La cinquième églogue de L'Amour l'Automne est composée de 173 phrases. Chacune d'elle occupe seule une page et compte 937 signes très exactement. Toutes sont annoncées par un titre. Celui-ci se résume à un unique mot précédé de son article défini, mais un même titre peut servir plusieurs fois.
Bien entendu, les thèmes, les liens, les correspondances qui régissent les quatre premières églogues, on les retrouve dans celle-ci. Mais la forme, ici, semble plus apaisée, le texte moins déchiré, moins haletant, ce qui donne un effet de surplomb, presque de "suspension poétique” si je puis risquer cette expression sans doute inadéquate, avant le galop bref mais furieux, au bord de l'indicible, de la sixième églogue. Un exemple de phrase (je respecte la typographie voulue par l'auteur) :
Bien entendu, les thèmes, les liens, les correspondances qui régissent les quatre premières églogues, on les retrouve dans celle-ci. Mais la forme, ici, semble plus apaisée, le texte moins déchiré, moins haletant, ce qui donne un effet de surplomb, presque de "suspension poétique” si je puis risquer cette expression sans doute inadéquate, avant le galop bref mais furieux, au bord de l'indicible, de la sixième églogue. Un exemple de phrase (je respecte la typographie voulue par l'auteur) :
Le bonheur
La terre nous aimait un peu je m'en souviens.
René Char
René Char
Puis ce furent des années heureuses, paisibles, étales, de longs automnes aux frontières abolies, aux confins noyés dans une espèce de poudre d'or, brouillard monté de la rivière mais qu'un soleil pâle illumine encore, comme aux tableaux d'un Lorrain : ils menaient une vie de traverse et d'absence, une vie dans les marges, une vie soustraite à la géographie autant qu'à l'histoire, tellement d'un autre temps qu'elle semblait tombée du temps, sortie des lignes de force des cartes, des grandes voies de communication, des agglomérations, des nœuds routiers, cantonnée dans les blancs, connaissant des passages pour échapper au siècle, au collectif, au présent, sachant les derniers chemins creux, les étangs, les clairières, les lieux sans image, les villages auxquels personne ne pense, les auberges qu'aucun guide ne songerait à signaler tant l'adjectif et les fourchettes et les étoiles glisseraient sur elles sans laisser de trace.
(L'Amour l'Automne, p. 400.)
Déjà, cette phrase n'est pas scrupuleusement représentative de l'ensemble, puisqu'elle est l'une des très rares (deux ou trois, je crois bien) à être précédée d'un exergue. Lequel entre lui-même en résonance avec un certain nombre de thèmes, de noms circulant à travers toutes les églogues. Celui de Char est particulièrement “agissant” dans la mesure où il présente de nombreuses combinaisons, déclinaisons elles-mêmes très importantes : Char ---> Car (---> Arc) ---> Caro ---> Caronie ---> Roman (--->roman) ---> Ramon ---> Moran ---> Morane (Bob), etc. On notera aussi dans cette phrase la survenue des mots Passage et Travers(e), qui sont les titres du premier et du troisième livres des Églogues. Il y aurait bien d'autres choses à relever (le thème de la carte, par exemple, omniprésent chez Renaud Camus, presque obsessionnel), mais cela suffit, je crois, pour donner une idée (très simpliste...) de la manière dont “fonctionnent” les églogues, par une sorte d'auto-engendrement interne, bien que la plupart des matériaux viennent de l'extérieur, soient des citations.
Précisons une chose tout de même : plus haut, le passage de “Caronie” à “Roman” est fourni par le diptyque de Renaud Camus : Roman Roi et sa suite Roman furieux, double roman dont le personnage éponyme est roi d'un pays imaginaire d'Europe centrale, la Caronie.
Pour terminer (momentanément), voici une deuxième phrase, se situant dans les premières pages de cette cinquième églogue. Je l'offre à Maître Franssoit...
Le marou
Le marou, ou maru, terme parfois rendu en français par vérandah, ou plus simplement par galerie extérieure, est peut-être l'élément le plus caractéristique, à la fois, et le plus inattendu, de l'architecture traditionnelle en Corée – caractéristique, parce qu'il se rencontre dans toute la péninsule, et que bien rares sont les demeures anciennes de quelque importance, et même modestes, qui n'en ont pas été parées ; inattendu, parce que le climat, de façon générale, n'est point tel ni si clément qu'une pièce ouverte à tous vents ait dû paraître si désirable : mais d'une part le maru se combine volontiers avec l'ondol, étonnant et très élaboré système séculaire de chauffage par le sol, d'autre part, et surtout, la maison coréenne est bien moins que l'occidentale conçue comme un abri, le lieu d'un retrait, et davantage comme le site d'un échange permanent, pour ses hôtes, avec l'air, l'espace, la nature et je jeu des saisons.
(L'Amour l'Automne, p 333.)
