Ce qui est énervant, chez les snobs d'extrême-droite à tendance néo-nazie, c'est cette posture qui consiste à prendre tout film français pour une daube, sauf s'il date de l'époque du muet avec image tremblotante : je m'inscris en faux, personnellement. Le diptyque d'Yves Robert (Éléphant et Paradis), écrit par Dabadie, me semble être l'exemple de ce que pouvait être le bon cinéma français, à l'époque où il devait gagner ses sous lui-même, et donc plaire au public payant plutôt qu'aux commissions de racket d'État, et où, de fait, en y embauchait de vrais acteurs plutôt que Romain Duris, Bruno Putzulu, Natacha Régnier ou Marion Cotillard – liste hélas non limitative.
Le hasard des zappings étant ce qu'il est, et mon sommeil aussi, j'ai revu hier, assez tard, Un éléphant, ça trompe énormément. Pour la quatrième ou cinquième fois, je ne saurais dire : les années s'entassent et la mémoire perd un peu le fil, même quand il est question d"éléphant. Scénario limpide, coulant, allant-de-soi, que j'aurais été fier d'avoir écrit ; content, au moins. Cela étant dit, après ces trois ou quatre ou cinq visions, une scène me demeure obscure.
Elle concerne le personnage le plus intéressant du quatuor, celui joué par Claude Brasseur. Il est le pédé du groupe. Mais, justement, il n'est pas le pédé du groupe. Je me demande si, dans le cinéma français, il n'est pas le premier exemple de personnage qui se trouve être accessoirement homosexuel. (Je rappelle que le film date de 1976.) Rien ne le sépare ni ne le différencie des trois autres ; et, lorsque son homosexualité fait irruption – aux trois quarts du film – dans l'histoire, elle ne change rigoureusement rien, et il n'est même pas possible de déterminer si ses trois amis étaient déjà au courant ou s'ils le découvrent en même temps que nous, spectateurs.
Peut-être le subodoraient-ils, encore une fois comme nous. Car des indices sont semés dès le début, mais si discrets que le “Français moyen” peut parfaitement choisir de ne pas s'en apercevoir, ainsi qu'il en allait dans la vie d'alors, où la revendication n'était pas l'alpha et l'oméga des rapports entre les êtres, où chacun avait encore droit à sa part d'ombre. Claude Brasseur, on le sent (on le sent rétrospectivement, quand le film est fini), a choisi de ne pas se cacher ni s'afficher : il laisse faire les choses. De même, au spectateur, durant la première heure, est laissé le choix entre la découverte et l'ignorance. Les indices sont là : lorsque les mousquetaires se retrouvent sur le court de tennis [photo], Brasseur est le seul à arborer une tenue fantaisiste ; même chose lors d'un dîner de garçons, un peu plus loin dans le film ; et lorsque Rochefort décide de renouveler sa garde-robe, c'est à lui qu'il fait appel, et Brasseur l'emmène chez un tailleur, qui est visiblement son ami. Ces indices, on peut ne pas les voir, ils sont suffisamment discrets pour n'être pas signifiants. Mais alors, arrive la scène de la “révélation”, et elle reste (elle me reste) à peu près inintelligible, en tout cas énigmatique.
Nous sommes au mariage de Marthe Villalonga, mère de Guy Bedos (quelques scènes réjouissantes entre eux deux, mais assez anecdotiques). Scène d'extérieur. Claude Brasseur avise, dans l'herbe, une gourmette frappée au prénom d'Éric. Il la ramasse, la brandit au-dessus de sa tête et, les yeux à la ronde, interroge : « À qui ? » Une voix hors champ répond : « À moi… » C'est celle de Pierre Malet, bel ange blond aux yeux d'azur. La courte scène qui s'ensuit révèle l'homosexualité de Brasseur.
