Le titre était tellement “programmatique” que j'aurais dû me méfier.
La cabane dans les bois, pour un film d'horreur se déroulant dans une cabane située au milieu d'un bois, franchement… Ça sentait un peu trop sa réplique servile d'
Evil dead ou d'autres glorieuses pellicules de même école, que j'ai déjà magistralement décortiquées
ici même.
Exceptionnellement, il a fallu que Catherine, qui a ce genre de films en profonde détestation, reste regarder la première demi-heure en ma compagnie. Et je me suis mis à plastronner comme un mari benêt, en lui annonçant rigoureusement, et presque à la minute, tout ce qui allait se dérouler sous nos yeux. Que les jeunes héros allaient être cinq : le compte y était ; qu'il y aurait une fille blonde et une brune : c'était le cas, sauf que la brune était rousse ; que la blonde assez chaudasse mourrait la première : ça n'a pas manqué (mais Catherine était partie se coucher) ; qu'ils allaient se perdre et tomber sur une station service pourrie, tenue par un vieux très moche et pas bien propre sur lui : c'est arrivé ; que la cabane en rondin serait six à sept fois plus grande à l'intérieur que vue du dehors : le rapport était tel ; que les branquignols allaient trouver des trucs bizarres à la cave : ils ont mis la main dessus au bout d'un quart d'heure. Je n'en pouvais plus de prescience et de divination cinéphiliques.
Tout de même, m'inquiétaient un peu les plans éparpillés çà et là durant cette première demi-heure, où l'on voyait des genres de scientifiques en blouses blanches, dans des laboratoires gigantesques, dépourvus de fenêtre mais surabondant en tables de contrôle et autre écrans vidéos, par lesquels on ne perdait aucun des faits et gestes de nos sylvestres guignols. Ça commençait à sentir sa télé-réalité gore, et je m'en trouvais perturbé. D'autant que, soudain, le chef du labo a reçu un coup de fil du vieux moche de la station-service, comme s'ils se connaissaient depuis les scouts : là, vraiment, mes schémas préétablis sont partis en digue-digue.
Encore plus lorsque les scientifiques se sont tous mis à parier du pognon, sans que l'on sache trop sur quoi ; mais en se doutant que ç'avait à voir avec la manière dont nos jeunes sensibles allaient être prochainement trucidés. Ceux-là, de leur côté, avaient évidemment pendant ce temps trouvé l'accès à la cave (encore plus immense que la partie émergée de la cabane quand on est à l'intérieur). C'est là que je me suis mis à devenir soupçonneux.
Car non seulement la brune-qui-était-rousse a trouvé le classique journal intime de la fille qui avait été trucidée là en 1903, mais chacun des quatre autres a lui aussi mis la main sur un objet bizarre : c'était un peu trop. Je dis à Catherine : « Cette idiote ne devrait pas lire à haute voix les trois lignes en latin… » Naturellement, elle les lit. Plan de coupe, sous-bois, extérieur nuit : quatre ou cinq zombis sortent illico de sous le tapis de feuilles mortes. Nouveau plan de coupe, labo, intérieur jour : ceux des scientifiques qui ont voté zombis ramassent la mise, les autres tirent la gueule ; surtout le sous-chef qui espérait voir enfin débarquer les tritons. « Mais pourquoi les tritons ? l'interroge le stagiaire (le seul qui n'a pas de blouse : on n'a pas eu le temps de lui en trouver une). – Parce qu'il paraît qu'ils sont vraiment effrayants, répond le sous-chef. J'espère qu'ils sortiront l'année prochaine. » Là-dessus, ils retournent devant leurs écrans de contrôle pour mater ce qui se passe dans le bois.
Apparemment, ça ne marche pas comme ils voudraient : la blonde semble se faire un peu tirer l'oreille pour lier intimement connaissance avec le gourdin-qui-rend-folle du grand con sportif. « J'envoie les phéromones ! », décrète alors le chef du labo. Il appuie sur un gros bouton rouge, qui vire à l'orange. Aussitôt, on voit une petite fumée s'échapper de sous la mousse (décidément…), dans la clairière où le sportif essaie de tringler sa miss. Pour faire bonne mesure, le chef, en poussant une manette en plastique, leur envoie aussi un petit clair de lune à travers les branchages : c'est très beau.
