En commentaire à mon billet d'hier, M. Desgranges signalait que l'on pouvait lire Tristan Corbière dans la Pléiade. Aussitôt, je me suis souvenu que j'avais, voilà longtemps, acheté ce volume-là, que Corbière partageait, si j'ai bonne mémoire, avec deux autres poètes aussi savoureux et discrets que lui : Germain Nouveau (photo) et Charles Cros. Je dis “si j'ai bonne mémoire”, car il y a belle lurette que le volume a disparu de chez moi, probablement prêté à un indélicat ou à une vague et brune érectogène, qui l'un ni l'autre ne l'auront lu – passons. En parlant d'érection, cela me fait souvenir que la première personne qui ait parlé de Tristan Corbière et de Germain Nouveau à l'inculte non satisfait que j'étais au début des années quatre-vingt s'appelait Béatrice Fontanel – c'est Philippe Bernalin qui me l'avait présentée, pensant qu'on avait tout pour s'entendre ; et en effet, vu la paire de seins que promenait la jeune femme en question, nous eussions pu, mais elle n'a pas souhaité que je fasse plus ample connaissance avec ces jumeaux tentants. Elle vivait alors avec le journaliste Daniel Wolfromm, frère de l'écrivain Jean-Didier du même nom qui, je crois bien, n'a pas eu une vie beaucoup plus enviable que celle de Tristan Corbière et dont je n'ai jamais lu une ligne. Enfin bref, à défaut de ses seins, cette Béatrice m'avait au moins dévoilé Corbière et Nouveau : je lui en rends grâce. Je les ai aimés tout de suite, Pléiade en main, mais je ne suis pas sûr qu'il n'entrât pas une part de snobisme puéril dans ma soudaine dilection : se délecter de poètes que personne ne connaît, n'est-ce pas… Quand je dis “personne”, je parle du milieu journalistique que je fréquentais alors, lequel était déjà – ou encore – celui où l'on alliait une parfaite fatuité à la plus crasse ignorance : il a fallu que les blogueurs apparaissent pour que les journalistes prennent quelque allure de gens cultivés. J'étais dans l'idée, au départ de ce billet, de vous dire quelques mots sur ces trois personnages, peut-être même de reproduire quelques vers d'eux. Mais non : internet est là, votre curiosité, si je l'ai fait naître, sera rapidement satisfaite, vous n'avez pas besoin de moi. De toute façon, je perds le fil, me demandant à quel personnage évanoui j'ai bien pu prêté cette Pléiade, c'est en train de tourner à l'obsession, je le sens. Un petit verre va s'imposer.
Voilà, c'est servi, la Kro mousse. Plus j'y pense et plus je crois que c'était une fille. Je prêtais peu mes livres aux hommes, considérant qu'ils n'avaient qu'à se les acheter, dépourvu que j'étais d'arrière-pensée à leurs endroit et envers. Donc, une fille, presque forcément. Mais laquelle ? Qui ? Rien à faire, elle a disparu. C'est curieux parce que je me souviens toujours beaucoup mieux de celles, comme la Fontanel, qui m'ont gentiment éconduit que des quelques autres (il doit subsister, dans leur cas, des lambeaux de désir que les autres, l'ayant sottement assouvi, ont tué tout à fait). Et je ne me vois pas – ce n'est guère à mon honneur de le dire – prêter un livre à une femme avec qui j'aurais déjà couché ; même l'idée de parler de littérature avec elle m'aurait semblé bouffonnerie et perte de temps. On ne saura jamais, quoi. Mais on peut toujours imaginer – après tout, la nuit est tombée, il n'y a rien à la télé, on n'a pas plus urgent à faire – qu'un jour, des années après, m'ayant tout à fait oublié, cette Carine ou Angélique a ouvert le volume qui s'empoussiérait patiemment et éprouvé une petite commotion en lisant Tristan ou Charles ou Germain ; et qu'à ce moment, allongée sur son lit, ou dans le fauteuil, une jambe passée par-dessus l'accoudoir, elle s'est demandé comment ce livre était arrivé sur ce rayonnage. Elle en a probablement conclu qu'il devait venir de l'un de ces nombreux garçons qui, peu conquérants par nature, avaient tenté de la séduire en le lui donnant. C'est comme ça, quand on n'est pas trop laide, à force de temps, qu'on se constitue une bibliothèque.