Un peu plus tard dans le film, les mousquetaires sont attablés à la terrasse d'un bistrot de campagne, je ne sais plus trop pourquoi (comme quoi, on a beau voir les films cinq fois…). Soudain, se dirige vers eux un quinquagénaire un peu trop bien habillé et coiffé, flanqué d'un lévrier afghan, ou quelque chien de ce genre. Brasseur se tend : manifestement il sait qui est cet homme et il appréhende plus ou moins la confrontation qu'il pressent. Le quinqua balance sur la table la gourmette “Éric”, en laissant tomber d'un ton rageur et méprisant : « Pauvre conne ! » Puis, il retourne à sa voiture de sport décapotée (bagnole de pédé…) avec son lévrier et, avant de démarrer en trombe, jette sur la route une valise qui, sous le choc, s'ouvre et dégueule les vêtements qu'elle contenait. À table, Claude Brasseur a un petit rire en demi-teinte, les autres s'entre-regardent en silence ; même le “beauf à grande gueule”, Victor Lanoux, reste interdit.
Cette scène me demeure énigmatique, donc. La gourmette, ramassée dans l'herbe, pourquoi le “rival“ la balance-t-il à la figure de Brasseur, comme s'il s'agissait d'un cadeau fait par celui-ci à Pierre Malet ? D'où sort la valise qu'il jette hors de sa voiture ? Pourquoi, cinq minutes plus tard, voit-on Brasseur, en larmes, sembler faire ses bagages comme s'il s'apprêtait à quitter son propre appartement ?
Je crois que je n'éluciderai jamais ces questions, que cette scène me restera toujours opaque. En même temps, je n'y vois pas d'inconvénient : cette ombre dans laquelle Brasseur est toujours plus ou moins enveloppé – au moins dans le premier des deux films –, je la lui accorde volontiers.
Bonsoir,
RépondreSupprimerC'est pourtant simple:
Après sa rencontre lors du mariage, Brasseur va avoir une histoire d'amour avec "Eric"-Pierre Malet!
Cependant, Brasseur lui-même, est un peu gigolo, et vit chez le Monsieur riche à la voiture de sport.
Le Monsieur découvre que Brasseur le trompe avec un petit minet ( la gourmette étant la preuve ), et décide de le virer avec perte et fracas: d'oú l'épisode de la valise et du " pauvre conne" !
La scène est violente, non à cause de l"outing" de Brasseur, mais dans la mesure où:
1: Brasseur est humilié devant ses potes en qualité de "type entretenu" jeté à la rue,
2: parabole de l'âge chez les homos, Brasseur passant brutalement de l'âge où il séduisait les riches homos, à celui où il devra à son tour séduire les jeunes garçons! D'où les larmes.
Au début du film suivant, Brasseur sera hébergé par un de ses copains ( il est à la rue ), puis il y aura un problème avec un gigolo polonais, etc.
Comme vous, j'adore ces 2 films, les comédiens et le scenario!
Ces scènes m'avaient particulièrement frappé, étant ado.
You Avignon
Très juste analyse !!!
RépondreSupprimerJe me souviens de Bedos indiquant à Lanoux qu'il a le type antisémite !
Lanoux répond : bah ça veut rien dire ! On a le type sémite ou pas, mais le type antisémite ça n'existe pas !
Un tel dialogue bien innocent est impossible aujour'hui...
Pour ma part j'ai interprété cette scène de cette façon :
RépondreSupprimerClaude Brasseur est l'amant, ou un des amants, du vieux beau et avait donc quelques affaires chez lui, laissées au fil du temps lors de week-end prolongés successifs.
L'amant outragé a retrouvé dans les affaires de Brasseur la gourmette qu'Eric lui avait en fin de compte laissé, suite à leur coup de foudre, et pris de courroux vient exposer de façon éclatante à la face du monde gourmette et valise, déversées au pieds de Brasseurs en signe de rupture.
On peut imaginer que le vieil homme, visiblement beaucoup plus aisé que Brasseur, pouvait l'entretenir financièrement notamment en mettant à sa disposition le logement qu'il occupait, ce qui explique l'obligation pour celui-ci de quitter la garçonnière précipitamment.
