Les jeunes gens – 25, 30 ans... – sont très souvent flattés lorsque les hommes d'un âge pour eux paternel adoptent, leur parlant, ce ton d'aimable connivence, cet allant-de-soi, ce plain-pied viril qui, le temps que dure la conversation, les élève au-dessus de ce qu'ils croient être – ne venez pas me dire le contraire : j'ai été ce jeune homme, même si je m'emploie à en effacer les traces. Cette fraternité naturelle, qu'ils perçoivent nettement mais sans bien se l'expliquer, leur semble un signe d'élection, la preuve indubitable qu'ils ont bien laissé derrière eux l'enfance qu'ils pensent encore leur coller aux sourires et aux paroles. Cette sorte de “ Entre ici, Jean Moulin ! ” leur paraît en effet une porte s'ouvrant à deux battants – et il n'y a plus qu'à y aller, en franchir le seuil.
Ces jeunes gens ont tort, et ils le sauront dans peu de temps : pas besoin d'argumenter. C'est juste qu'ils croient que ces 25 années qui les séparent de l'homme d'âge existent à double sens – or, il n'en est rien. Le quinquagénaire souriant, tutoyant, volontiers gouailleur n'est ainsi que parce qu'il a toujours 25 ans : il parle d'égal à égal, s'adresse naturellement à un camarade ; il ne voit pas le fossé au rebord duquel il va, un soir ou l'autre, trébucher. Il est seul à ne pas le distinguer, peut-être parce que ses yeux, eux, ont réellement leur âge. Il plaisante, plastronne, jongle avec les paradoxes, retombe sur ses pieds, sans voir qu'il le fait de plus en plus lourdement, et pour peu de temps.
Le malentendu est total, les rires fusent et réchauffent. Il se croit sur la piste du cirque, le fouet à la main : il est déjà dans l'arène ; l'orchestre se tait sans qu'il s'en aperçoive. Il a trente ans, comme tout le monde, car le monde a trente ans, il n'en démordra pas.
En fait, il en démordra, dès que ses dents le lâcheront, une à une ou en bloc ; et les chicots de l'homme d'âge ne serviront même pas de porte-bonheur aux jeunes gens - déjà plus si jeunes, mais l'ignorant encore.
Et cela suffit.
Ces jeunes gens ont tort, et ils le sauront dans peu de temps : pas besoin d'argumenter. C'est juste qu'ils croient que ces 25 années qui les séparent de l'homme d'âge existent à double sens – or, il n'en est rien. Le quinquagénaire souriant, tutoyant, volontiers gouailleur n'est ainsi que parce qu'il a toujours 25 ans : il parle d'égal à égal, s'adresse naturellement à un camarade ; il ne voit pas le fossé au rebord duquel il va, un soir ou l'autre, trébucher. Il est seul à ne pas le distinguer, peut-être parce que ses yeux, eux, ont réellement leur âge. Il plaisante, plastronne, jongle avec les paradoxes, retombe sur ses pieds, sans voir qu'il le fait de plus en plus lourdement, et pour peu de temps.
Le malentendu est total, les rires fusent et réchauffent. Il se croit sur la piste du cirque, le fouet à la main : il est déjà dans l'arène ; l'orchestre se tait sans qu'il s'en aperçoive. Il a trente ans, comme tout le monde, car le monde a trente ans, il n'en démordra pas.
En fait, il en démordra, dès que ses dents le lâcheront, une à une ou en bloc ; et les chicots de l'homme d'âge ne serviront même pas de porte-bonheur aux jeunes gens - déjà plus si jeunes, mais l'ignorant encore.
Et cela suffit.
vous pensez a quelqu'un ?
RépondreSupprimerAyant horreur de faire deux choses en même temps, je ne pense jamais quand j'écris...
RépondreSupprimerNon, sérieusement, ce n'est pas un billet "à clés".
RépondreSupprimerEn vous lisant, j'ai le sentiment d'avoir vingt-cinq ans...
