On pourra toujours dire ce qu'on voudra : les nobles possèdent une chose qui nous fera défaut à jamais, nous de la roture ; et c'est le lignage. Savoir avec certitude que dans les derniers jours de novembre 1095, cependant qu'Urbain II prêchait la glorieuse croisade, un futur aïeul engrossait une jeune épousée, et que du fruit de cette étreinte allait sortir trente générations conduisant jusqu'à soi…
J'entends bien votre condescendance : « Mais nous aussi, vous, tout le monde a eu des ancêtres en l'an Mil ! » C'est l'évidence ; on pourrait même remonter, avec autant d'assurance, jusqu'aux protozoaires et à l'algue bleue. Mais la différence est que nos familles à nous disparaissent à mesure qu'elles engendrent. Mon acharné au déduit de tout à l'heure, on sait qu'il s'agit de Thibault, premier du nom ; ses hauts faits sous les murailles d'Antioche, derrière la bannière de Baudoin de Boulogne, sont dûment consignés dans les chroniques du temps ; on connaît son caractère, ses possessions, son second voyage en Terre Sainte et même ses faiblesses gastriques. Il en ira de même, au long des siècles, de toute sa descendance, qui comptera des marquis bien en Cour et des barons querelleurs, des fils indignes et des sœurs sacrifiées, un renégat devenu huguenot, quelques cardinaux et même un saint au calendrier ; pour bâtir une famille que son dernier rejeton en date, dans son fauteuil design, peut feuilleter comme un livre d'images, une épopée dont il connaît chaque protagoniste par son nom.
Au lieu que les vilains semblent tous arriver de nulle part et ne laisser aucune trace une fois au tombeau. Il s'ensuit chez eux, chez nous, par petite compensation, cette espèce de fierté absurde d'être au monde, de résumer à soi seul l'alpha et l'oméga de la vie ; enflure comique qui ne fait que s'exacerber à mesure que la source approche du delta boueux où nous pataugerons bientôt – tandis que la modestie sans apprêt restera l'apanage de la noblesse véritable.
« La vieille race avait duré mille ans ; connu les croisades, les guerres et les pestes ; réalisé, acclamé cent victoires, et un peu de sa gloire brillait au front de la province, du Pays même ; elle allait mourir ; le vieux jardinier ganté, qui se penchait sur la corbeille, restait l'ultime descendant de ces seigneurs de terre et de mer. Dieu ne voulait plus d'eux… Cela était bien ; le vieillard ne récriminait pas. »
Jean de La Varende, La Mort du chêne, in Les Manants du Roi, Via Romana, p. 204.)
"Mon acharné au déduit de tout à l'heure, on sait qu'il s'agit de Thibault, premier du nom", c'est moi qui ne connais pas la formule ou il y a quelque chose qui cloche?
RépondreSupprimerSinon pour le fond du billet, on peut toujours se consoler en se disant que les femmes des nobles ne sont pas plus fidèles que celles des péquenots et que, par conséquent, si ça se trouve votre mec dans son fauteuil design n'en sait en fait pas plus que vous.
Si je vous dis que le déduit désigne la fourrette, vous comprenez mieux l'ensemble ?
Supprimeril parait que la moitié des français descendent de saint Louis (statistiquement)
RépondreSupprimerJ'aimerais bien lire les statistiques en question…
SupprimerC'est un calcul assez simple , le voici :
Supprimerhttp://www.notretemps.com/loisirs/genealogie/tous-descendants-de-charlemagne,i1355
Il me semble que vous ne connaissez guère ce monde aristocratique que vous nous vantez comme un bon nègre le ferait de son Bwana.
RépondreSupprimerD'abord, votre exemple est mauvais car il n'y a pas de famille si ancienne, c'est-à-dire remontant aux croisades, avec descendance directe. Ces lointains seigneurs ont bien une descendance (indirecte), comme tout le monde, mais il ne faut pas oublier que tout le monde a aussi dans ses ascendants quelques seigneurs. C'est la joie des généalogistes que de tomber de temps à autres sur une particule. Certains vont ensuite raconter à Madame la comtesse qu'ils sont leur cousin, ce qui est strictement exact mais ne flatte guère la comtesse, en général.