You et Bar : eh bien ! je crois que vous avez entièrement raison : maintenant que vous le dites, la chose m'apparaît limpide… quoique, tout de même, assez fortement elliptique ! Moralité : Didier Goux est un abruti qui, après quatre visions, n'est toujours pas capable de comprendre un film d'Yves Robert…
RépondreSupprimerMamasc : vous vous trompez : c'est Claude Brasseur qui fait cette remarque à Victor Lanoux. (Pendant ce temps, à l'autre bout du court de tennis, Bedos est occupé à s'engueuler avec Rochefort…)
C'est vrai !
SupprimerJe n'ai pas vu ces films depuis plusieurs années...
Pour continuer la discussion sur les films français de cette époque, un de ceux que j'ai préféré est "Garde à Vue" de Claude Miller, un huis-clos qui respecte pratiquement les trois unités du théâtre classique (unité d'action, de lieu et de temps), avec Michel Serrault et Lino Ventura dans des prestations d'acteurs magnifiques.
RépondreSupprimerSauf que Garde à vue doit être plus récent d'environ dix ans…
SupprimerOn coupe la poire en deux : 5 ans (1976 pour l'éléphant et 1981 pour Garde à Vue)
SupprimerDécidément, je n'ai pas de bol avec le cinéma, moi !
SupprimerBonjour Monsieur Goux
RépondreSupprimerJe me pose la question : comment Bruno Putzulu, avec un tel nom de famille, a-t-il pu faire carrière dans le cinéma ?
Mais, d'une certaine manière, il n'a pas fait carrière, il s'est contenté de montrer sa fraise dans des films sans aucun succès (comme l'imbuvable "Monsieur N.") et son salaire était payé par la commission d'avances sur recettes (très hypothétiques recettes dans le cas de sa filmographie).
Dans "avance sur recettes", le mot qui compte est "avance"…
SupprimerEt Guédiguian c'est plutôt un nom de fourreur arménien. Le cinoche français moderne aime les noms improbables et les mauvais acteurs. Quant au public germanopratin, il est en extase lorsque les deux sont cumulés en une seule et même personne.
SupprimerExcellent!
SupprimerJ'avais oublié de parler de l'essentiel : dans le film "Un éléphant ça trompe..." j'avais beaucoup aimé la scène où on voit la très belle Anny Duperey vêtue d'une très, très attirante robe rouge (à la fois sexy et très élégante) qui passe devant les yeux complètement ébahis de Jean Rochefort. Elle marche à longues enjambées, sans se soucier des regards concupiscents du type à la moustache, et, la coquine, s'amuse à laisser sa jupe être soulevée par le souffle de la grille d'aération... Rochefort, totalement subjugué, est mortellement atteint au coeur (par une flèche de Cupidon). Cette courte scène va entraîner Rochefort dans bien des complications (mensonges à sa femme, à ses amis, etc...). Le film est très sympathique, et a sympathiquement bien vieilli.
RépondreSupprimerChef : j'ai vérifié (c'est mon "sympathique" côté Stasi) chez Wikipedia : z'avez raison "Garde à vue" est de 1981.
Je ne suis pas fou (euphémisme) de Duperey. Et je trouve que les scène où elle est présente sont les moins piquantes du film.
SupprimerOui Monsieur Goux je comprends parfaitement, mais voir le si distingué Jean Rochefort gravement atteint par le "démon de midi" était (et est toujours) réjouissant.
SupprimerDe toutes façons "Un éléphant ça trompe énormément" c'est cent millions de fois mieux que l'ennuyeux et carrément "mortel" "Molière" d' Ariane Mnouchkine... Parce que s'il y a un film français des années 70 totalement "daubesque" c'est bien ce foutu "Molière"-là....
Je n'ai jamais pu en regarder plus d'1/4 d'heure: c'est bruyant et bordélique:!
SupprimerL'avance sur recettes (assez maigre) n'est qu'une infime partie des subventions dont le gros est constitué par le fonds de soutien (automatique) les participations obligatiures des télés etc. etc.
RépondreSupprimerET l'avance n'est pas remboursable quand il n'y a pas de recettes...
Il ne manquerait plus ça, qu'il faille rembourser ! Vous voulez la mort de Guillaume Canet ou quoi ?