À peine la blonde est-elle passée dans la petite fumée qu'elle se transforme en affolée du berlingot ; et ils baisent. Pas longtemps : les zombis arrivent, blessent le sportif et zigouillent la blonde. Moins de cinq minutes plus tard, ils massacrent aussi l'ado perturbé qui fume joint sur joint depuis le début du film. Je me dis qu'à ce rythme, le réalisateur ne tiendra jamais une heure et demie avec ses cinq clampins ; je m'inquiète pour lui.
Néanmoins, cette fois, me voilà bien certain qu'il s'agit d'une sorte de télé-réalité pour happy few cruels et probablement très riches. Impression renforcée par les quelques plans qu'on nous montre, de scènes du même type et pareillement filmées, se déroulant au Japon (notre photo) ou encore, plus bizarrement à Stockholm. Bref, ils ont réussi un moment à m'enfumer avec leur cabane en rondins, à me faire croire à un classique, à du massacre ronronnant, tout le début n'était là qu'à titre de citation distanciée, de clin d'œil, mais cette fois j'ai pigé leur truc. Or, pas du tout.
Bon, à partir de maintenant, je résume sévère car j'en ai un peu marre de ce billet qui menace de n'en plus finir.
– Le sportif et l'intello compréhensif se font zigouiller très vite, la rousse reste toute seule ; elle plonge dans le lac qui se trouvait là mais est rattrapée sur le débarcadère par un zombi qui sait nager.
– Le drogué que l'on croyait mort surgit par derrière et lui sauve la vie.
– Au même moment, ça commence à paniquer dans le labo car il ne faut absolument pas (nous apprend le sous-chef) que le drogué s'en sorte : seule la rousse peut à la rigueur s'en tirer, parce qu'elle est vierge (le scénario s'obscurcit quelque peu).
– Non seulement le drogué est vivant, mais il entraîne la rousse par une trappe dissimulée sous la mousse (oui, je sais…). La fille est très surprise de déboucher dans un ascenseur ultra-moderne ; le spectateur comprend qu'ils sont désormais à l'intérieur même du labo, sous la cabane en rondins. En plus, le drogué a réussi à trouver la boîte aux plombs et il fait disjoncter un max de trucs.
– Avec l'ascenseur, ils découvrent un gigantesque empilement de gros cubes en verre, il y en a des centaines, chacun contenant un monstre. Cela va des zombis qu'ils connaissent déjà au loup-garou, en passant par le dragon médiéval ou le couple de militants Front de gauche. Comme le chef du labo leur a envoyé une trentaine de soldats surarmés pour les tuer, le drogué appuie sur des boutons lumineux, ce qui ouvre tous les cubes de verre – et les monstres becquetent les soldats de bon appétit. Ensuite, ils s'attaquent aux blouses blanches. Le sous-chef, déjà bien amoché et couché par terre, voit alors s'approcher de lui, gueule béante, l'un des fameux tritons. Ils s'exclame : « O ! Come on ! », et il meurt.
– Il ne reste plus que le drogué et la rousse, dans une salle immense et pentagonale. On entend des bruits et des grognements. Le réalisateur, s'avisant qu'il ne lui reste que cinq minutes de bobine, fait entrer Sigourney Weaver par une porte dérobée. Elle explique rapidement que, sous la pièce où ils se trouvent, dans les profondeurs de la terre, sont retenus les Grands Anciens, qui ont régné sur la terre longtemps avant l'homme (le scénariste s'est souvenu d'avoir lu Lovecraft). Ils condescendent à se tenir peinards à condition qu'on leur offre un joli sacrifice une fois l'an, et ce depuis la nuit des temps ou pas loin. Donc, si la rousse – qui a soudain un pistolet en main, on se demande un peu pourquoi, mais en même temps par tant que ça car on commence à avoir envie d'aller se coucher –, si la rousse, disais-je, ne tue pas le drogué illico, les Grands Anciens vont sortir de terre et anéantir l'humanité. La rousse hésite, forcément. Elle soupire : « Ouais, de toute façon, hein, l'humanité… » C'est la minute philosophique.
– Finalement, elle préfère tuer Sigourney Weaver. Le drogué et elle s'asseyent ensuite sur une marche et regardent les blocs de pierre tomber autour d'eux en se prenant par la main. Au dernier plan du film, c'est le début de la fin du monde et de l'humanité : on voit sortir de terre, et exploser le toit de la cabane en rondins, une main prolongée par un avant-bras : le tout fait bien cinquante mètres de haut – écran noir, générique.
J'ai oublié de dire que la blonde du début se prénommait Jules, ce qui n'est pas le moins effrayant de l'histoire.