Film délicieux et virevoltant à souhait que cette Fine mouche, vue hier soir à la télévision. Le mimétisme cher à René Girard – mais aussi au William Shakespeare du Songe d'une nuit d'été et au Mozart de Cosi fan tutte – y est une force constamment agissante ; il est même le principal ressort de l'intrigue, celui qui fait se mouvoir les personnages à leur insu.
L'intrigue est gentiment retorse et plaisamment absurde. (Pour simplifier, je vais donner aux personnages le nom des comédiens qui les incarnent.) Au début du film, dès la première scène, Spencer Tracy, rédacteur en chef d'un magazine people, ainsi que l'on ne disait pas en 1936, s'apprête à épouser Jean Harlow – on sent que, bien qu'amoureux, il y va à reculons. Du reste il n'y va pas du tout, car c'est le branle-bas de combat à son journal, lequel vient de publier un article accusant à tort Myrna Loy – fille d'un multi-milliardaire ennemi intime du propriétaire de la dite gazette – d'être une briseuse de ménage. Du coup, la fausse briseuse mais vraie calomniée porte plainte et réclame cinq millions de dollars de dommages & intérêts : si elle gagne, le journal est mort, il y a donc le feu à la maison. C'est alors que Tracy imagine un stratagème destiné à rendre vraie l'information fausse, de manière à ce que la plainte devienne irrecevable par le tribunal : il réquisitionne William Powell, un ancien journaliste qu'il a lui-même viré avec pertes et fracas, playboy notoire, lui fait contracter un mariage blanc avec sa propre fiancée, Jean Harlow, avant de l'envoyer séduire Myrna Loy qui, du coup, si elle tombe dans le piège, deviendra en effet une “briseuse de ménage”. À partir de là, les péripéties obéissent allègrement aux lois du vaudeville, selon les règles ainsi posées. Ce qui est amusant c'est justement l'irruption du désir mimétique dans ce scénario, au moment précis où chacun se met à jouer un rôle qu'il croit de tout repos.
William Powell entame un jeu classique de séduction auprès de Myrna Loy. Se plantant sévèrement, il en tombe illico amoureux et se met à lui dire ses quatre vérités, ce qui a pour effet de transformer le dédain non feint de la petite fille riche en intérêt grandissant.
De son côté, après avoir détesté le mari que son fiancé lui impose, Jean Harlow se met à s'attacher à lui à partir du moment où elle s'aperçoit que, possédant la clé de sa chambre, William Powell aurait pu l'y rejoindre pour tenter sa chance (après tout, n'est-elle pas son épouse ? Pas de “viol conjugal”, en cette époque bon enfant…) mais qu'il ne l'a pas fait. Et elle s'attache encore bien davantage à ce mari factice lorsqu'elle comprend que Myrna Loy est bel et bien en train de le lui ravir.
Quant à Spencer Tracy, voyant grandir la complicité de sa fiancée (Jean Harlow : faites un petit effort…) avec le mari qu'il lui a donné d'autorité, il se met à considérer un mariage avec elle comme une chose éminemment désirable…
Tout s'arrange bien entendu à la fin, même si cette fin est assez étrange dans la mesure où, lorsqu'elle intervient, William Powell est encore en situation de bigamie avérée et que le réalisateur ne prend absolument pas la peine de nous dire, même pas de nous suggérer, comment ce petit problème va se régler, une fois les projecteurs éteints.
Voilà pour le film, tel qu'en lui-même, mais le jeu de miroirs ne s'arrête pas là. Durant le tournage, Jean Harlow file le parfait amour avec William Powell, son mari factice du film. Seule la mort brutale et stupide de Jean, l'année suivante, à 26 ans, les empêchera de se marier. De son côté, Myrna Loy, réputée fort sage (à juste titre : elle a déjà repoussé les assauts & manœuvres de Clark Gable, John Barrymore et Leslie Howard, entre autres), vit une liaison torride avec le très marié Spencer Tracy. Pour la garder secrète et ne pas faire passer Myrna pour une briseuse de ménage, comme il tient tant à le faire dans le film, Tracy, en dehors des prises de vues, ne manque pas une occasion de critiquer sa partenaire et de tenir à son sujet les propos les plus acides.