RépondreSupprimerMtislav, vous les avez peut-être, allez savoir...
RépondreSupprimerÇa fait la même chose aux femmes !
RépondreSupprimerBelle lucidité. Et, oui, la virgule est décidément un art.
RépondreSupprimerExcellente soirée (et bravo pour vos gammas)
Juste et joli, si je peux me permettre.
RépondreSupprimerMerci Didier. Vous m'avez ruiné ma soirée.
RépondreSupprimerJe vais me coucher...
Beau billet, très émouvant. J'aime vous lire dans cette veine là...
RépondreSupprimerEt si c'était le jeune morveux qui en avait déjà 50, qui en avait toujours eu 50, parce que le monde a cinquante ans...? Et qu'il ne s'apercevra du malentendu que quand il devra moucher son nez, et retourner dans les jupes de sa mère ???
RépondreSupprimerJe sais c'est moche, je fais comme si votre texte était à clef, comme si vous pensiez en écrivant :-)
Emouvant... Certes...
RépondreSupprimerMais cette phrase est pour moi absconce "leur semble un signe d'élection, la preuve indubitable qu'ils ont bien laissé derrière eux l'enfance qu'ils pensent encore leur coller aux sourires et aux paroles". "Entre ici Jean Moulin" est assez ridicule mais le reste est, je le conçois, sans forfanteries et sans accomodante magnanimité, émouvant. Du reste je vous comprends assez. Moi-même je fréquente de très jeunes gens et j'en suis pour "mon compte". A l'une d'elle je disais "le monde a 80 ans". Je pensais alors à Gatti et Vaneigem et c'était d'ailleurs rendre le plus bel hommage à l'âge mûr. Elle n'a pas compris.
Votre dévoué Isa et ses dents qui déchaussent les pieds à semelles de vent de Goux et des siens.
Bien, très bien même, cher Didier !
RépondreSupprimerMonsieur Goux doit être en train de déguster un chablis, il n'a que faire de nos miséreux commentaires. Il sait, en individu informé, que le capital va au capital, et tant pis pour les gamma...
RépondreSupprimerJe déchante un peu, de cet occident rénové (en quels termes, si cela ne se mesure qu'en islamo-phobie...), cela suppose un orient (au moins moyen) tout à fait conquérant. Or, à moins de vivre dans les faubourgs de Mecknès, cela me semble tout à fait hors de propos, à moins que ceux-ci ne se mesurent au ton d'importance, tout à fait immesuré, que prend un certain "criticus" (quelle malice dans le pseudo, c'est pitié...).
Alé jacta est...
Henry Miller avait bien averti au sujet de l'Orient...que l'Occident en avait tout à apprendre...
RépondreSupprimerPour le psychanalyste W.R. Bion, la fonction alpha permet de transformer les éléments béta, c’est-à-dire éléments bruts, non intégrés, non élaborés par le psychisme, en éléments alpha, éléments pensables, représentables, symbolisables.
RépondreSupprimerDidier,
RépondreSupprimerVous avez un problème avec Criticus, l'intelligent ? Ou Lomig vous a tutoyé ?
Article pompeusement ridicule Goux. "Si les fascistes à petite bite sont encore les maîtres des lieux, je dirais que c'est comme tout : si vous prenez cela comme motif de pirouette ludique (et nous en connaissons, vous et moi), c'est très bien ; si vous commencez à vous prendre le melon avec...vous devenez pompeusement ridicule"...
RépondreSupprimerVoilà...
Je dois dire que je ne me sens pas du tout concerné mais je suis trop fatigué pour expliquer pourquoi.
RépondreSupprimerDisons simplement que l'âge et l'expérience qu'on lui prête ; tout cela est surfait.
