Quand on m'a refilé ce pavé, mercredi dernier, je n'ai pas pu m'empêcher de soupirer : 450 pages d'autobiographie de Line Renaud, à lire aussi vite que possible pour y trouver un “sujet”. D'accord, c'est vrai, c'est mon travail. Mais Line Renaud, tout de même ! Je m'en fous, de Line Renaud ! Je serais incapable de fredonner trois vers de l'une de ses chansons ! Par rapport à ma vie, en plus, elle tombe dans un trou : trop vieille pour être ma mère, trop jeune pour grand-mère. Mais enfin, c'est mon travail, de lire ce livre. Quand je prends le volume, il en tombe une sorte de carte de visite. Je la ramasse et j'y lis ceci :
En hommage de l'auteur
absent de Paris
J'ignorais absolument que se pratiquait encore cette manière de dire aux journalistes : « Je vous emmerde profondément, vous pouvez crever, jamais je ne vous dédicacerai mon livre, espèce de rat inutile. » Pour le coup, Line Renaud me devient tout de suite plus sympathique, plus proche. Mais enfin, je reste professionnellement contraint de lire ses 450 pages, et la chose ne m'amuse pas plus que cela. Or…
Or, je constate une fois de plus – car depuis un an et demi je lis beaucoup de biographies et d'autobiographies – que je suis incapable de rester en dehors de la vie d'une personne, pour peu qu'on la déploie devant moi, même si cette personne ne m'intéressait nullement avant et ne m'intéressera plus ensuite – ce qui est le cas de Mme Renaud.
D'où vient, d'où naît cette bizarre empathie ? D'abord, évidemment, de la manière dont est rédigé le livre que j'ai entre les mains. Celui de Line Renaud est un modèle, pour cela : dès le début, et jusqu'au bout, elle trouve la bonne distance pour parler d'elle-même. Cette petite gamine du Nord ouvrier qui a connu toutes les célébrités du showbiz international entre 1950 et aujourd'hui pourrait se vanter ou, tout aussi bien, se rabaisser de manière artificielle : elle ne fait ni l'un ni l'autre. En revanche, elle se jauge elle-même assez bien, je crois.
De toute façon, même si son livre avait été raté (ou même s'il avait été plus réussi, par exemple si je l'avais écrit, moi, plutôt que ce pauvre Bernard Stora qui, non content d'être un cinéaste sans intérêt, est également incapable de se hisser à la hauteur de son sujet), ça n'aurait pas changé grand-chose en ce qui me concerne. Plonger dans la vie d'une personne donnée finit toujours par faire vibrer quelque chose en moi, à partir du moment où cette vie se dessine. Si bien que, parfois (mais ça me fout la trouille et j'évite d'y penser trop), je me dis que je serais capable de me passionner pour la vie d'un imbécile-à-prénom, tout droit sorti d'une émission de télé-réalité.
(Mais il est vrai que je ne puis plus critiquer ces émissions-là, puisque je n'en ai jamais regardé qu'une seule, Le Grand Perdant, et que je suis immédiatement tombé dedans, tel Obélix dans sa marmite.)
Tout cela m'a éloigné de Line Renaud, évidemment. Il se passe ceci : j'ai lu son livre, j'ai écrit l'article que l'on attendait de moi, je devrais donc n'y plus penser, puisque je n'y avais jamais pensé avant. Or, “depuis j'y pense toujours”, comme disait Victor Hugo.
Et je suis presque sûr que quand Line Renaud mourra (sauf si elle vit jusqu'à 115 ans et que je meurs avant elle), eh bien ! j'aurai l'impression que disparaît quelqu'un qui a a compté dans ma vie, uniquement parce que j'aurai, quelques heures dans la mienne, lu son histoire.
Ce qui semble signifier que ce métier qui est le mien, ne laisse pas entièrement vierge de tout sentiment personnel.
Ce phénomène vous est donc bénéfique puisqu'il vous offre la possibilité 1 de vous rendre le travail intéressant, 2 de vous faire des amis à peu de frais, sans même qu'ils le sachent !
RépondreSupprimerC'est vrai.
SupprimerJe serais incapable de fredonner trois vers de l'une de ses chansons !
