De même que mes trajets de printemps furent entièrement accompagnés par Charles Trenet, ceux de cet été le sont presque exclusivement par Franz Schubert, et surtout par ses lieder.
Il m'aura fallu plus de trente ans pour pénétrer dans l'univers des lieder, quels qu'en puissent être les compositeurs. Pour une raison que je ne parviens plus à m'expliquer, ce type de musique, de chant, faisait naître chez moi un irrépressible et tenace ennui. Par bonheur Mahler vint, avec ses Kindertotenlieder portés par Kirsten Flagstad ; je rendis les armes du jour au lendemain. De là, prenant mon temps, calculant soigneusement mon élan, je finis par sauter de Gustav à Franz. Et voilà comment Schubert m'accompagne chaque matin et chaque soir, m'aidant à ne plus voir la profonde laideur des banlieues que l'autoroute effleure.
Juste avant de décoller du Plessis, moteur déjà tournant, au moment du choix, quatre fois sur cinq le mien se porte sur Gundula Janowitz. Voilà près de quarante ans que je suis amoureux de la voix de cette soprano. Je dis “amoureux” dans la mesure où le simple fait de l'entendre suffit à me faire perdre instantanément le peu de sens critique que je puis avoir dans le domaine de la musique. Elle aurait aussi bien pu enregistrer des reprises de Tino Rossi ou de Michael Jackson que j'aurais encore trouvé cela sublime : c'est assez dire à quelle profondeur est enraciné le mal.
J'ai découvert Gundula vers 16 ou 17 ans, dans une œuvre qu'il est de bon ton, je crois, de regarder d'un peu haut et en faisant une petite moue : les Carmina burana de Herr Orff. Dans cet enregistrement, dirigé par Eugen Jochum, il y avait aussi cet étonnant ténor : Gerhardt Stolze, et Dietrich Fischer-Dieskau – ce qui nous ramène aux lieder de Schubert.
Car il m'arrive, pour changer, parce que souvent homme varie, de faire des infidélités à Gundula, notamment avec Mme Schwarzkopf. Mais c'est le plus souvent une expérience en demi-teinte. Car à la culpabilité que je ressens vis-à-vis de Gundula vient s'ajouter l'obligation où je suis de reconnaître que Schwarzkopf est certainement une plus grande cantatrice qu'elle : le syndrome du miroir de Blanche-Neige. Alors, très vite, je reviens vers Gundula.
Parfois aussi, je m'offre un véritable coming out avec Fischer-Dieskau, dont nous parlions à l'instant, quand ce n'est pas avec Hans Hotter, ce magnifique Wotan égaré.
Pendant ce temps, Gundula reste silencieuse, mais pas du tout inquiète : elle sait très bien que je vais lui revenir avant même la fin du voyage. Pour se venger tout de même un peu, elle me regarde de biais, avec une ébauche de sourire, puis elle m'assène : Die Männer sind mechant !
"par bonheur Mahler" : ceci est inadmissible dans un blog de cette tenue.
RépondreSupprimerQu'est-ce que je n'aurais pas donné pour épouser une femme se prénommant Gundula…
RépondreSupprimerA priori certains de nos ministres aimeraient les lieder, mais plutôt maximo.
RépondreSupprimerPersonnellement l'enregistrement des Kindertotenlieder que je préfère est celui de la contralto Kathleen Ferrier accompagnée par l'orchestre philharmonique de Vienne dirigé par Bruno Walter.
RépondreSupprimerIl se raconte qu'à la fin de l'enregistrement elle était en larmes, et s'en excusait.
Bruno Walter lui aurait dit quelque chose comme : "Ne vous excusez pas, car nous devrions tous en larmes, si nous étions des artistes tels que vous !"
Pour l'anecdote, je me demande si vous ne confondez pas avec l'enregistrement du Chant de la terre…
SupprimerC'est tout à fait possible qu'il s'agisse du Chant de la terre.
SupprimerMais cela ne change rien au fait que Bruno Walter considérait Kathleen Ferrier, l'ancienne demoiselle des postes, comme une grande artiste.
4 commentaires ici contre 33 pour le billet d'hier : apparemment, les voitures inspirent plus que les cantatrices. Lesquelles laissent la blogosphère pratiquement sans voix.
RépondreSupprimerC'est exactement ce que je me suis dit. Pour ma part c'est votre bagnole qui m'a laissée sans voix !