Il me semble quand même que dans les temps reculés où vous et moi étions jeunes, les années septante, autant dire le Moyen-Age, l'âge n'avait pas l'importance qu'on lui donne aujourd'hui. Pour commencer on ne vous le demandait pas à tout bout de champ. Ensuite, beaucoup de vieux travaillaient là même où il est aujourd'hui inconcevable de persévérer au-delà de la quarantaine. Ainsi je n'ai pas souvenir d'avoir eu durant toute ma scolarité de professeurs affichant moins de la soixantaine. Il est vrai que c'était des prêtres et que l'habit ne faisait déjà plus recette à l'époque. Il n'y avait qu'un seul civil, notre professeur de mathématiques, étrenné en sixième, qui nous conduisit jusqu'en terminale au seuil de l'âge adulte et pour lequel nous éprouvions une affection toute filiale. C'était un colonel à la retraite. Quand je vois des reportages sur le système éducatif actuel, je suis toujours frappé par le fait qu'on n'arrive plus à distinguer les professeurs de leurs élêves. Peut-être faut-il y voir une des causes de l'échec du système éducatif. Je sais que vous n'aimez pas qu'on parle de diversité, mais je reste persuadé qu'on ne respecte vraiment que ce qui est différent. Il faudrait tenter l'expérience, de toute façon ça ne pourrait pas être pire, et coller dans les zones difficiles de vieux enseignants sur le retour avec costard cravate, petite serviette en cuir usagée et pourquoi pas pince-nez. Ou alors dans un autre registre, de vieux baroudeurs au visage couturé portant santiags en alligator et feutre délavé avec bande en peau de léopard, enfin tout sauf cet uniforme de mec cool et sympa à l'écoute et qui ne sait pas se faire entendre. S'ils ne se font pas massacrer le premier jour, je suis certain que cela peut marcher. Pour continuer dans la même veine, il me semble que de nos jours ce n'est pas les jeunes qui sont flattés par l'attention que leur portent les vieux, mais les vieux qui sont flattés quand leurs cadets daignent leur adresser la parole.
RépondreSupprimerAutre différence: vous parlez de jeunes de vingt-cinq ou trente ans. A ces âges, les gens de notre génération se définissaient comme des adultes "hechos y derechos" et non pas comme des jeunes et encore moins comme des adolescents comme j'ai pu le lire ici et là dans certains blogs de jeunes plus si jeunes. Ce culte de l'adolescence, franchement, me dépasse totalement.
Un bus remplis d'adolescents manque un virage, deux ou trois blessés légers, et c'est le président de la république en personne qui se déplace, promettant à la face du ciel de nouvelles lois pour empêcher les bus remplis d'adolescents de sortir de la route. Un bus de petits vieux tombe au fond des gorges du Tarn et c'est à peine si on envoie aux funérailles une "dame pipi" de l'assemblée nationale.
"il me semble que de nos jours ce n'est pas les jeunes qui sont flattés par l'attention que leur portent les vieux, mais les vieux qui sont flattés quand leurs cadets daignent leur adresser la parole."
RépondreSupprimerJe suis entièrement d'accord!
Tu veux plus que je t'appelle tonton, c'est ça ?
RépondreSupprimerD'accord avec Orage qui est d'accord avec Manutara.
RépondreSupprimerBon, j'ai lu tout le monde, mais, là, ce matin, je suis de corvée "courses". Je tâcherai de répondre en détail cet après-midi. Sinon, ne m'en veuillez pas.
RépondreSupprimerJuste ceci, pour Manutara : je suis hautement et massivement pour la diversité, les différences, etc. C'est le sens nouveau du mot qui me hérisse rien de plus.
C'est bien vu et encore mieux exprimé. Personnellement, je trouve que la date de péremption des 25 ans se trouve dans la cinquantaine. On la découvre un jour dans les yeux de la vraie jeunesse, son sourire.
RépondreSupprimerVous voyez qu'il s'en est bien vite retourné moucher son nez et se planquer dans les jupes de sa mère...
RépondreSupprimerBon je n'enfonce pas plus le clou !!
Votre texte vaut mieux que ça en plus