RépondreSupprimery a qd même des chef-d'oeuvre intellectuel
Ma cabane au Canada
est blottie au fond des bois
ou
Combien pour ce chien dans la vitrine , ouah, ouah
combien pour ce chien jaune et blanc
signé : un ex voisin de Mle from Armentières
Ou, comme disait un marchand de tableaux célèbre : « Combien pour le Titien dans la vritrine ? »
SupprimerVous ? Des sentiments ! Mais remettez vous, mon vieux.
RépondreSupprimerPar ailleurs, elle a parfaitement l'âge d'être votre mère.
Mais oui, vous avez raison ! Je pense que, inconsciemment, j'ai toujours tendance à rajeunir mes parents.
SupprimerIl me semble que le sentiment que vous décrivez doit être partagé par les lecteurs d'autobiographies de façon générale, et peut-être pas seulement par les journalistes.
RépondreSupprimerEn tous les cas j'ai lu votre article en me souvenant avoir eu le même type de sensations, assistant à chaque fois à la création d'une sorte de lien étrange et durable avec la personne biographée, une personne qui devient proche alors qu'elle ne vous connait pas.
Cela me conduit à imaginer ce que doivent ressentir les groupies et autres fans de telles ou telles autres célébrités après s'être injecté les nombreuses biographies de leurs idoles médiatisées, lorsque l'on réalise en vous lisant que l'être humain est capable d'une forte empathie à l'endroit de personnes dont on lui raconte la vie bien qu'il n'ait pas vraiment choisi de s'y intéresser à priori.
Mais si on pousse un peu plus loin la réflexion, ne serait-ce pas le cas des personnages de romans dont on ne sait rien au début du livre, que l'on n'a certes pas choisi et auxquels nous allons pourtant nous attacher au fil du récit?
De là me vient l'idée que finalement une biographie n'est jamais qu'un roman et son sujet un personnage...
Vous avez raison, dans votre première phrase. Le grosse différence est que le lecteur “normal” a choisi de lire telle ou telle biographie, alors que, moi, elle m'est imposée.
SupprimerElle n'a pas déjà 115 ans?
RépondreSupprimerNe soyez pas mesquin !
SupprimerComment imaginer qu'on puisse jamais être "vierge de tout sentiment personnel" ?
RépondreSupprimerN'y a-t-il pas une certaine naïveté à écrire ceci ?
Pour ma part, j'aimerais beaucoup pouvoir lire l'article que vous avez écrit. Cela ne pourrait-il pas faire l'objet d'un billet ? Car contrairement à vous, j'ai des souvenirs de chansons de Line Renaud.
En particulier celle que toute la famille entonnait chaque fois que mon cousin de seize ans passait une porte vêtu de son premier costume qui avait remplacé ses sempiternelles culottes de golf :
"Qu'il était beau le complet gris
Que ce jour-là il avait mis..."
Je vous assure que je n'avais aucun a priori sur Line Renaud, jusqu'à samedi dernier, ni pour ni contre : elle n'existait pas pour moi.
SupprimerPour l'article, hum ! je ne vais quand même pas encombrer ce blog avec toutes mes productions professionnelles…
Mais, si vous voulez, donnez-moi votre adresse mail et je vous l'enverrai. Ou votre véritable adresse et je vous enverrai le journal quand il sera paru.
Ne me dites pas que vous n'avez jamais entendu "Ma cabane au Canada est blottie au fond des bois..." Ça doit parler au moins à Catherine ;)
RépondreSupprimerQuelqu'un qui met Copacabane au Canada ne mérite pas qu'on l'écoute…
SupprimerElle a aussi un point commun avec Renaud Camus!
RépondreSupprimerVous voulez parler de son nom ou de la carte dans le livre (car j'ai eu la meme carte dans un livre de Renaud Camus recu recemment)?
SupprimerLine Renaud n'est rien pour moi... Mais votre billet, l'écriture, les questions sur l'empathie me plaisent vraiment.
RépondreSupprimerS'il y a cette empathie chaque fois, comment est ce possible d'avoir la distance nécessaire pour la critique d'une biographie ?
D'abord, ça ne marche pas à chaque fois, loin de là ! Ensuite, il ne s'agit pas de faire une critique du livre, mais d'y puiser des idées de sujets d'articles, des anecdotes inédites, etc.
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