En transcrivant cela, je m'aperçois seulement que si Passage et Travers(e) se trouvaient mentionnés dans la première phrase choisie par moi, le titre du deuxième livre des Églogues, Échange, apparaît bel et bien dans celle-là. D'autre part, est-ce vraiment un hasard si les deux phrases retenues se rencontrent à des pages aussi particulières que la 333 et la 400 ? Quand je vous disais, que les Églogues pouvaient rendre fou...
Déjà, cette phrase n'est pas scrupuleusement représentative de l'ensemble, puisqu'elle est l'une des très rares (deux ou trois, je crois bien) à être précédée d'un exergue. Lequel entre lui-même en résonance avec un certain nombre de thèmes, de noms circulant à travers toutes les églogues. Celui de Char est particulièrement “agissant” dans la mesure où il présente de nombreuses combinaisons, déclinaisons elles-mêmes très importantes : Char ---> Car (---> Arc) ---> Caro ---> Caronie ---> Roman (--->roman) ---> Ramon ---> Moran ---> Morane (Bob), etc. On notera aussi dans cette phrase la survenue des mots Passage et Travers(e), qui sont les titres du premier et du troisième livres des Églogues. Il y aurait bien d'autres choses à relever (le thème de la carte, par exemple, omniprésent chez Renaud Camus, presque obsessionnel), mais cela suffit, je crois, pour donner une idée (très simpliste...) de la manière dont “fonctionnent” les églogues, par une sorte d'auto-engendrement interne, bien que la plupart des matériaux viennent de l'extérieur, soient des citations.
Précisons une chose tout de même : plus haut, le passage de “Caronie” à “Roman” est fourni par le diptyque de Renaud Camus : Roman Roi et sa suite Roman furieux, double roman dont le personnage éponyme est roi d'un pays imaginaire d'Europe centrale, la Caronie.
Pour terminer (momentanément), voici une deuxième phrase, se situant dans les premières pages de cette cinquième églogue. Je l'offre à Maître Franssoit...
Le marou
Le marou, ou maru, terme parfois rendu en français par vérandah, ou plus simplement par galerie extérieure, est peut-être l'élément le plus caractéristique, à la fois, et le plus inattendu, de l'architecture traditionnelle en Corée – caractéristique, parce qu'il se rencontre dans toute la péninsule, et que bien rares sont les demeures anciennes de quelque importance, et même modestes, qui n'en ont pas été parées ; inattendu, parce que le climat, de façon générale, n'est point tel ni si clément qu'une pièce ouverte à tous vents ait dû paraître si désirable : mais d'une part le maru se combine volontiers avec l'ondol, étonnant et très élaboré système séculaire de chauffage par le sol, d'autre part, et surtout, la maison coréenne est bien moins que l'occidentale conçue comme un abri, le lieu d'un retrait, et davantage comme le site d'un échange permanent, pour ses hôtes, avec l'air, l'espace, la nature et je jeu des saisons.
(L'Amour l'Automne, p 333.)
En transcrivant cela, je m'aperçois seulement que si Passage et Travers(e) se trouvaient mentionnés dans la première phrase choisie par moi, le titre du deuxième livre des Églogues, Échange, apparaît bel et bien dans celle-là. D'autre part, est-ce vraiment un hasard si les deux phrases retenues se rencontrent à des pages aussi particulières que la 333 et la 400 ? Quand je vous disais, que les Églogues pouvaient rendre fou...
Je me demandais où j'avais déjà croisé ce "vérandah", il a fallu que je cherche un peu :
RépondreSupprimerAu tintement de l’eau dans les porphyres roux
Les rosiers de l’Iran mêlent leurs frais murmures,
Et les ramiers rêveurs leurs roucoulements doux.
Tandis que l’oiseau grêle et le frelon jaloux,
Sifflant et bourdonnant, mordent les figues mûres,
Les rosiers de l’Iran mêlent leurs frais murmures
Au tintement de l’eau dans les porphyres roux.
Sous les treillis d’argent de la vérandah close,
Dans l’air tiède, embaumé de l’odeur des jasmins,
Où la splendeur du jour darde une flèche rose,
La persane royale, immobile, repose,
Derrière son col brun croisant ses belles mains,
Dans l’air tiède, embaumé de l’odeur des jasmins,
Sous les treillis d’argent de la vérandah close.
Jusqu’aux lèvres que l’ambre arrondi baise encor,
Du cristal d’où s’échappe une vapeur subtile
Qui monte en tourbillons légers et prend l’essor,
Sur les coussins de soie écarlate, aux fleurs d’or,
La branche du hûka rôde comme un reptile
Du cristal d’où s’échappe une vapeur subtile
Jusqu’aux lèvres que l’ambre arrondi baise encor.
Deux rayons noirs, chargés d’une muette ivresse,
Sortent de ses longs yeux entr’ouverts à demi ;
Un songe l’enveloppe, un souffle la caresse ;
Et parce que l’effluve invincible l’oppresse,
Parce que son beau sein qui se gonfle a frémi,
Sortent de ses longs yeux entr’ouverts à demi
Deux rayons noirs, chargés d’une muette ivresse.