Tous ceux qui fantasment sur cette aristocratie lavarendienne devraient lire les pages de Chamfort à ce sujet. Ils comprendraient l'absurdité du système.
Quant à la modestie de bon aloi des aristos, je me suis demandé si ce n'était pas une ironie de votre part. Au vu du reste du billet il semblerait que vous preniez la chose au sérieux. C'est triste, car c'est faux. C'est le contraire qui est vrai. On pourrait à la rigueur concevoir que les très grands, les rois et les ducs, soient capables d'une certaine modestie, parce qu'ils n'ont rien à prouver, mais les petits, soit l'immense majorité de la noblesse, se signalent au contraire par leur morgue, le mépris de tout ce qui est en dessous d'eux, précisément parce que la distance entre eux et les autres est faible.
Tocqueville explique ainsi la hargne révolutionnaire en France (contrairement à l'Angleterre) à l'égard des aristos. Ceux-ci étaient si proches des roturiers, par les moyens et le mode de vie, souvent étaient même très en-deçà de la situation des grands bourgeois, qu'ils devaient pour maintenir leur statut en faire des tonnes en termes d'image, se hausser du col et humilier leurs gens. Le retour de bâton fut sévère.
On appelait ces nobles peu fortunés des "chevaliers au lièvre", parce qu'ils vivaient essentiellement du produit de leur chasse...
Je m'arrête là, étant intarissable sur le sujet. Songez tout de même que transformer votre blog en succursale de "Point de vue images du monde" vous rabaisse bien au-delà du journal où vos pseudonymes œuvrent en général.
"Guerre aux châteaux, paix aux chaumières !"
C'est curieux, cette propension qui vous saisit parfois, à faire autant d'effort pour ne rien comprendre. La citation par laquelle je terminais le billet disait assez, il me semble, que ce qui précédait n'était rien d'autre qu'une rêverie autour d'une lecture de La Varende, une sorte de "critique en acte", si je voulais être prétentieux. Et vous, vous arrivez dans vos grosses chaussures de blogo-randonneur, pour m'expliquer que non, vous vous trompez, les nobles ne sont nullement modestes, mais au contraire pleins de morgue et de mépris. Mais j'ai lu Proust aussi, savez-vous ?
SupprimerD'autre part, il existe bel et bien des familles dont on peut remonter la trace jusqu'à l'an Mil, les Rochechouart, par exemple. Mais, de toute façon, pour le billet en question, il me suffisait qu'on le puisse chez La Varende.
Et vous allez me dire, comme ça, droit dans vos bottes, que vous n'avez pas comme qui dirait une tendresse particulière pour ces enparticulés ? Vous pensez vraiment que je n'ai aucune psychologie et que je ne sais pas lire entre vos lignes ? Que je ne sais pas comprendre, que dis-je : sentir cette nostalgie frelatée qui court partout ? Il me semble que c'est vous, là, qui faites semblant de ne pas VOUS comprendre.
SupprimerUne nostalgie de ces aristocrates-paysans tels qu'on les rencontre chez La Varende sans aucun doute ; parce qu'ils sont un puissant moteur pour la rêverie, le vagabondage temporel. Mais pour le reste… Comme tout le monde, j'ai connu quelques représentants de véritables familles aristocratiques : ils m'ont fait le même genre d'effet que n'importe qui, et ma nostalgie d'eux est à peu près nulle.
SupprimerCela dit, j'aimerais bien savoir pourquoi il serait si terrible que cela, à vos yeux, d'avoir de la tendresse pour la noblesse française ?
