière entre la "vraie" littérature et l'autre. Aux extrèmes, c'est visible, évidemment. Mais en quoi vos textes sur Bergouze seraient ils mieux assis, plus lisibles, sur les pages d'un livre que sur votre blog ? C'est trop nouveau, la littérature numérique ? Je suis attristée quand je vois un beau blog disparaître ou s'éteindre. Parfois, plusieurs années d'existence, des centaines de commentaires, des articles réactifs, vivants, et paf: l'auteur annonce qu'il va tenter de franchir une étape "supérieure": mettre par écrit (c'est à dire sur papier ses méditations futures.
Et ce qui était plaisant, intéressant, valable, en tant que blog, devient banal quand la forme change.
Suzanne
Suzanne : votre dernier commentaire me semble particulièrement intéressant, en ce qu'il met en lumière une confusion de plus en plus fréquente, en tout cas chez certains blogueurs.
RépondreSupprimerFaire de la littérature, devenir écrivain, etc., ne consiste absolument, pour moi, à mettre bout à bout sur le papier (en les organisant plus ou moins) les textes qui se trouvaient auparavant sur le blog. Ça ne marche pas ; sauf cas exceptionnel, ça ne peut pas marcher.
Entre écrire de petits textes disparates, sans grand lien entre eux, même si certains peuvent être réussi, et produire une oeuvre littéraire, il y a un saut qualitatif énorme.
La distance, en fin de compte, est à peu près du même ordre que celle qui sépare le peintre du peintre en bâtiment, même quand le second manie joliment la couleur et le pinceau...
C'est pas bête ce que vous dites, Suzanne...
RépondreSupprimerPour ma part, tout bêtement, plus qu'une différence entre le blog et le livre, c'est le passage du texte très court au format long qui représente toute la différence.
En simplifiant, le blog, c'est la "facilité", le livre, la "difficulté". C'est facile de faire 50 lignes de qualité. C'est autre chose d'en faire 200 pages.
C'est une question de structure, aussi. La Littérature, c'est aussi, surtout, une vaste architecture où des "pans" entiers résonnent avec d'autres. Dans le blog, c'est impossible, il n'y a pas de "pans". Chaque billet se suffit à lui même.
L'émotion de voir une "Emma Bovary" évoluer, changer, c'est impossible à trouver dans le blog.
Après, il n'y a pas de malédiction, juste du travail. Mais il ne faut pas cracher sur le blog, c'est un jeu que j'estime énormément, et qui, personnellement, m'a fait progresser, sur certains points très précis.
Après, le roman, c'est une question de solitude, et comme dirait l'autre, "chacun sa merde !" :)
Balmeyer: j'approuve votre "il ne faut pas cracher sur le blog".
RépondreSupprimerCependant, s'il y a quantité de blogs d'Emma(s) Bovary(ies), certains bien troussés, bien écrits, il y a une seule Emma Bovary qui leur est infiniment supérieure littérairement, parce qu'elle touche à l'universel. C'est plutôt ça la différence, pour moi. Des centaines, des milliers de peintres ou écrivains amateurs, et peu qui touchent à l'universel.
J'aime bien les blogs où l'on n'écrit pas comme si l'on écrivait pour montrer que soi aussi on serait capable d'être écrivain. Ceux qui sont des journaux de bord, des albums de famille, des espèces d'espaces. Il y a des gens qui savent rédiger, qui ont de l'à propos, le coup d'oeil, et dont la lecture est intéressante, mais c'est en deça, ou aux portes de la littérature, pour moi, même si certains billets, certaines pages, ne dépareraient pas dans un bon grand roman.
Didier: vous êtes limite vexant, avec votre modestie, pour ceux qui n'ont pas le dixième de votre boite à outils (puisqu'on parle maçon,) en vous campant dans le camp des écrivains en bâtiment. Je suis convaincue que vous pourriez si vous pouviez, mais qu'un trop haut degré d'exigence vous bloque et qu'on
trouve partout des trucs édités genre que que si c'était vous, eh ben vous auriez fait bien mieux. J'aimerais lire de vous un polar littéraire qui sorte du carcan des BM, un roman noir libre, je ne sais pas pourquoi, j'ai l'impression que ce serait excellent.
Chère Suzanne, votre confiance m'honore et me touche. Moi aussi, j'ai parfois cette "impression". Seulement, entre l'impression et l'imprimé, si j'ose dire, il y a un monde.
RépondreSupprimerSuzanne, bravo ! En général j'aime beaucoup ce que vous écrivez : c'est toujours réfléchi, et là en plus, tous vos arguments, pour soutenir Didier Goux dans son travail, sont excellents.
RépondreSupprimerA.R.
Emma: merci pour votre gentillesse.
RépondreSupprimerEst-ce qu'un blog est un travail ?
Suzanne
Tiens, j'ai vu cette pièce hier.
RépondreSupprimerC'est curieux, je n'ai pas trouvé qu'Ivanov avait peur, mais plutôt qu'il était accablé de culpabilité... Beau texte tout de même.