De ces amours il ne reste rien, qu'un film encore capable de charmer une soirée lorsqu'il passe à la télévision – ce qui n'est pas négligeable –, et un parfum si diffus qu'il ne tient même pas à être exprimé trop clairement.
Durant de nombreuses années, à partir de 1937, chaque semaine William Powell fit fleurir la tombe de Jean Harlow.
L'intrigue est gentiment retorse et plaisamment absurde. (Pour simplifier, je vais donner aux personnages le nom des comédiens qui les incarnent.) Au début du film, dès la première scène, Spencer Tracy, rédacteur en chef d'un magazine people, ainsi que l'on ne disait pas en 1936, s'apprête à épouser Jean Harlow – on sent que, bien qu'amoureux, il y va à reculons. Du reste il n'y va pas du tout, car c'est le branle-bas de combat à son journal, lequel vient de publier un article accusant à tort Myrna Loy – fille d'un multi-milliardaire ennemi intime du propriétaire de la dite gazette – d'être une briseuse de ménage. Du coup, la fausse briseuse mais vraie calomniée porte plainte et réclame cinq millions de dollars de dommages & intérêts : si elle gagne, le journal est mort, il y a donc le feu à la maison. C'est alors que Tracy imagine un stratagème destiné à rendre vraie l'information fausse, de manière à ce que la plainte devienne irrecevable par le tribunal : il réquisitionne William Powell, un ancien journaliste qu'il a lui-même viré avec pertes et fracas, playboy notoire, lui fait contracter un mariage blanc avec sa propre fiancée, Jean Harlow, avant de l'envoyer séduire Myrna Loy qui, du coup, si elle tombe dans le piège, deviendra en effet une “briseuse de ménage”. À partir de là, les péripéties obéissent allègrement aux lois du vaudeville, selon les règles ainsi posées. Ce qui est amusant c'est justement l'irruption du désir mimétique dans ce scénario, au moment précis où chacun se met à jouer un rôle qu'il croit de tout repos.
William Powell entame un jeu classique de séduction auprès de Myrna Loy. Se plantant sévèrement, il en tombe illico amoureux et se met à lui dire ses quatre vérités, ce qui a pour effet de transformer le dédain non feint de la petite fille riche en intérêt grandissant.
De son côté, après avoir détesté le mari que son fiancé lui impose, Jean Harlow se met à s'attacher à lui à partir du moment où elle s'aperçoit que, possédant la clé de sa chambre, William Powell aurait pu l'y rejoindre pour tenter sa chance (après tout, n'est-elle pas son épouse ? Pas de “viol conjugal”, en cette époque bon enfant…) mais qu'il ne l'a pas fait. Et elle s'attache encore bien davantage à ce mari factice lorsqu'elle comprend que Myrna Loy est bel et bien en train de le lui ravir.
Quant à Spencer Tracy, voyant grandir la complicité de sa fiancée (Jean Harlow : faites un petit effort…) avec le mari qu'il lui a donné d'autorité, il se met à considérer un mariage avec elle comme une chose éminemment désirable…
Tout s'arrange bien entendu à la fin, même si cette fin est assez étrange dans la mesure où, lorsqu'elle intervient, William Powell est encore en situation de bigamie avérée et que le réalisateur ne prend absolument pas la peine de nous dire, même pas de nous suggérer, comment ce petit problème va se régler, une fois les projecteurs éteints.