Lautréamont, Œuvres complètes, édition établie par Jean-Luc Steinmetz, Paris : Gallimard, colL. « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, 848 p., EAN 9782070119141.
RépondreSupprimerReprise de la « publication permanente » (p. 298) : la précédente édition des œuvres d’Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, dans la Bibliothèque de la Pléiade datait de 1970. Ducasse était associé à Germain Nouveau pour des raisons probables d’espace éditorial, mais non sans légitimité critique, si l’on se réfère aux travaux de l’éditeur.
La même année, en effet, Pierre-Olivier Walzer réunissait Charles Cros et Tristan Corbière dans un volume de la même collection ; avec Mallarmé et Rimbaud, dont les Pléiades étaient plus anciennes, six précurseurs du symbolisme se trouvaient donc édités, sur les sept évoqués par P.-O. Walzer dans son essai La Révolution des sept (Neuchâtel, La Baconnière, 1870). Le septième, Jules Laforgue, manque encore au catalogue de la collection.
Aujourd’hui, l’évolution de la mémoire du grand public a décidé la réédition de Lautréamont seul et l’abandon de Nouveau, Cros et Corbière.
http://www.fabula.org/revue/document5665.php
Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris, mais je confirme qu'il existe une Pléiade où Lautréamont voisine avec Germain Nouveau. J'étais d'ailleurs fort marri de me faire imposer ce dernier, qui m'est tombé des mains.
Ah, moi, c'est Lautréamont qui me tombe des mains !
SupprimerPourquoi la demoiselle serait laide, c'était peut être une beauté alourdissante car ne l'oubliez pas vous êtes un homme de gout sauf pour les films de zombies nazis.
RépondreSupprimerJe vous défends bien de dire du mal des films de zombis nazis !
SupprimerQue vous regardiez des films de zombis, cela peut être rigolo mais pourquoi nazi pour l'uniforme qui leurs va à ravir.
SupprimerDuga, désolé, mais je viens de faire une fausse manœuvre et votre commentaire a disparu, ainsi que ma réponse !
RépondreSupprimerDommage pour la réponse
SupprimerMerci de me l'avoir signalé
Duga
1. Pléiade : c'est Cros-Corbière -- volume épuisé et oublié par ce médiocre éditeur --, Lautréamont est tout seul.
RépondreSupprimer2. Ne prêtez jamais de livre : offrez-en ! cela évite d'avoir à attendre, en vain..., le retour de l'ouvrage.
Il n'y avait pas Nouveau avec ? Bon, si vous le dites… Ce doit être le souvenir de ma Fontanel qui m'a brouillé l'entendement.
SupprimerPour votre 2), sachez qu'en ces époques lointaines, je n'avais pas les moyens d'offrir des livres, mon “budget bistrots” étant particulièrement élevé…
Mais je vous dis et répète que je ne l'ai pas, votre Pléiade !
RépondreSupprimerCarine
On dit ça…
SupprimerVotre texte ferait une jolie nouvelle
RépondreSupprimerPour les amateurs que le paiement du derniers tiers d'impôt n'a pas mis sur la paille, un volume de la Pléiade rarissime Cros-Corbière est en vente ici. Un peu cher, mais le vendeur offre généreusement les frais de livraison...
RépondreSupprimer"Béatrice m'avait au moins dévoilé Corbière et Nouveau"
RépondreSupprimerC'est ainsi qu'elle avait baptisé chacun de ses seins ?
Ces volumes valaient bien La Pleiade...
Désolé
Duga