Célestin Ciboire descendit lentement l'escalier, dont le bois, comme d'habitude, geignit sous son poids. Tout en pensant à autre chose, ou peut-être à rien du tout, il évita machinalement la quatrième marche, complètement défoncée, à travers laquelle on pouvait voir jusqu'à la cave, où il n'allait plus jamais.
Il se sentait très content de lui, Célestin. Tout le monde le prenait pour un imbécile, il le savait très bien, mais ça lui était égal. Lui seul savait qui il était vraiment : un enfant d’accord, mais pas un imbécile.
Il traversa la
cuisine plongée dans la pénombre et ouvrit la porte de la cour. Dehors, la nuit
était tiède. Au travers des arbres, il pouvait apercevoir l’abbatiale en ruines
éclairée par de gros projecteurs, comme tous les soirs. Il se dit qu’il irait
peut-être tout-à-l'heure se promener dans le parc, comme il aime tant à le faire, en sautant
par-dessus le mur, là où l’arbre l’a à moitié démoli. Du coup, il se mit à
repenser à la religieuse sacrilège qu’il avait punie, et puis aussi à la petite
blonde qu’il ne se consolait pas d’avoir laissée lui échapper. Mais peut-être
qu’un soir, il en viendrait une autre ? Rien que pour lui ! C’est ça
qui serait drôlement bien…
Il sortit dans
la cour et se dirigea sans hésiter vers le landau de bébé qui était là depuis
des années et achevait de pourrir et de rouiller entre un vieux baril éventré
et une machine à laver privée de son hublot, sur le
devant. Il plongea les mains à
l’intérieur pour en ressortir le carton contenant les revues et les petits
disques brillants qui avaient un drôle de nom. Il revint à la maison et déposa son chargement sur la table
luisante et grasse avec un sourire satisfait. Il avait été bien inspiré d’aller
le cacher dans le landau, cet après-midi : dix minutes plus tard, la fille
rousse très jolie qui était de la police était arrivée. Elle n’avait pas
fouillé la maison mais elle aurait pu le faire, elle avait le droit : les
policiers ont toujours le droit de tout faire. Et alors, adieu les revues pour
le pauvre Célestin !
Il attrapa les
trois qui se trouvaient sur le dessus du tas et les étala sur la table. Avant
de s’asseoir il se servit un verre de vin qu’il avala cul sec. Il hésita un
court instant à aller lire les revues dans sa chambre, en haut. En se disant
qu’il serait beaucoup plus à l’aise sur son lit qu’ici, devant cette table sous
laquelle il arrivait à peine à caser ses genoux. Mais non, rien à faire. Il ne
pouvait pas “faire ça” dans sa chambre.
Il devait avoir
quinze ans, quelque chose comme ça, le jour où Maman était entrée là-haut alors
qu’il se masturbait. Sa colère avait été terrible et elle lui avait fait jurer sur
sainte Cécile de ne jamais recommencer. Célestin avait juré, sans trop bien savoir ce qu’il avait fait de mal. Tout ce qu’il avait compris, c’était que
Maman ne voulait pas qu’il touche à son gros machin. « C’est sale !
répétait-elle. C’est le diable qui habite là-dedans ! »
Pourtant, quand
Célestin avait été obligé d’étrangler la petite Marie-Pierre, parce qu’elle
criait trop fort, Maman ne s’était pas mise en colère ; non, pas du tout.
C’est même elle qui avait pensé à aller l’enterrer dans la grosse
fondrière, au bout du bois du Quesney, loin de la maison. « Creuse, creuse
encore, disait-elle à Célestin. il ne faut pas qu’on la retrouve, cette petite
salope, jamais ! Sinon, tu iras en prison… » Comme Célestin ne
voulait pas aller en prison, en tout cas pas sans Maman, il avait creusé un
trou très profond comme elle disait. Après, c’est lui qui avait eu l’idée du
ciment.
La bétonnière
n’avait plus servi depuis la mort de Papa, mais elle n’était pas cassée. Alors
Célestin avait fait du ciment et il l’avait coulé sur Marie-Pierre, au fond du
trou. C’était épais et lisse comme la mousse au chocolat que Maman faisait
parfois. Il en avait mis beaucoup, pour que les bêtes ne sentent pas l’odeur de
la fille. Parce que les filles ça pue, surtout quand c’est mort depuis
longtemps. Après il avait remis tout bien la terre par-dessus. Et personne
n’avait jamais découvert la cachette de Marie-Pierre, qui dormait toujours au
fond de son trou, bien tranquille, pas dérangée jamais. Parfois, quand il
pensait à elle, mais c’était pas souvent, Célestin se demandait si elle était
au Paradis, avec Maman et sainte Cécile…
Il finira blogueur de gauche...
RépondreSupprimerImpossible : on lui a coupé l'électricité depuis déjà un bout de temps…
RépondreSupprimerCa sent le BM bien troussé cette histoire, non ?
RépondreSupprimerLa photo me fait penser au comte de Monte cristo ? Une version de moi inconnue ?
Oui, moi aussi je lui trouve un côté furieusement Edmond Dantès. Mais en fait je n'en sais pas plus : je l'ai prise parce que je la trouvais plutôt belle.
RépondreSupprimerPour le reste, voyez le "libellé"…
Vous avez un sacré coup de rouleau tout de même.
RépondreSupprimerCélestin Ciboire... le NOM !
RépondreSupprimer@Suzanne:
RépondreSupprimerDidier Goux est blasphématoire à ses heures perdues, foutre-Dieu !
Ceci-dit, pardonnez moi, mais cet extrait s'il nous vient de la dernière livraison des BM, ne donne pas franchement envie.
RépondreSupprimerPour mon prochain voyage en TGV je me contenterai, comme d'hab, de Marianne, tabloïd bien plus croustillant que tous les romans de gare justement délaissés.
Très Freudien tout ça !
RépondreSupprimer:-)
Houlà, c'est du lourd.. du très lourd même ... ( mais Henriette, elle avait jamais tué personne.....;-)) Geargies.
RépondreSupprimerChapeau M. Goux! Je viens de découvrir ce texte, et, sans flagornerie, je dirais qu'un peintre en bâtiment qui manie avec tant d'élégance et de finesse le pinceau à trois poils pourrait envisager de passer à des tâches plus minutieuses.
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