Reçu au courrier, hier, Vue d'œil, le journal 2012 de
Renaud Camus, qui devrait donc être le dernier publié chez Fayard, à
moins d'un revirement fort improbable de cette maison, honorable par ailleurs. J'ai
immédiatement exhorté Jean Potocki à la patience et me suis plongé dans
ce volume qui, effectivement, comme le signalait Camus lui-même dans son
journal il y a quelques jours, semble d'abord assez nettement plus
mince – ou moins épais – que ceux des dix années précédentes (au niveau
d'la prise en main, j'veux dire…). En réalité, lorsque l'on file voir le
nombre de pages, on s'aperçoit qu'il n'en est rien. Et comme le corps
de composition et le “grammage” du papier (si c'est bien comme ça qu'on
doit dire pour parler du poids et donc de l'épaisseur de la feuille) ne
paraissent pas eux-mêmes très différents de ceux des livres précédents,
on se perd en conjectures ; puis, on se plonge dans sa lecture.
C'est-à-dire que, dans un premier temps, on accomplit cet acte puéril et
vaniteux consistant à se rendre à l'index pour voir si “ça parle de nous” :
en effet, ça. En cinq ou six occurrences, dont une qui n'occupe pas
moins de trois pages, puisque Camus reproduit intégralement un billet
que j'avais écrit l'année dernière dernière, en juin, lorsque j'ai été
repris d'une sorte de prurit de lectures camusiennes ; ce même billet
que Claude Durand aurait trouvé, toujours d'après Camus, “de haute
qualité”, ce dont je suis, l'ayant relu, nettement moins persuadé que
lui ; mais enfin, un peu de pommade ne peut pas me faire de mal,
d'autant que le temps s'est brusquement remis à la
froidure.
Plaisir, donc, de tenir de nouveau entre ses
mains un volume de ce journal que j'aime et pratique assidument depuis quelques
années (depuis 2006 et Outrepas, précisément) ; et les mots, bien
sûr prennent désormais un sens plus aigu que celui, machinal, qu'ils
avaient auparavant, avant l'âge du journal quotidien et virtuel : ce volume que l'on tient, que l'on a entre les mains,
il se pourrait bien, en tout cas on y pense, qu'il fût le dernier de
cet écrivain-là, à moins d'un revirement de la fortune, d'un remords du
destin.
Du coup, retrouvant le plaisir inchangé des
années précédentes, on est tenté d'établir des comparaisons entre cette
lecture-ci, classique, et celle à laquelle nous contraint désormais la
défection de Fayard, celle de ce même journal, mais sur écran et à
raison d'une “entrée” chaque jour. Lorsque j'ai commencé à pratiquer
cette nouvelle forme, j'en ai ressenti une frustration et une
déception ; frustration parce que la lecture était toujours trop brève,
que le temps nous était refusé désormais de “s'installer” dans l'œuvre ;
et déception car j'ai d'abord eu cette impression que le journal en
devenait moins intéressant, qu'il se perdait parfois dans des aperçus
qui n'auraient pas trouvé place dans le livre, le livre de naguère. Or,
c'était une impression fausse. Ayant lu une centaine de pages de Vue d'œil,
je crois avoir compris ce qui l'avait engendrée : dans le journal
“papier”, l'œil du lecteur peut glisser rapidement sur les quelques
paragraphes qui l'ennuient, simplement parce qu'il sait disposer encore,
derrière, de plusieurs centaines de pages ; de même que, lors d'un repas
gastronomique à cinq ou six services, on n'hésitera pas à laisser
repartir presque intact en cuisine tel plat qui nous a semblé, à
première bouchée, un peu moins bon que les autres. Tandis que,
sur l'écran, dans le cas d'une lecture quotidienne, et pour filer la
métaphore nourrissante, on se trouve un peu dans la situation de l'homme
qui est parti pour une longue promenade dans une campagne déserte, avec
un seul sandwich dans sa besace, et qui s'aperçoit que celui-ci n'est
pas trop de son goût. Que fait-il ? La marche et le grand air ayant agi conformément
sur son appétit, bien sûr qu'il le mange quand même ; parce qu'il
sait qu'il n'aura rien d'autre avant le lendemain, en mettant les
choses au plus favorable. Mais, ce faisant, il ne peut s'empêcher de
bougonner un peu contre la personne qui lui a confectionné son unique
repas du jour.
Évidemment, on pourrait envisager de ne lire le journal
2013 – et les suivants, j'espère – qu'une fois par mois ; ou même, soyons
fou, tout d'une traite à la fin de chaque année ; voire d'attendre que
l'auteur en propose, quelques semaines encore après, une quelconque
version blurbienne, revenant ainsi à une lecture classique, un modus d'avant. Mais qui aura cette force d'âme ? Pas moi.
Où on apprend que Didier Goux est ravi de parler de Renaud Camus qui parle de Didier Goux.
RépondreSupprimerC'est la république des copains et des coquins…
Supprimer"Pareil". Quand vous sortez votre journal, je commence par regarder si vous parlez de moi. Je ne lis réellement que quand j'ai le temps en sautant certains paragraphes ...
RépondreSupprimerJe le sais bien ! D'ailleurs, à une époque, j'avais dit que je vous donnerais un sobriquet (transparent mais changeant tous les mois) de façon à ce que vous ne parveniez plus à vous repérer aussi facilement. Je vais peut-être le faire, tiens…
SupprimerCe n'est pas utile. Je vous lis mais pas au moment où je découvre le billet (trop long, je préfère lire à tête reposée).
SupprimerPas utile peut-être, mais rigolo quand même…
SupprimerIl n'y a pas à dire : ce que vous pouvez être "chou" tous les deux !
RépondreSupprimerSurtout Nicolas, qui réussit ce prodige d'être à la fois un chou frisé et un chou de Bruxelles puisqu'il est pro-européen (ce con).
SupprimerQuand à moi, tant qu'on n'aura pas inventé le chou-qui-pue, je ne vois pas…
Avec votre nez en chou fleur...
Supprimer