Et l’eau vive s’endort dans les porphyres roux,
Les rosiers de l’Iran ont cessé leurs murmures,
Et les ramiers rêveurs leurs roucoulements doux.
Tout se tait. L’oiseau grêle et le frelon jaloux
Ne se querellent plus autour des figues mûres.
Les rosiers de l’Iran ont cessé leurs murmures,
Et l’eau vive s’endort dans les porphyres roux.
Lecomte de Lisle - Vérandah (dans Poèmes barbares)
Grand merci, M'sieur Poireau ! (Mais Leconte avec un "n", néanmoins...)
RépondreSupprimerNous restons d'ailleurs très églogaux, puis que le thème de l'île est très présent dans les Églogues, notament L'Île noire de Tintin...
Didier : il ne faisait pas du tennis ce Lecomte de Lille ?
RépondreSupprimer:-))
Il était strasbourgeois, Leconte de l'Ill ?
RépondreSupprimerLes correspondances secrètes entre les pages 333 et 400 vont certainement rendre vos lecteurs dingues de perplexité. Vous nous cachez l'essentiel, là!
RépondreSupprimerPourquoi ne pas avoir publié cela aussi sur la SLRC ?
RépondreSupprimerMerci pour ces beaux extraits...
RépondreSupprimerLe Coucou : tellement secrètes que je les ignore moi-même ! Je n'ai regardé la pagination qu'après avoir choisi mes deux extraits.
RépondreSupprimerPascal : parce que je ne voyais pas en quoi ces quelques remarques très superficielles pourraient intéresser des lecteurs déjà confirmés. Ce billet n'a, dans mon esprit, qu'un but incitatif à la lecture.
Suzanne : il y en a 171 autres, rien que pour la cinquième églogue...
Didier : parce qu'il n'y a que des lecteurs confirmés à la SLRC ?
RépondreSupprimer"Ce billet n'a, dans mon esprit,qu'un but incitatif à la lecture". Raison de plus pour le publier sur la SLRC : imaginez les vocations que vous pourriez faire naître chez des visiteurs de passage, cette conversion des néophytes que vous pourriez opérer ?!
Enfin, moi, c'que j'en dis, hein...
En fait, quand j'écris à propos des livres en général, et de ceux de Camus en particulier, j'ai toujours la désagréable impression de dire au mieux des banalités, au pire de grosses conneries. Par conséquent, je préfère le plus souvent me cantonner dans ce petit camp retranché qui est le mien.
RépondreSupprimerJe le relirai demain, on verra ce que cela donne à tête reposée...
Didier: Moi c'est pire encore.
RépondreSupprimerJe créerais bien un club des Petits Lecteurs de Renaud Camus. De ceux qui restent au rez de chaussée, faute de moyens pour monter les étages.
J'ai lu (chez le Stalker, je crois) que Camus n'avait pas les lecteurs qu'il mérite. Je suis dans ce cas, et pire encore.
Par exemple, je me sers du Journal comme guide de voyage. Si je projette d'aller faire un tour en Bourgogne, j'aligne mes tomes du Journal et je cherche les noms de lieu dans l'index. Musées, cathédrales, chapelles romanes, tout y passe.
Je me sers de Camus comme bonbon. Je lis toujours un peu avant de me lever le matin. Quand j'ai lu quelque chose de banal, de pas beau, de mal écrit, je prends un des trois tomes sur ma table de chevet, et j'y cherche une jolie description (il n'est pas le seul, je pioche assez dans Giono et Colette en ce moment.) pour faire passer un mauvais goût.
Tiens, on parle de votre dame et vous dans le Journal...héhé !
Suzanne, je suis sûr que Camus serait d'apprendre que son journal puisse servir de "guide touristique" à ses lecteurs. Ce serait la preuve qu'il les aide à voir, contribue à leur ouvrir les yeux (ce qu'il fait en effet), qu'il est en quelque sorte, et de manière toute socratique (mais quel pédant, ce DG !), notre “professeur de beauté”, comme disait Proust à propos de Montesquiou (je ne suis pas certain, à la réflexion, que le parallèle que je fais là plairait tant que ça à Camus !).
RépondreSupprimerQuand à ce ce que vous dites de vos lectures du matin, eh bien ! que peut souhaiter de mieux un écrivain que ce rôle-là ? Celui du passeur (mot hautement et intensément camusien) capable de nous aider à franchir une nouvelle journée ?
고맙습니다
RépondreSupprimerFranssoit : 당신은 정말 한국 말로?
RépondreSupprimerFranssoit : toi-même !
RépondreSupprimerPoireau : et réciproquement...
Poireau : t'es sur de ta traduction ?
RépondreSupprimerMes vagues souvenirs me disent que ta phrase est bizarre ...
Franssoit : 그것은 자동 번역입니다! 어떻게 생각하세요! :-))
RépondreSupprimerIk spreek Nederlans !!!
Quand vous aurez fini de vous polir le chinois, les deux...
RépondreSupprimerDidier : 디디 중국어! :-)
RépondreSupprimerTiti tseung keuk ha ?
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