SupprimerRien ne vaut, à mon avis, l'interprétation bouleversante de Cornélia von Straub, en 34, à Berlin, Ernst Agermann tenant les baguettes. Mon enregistrement d'époque nécessite certes un matériel adapté et aujourd'hui fort coûteux, mais pour moi les scratchs du disque font désormais partie intégrante de l'oeuvre. J'aime à les entendre en sirotant un Kirschenwasser artisanal de vingt ans d'âge, que mon fournisseur alsacien me vend à prix d'or, car rien n'est trop beau pour servir d'écrin à la voix envoûtante de Cornélia. Gundula Schwarzkopf, à côté, c'est du pipi de chat, si je puis me permettre.
RépondreSupprimerArrêtez de vous la péter en racontant n'importe quoi, Marco... Cornélia von Straub ?? moi aussi je peux inventer des noms nazis à la con, par exemple, je conseille l'interprétation ébouriffante des Obersturmführerlieder par Waltruda-Zerlinda von Stakkathausen, dirigée par Adolf von Bradt-Pitth en 1927... interprétation inoubliable, comme vous le confirmera Georges.
SupprimerIl est assez rare que Georges confirme ; Georges est un piètre confirmeur.
SupprimerIl tenait les baguettes devant un riz cantonnais, Ernst ?
SupprimerAch so... che vois que berzonne n'est dupe !
SupprimerOui, je sais... alors qu'on attend de lui des confirmations diverses et variées, monsieur Georges est occupé à se branler sur son clavier. Je trouve ça tout à fait répugnbloublglbgblll - pardon.
SupprimerLes "Kindertotenlieder" ET le "Chant de la terre" avec la voix de José Van Dam, c'est très bien aussi.
RépondreSupprimerJ'avoue une préférence (je parle du Chant de la terre) pour la version de Klemperer, avec Christa Ludwig et Fritz Wunderlich. Mais ça n'enlève rien à Walter et Ferrier, bien entendu.
SupprimerPour vos voyages d'hiver, en Volvo climatisée comme il se doit, n'oubliez pas de vous munir du précieux Winterreise de l'excellent Franz, interprété par l'inusable Dietrich Fischer-Dieskau accompagné de son fidèle ami, le pianiste Gerald Moore (EMI classics).
RépondreSupprimerDe Franz, du Voyage, des lieder, Lulu dans "Une Histoire de la Musique" dit le plus grand bien.
" Dans le Regard en arrière, Rückblick, du Voyage d'hiver, c'est le cri en si majeur, "ardent comme une brûlure" dit Einstein, de la nostalgie charnelle : car Schubert n'est pas un puritain comme Beethoven, les sens existent pour lui comme comme pour Mozart. " Lucien Rebatet. Il a raison, comme souvent.
Pour le reste, je vous laisse à votre délicieuse Gundula que je ne connais pas suffisamment. Fidèle je suis, classique je suis, aussi la grande Elisabeth Schwarzkopf aura toujours ma préférence. Le persiflage face à la beauté incontestable d'une voix féminine n'est évidemment pas de mise chez moi.
Ce blog est toxique !
Fischer-Dieskau et Moore sont déjà dans l'iPod, rassurez-vous !
SupprimerSchwarzkopf minaude de manière ridicule, sa voix manque totalement de tenue, et en plus c'était une salope. Gundula est Fiordiligi,, la comtesse, Pamina, Agathe, Elsa, Eva, Sieglinde, Amelia Grimaldi, Arabella, Ariane, la comtesse Madeleine... Pour l'éternité. Ses Vier letzte Lieder sont au-delà du sublime. Et j'emmerde Georges (à toutes fins utiles...).
SupprimerHeil Gundula !
Avez-vous de l'humour Didier ?
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=XvNytSloHGA
(Un "artiste excentrique" très, très populaire en Allemagne, inconnu ailleurs-sauf en Autriche je crois-...Les paroles sont dadaisto-lyriques, on va dire...Mais excellent musivcien par ailleurs)
Si vous avez l'occasion de voir ce film belge, «Kathleen Ferrier, que sa joie demeure", vous y trouverez l'évocation du dialogue en question (rapporté par Mildred) avec Bruno Walter. Et pendant une heure, vous pourrez contempler ce visage rayonnnant et entendre cette voix sublime, rare, si rare que lorsqu'elle a demandé, enfant, pour chanter à la chorale de son école, il lui fit répondu: « Oui, mais pas trop fort, alors...".
RépondreSupprimerAline
http://www.lesoir.be/culture/cinema/2012-03-28/kathleen-ferrier-que-sa-joie-demeure-905486.php