SupprimerBrasseur n'est pas homo, mais bi; dans un des deux films (j'ai oublié lequel), il est sur le point de se marier avec une dame (d'un certain âge, qui "a plusieurs tours au compteur", comme le dit Lanoux).
RépondreSupprimerJe dirais plutôt que Brasseur est un homosexuel "s'égarant" un moment dans l'hétérosexualité : il le dit d'ailleurs lui-même, dans le second film, qui est aussi celui du mariage avorté.
SupprimerVoilà ce que c'est que d'avoir tellement attendu pour légaliser le mariage homo, les types s'égaraient dans n'importe quoi.
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RépondreSupprimerSauf erreur, le cabriolet est une Jag. E-Type.
C'était une époque où Guy Bedos était encore sympathique.
RépondreSupprimerAprés ce réjouissant billet sur le cinéma des années 1970 et vu la maturité de l'audience de ce blog, il me semble qu'un article primesautier sur l'ensemble de l'œuvre de Berthe Silva (1885-1941) s'imposerait, non ?
RépondreSupprimerPuisque vous êtes expert en Grosse Bertha, Cui cui (ce que l'on savait déjà d'ailleurs), expliquez-nous donc sa vie et son œuvre…
SupprimerEt alors, c'est très bien, Berthe Sylva !
SupprimerIl y a quand même un truc qui est frappant, c'est que les 4 ont vraiment la gueule de l'emploi, les personnages qu'ils jouent s'accordent si bien avec leur physique qu'on ne sait plus très bien s'ils jouent vraiment des personnages ou bien si les personnages ont été choisis pour eux...
RépondreSupprimerEn tout cas, les acteurs d'avant avaient de la gueule !
J'ai toujours pensé qu'il s'agissait d'un documentaire animalier.
RépondreSupprimerAh, Miss France et son coup de tronche!^^
RépondreSupprimerLes films de Joël Seria gardent également un charme étrange, avec l'immense Marielle (Les Galettes, Comme la lune, Les Deux crocodiles avec Carmet!).
C'est quand même très fade aujourd'hui.
Comme j'ai envie de partager des émotions communes avec mes compatriotes contemporains et qu'il me faut des sujets de conversation à l'heure de l'apéro, je vais voir parfois un gros succès populaire.
RépondreSupprimerJe suis sorti de la salle à mi-parcours pour "Les petits mouchoirs". Ma question est : suis-je normal?
Si vous étiez normal, vous n'auriez pas tenu jusqu'à la moitié.
SupprimerJ'aime beaucoup les petits mouchoirs et je regarde de temps à autre une des nombreuses séquences qui m'ont mis en joie. Le seul moment où je souffre, c'est à la séquence du guitariste (même pas un instrument de l'orchestre ajouterait Georges) parce qu'il faut se farcir cette daube pour avoir droit au plaisir d'entendre toute la troupe s'extasier parce qu'îl bouge ses petits doigts comme son professeur lui a montré.
SupprimerC'est une critique féroce avec des vrais morceaux d'humour dedans...c'est Proustien, quoi, enfin au moins autant que Didier Goux puisqu'on est sur un blog où l'on peut manier l'encensoir à grands moulinets.
Je suis très flatté d'être presque aussi proustien que Guillaume Canet.
Supprimervous savez, jazzman, les jugements sur ce blog portés par l'auteur et les affidés qui le suivent aveuglement tiennent plus aux opinions politiques des créateurs qu'à la qualité de leur réalisation. Je ne connais pas Guillaume Canet, mais il a dû se déclarer dans quelque interview; humaniste ou pro Hessel ou de gauche ou un truc de ce genre pour que son compte soit bon, définitivement...
RépondreSupprimerArsène, vous êtes un con. J'allais développer, mais c'est inutile : vous êtes un con.
SupprimerJe vais vous rassurer, je suis de gauche.
Supprimeroh le " snobs d'extrême-droite à tendance néo-nazie" a aussi quelque sympathie pour les œuvres de Claude Autant-Lara , par conformisme.
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