Voilà pour le film, tel qu'en lui-même, mais le jeu de miroirs ne s'arrête pas là. Durant le tournage, Jean Harlow file le parfait amour avec William Powell, son mari factice du film. Seule la mort brutale et stupide de Jean, l'année suivante, à 26 ans, les empêchera de se marier. De son côté, Myrna Loy, réputée fort sage (à juste titre : elle a déjà repoussé les assauts & manœuvres de Clark Gable, John Barrymore et Leslie Howard, entre autres), vit une liaison torride avec le très marié Spencer Tracy. Pour la garder secrète et ne pas faire passer Myrna pour une briseuse de ménage, comme il tient tant à le faire dans le film, Tracy, en dehors des prises de vues, ne manque pas une occasion de critiquer sa partenaire et de tenir à son sujet les propos les plus acides.
De ces amours il ne reste rien, qu'un film encore capable de charmer une soirée lorsqu'il passe à la télévision – ce qui n'est pas négligeable –, et un parfum si diffus qu'il ne tient même pas à être exprimé trop clairement.
Durant de nombreuses années, à partir de 1937, chaque semaine William Powell fit fleurir la tombe de Jean Harlow.
Ah ! Eh bien, vous me la bayez belle, mon vieux ciné !
RépondreSupprimerJ'aurais mis ma tête à couper que Clark Gable était l'amoureux inconsolable de Jean Harlow et que par ailleurs Katherine Hepburn avait vécu toute sa vie dans l'ombre de Spencer Tracy !
Pour Jean Harlow, on peut envisager la possibilité de plusieurs inconsolables…
RépondreSupprimerTracy et Hepburn ont en effet été amants (mais pas forcément en continu) durant 25 ans. Mais ils n'ont jamais vécu ensemble car Tracy, fervent catholique (et un peu faux derche quand même) est toujours resté marié à la même femme.
Par ailleurs, il a fait de nombreux accrocs dans ce mariage…
J'ai fait mes classes dans Cinémonde et Ciné-Revue qu'achetait régulièrement notre bonne, aussi comprenez que je n'aime pas beaucoup qu'on me remontre.
RépondreSupprimerJe voulais dire : qu'on m'en remontre.
RépondreSupprimer"The two faced woman" avec Melvyn Douglas et Greta Garbo est également un très joli chassé-croisé amoureux.
RépondreSupprimerJ'ai une passion "loyienne" pour William Powell depuis la première fois que je l'ai vu (c'était dans "L'Introuvable", avec Myrna, d'ailleurs...) :0)
RépondreSupprimerLe cas de bigamie non résolu le plus célèbre restant celui du Lino Ventura du film Les Barbouzes
RépondreSupprimerCela se passe à Saint-Dalmas -Valdeblore, à la fin des années cinquante.
RépondreSupprimerLe garde-champêtre passe dans les rues. Il hurle dans son porte-voix :
"Ce soir à 9 heures, au café Richier : cinéma. Le titre : Le péché d'une mère."
Puis un silence pendant lequel quelqu'un lui a sans doute posé une question, car il reprend, toujours hurlant :
"Pour ça je ne sais pas. Il faut demander à Monsieur le Curé. Je rappelle que ceux qui veulent être assis doivent apporter leur chaise."
Après la séance on peut voir les villageois rentrer chez eux, chacun affublé de sa chaise. Ils ont passé une bonne soirée, et tant pis si "Le péché d'une mère" a dépassé l'écran et a été en partie projeté sur les bouteilles du bar !
Koltchak : exact !
RépondreSupprimerSophie K : oui, ils ont tourné beaucoup ensemble, ces deux-là (c'est louche…).
Romain : Ah ? C'est curieux, je n'ai aucun souvenir de ce détail. Je l'ai pourtant vu plusieurs fois.
Mildred : vous avez encore oublié votre chaise au milieu du salon !
"vous avez encore oublié votre chaise au milieu du salon !"
RépondreSupprimerEh bien ! Mettez-la moi donc de côté.
Je la reprendrai la prochaine fois.
@ Didier : je crois tout simplement qu'ils savaient rire en harmonie... :0)
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