Parce que c'est injuste. On leur prête trop de vertus, en oubliant les petits, les sans-grade, ces travailleurs infatigables, ces piliers de la France, ces héros anonymes qui n'ont reçu ni argent ni médailles. La noblesse me révulse parce qu'elle est un écran qui cache la vraie noblesse paysanne et ouvrière. Et pour une autre raison aussi : parce qu'elle est l'expression chimiquement pure du racisme, l'idée que ce que nous valons c'est ce que nous héritons, sans qu'on ait besoin d'ajouter quoi que ce soit. Maintenant, sur un plan purement littéraire, je suis prêt à accepter toutes vos errances.
SupprimerN'est-ce pas Chateaubriand qui parlait de la douceur de vivre en France avant la révolution cad. dans une France aristocratique ?
SupprimerNon, c'était Talleyrand. Mais Chateaubriand ne devait pas en penser moins…
SupprimerM. Polo se sentait d'humeur taquine, hier soir, dirait-on…
Supprimer" des familles dont on peut remonter la trace jusqu'à l'an Mil, les Rochechouart, par exemple."
SupprimerDepuis que , grâce au métro, se sont croisés avec les Barbès, leur image aristocratique a beaucoup changé .
Dans ton titre , j y ai vu comme un brin d'actualité du genre un brav' gars qui partirait de sa normandie (dans la chanson on va revoir sa normandie ) pour y couper de la tête de pas turc??
RépondreSupprimerSi tous les seigneurs qui sont morts aux Croisades ont une descendance , à quoi auront donc servi les ceintures de chasteté ?
RépondreSupprimerVous noterez que mon Thibault a engrossé sa jeune épouse avant le départ de la Première croisade (pas con, le mec).
Supprimeril connaissait déjà OGINO ?
SupprimerHého, trente générations certes mais tu oublies le rôle essentiel du facteur dans les contrées françaises et ce depuis toujours : répandre missive et semences dans les foyers où les épouses des nobles guerriers se languissaient.
RépondreSupprimerJe sais de quoi je parle, mon arrière grand-père a fait la guerre.
Je crois que je vais vous piquer votre dernière phrase pour mes Modernœuds…
SupprimerSinon, quelle importance, que le petit comte soit du duc son père ou du messager ? Ce qui compte, c'est la légende, la geste.
"Je sais de quoi je parle, mon arrière grand-père a fait la guerre."
SupprimerWAHOU !!! Ça c'est l'argument massue !! Il y a tellement peu de français qui ont un arrière-grand père qui a fait la guerre...
Sur les 4 arrières grand-père que j'ai eu, j'en ai aussi au moins un qui a fait la guerre...
madame Celeste m'a aujourd'hui sur twitter traité de pote à Jegoun et Goux. Pour le premier, je dois le concéder. Par contre le second,je ne sais pas comment le prendre ;
RépondreSupprimerÀ mon avis, vous devriez le prendre mal…
SupprimerN'ayant pas les yeux en face des trous en lisant le titre de votre billet, j'avais lu "Le pays de Koush" qui n'est pas du tout mais alors pas du tout dans la même zone géographique mais comme certains des égorgeurs viennent de Normandie, le pas est vite sauté.
RépondreSupprimerSous les murailles d'Antioche, vos nobliaux ne devaient pas avoir plus chaud que vous ! Ne sentez-vous pas le froid depuis que Marco Polo a tiré toute la couverture à lui ?
RépondreSupprimerTirer la couverture à moi ? Quelle idée ! Je suis la discrétion faite homme.
SupprimerOn peut toujours se consoler en se disant qu'on descend peut-être d'un membre de la " croisade des gueux " , qui , eux, n'ont pas laissé d 'arbre généalogique .
RépondreSupprimerM . Goux j ' ai la nostalgie de ces temps anciens et des ces personnages qui révoltent Parco Polo ,
RépondreSupprimerproduit semble-t-il pur sucre de l ' éduc-nat . On a noircit cette époque , à tort à mon avis ...
Et puis les temps changent n ' est-il pas " quelques cardinaux et même un saint au calendrier ; " :
de nos jours le brave roturier doir se contenter d 'un " sein " au calendrier ! C ' est moins ... noble ? : )
Jérôme