Je me montrai, il y a quelque temps, excessivement sévère avec le jeune Balzac, je veux dire avec l'écrivain en bâtiment qu'il fut, six ou sept ans avant d'écrire Les Chouans, inaugurant ainsi, sans le savoir encore, sa Comédie humaine ; sévérité qui se doublait d'une certaine fatuité, dans la mesure où je n'avais guère fait plus que picorer ci ou là quelques maigres extraits des œuvres en question. Pour me montrer que j'avais tort, et que le jeune Tourangeau de 22 ou 23 ans valait mieux que ce que j'en disais, Michel Desgranges me mit entre les mains, à l'occasion d'une visite que je lui fis, le tome initial des Premiers Romans de Balzac, publiés dans la collection Bouquins ; je l'ai ouvert hier.
Je n'ai encore lu qu'une centaine de pages de L'Héritière de Birague, publiée en 1822, mais je dois dès maintenant faire amende honorable : cet auteur à peu près débutant vaut beaucoup mieux que le mal que j'en disais. Si les personnages n'ont pas la complexité d'un Vautrin ou d'une cousine Bette, ils sont pourtant déjà bien campés ; l'intrigue est solide, elle file droit ; l'écriture est alerte, rapide, joyeuse. Bref, on passerait en ce lieu et en ce siècle – le roman se déroule en Haute-Bourgogne durant la régence de Marie de Médicis – un excellent moment, même si ce roman, aux indéniables parfums de Walter Scott, n'était pas de la plume du futur Balzac.
Mais justement il l'est, et nous le savons. Il est donc excitant, pour le lecteur balzacolâtre, de repérer les moments, les tournures, les aperçus, etc., par lesquels le futur génie perce déjà l'enveloppe encore duveteuse du jeune homme ; ils sont assez nombreux, je n'en citerai qu'un, pris au tout début du troisième chapitre. C'est le moment où les invités du bal convergent vers le château de Birague ; Balzac écrit :
« Déjà les antiques tombereaux de cuir, que nous appellerons carrosses par respect pour nos ancêtres, roulaient les principaux personnages de la haute noblesse vers le château de Birague. Les chemins vicinaux, si séditieux aujourd'hui, n'existaient pas ; c'était donc d'ornière en ornière, de cahot en cahot qu'on se rendait d'un château à l'autre. Les législateurs du temps regardaient l'industrie et l'agriculture comme deux choses dont il était important de borner l'essor ; et pourvu que l'industrie pût fournir à leurs caprices, et l'agriculture au froment strictement nécessaire pour les biscuits réservés à leurs tables, l'État devait être florissant. »
Qui, avant ce Balzac naissant, se serait soucié de l'état des chemins par lesquels on se rendait au château pour un bal masqué ? Qui aurait aussitôt élargi le thème pour le faire déboucher sur des considérations économiques, et finalement politiques ? Et, avant de reprendre le cours du récit proprement dit, l'auteur conclut son paragraphe par une phrase si typiquement balzacienne qu'elle semble presque sortir d'un second pastiche que Proust aurait fait de lui (c'est moi qui souligne) :
« Tandis que les toilettes de ces hautes et puissantes visiteuses étaient froissées par l'effet du système monarchique des ponts et chaussées d'alors, les dames du château de Birague s'occupaient tranquillement d'une parure qui n'avait aucun fossé à craindre. »
Par exemple, j'ignore toujours, où j'en suis arrivé, quel monstrueux crime ont bien pu commettre, dans le passé, le comte et la comtesse de Morvan…
Il frise l'extrême gauche. J'espère qu'il n'avait pas GDC comme pseudo dans les blogs de l'époque.
RépondreSupprimerBalzac à l'extrême gauche ? Manquait plus que ça…
SupprimerJ'ai rien compris de la première citation.
RépondreSupprimerSoit il est extrêmement parodique et critique sur la situation présente, guère meilleure comparée au temps de celle décrite (séditieux contre ornières, ...).
Soit il utilise des tournures et expressions dont le sens a changé depuis (borner l'essor : favoriser? ou limiter?, pourvu que : à la seule suffisance de l'état? ou contrainte minimal dés l'état pourvu?) et me font croire l'inverse !
Amike
Je crois qu'il décrit une économie de pure subsistance et qui entend le rester ; par rapport à celle qui est en train de naître en France au moment où il écrit, celle de la "révolution industrielle", qui va donner l'économie dite moderne. Je pense qu'il ne se moque ni n'approuve : il constate. En quoi il est très balzacien.
SupprimerCe n'est pas un simple constat: parlant de biscuit il vise l'aristocratie et ses privilèges.
SupprimerCertainement pas ! Il pointe l'aveuglement des aristocrates qui, incapables de voir venir le monde moderne sont encore plus incapables de s'y adapter et, donc, se condamnent eux-mêmes à disparaître, ce que Balzac regrette fort. Tout cela sera magnifiquement développé vingt ans plus tard dans son roman intitulé Les Paysans.
SupprimerHeu... Il me semble que je pointais le même sens... mais bon, c'est vous le spécialiste, moi Balzac je le connais de nom dans une chanson de Frank Alamo.
SupprimerJe retiens surtout que Balzac a la chiasse, sur la photo.
RépondreSupprimerIl a mangé du Rodin...
Supprimerle pal , cette torture qui commence bien et qui finit mal
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